C’est un comble que Marie-Claire, le premier livre publié de Marguerite Audoux, qui lui assura d’emblée la gloire, fut préfacé par Octave Mirbeau pour les éditions Fasquelle, parce qu’il souhaitait le faire concourir au Prix Goncourt, alors que quelques jours avant la tenue de ce Prix l’ouvrage reçut celui de l’académie des femmes, le Prix Vie Heureuse [1], en 1910. Le Prix rival subtilisa l’ouvrage, car les deux récompenses étaient respectivement exclusives. Sans doute, la notoriété littéraire et politique d’Octave Mirbeau, signataire de la préface, put-elle conforter dans leur bon choix les membres du jury féminin qui attribuèrent leur Prix à la couturière du « groupe fraternel », Anna de Noailles en tête. Comble d’ironie de la concurrence personnelle répondant avec élégance aux attaques misogynes publiées en 1908, de se ressaisir de l’acte éditorial de l’ennemi de pouvoir du genre, pour relever le gant de son « bon goût », en assurant la réussite féminine du livre qu’il avait préparé pour le jury des mâles. Mais quant à lui, n’aurait-il pas du encore convaincre son jury du Goncourt, au risque d’être désavoué dans son soutien, aux dépens de la romancière ?
Alors, les femmes n’ont pas encore conquis le droit de vote, c’est dire l’importance des combats féministes à chaque lieu social où il peuvent se mener. Le Prix littéraire de Marguerite Audoux traduit non seulement une émergence de classe mais encore celle du genre féminin inclus dans le mouvement solidaire des femmes de la bourgeoisie, qui fusionnent l’ensemble de la situation progressiste de la romancière, opportunément d’origine pauvre — pourrait-on dire dans ce contexte. Mais cela n’enlève rien à la beauté de son style en premier lieu, qui ne fait pas de sa récompense un compromis.
Au moins, l’académie des femmes pour Marguerite Audoux ne commit-elle pas l’erreur que l’académie Goncourt commit pour Charles-Louis Philippe, et la romancière put-elle connaître la gloire et le confort matériel bienvenus de son vivant. Car en dépit de son rôle dans l’académie où il représentait en quelque sorte Edmond de Goncourt lui-même, qui l’avait choisi, Octave Mirbeau n’avait pu obtenir la récompense de la dernière chance pour Charles-Louis Philippe, le voyant échouer par deux fois, alors qu’à juste titre il l’avait farouchement défendu [2] ... Marguerite Audoux pour gagner dut l’emporter sur les deux tableaux, mais en tant qu’enjeu de valeur de la partie, non comme protagoniste du jeu de pouvoir entre les genres sexués, et encore moins comme intrigante. Son seul combat de tête fut sans détour celui du droit existentiel contre la misère et de bien écrire pour pouvoir l’exprimer.
La préface de Mirbeau reconnu et apprécié internationalement contribua certainement à révéler Marie-Claire.
Au grand dam de son désespoir du Goncourt Charles-Louis Phillippe n’a pas désemparé, posant la première main de correcteur sur le manuscrit de son amie et payse Marguerite, qui n’était pas allée comme lui à l’école, mais grâce à une religieuse avait appris à lire et à écrire, sans ouvrir un livre de grammaire, pendant ses années d’orphelinat au couvent. D’où elle avait également tiré la leçon de survie, que l’idéal n’existant pas sur terre il était inutile de perdre son temps à le chercher, mais pour autant de devoir se mettre à l’ouvrage, de ne pas désespérer de ses propres ressources. Et pour réussir de devoir rester dans la mesure de ses moyens perfectibles, en exigeant de soi-même la performance. Telle était la femme que Michel Yell devenu son compagnon avait présentée à son ami Charles-Louis Philippe. Elle était la seule femme écrivain du « groupe fraternel ». À observer ses choix et ses refus, le seul échec gardé en elle, qui ne visait pas à devenir mondaine, fut l’échec amoureux. Celui de son premier amour perdu, interdit, le fils de la ferme où elle avait été placée et d’où elle avait été renvoyée pour ne plus le voir, comme un nuage restant à assombrir sa vie, par dessus tout amour sincère et durable pourtant éprouvé ensuite.
