A partir de 1927-1928 apparut dans l’ombre du surréalisme un mouvement qui concurrença pendant quelques années le groupe d’André Breton. Le Grand Jeu était né des expériences, entre 1922 et 1925, de lycéens rémois dont nous retiendrons surtout Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal, et Roger Vailland. Leur idée d’une revue avait pris forme tout au long de 1927 grâce aux efforts soutenus de René Daumal. Les jeunes gens du Grand Jeu étaient alors dans l’orbe, ou presque, du surréalisme : ils eurent même un projet de numéro spécial de la revue le Rouge et le Noir consacré à Sade. Mais dès 1928 André Breton prit ombrage de ce mouvement qui était allé jusqu’à lui ravir un membre (Monny de Boully) et il organisa en février 1929 une réunion de toute l’avant-garde intellectuelle de l’époque (ceux de Clarté, de Philosophie et du Grand Jeu, notamment) en vue d’étudier les possibilités d’une action commune. Le propos de Breton se révèle vite de faire éclater le Grand Jeu : Vailland y est accusé d’avoir commis un acte anti-révolutionnaire [1]. Le Grand Jeu survit à ce guet-appens mais l’attitude dogmatique de Breton aura tôt fait d’éclaircir les rangs surréalistes [2].
Sentant croître son isolement, Breton tente avec le Second manifeste de rallier les membres du Grand Jeu et, si les relations se sont radoucies, Daumal, Gilbert-Lecomte et Rolland de Renéville, arrivé plus tardivement, gardent leurs distances. Ce d’autant plus que leur groupe vacille : Gilbert-Lecomte est chroniquement englouti par sa toxicomanie et Vailland a rompu avec le groupe. Daumal apparaît de plus en plus comme le pilier principal du Grand Jeu. Les projets de numéros spéciaux de revues (Variétés, Messages, Cahiers du Sud) consacrés au Grand Jeu avortent, de même que les projets de collection (chez Kra, au Sans-Pareil). D’ici peu, Renéville quittera le groupe après l’ « affaire Aragon » [3]. Gilbert-Lecomte est de nouveau empêtré dans des affaires de drogue. Daumal part aux Etats-Unis comme attaché de presse sur la tournée du danseur hindou Uday Shankar. Le Grand Jeu a vécu.
Après ce bref rappel historique nous voudrions préciser d’une part que si René Daumal ne fut pas l’André Breton du Grand Jeu, son rôle y fut néanmoins prépondérant, surtout en sa dernière période [4]. D’autre part l’œuvre de René Daumal se joue du pseudo-paradoxe d’un double mouvement qui associe pro- et rétrogradation.
Posons comme axiome que l’avant-garde soit une négation de la tradition. Ainsi, l’appartenance du Grand Jeu et de René Daumal à l’avant-garde ne fait aucun doute. Dès le premier numéro de la revue (1928) tous les membres contresignent un avant-propos affirmant : « Nous nous donnerons toujours de toutes nos forces à toutes les révolutions nouvelles » pour aussitôt revendiquer leur différence : « ... nous ne formons pas un groupe littéraire, mais une union d’hommes liés à la même recherche [...] art, littérature ne sont pour nous que des moyens. » [5] La distinction prendra toute son importance en 1929 lors de la « Mise au point ou casse-dogme » : « ‘Le Grand Jeu est entièrement et systématiquement destructeur’ [...] Nous sommes résolus à tout, prêts à tout engager de nous-mêmes pour, selon les occasions, saccager, détériorer, déprécier ou faire sauter tout édifice social, fracasser toute cangue morale » [6].
