Je me presse de faire le contraire de ce que vous faites dans l’existence. Diogène.
Qui lit trop devient fou. Un vieux sage.
Amis curieux, le mois passé, nous nous quittions, biblionomadisant, en évoquant Voltaire (1), sa carcasse dispersé, ses présences improbables et son âme aux allures de lanterne…
Comme vous savez lire et comme vous l’avez lu, l’article était à suivre et la suite de l’aventure à écrire. Aussi, en l’attente des indices qui feront nos choux gras et à défaut d’oublier de cultiver nos jardins, faisons l’impasse sur le philosophe ; laissons l’homme de Ferney, l’Européen pressé - le panthéonisé peut-être - ou le fantôme de Champagne à toutes les conjectures romanesques des plumes à venir, et inaugurons ensemble un nouveau bavardage...
L’affaire entendue, veuillez prendre place et presque palace …
Le Cénacle Troglodyte, une société BIBLIOPHILIQUE et secrète.
Avec quelques amis (2) bibliomaniaques et honnêtes, collectionneurs insolites et iconoclastes, il nous arrive avec une régularité gourmande d’imaginer des repas de garçons où la bibliophilie et la belle chair (e) font sacré mariage.
À l’instar de ces clubs de bonne tenue discrets ou confidentiels - qui font souvent défaut en France et dans nos belles provinces - nous dissertons, ou nous enthousiasmons à la nuit tombée, des sujets les plus variées dès l’instant où Collin de Plancy et les vins de Montesquieu, le bibliophile Jacob ou le sot-l’y-laisse sont sur tables puis évoquées et salués avec l’esprit de toutes les gourmandises. Le bas armagnac coule avec mesure, - le champagne de la Montagne de Reims aussi - et les conversations sont ponctuées par des toasts francs en l’honneur de Tallemant des Réaux, de Faucherand de Montgaillard (3) ou Grimod de la Reynière.
Cette société, de nouveau nommé Le Cénacle Troglodyte, est la résurgence d’une assemblée fondée voilà quelques siècles (4) par plusieurs écrivains célèbres que nous évoquerons au fil du temps.
L’un des premiers membre du Cénacle Troglodyte. Fonds David Collin.
Dans une étude (5) documentée et inédite à ce jour, Elias Tomasov, privat-docent Suisse, résidant à Fribourg, ville de légendes et de mystères, en rappelle la genèse :
« Le Cénacle Troglodyte, société à caractère ésotérique et bienfaitrice (...) était une réunion de fins lettrés, de médiévistes, de traducteurs, d’hommes de Lois et de finances (…) et même de gens d’église, tous fortunés, qui se réunissaient en un endroit secret afin de constituer une bibliothèque définitive... Quand l’un d’entre eux dénichait un ouvrage de qualité, ils se consultaient et payaient ensemble le prix qu’il fallait pour acquérir le précieux texte... Qu’importe l’emballage, ce qui comptait, c’était le texte et ses secrets... »
A l’heure précise, le magicien indique la direction de la bibliothèque du "Cénacle Troglodyte".
Le Cénacle Troglodyte, aujourd’hui.
L’atmosphère des rencontres et des soupers d‘aujourd’hui est moins à la préciosité et au complot. Les membres présents ont toutefois conservé certains usages. En voici un premier. La bibliophilie étant à l’honneur, elle est invitée à la table et, chacun à son tour, doit lui dévouer une anecdotes, comme on le fait dans d’autres cercle des histoires drôles…
« Un bohème, dont l’Histoire des Lettres n’a pas retenu le nom - et le Dieu des poètes sait si ils furent nombreux - réussit un jour, alors qu’il était en grande peine pécuniaire, à fourguer à Monsieur Marot (comme le poète mais sans lien de parenté apparent), un libraire "un peu à vue" de la rue de Seine un livre qu’il tenait en haute estime. L’ouvrage - Les Voyages Adventureux, de Ferdinand Mendez Pinto, Au frais du gouvernement - appartenait de son père, voyageur et amateur émérite.
Heureux de son gain prochain, et après avoir modestement bombé le torse devant son miroir piqué et les quelques vitrines alléchantes qui menait à la boutique du marchand, il s’en va réclamer auprès du propriétaire le dû qui lui revient.
– Je vous paye votre livre quarante-sept francs mon cher, pour vous encourager à m’en apporter d’autres, dit le marchand en tendant à l’artiste famélique un bilet de cinquante francs. Soyez aimable de me rendre la monnaie, soit trois francs, ajout-t-il, méfiant.
– Trois francs !, dit l’artiste, si je les avais mon bienfaiteur, je serais attablé au Café Momus à boire un bock, à regarder les grisettes et les autres jolies passantes... »
De retour au Cénacle, quand le tour de table est terminé et les histoires bien racontées, le repas peut enfin commencer. Les invités bavardent ou se concertent, c’est selon ; puis à l’instant de la poire, l’un ou plusieurs, se lève et propose une acquisition. Ce soir-là – j’étais témoin et invité - ce fut le Jodelet duelliste de Paul Scarron.
J’imagine déjà les lecteurs suspicieux et jaloux qui songent à l’édition de Toussaint Quinet de 1652 avec une reliure rare… Aussi je les arrête dans leur jalousie et leur suspicion.
Les membres du cénacle sont peut-être un peu fol, mais pas assez riches – le vilain mot – pour Jodelet, enfin celui-là… Toutefois l’objet plus modeste et plus récent avait de l’allure. C’était un in-8 impeccable avec l’ex-libris ouvragé d’un collectionneur réputé de la fin du XIX e siècle. Le livre pouvait se discuter auprès du marchand et les amis en firent l’acquisition à main levée.