Ainsi Michel Yell — de son vrai nom alors, Jules Iehl — fut-il éconduit deux fois, au fil des années, d’avoir demandé à Marguerite Audoux de l’épouser, notamment la seconde fois en 1908, après qu’il eût obtenu sa première charge comme Juge de Paix à La Loupe, dans la région parisienne, grâce à Eugène Rouart alerté par André Gide. Finalement ce fut encore André Gide qui favorisa leur séparation définitive à partir du printemps de 1909, toujours pressant Eugène Rouart qui réussit enfin à obtenir pour Ielh la belle promotion de magistrat attendue depuis plusieurs années, à Fronton, en Haute-Garonne, où Gide considérait que là se trouvait le meilleur site pour la santé de son protégé (tuberculeux) [3]. Où Léon-Paul Fargue et Valéry Larbaud lui rendirent visite après la mort de Charles-Louis Philippe.
Mais contrairement au premier groupe parisien, les épidermistes, qui à l’instar de Francis Jourdain excluait radicalement les femmes pour se rencontrer dans des restaurants populaires, avant Carnetin, il fut deux autres femmes à la belle personnalité qui comptèrent avec Marguerite, depuis Carnetin, où la vie quotidienne fut partagée entre tous, plusieurs fois par mois, de 1904 à 1907 : Agathe, styliste, l’épouse de Francis Jourdain, et Émilie Millerand, lingère, « la Millie de Philippe ». Elles s’organisèrent solidairement autour des métiers manuels de la création et de la fabrication du vêtement, pour aider la plus démunie d’entre elles. Comme tous les hommes du groupe avaient une activité d’écriture, œuvre personnelle ou critique des œuvres dans différentes disciplines, ils s’attachèrent particulièrement à faire réussir Marguerite dans son activité d’écrire, qui leur paraissait un mouvement exemplaire de sa vie. C’était la seule qui par goût s’attachait à l’expérience de son intellectualité, philosophique et poétique, de femme du peuple restée au travail pour gagner son pain (ce qui l’installa en locomotive de ses comparses parmi le groupe).
C’est Francis Jourdain lui-même qui en décembre 1909 transmet le manuscrit à Octave Mirbeau, juste après la mort de Charles-Louis Philippe. Octave Mirbeau, éminente personnalité littéraire de renommée européenne grâce à ses grands succès de librairie et à sa maîtrise de la critique dans les revues, romancier [4], nouvelliste, essayiste, critique, au radicalisme de classe sans faille, puissant dans le domaine de l’édition, et cependant anarchiste engagé par ses manifestes et sa solidarité contre le racisme et dans les causes sociales révolutionnaires, y compris critique de l’éducation, ne cautionne pas de son vote le système électoral de la 3e république fondée sur les charniers de la Commune. Éditorialiste tutélaire des écrivains du groupe fraternel de Carnetin et également de Valery Larbaud, qui est un ami du groupe et particulièrement ami avec Charles-Louis Philippe avant de devenir proche de Léon-Paul Fargue, lors de leur rencontre émotionnelle à l’enterrement de leur ami, en décembre 1909. Tout pour le livre de Marguerite Audoux se joue autour du relai amical au moment de la mort de Charles-Louis Philippe qui l’a inspirée, défiée et aidée, même si au début de l’année 1909 elle cesse de lui parler, le jugeant responsable de la misérable mort de Millie [5]. C’est Valéry Larbaud du vivant de Charles-Louis qui recopie le manuscrit raturé de Marie-Claire pour le rendre lisible, dans un moment où Marguerite ne peut en assurer l’entreprise à cause de ses yeux malades [6].
Et c’est encore Valery Larbaud, informé par Léon-Paul Fargue de la fillette surnommée Quasi, orpheline de l’ancienne compagne de Charles-Louis Philippe morte quelques mois avant lui, qui lui verse une pension pour la dispenser de travailler pendant sa scolarité en Bretagne (l’histoire ne dit pas si madame Larbaud mère le jugeant trop dépensier permet la prolongation de cette aide jusqu’au terme de sa pertinence annoncée, du moins semble-t-il). Ainsi Quasi, que pourtant il ne connaît pas, d’où qu’il nomme ainsi sa limousine conduite par un chauffeur, inspirera-t-elle ses déplacements avec Fargue dans leur région natale partagée, durant les années qui suivront immédiatement le décès de Philippe. Et des sanglots à sourire en larmes à rire aux larmes, dans l’insolence de son étrange tragédie, la ronde fraternelle poursuit sa danse solidaire jusqu’à la première guerre mondiale, durant laquelle Octave Mirbeau quitte à son tour la ritournelle de la vie, le jour même de ses 69 ans, le 16 février 1917.