Ces prémisses foncièrement nihilistes visant à la destruction de toute entité sociale s’effacent, note Michel Random, « au profit d’une révolte toujours constante, s’exprimant cette fois-ci au niveau des Idées » et « s’efforçant de dépouiller l’Absolu et son corrolaire l’Unité de tout ce qui ne constitue pas ses attributs propres. » [7] Aux attaques surréalistes de Variétés (juin 1929), Daumal répond en affirmant que le Grand Jeu se réclame de l’« hégélianisme de gauche rallié au marxisme et, par conséquent, aux principes de la Troisième Internationale » [8]. Daumal précisera plus tard (en 1934) dans une lettre à Julien Benda qu’il n’est pas marxiste mais ‘anti-anti-marxiste’ et que la civilisation occidentale souffre d’un mal profond que la révolution prolétarienne ne suffirait pas à guérir. L’attitude ‘progressiste’ de Daumal en politique est surtout dictée par « le choix tactique de l’époque : antifascisme ou anticommunisme » [9]. D’ailleurs, si Pascal Sigoda n’est pas loin d’estimer que « les positions politiques les plus fermes du groupe et de René Daumal rejoignent l’anarchisme » [10], c’est qu’ils remettent en cause l’édifice occidental.
Ainsi, tout en prônant la révolution selon une analyse marxiste de l’histoire, René Daumal et le Grand Jeu tiennent-ils en très haute estime la Tradition. Il s’agit donc d’un singulier avant-gardisme. Leurs attaques contre l’Occident prennent place, durant ces années de l’entre-deux guerres, dans la querelle de l’asiatisme mettant aux prises des gens comme Henri Massis d’une part, et René Guénon de l’autre [11]. L’influence des livres de ce dernier [12] sur le groupe et particulièrement Daumal fut importante. Selon Kathleen Ferrick Rosenblatt, l’influence de Guénon permit aux membres du Grand Jeu de sortir des voies « de l’expérimentation psychique à bon marché et de l’occultisme facile des surréalistes, orientant Daumal et ses amis vers une étude sérieuse de la métaphysique traditionnelle » [13]. En effet René Daumal se tourna dès lors vers l’Inde. Non pas, à l’instar de Romain Rolland, vers l’Inde moderne de Ramakrishna, de Tagore ou de Gandhi, mais vers une Inde ‘anhistorique’.
Cette attitude, observable en Europe depuis le romantisme allemand et qui consiste à placer en Orient la source de tout savoir et de toute sagesse, séduisit parfois le tout venant théosophique — elle servit même de point de départ à l’aryanisme [14]. Si l’approche de Daumal est autrement plus exigeante, la structure binaire de la représentation de l’Orient est précisément celle que l’on retrouve chez lui alors qu’il s’efforce d’en dépasser les limites.
Son invariable viatique aura été la dialectique. A l’instar des proclamations de Breton dans le Premier manifeste, visant à la résolution future d’états contradictoires, Daumal et le Grand Jeu ont pour point de départ la dialectique hégélienne. Daumal défend d’ailleurs Hegel dans sa « Lettre ouverte à André Breton » (1930) à qui il reproche de « croire à la faillite » [15] du philosophe d’Iéna. S’emparant des critiques adressés par Guénon à l’Occident, selon qui l’erreur la plus funeste aurait été d’instaurer le règne de la séparation (distinction sujet-objet, matière-esprit, éclatement de la tradition à cause des schismes), René Daumal n’eut de cesse de retrouver l’Un. Le Grand Jeu déjà cherchait l’identité du monde spirituel et du monde physique par « le mariage de l’idéalisme absolu (tel que le définit Hegel) et du matérialisme dialectique » [16].
Mais entre le Grand Jeu et les années 1930-1944 la position de René Daumal évolua sur certains points, et notamment sur les références philosophiques et culturelles. La pensée de Daumal et Gilbert Lecomte consistait alors en un monisme spiritualiste proche de Hegel. Mais le sens de l’Absolu dans le Grand Jeu se démarque de l’idéalisme pur de Hegel pour être « plus proche de l’Absolu de Spinoza ou de Giordano Bruno, c’est à dire l’Absolu qui est Un ou l’identité et la réalisation de tous les possibles. A la fois au delà de toutes formes et de toutes essences, l’Absolu est aussi toutes formes et toutes essences » [17].