Avant de se quitter – l’aube était presque sortie d’un nuage – les curieux excentriques se quittèrent en buvant, comme c’était l’usage, un verre d’eau de vie de licorne, flacon gigantesque et précieux, soufflé par des disciples de Mazollay, le maître verrier Vénitien, et refermant un rostre (5) non daté mais prétendu authentique …
A suivre, bien lu et bien entendu…
Le petit diable de bronze qui garde l’entrée de "l’Enfer de l’enfer".
NOTES
Note 1 – Voltaire es-tu là ?, par Éric Poindron, (in Biblionomadie, La revue dess ressources)
Note 2 – Quelques membres du nouveau Cénacle.
– David Collin de P. est spécialiste des mystification littéraire. À bien y observer, il est peut-être une mystification à lui seul.
– Jack C. collectionne, quant à lui, les secrets des templiers et en sait beaucoup sur les mystères des lacs de la forêt d’Orient.
– Bruno F., est collectionneur d’utopies, de royaumes improbables et de personnages incongrus,
– Jean-Paul F., est cazinophile - ou spécialiste de Cazin -, historien du livre et bibliolexicographe, un science en partie exacte qu’il a plus que contribuer à Christophe H. est gardien de nuit dans une bibliothèque de province. Il en profite pour lire « Les fous littéraires » et les entend parfois rire de tout, à commencer par lui.
– Jean-François H. est responsable de la Bibliothèque du docteur Fazeuille…
– Erik K., surnommé l’autre fantôme de l’opéra, est détective littéraire et occulte au sein de l’agence Zalewski & associés qu’il a créé. Il enquête actuellement sur le bocal formolé qui contiendrait « le vit de Napoléon » conservé dans une collection privée américaine.
– Johan-Franz K. fut homme de loi. Il demeure spécialiste – entre autres – de la bibliothèque Bleue et des ouvrages de colportage. À l’instar de Maurice Garçon, il fut aussi l’avocat des causes littéraires perdues qu’il gagna bien souvent.
– Gilles L. en sait plus sur Titivillus – le démon des moines copistes, qu’il ne veut bien en dire.
– Jean-Paul M. a eu plusieurs vies durant lesquelles il fréquenta – sans doute - Talleyrand, Le maréchal Ney, Antoine de Jomini – âme damné de l’Empereur et aide de camp du maréchal, qui possédait des dons d’extra-voyance – et Jean de la Varende. La liste de ses fréquentations est incomplètes puisque on lui prête aussi des accointances troublantes avec Arsène Lupin.
– Michel M., érudit polyglotte et cryptozoologue, a traqué Gilles de rais, les dragons suisses et d’ailleurs et les monstres lacustres écossais ou non. Son œuvre est traduite dans plusieurs langues.
– Clémentine P.-K. , docteur es tibiatologie, elle connaît les secrets de Nicolas Flamel et l’emplacement précis de – presque – toutes les reliques.
– Frédéric R., dit « le cardinal » étudie le jeu d’échecs et crois que les 64 cases sont une transcription de l’histoire des sociétés secrètes.
– Christian S., dit « le bon docteur », semble être une réincarnation d’Ambroise Paré. Il collectionne les monstruosités et les livres monstres, les ouvrages morbides et interdits, soit l’Enfer de l’Enfer de la bibliothèque.
N.B. La liste des membres historiques et actuels est évidemment incomplète (Marc B., Fabrice B., Chrisitan C., du Surnatuéum, Musée d’Histoire Surnatuelle, Jehan-Paulus F., Boniface H., Etc.) et sera divulguée en partie, au fur à mesure de sujets, des questions et des thèmes abordés.
Le professeur Norbert K., dit "longue Barbe"
Note 3 - Les Gaillardises du sieur Mont Gaillard, Dauphinois, suivies d’autres poésies du même auteur, de Pierre de Faucherand Mont-Gaillard, publié d’après d’après l’édition originale de 1606, Librairie E. Sansot & Cie Éditeurs, Collection Varia Curiosa, Paris, 1905.
Note 4 - Les dates exacts demeurent toutefois imprécises et divergentes. Certains spécialistes ont évoqué la naissance de l’imprimerie, ce dont nous doutons. Il est plus sérieux de croire qu’elle fut imaginée, à Reims,à l’époque du sacre de Charles X ? Nous reviendrions en détail, dans un prochain article sur la création – les dates, les dates et les personnages – de ladite société.
Note 4 - Le Cénacle Troglodyte ou le mythe de la Bibliothèque de Babel & Le Cénacle Troglodyte de Reims, le rêve de la bibliothèque de Babel, de Élias Thomasov, préface de Devid Collin (éditions du Malin Plaisir, 2003). Où il est question des égarements physiques, historiques et philosophiques de l’auteur, dans les entrailles de Reims, ville des Sacres, à la recherche d’un lac souterrain et d’une bibliothèque hypothétique et supposée légendaire).
Note 5 - L’eau de vie de licorne et le rostre feront l’objet d’une explication et d’un texte à venir à venir.
Enfin, comme nous l’avons soulevé, il s’agit d’une société secrète ou discrète, aussi il est relativement aisé de bavarder avec les membres ou d’assister aux réunions afin d’en apprendre davantage. Pour ce, on peut écrire à l’auteur de l’article à l’adresse suivante : coqalane@wanadoo.fr.