Après, ces souvenirs seront sans pareil, comme si les dernières fleurs du renouveau des cerises s’étaient à jamais fanées.
A. G. C.
« Amis, vous vous souviendrez toujours des dîners chez Philippe et chez Francis, de Carnetin, de la crèmerie Grunat, de la proue sur la Seine et des soirs d’été dans l’île Saint Louis, pauvres poètes, quand les bateaux-mouches glissaient comme des silures aux bouches tristes ! Marguerite Audoux, Jourdain, Yell, Chanvin, Larbaud, Ray, Gignoux, Werth, nous sommes les derniers tenants du groupe... En dépit des malentendus, des affaires, de la galette, en dépit des concessions des rancunes, en dépit de nos pauvres nerfs, serrons les rangs, serrons-nous les coudes. »
Léon-Paul Fargue, Sous la lampe (extrait)
Éd. de la NRF, 1929, Paris.
{} {} {} Francis Jourdain, un soir, me confia la vie douloureuse d’une femme dont il était le grand ami.
{} {} Couturière, toujours malade, très pauvre, quelquefois sans pain, elle s’appelait Marguerite Audoux. Malgré tout son courage, ne pouvant plus travailler, ni lire, car elle souffrait cruellement des yeux, elle écrivait.
{} {} Elle écrivait non sans l’espoir de publier ses œuvres, mais pour ne point trop penser à la misère, pour amuser sa solitude, et comme pour lui tenir compagnie, et aussi, je pense, parce qu’elle aimait écrire.
{} {} Il connaissait d’elle une œuvre, Marie-Claire, qui lui paraissait très belle. Il me demanda de la lire. J’aime le goût de Francis Jourdain, et j’en fais grand cas. Sa tournure d’esprit, sa sensibilité me contentent infiniment... En me remettant le manuscrit, il ajouta :
{} {} — Notre cher Philippe admirait beaucoup ça... Il eût bien voulu que ce livre fût publié. Mais que pouvait-il faire pour les autres, lui qui ne pouvait rien pour lui ?...
{} {} Je suis convaincu que les bons livres ont une puissance indestructible... De si loin qu’ils arrivent, ou si enfouis qu’ils soient dans les misères ignorées d’une maison d’ouvrier, ils se révèlent toujours... Certes, on les déteste.... On les nie et on les insulte... Qu’est-ce que cela fait ? Ils sont plus forts que tout et que tout le monde.
{} {} Et la preuve c’est que Marie-Claire paraît, aujourd’hui, en volume, chez Fasquelle.
{} {} Il m’est doux de parler de ce livre admirable, et je voudrais, dans la foi de mon âme, y intéresser tous ceux qui aiment encore la lecture. Comme moi-même, ils y goûteront des joies rares, ils y sentiront une émotion nouvelle et très forte.
{} {} Marie-Claire est une œuvre d’un grand goût. Sa simplicité, sa vérité, son élégance d’esprit, sa profondeur, sa nouveauté sont impressionnantes. Tout y est à sa place, les choses, les paysages, les gens. Ils sont marqués, dessinés d’un trait, du trait qu’il faut pour les rendre vivants et inoubliables. On n’en souhaite jamais un autre, tant celui-ci est juste, pittoresque, coloré, à son plan. Ce qui nous étonne surtout, ce qui nous subjugue, c’est la force de l’action intérieure, et c’est toute la lumière douce et chantante qui se lève sur ce livre, comme le soleil sur un beau matin d’été. Et l’on sent bien souvent passer la phrase des grands écrivains : un son que nous n’entendons plus, preque jamais plus, et où notre esprit s’émerveille.
{} {} Et voilà le miracle :
{} {} Marguerite Audoux n’était pas une « déclassée intellectuelle », c’était bien la petite couturière qui, tantôt, fait des journées bourgeoises, pour gagner trois francs, tantôt travaille chez elle, dans une chambre si exiguë qu’il faut déplacer le mannequin pour atteindre la machine à coudre.