Lorsque Daumal préfère parler du « Non dualisme de Spinoza » plutôt que de monisme c’est, nous dit il, « à la manière des penseurs vêdantins de l’Inde » [18] qui parlaient d’Advaita [19]. A ses yeux le terme de ‘monisme’ suggère trop une pensée endormie dans un système, alors qu’il y voit ce à quoi il tient considérablement : une dialectique. Refusant de s’arrêter à une vision idéaliste, Daumal en vient à préférer Spinoza à Hegel :
« Spinoza pose au commencement le couple moteur de son œuvre en termes moins abstraits, moins généraux, que ceux de Hegel. Hegel pose : ‘Être’ et ‘Non Être’. Spinoza pose deux aspects de l’Être : ‘Pensée’ et ‘Étendue’. Mais toute antinomie abstraite peut et doit être résolue par un saut brusque en dehors de l’abstraction, par une prise en main de l’être concret et total, par un acte vital que la réflexion seule distingue en ‘physique’ et ‘intellectuel’. Parti du dualisme cartésien, intolérable à la volonté d’être Un, Spinoza nous achemine peu à peu à la résolution, en acte ‘dans la vie’, de cette antinomie. [...] En fin de compte, il veut demander à chaque homme de ‘se mettre soi même en forme’, de se changer pour se créer ; et il lui propose les rudiments d’une ‘méthode’. » [20]
Les expressions de la doctrine spinoziste lui rappellent le symbolisme métaphysique des penseurs hindous. Écartant évidemment toute connaissance possible de l’Advaita et des Upanisad par Spinoza, Daumal y voit « l’occasion de constater la convergence de toutes les vraies pensées de l’humanité vers une direction unique, alors même qu’aucun rapport historique n’existe entre elles » [21] et donc d’authentifier l’existence d’une Tradition universelle.
La dialectique entre révolution et tradition se résout chez Daumal par le fait que la révolution ne s’inscrit pas dans une temporalité linéaire (comme chez Hegel) mais cyclique (comme dans la pensée hindoue). Si bien que la révolution peut et doit aboutir à une restitutio in integrum. Ainsi l’attitude anarchiste et nihiliste de ses débuts peut-elle trouver sa justification par la référence aux cycles de la cosmologie hindoue selon laquelle l’époque actuelle correspond à l’âge sombre du kali-yuga. Mais lorsque le Grand Jeu diffusait un tract invitant à « Tout remettre en fusion à tous les instants » il liait déjà la révolution à la manifestation de l’Un et ne visait aucun eschaton.
Chez Spinoza, chez Hegel et dans l’Inde René Daumal puise, de son point de vue, non seulement de quoi connaître l’unité, mais surtout de « l’être » et de « la vivre » [22]. Il retient de Spinoza, de Hegel ainsi que des Upanisad une pensée non dualiste qui progresse vers l’Unité grâce à la dialectique. Mais ces pensées sont aussi des pensées du Verbe : et c’est ce qui intéresse le poète.
Hegel affirmait que « tout ce qui est réel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est réel », pour énoncer un idéalisme absolu selon lequel l’avènement du logos, de la Parole, vient à bout du réel. En somme, la Parole qui nomme fait advenir à l’Être. Mais Daumal, pour qui cette affirmation est vérité, pense que le langage philosophique a ses limites, et c’est précisément ce qui le rapproche de Spinoza dont l’immense mérite à ses yeux est d’avoir vécu comme il a pensé : « la pensée réelle engage la vie entière » puisque « l’homme est un » [23]. Et Spinoza, ajoute t il, « niant toute dualité foncière entre la matière et l’esprit, le corps et l’âme, l’action et la pensée, se place d’emblée, hors de [toute] philosophie reflet, sur un plan éternel » [24]. Le philosophe trouve sa limite s’il se cantonne dans une abstraite construction philosophique, ce qui est pour Daumal le cas de Hegel. Ce n’est, à l’exemple de Socrate, que s’il devient un sage en impliquant sa pensée dans la vie réelle, qu’il est crédible et sa pensée vivante.
Il n’est alors pour René Daumal pas de meilleur instrument pour s’approcher de la Parole Absolue que la poésie. Il s’en explique ainsi : « puisque c’est juste au moment où le Mot devient prononçable qu’il est prononcé, la parole poétique est, de tous les modes d’expression, nécessairement le plus ‘juste’, le plus proche de la parole absolue » [25]. Et c’est dans Clavicules pour un Grand Jeu poétique (1930), essai réuni au Contre Ciel (1936) qu’il exprime les pouvoirs de la parole selon une dialectique non dualiste. Au départ, dit Daumal :
« ma progression vers une Non multiplicité, une Non particularité me révèle une existence multiple et particulière, que je vois comme une nécessité rigoureuse et comme une absurdité d’autant plus grande que je la vois plus clairement.
[...] Celui qui ‘voit l’absurde’ souffre ce supplice : avoir le Mot de la fin de tout sur le bout de la langue, mais imprononçable. » [26]
De cette cruelle évidence entre la certitude pour l’individu d’être « l’illimité se sentant limité, donc privé de soi même, torturé dans une forme particulière » [27], Daumal veut sortir par le « fiat transcendant de la création poétique » [28].
« Toujours sur le point d’être prononcée, cette Évidence est la Parole unique et suprême, qui n’est jamais dite, mais qui se cache derrière les mots des poètes et les soutient. Si le Poète prononçait ce mot, le monde entier serait son Poème ; il aurait anéanti le monde en le recréant en soi. L’interdiction de prononcer les grands mots sacrés veut dire cette puissance terrible du Verbe, et l’impuissance humaine de notre parole. » [29]
Ce que cherche René Daumal, et qui explique la résonnance hégélienne de ces lignes, c’est que le Verbe se fasse chair, et que le poète l’incarne. Alors, loin d’en rester au plan conceptuel, il suit une « ‘théologie négative’ dans son application pratique à l’ascèse individuelle » [30].
« Absurde d’être inclus dans une infime des innombrables bulles — provoquées, évoquées, projetées — un NON se prononce JE
et JE regarde :
JE suis la cause de Tout ceci, si je suis NON,
JE suis le connaisseur de Tout ceci, si je suis NON,
JE suis l’amant de Tout ceci, si je suis NON.
Absurde d’être mais de n’être pas NON, absurde liberté, absurde vérité, absurde amour
l’étant — ne l’étant pas — je le deviens. » [31]
De théologie négative en dialectique ‘Être, Non Être, Devenir’, René Daumal tente de s’acheminer « de [sa] nature bornée vers l’être absolu » [32] par cette maîtrise de la Parole qu’est la poésie.
« Or le NON se parle », affirme Daumal, car « toute poésie a sa racine dans l’acte immédiat de négation » [33]. Prenant appui sur la poétique de Mallarmé, il considère que le poète doit en lui, puis dans le poème, faire apparaître puis renier les formes qui viennent à sa conscience : c’est le même processus qui doit s’effectuer chez le lecteur « qui remontera ainsi jusqu’à l’évidence poétique qui fut le germe et qui est l’essence du poème » [34]. De cette manière peut se dire le néant essentiel de toute chose. Mais ce n’est pas Tout :
« Nous sommes parvenus au point critique de la manifestation poétique. D’un côté, un absolu muet, ne pouvant se manifester, puisque par définition, il ne se détermine qu’en niant toute détermination. En face, une confusion mouvante et incoordonnée de formes n’existant que ‘pour’ cet absolu muet, se contrariant, s’empêchant mutuellement de parvenir à l’existence. D’un côté une Parole qui ne dispose d’aucun moyen d’expression, de l’autre un souffle, renfermant une foule brute d’expressions possibles, mais seulement possibles, privées de sens. De ‘l’essence’ absolue et du ‘possible’, dont la contradiction est souffrance, naîtra ‘l’existence’ du poème. » [35]
S’éloignant du Grand Jeu, René Daumal se consacra de plus en plus à l’exploration et à la traduction de textes sanskrits dans lesquels il découvrit une confirmation de ses intuitions de jeunesse concernant le ‘métier poétique’, mais aussi une pratique très précise de l’art poétique qui permette de manifester la Parole Absolue dans un langage humain.