{} {} Elle a raconté comment, lorsque en sa jeunesse elle gardait les moutons dans une ferme de la Sologne, la découverte, dans un grenier, d’un vieux bouquin lui révéla le monde des histoires. Depuis ce jour-là, avec une passion grandissante, elle lut tout ce qui lui tombait sous la main, feuilletons, vieux almanachs, etc. Et elle fut prise du désir vague, informulé, d’écrire un jour elle aussi, des histoires. Et ce désir se réalisa, le jour où le médecin, consulté à l’Hôtel-Dieu, lui interdit de coudre, sous peine de devenir aveugle.
{} {} Des journalistes ont imaginé que Marguerite Audoux s’écria alors : « Puisque je ne peux plus coudre un corsage, je vais faire un livre ».
{} {} Cette légende, capable de satisfaire, à la fois, le goût qu’ont les bourgeois pour l’extraordinaire et le mépris qu’ils ont de la littérature, est fausse et absurde.
{} {} Chez l’auteur de Marie-Claire, le goût de la littérature n’est pas distinct de la curiosité supérieure de la vie, et ce qu’elle s’amusa à noter, ce fut, tout simplement, le spectacle de la vie quotidienne, mais encore plus ce qu’elle imaginait, ce qu’elle devinait de l’existence des gens rencontrés. Déjà, ses dons d’intuition égalaient ses facultés d’observation... Elle ne parlait jamais à quiconque de cette « manie » de griffonner, et brûlait ses bouts de papier, qu’elle croyait ne pouvoir intéresser personne.
{} {} Il fallut que le hasard la conduisît dans un milieu où fréquentaient quelques jeunes artistes, pour qu’elle se rendît compte combien les séduisait, combien les empoignait son don du récit. Charles-Louis Philippe l’encouragea particulièrement, mais jamais il ne lui donna de conseils. Adressés à une femme dont la sensibilité était si éduquée, déjà, la volonté si arrêtée, le tempérament si affirmé, il les sentait plus inutiles que dangereux.
{} {} À notre époque, tous les gens cultivés, et ceux qui croient l’être, se soucient fort de retour à la tradition et parlent de s’imposer une forte discipline... N’est-il pas délicieux que ce soit une ouvrière, ignorant l’orthographe, qui retrouve, ou plutôt qui invente ces grandes qualités de sobriété, de goût, d’évocation, auxquelles l’expérience et la volonté n’arrivent jamais seules ?
{} {} La volonté, d’ailleurs, ne fait pas défaut à Marguerite Audoux, et quant à l’expérience, ce qui lui en tient lieu, c’est ce sens inné de la langue qui lui permet non pas d’écrire comme une somnambule, mais de travailler sa phrase, de l’équilibrer, de la simplifier, en vue d’un rythme dont elle n’a pas appris à connaître les lois, mais dont elle a, dans son sûr génie, une merveilleuse et une mystérieuse conscience.
{} {} Elle est douée d’imagination, mais entendons-nous, d’une imagination noble, ardente et magnifique, qui n’est pas celle des jeune femmes qui rêvent et des romanciers qui combinent. Elle n’est ni à côté ni au delà de la vie ; elle semble seulement prolonger les faits observés, et les rendre plus clairs. Si j’étais critique, ou, à Dieu ne plaise, psychologue, j’appellerais cette imagination une imagination déductive. Mais je ne me hasarde pas sur ce terrain périlleux.
{} {} Lisez Marie-Claire... Et quand vous l’aurez lue, sans vouloir blesser personne, vous vous demanderez quel est parmi nos écrivains — et je parle des plus glorieux — celui qui eût pu écrire un tel livre, avec cette mesure impeccable, cette pureté et cette grandeur rayonnantes.
« Une couturière, presque aveugle, gagne le Prix du roman. Marguerite Audoux passionne Paris d’avoir obtenu le Prix de 5 000 Frs de l’accadémie des femmes. » titre le New York Times Sunday Magazine, du 1er janvier 1911, manifestement informé de la préface d’Octave Mirbeau, et consacrant une double page (?) et deux photos dont une de l’atelier, plus un dessin, à l’auteur de Marie-Claire.