Sa réflexion s’enrichit alors sans s’éloigner de ses prémisses hégéliennes ou spinozistes. Qu’on en juge : « Tous les poèmes récités, et tous les chants sans exception, ce sont des portions de Vishnu, du Grand Être, revêtu d’une forme sonore » [36], affirme t il en citant une source sanskrite. Faisant sienne la théorie du grammairien vedântiste Bhartrihari [37], René Daumal affirme que la théorie du rapport de simple convention entre les mots et les choses et celle d’une relation essentielle ne sont pas antinomiques. Il existe en effet selon Bhartrihari deux sortes de langages, l’un qui est « fait de mots sonores (dhvani), mots usuels, soumis aux lois naturelles, c’est à dire aux règles de la phonétique et de la grammaire » ; l’autre qui est fait « de mots germes (sphota), idéaux, inaltérables, qui sont les modalités de l’atman universel, les divisions réelles de l’univers ; le mot sphota est dans le rapport de cause manifestante à effet manifesté » [38]. A l’aide d’une telle théorie, la volonté d’arriver à l’Unité par le Verbe poétique s’organise en toute logique.
Ainsi l’acte ‘positif’ de négation permet au poète d’aller au delà de la multiplicité apparente des ‘bulles’ :
« Une Mer bouillonnante devant toi ;
le mot OUI brille innombrable, reflété par chaque bulle.
Mâle le NON, il regarde la femelle. » [39]
Ces bulles sont l’image d’un monde illusoire auquel il ne faut pas se laisser prendre. C’est le poète, « lueur reflétée de l’atman universel [dont] l’acte poétique participe au mouvement cosmique » [40] qui en est la clef (d’où le nom de clavicule). Mais cela ne se fait pas sans ascèse :
« L’opération poétique [...] est un véritable travail du poète, non seulement pour connaître les lois de sa matière et les règles de son métier, mais aussi, travail intérieur, pour se discipliner et s’ordonner lui même afin de devenir un meilleur instrument des fonctions « supra naturelles » — en somme, une sorte de yoga. » [41]
Il ne suffit donc pas de connaître la théorie pour arriver à prononcer le Verbe ou, comme dit René Daumal, le Père Mot. En effet, « être un homme, dit l’Agni purâna, c’est difficile d’y parvenir, en ce monde ; et de là, bien difficile d’atteindre la connaissance ; de là, être un poète, c’est difficile d’y parvenir ; et de là, bien difficile d’atteindre la puissance créatrice » [42].
Selon Daumal, atteindre l’Unité par la voie de la dialectique et de la théologie négative est théoriquement possible. Il faut être poète, se laisser inspirer par le « Grand Souffle de la Tout entière Femelle » [43], Mère mot elle même réveillée par le Père Mot :
« Ici le JE parlant du zénith absolu d’un point particulier,
là le NON parlant de l’absolu Zénith de tout point.
Ici petite parole ouvrant les portes du palais vocal d’un homme particulier,
là, Grande Parole, parfait Mâle tout pénétrant. » [44]
L’avant-gardisme du Grand Jeu et de René Daumal déborde largement la notion de ‘négation de la tradition’ : il s’agit surtout d’une avant-garde comme tradition de la négation. Cela dépend du type de ‘révolution’ que l’on cherche. René Daumal aurait souhaité que ‘le Grand Jeu’, expression aux connotations avant-gardistes, s’appelât ‘la Voie’, laissant ainsi percer ses affinités avec la tradition. Mais on peut se demander s’il ne fit pas de cette contingence un atout, avec le sentiment que toute ‘Parole de Vérité’, fût-elle d’origine immémoriale, est toujours révolutionnaire en ce sens qu’elle contraint celui qui s’élance tête baissée vers l’avenir à mesurer le cercle de la prison qui l’enclôt.