L’information de la mort de Marguerite Audoux, dans La force de l’Histoire (publication d’une des premières sociétés de secours mutuel), le 1er février 1937 : Mort de Marguerite Audoux
« Elle était bergère en Sologne et vint à Paris où elle gagnait pauvrement sa vie comme couturière.
Douée d’un véritable talent d’écrivain, elle a raconté avec une touchante simplicité et un réalisme sincère sa vie quotidienne, ses souffrances et ses misères dans Marie-Claire et dans L’Atelier de Marie-Claire.
C’est Octave Mirbeau qui a découvert la valeur littéraire de ses ouvrages qui furent accueillis avec sympathie et traduits en plusieurs langues.
Il y a dans les romans naturalistes de Marguerite Audoux non seulement le sentiment de la vérité, le goût du détail psychologique et une naïveté pure, mais aussi un lyrisme neuf et attachant, teinté parfois d’une ironie amère et douloureuse. » (Source foed.over-blog.com)
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[1] Ce prix attribué aux écrivains des deux sexes par un jury de femmes, fondé par Anna de Noailles, femme de Lettres et rédactrice en chef (?) du magazine Vie Heureuse, avec 22 collaboratrices comprenant des rédactrices du magazine Femina et parmi lesquelles Julia Daudet et Judith Gautier, fut créé pour offrir une alternative au Goncourt dont le jury était essentiellement masculin. Selon l’article éponyme d’Anna de Noailles dans fr.wikipedia, Octave Mirbeau la ridiculisa dans la Revue des lettres et des arts du 1er mai 1908, en la montrant comme une « idole » entourée de « prêtresses ». La récompense de Marguerite Audoux dont le roman est préfacé par l’ancien détracteur de la fondatrice, lui-même pouvant être considéré comme le maître du Goncourt, auquel il destinait l’ouvrage, est une belle revanche de l’académie des femmes et une chance pour l’auteure. On trouve deux excellentes recensions de ces magazines féminins, de leur pôle littéraire, de leurs protagonistes, l’une dans le n°1 du volume 16 de la revue Recherches féministes, Expériences, en 2003 : Le prix Femina : la consécration littéraire au féminin, par Sylvie Ducas, et l’autre dans la revue @nalyses Dossiers, Femmes de lettres, mis à jour en août 2008 : Une Académie de femmes ?, par Margot Irvine.
[2] Extrait de :
OCTAVE MIRBEAU, ACADEMICIEN GONCOURT, OU LE DÉFENSEUR DES LETTRES « PROMU JURÉ », par Sylvie DUCAS-SPAËS Université Paris XII :
[ ... ] L’échec de Charles-Louis Philippe au Goncourt reste l’une des déceptions les plus amères de Mirbeau. Dans une interview accordée à Gil Blas, il déplore le manque d’audace de l’académie Goncourt dans ses choix, sans pour autant totalement désavouer son propre vote de ralliement, d’où cette réponse ambivalente : « Le grand tort que nous avons eu, […] la grande faute que nous avons commise, c’est de ne pas donner un prix à Philippe. Il a beaucoup de talent. Et il en a besoin. Un lancement comme est le prix Goncourt l’aurait mis hors d’affaire. […] Oui, jusqu’à présent, nous n’avons pas donné les prix que nous aurions dû donner. Je crois que ce que nous devons faire, en effet, c’est couronner des livres qui ne pourraient en aucun cas être couronnés par l’Académie française. Tout ce qu’on peut dire de celui de cette année, c’est qu’il aurait pu être également couronné par l’Institut… Oui, peut-être, mais c’est tout de même loin d’être certain. [ ... ] » Octave Mirbeau, Interview par Paul Gazobon, Gil Blas, 18 décembre 1906.
[ Et après la mort prématurée de Charles-Louis Philippe ] : « Si vous saviez quelle colère j’éprouve contre cette académie stupide, plate et méchante, contre Descaves surtout — qui n’a pas su donner à ce grand artiste un peu de bonheur, un peu de tranquillité… », Lettre à Francis Jourdain, 22 décembre 1909.
[3] Correspondance, André Gide Eugène Rouart (1902-1936), vol. II, Introduction, pp. 28-29 ; Presses Universitaires de Lyon.
[4] Mais toujours radical jusqu’à la fin de son œuvre, il décriera la forme romanesque la trouvant trop affectée et anecdotique et considérant qu’elle est un genre prescrit il s’en soustraira, dans les derniers écrits auxquels Léon Werth aurait contribué pour palier aux difficultés psycho-motrices de son ami, et sous la direction de celui-ci.
[5] Pourtant c’est Marguerite Audoux que Charles-Louis Philippe fait aller chercher en urgence par sa nouvelle maitresse, et avec insistance — comme Marguerite Audoux toujours en reproche sur la vitesse et la violence de la mort de Millie, confrontée au refus de Philippe de se réconcilier avec elle en dépit de cette intervention amicale, commence par refuser de le visiter, avec pour toute réponse la remarque : « Eh bien qu’il se soigne ! » — lorsque dans son appartement du quai de Bourbon devenu distant de ses anciens amis (toutes les vies ayant changé) il ne parvient pas à guérir ; c’est elle qui finit par appeler Élie Faure de nouveau à son chevet, avant que celui-ci ne décide d’hospitaliser leur ami dans la clinique de son frère chirurgien, où se déclare la méningite fatale. Elle reste à son chevet jusqu’à la fin, seulement relayée les trois dernières nuits par Léon-Paul Fargue et deux autres amis, parmi lesquels Léon Werth. C’est encore elle, accompagnée par Léon Werth, qui se rendra au domicile de Charles-Louis Philippe, quai de bourbon, pour y prendre des affaires utiles à leur ami hospitalisé (voir l’ouvrage de Jacques de Fourchambault, Charles-Louis Philippe, le bon sujet, col. L’œuvre et la Vie, éd. Denoël, Paris, 1943 : livre généralement peu voir pas du tout cité depuis la seconde guerre mondiale, à cause du statut de collaborateur de l’éditeur et de ses auteurs qui le mit au rebut dès la Libération, mais où, ce biographe ayant tout de même pu rencontrer des protagonistes de l’eau d’un Léon-Paul Fargue témoin de l’agonie de Philippe, même si d’autres s’y dérobèrent à juste titre, plus méfiants et/ou trop éloignés en zone libre, comme Ielh, ou devenus discrets pour couvrir leur engagement social et leur participation au parti communiste, comme Jourdain ; l’évocation de la mort de Philippe et de son contexte au moment même, fondée sur des témoignages, demeure sans doute la plus précise qu’on puisse trouver parmi les biographies de l’écrivain) ; ils découvrent alors, dans l’appartement resté sombre et froid en l’absence de son occupant, le canari de Millie, affamé et hurlant dans sa cage, car personne n’est venu le nourrir — Philippe l’avait donc repris après la mort de son ancienne compagne... On peut noter en passant que c’est l’année de la parution de cette biographie de Philippe par Fourchambault, en 1943, que Fargue, lors d’un repas chez Picasso, est frappé par l’accident circulatoire qui le laissera hémiplégique jusqu’à la fin de sa vie (en 1947).
[6] Encore dans le tome 2 de la Correspondance d’André Gide avec Eugène Rouart, (op.cit.), on apprend qu’en 1911 Gide va chercher d’urgence Jules Ielh à Fronton, non loin de Toulouse (où — selon des lettres précédentes remontant jusqu’en 1908 et parlant d’une attente de trois ans pour ce poste — Iehl occupe la fonction de magistrat depuis le mois je janvier 1909, grâce à Eugène Rouart pressé par Gide), pour le ramener au chevet de Marguerite Audoux à la demande de son médecin, leur ami Élie Faure. Faure pense que c’est la révélation brutale que Michel Iehl se soit fiancé avec une jeune gasconne qui a causé le choc nerveux et l’hémorragie rétinienne de sa patiente desquels il craint une évolution vers la cécité totale. Cette situation extrême et soudaine de la santé de Marguerite Audoux se constitue sur une défaillance de sa vue notoire parmi ses amis, notamment depuis deux ou trois ans ; dès 1909 Valery Larbaud recopiait le manuscrit final de Marie-Claire tout juste corrigé par Charles-Louis Philippe, la romancière ne pouvant plus le faire elle-même à cause de ses crises d’ophtalmie répétées ; ces troubles qui l’ont écartée de son métier de couturière sont précisément ceux là même évoqués par O. Mirbeau dans sa préface, à propos du contexte de l’écriture du roman dont Francis Jourdain l’a informé.)