Dans le TGV Paris-Londres, un homme obèse et sans-gêne, « un gaillard énorme vêtu d’un manteau poil de chameau flambant neuf assez ample pour contenir l’animal tout entier » aborde une jeune femme. On pense immédiatement que ce type est un malotru et un dragueur qui ne doute de rien. Force est de constater qu’il n’est pas banal d’évoquer le général prussien Clausewitz (dont les citations reviendront émailler le roman à plusieurs reprises) pour une tentative de séduction, mais la jeune femme est peu versée dans l’art militaire. Elle l’écoute d’une oreille et changerait volontiers de place si elle ne craignait pas d’être accusée de discrimination à l’égard d’une personne obèse. Soudain, l’homme quitte son humeur badine et, d’un ton grave que son interlocutrice n’aurait pas soupçonné, lui dit qu’elle s’appelle Nora Katz et qu’elle travaille pour Healthylived Technology. Nora tente de s’éloigner mais il la retient violemment par le poignet et lui annonce que son père est vivant, qu’il a été enlevé et qu’il se trouve maintenant à Anvers. C’est à ce moment que Richard Meyer intervient pour éconduire le grossier personnage. Or, Meyer est agent de renseignement pour le compte d’une officine privée et sa mission consiste justement à retrouver Humbert Katz, un patient dont on a perdu la trace quelques mois plus tôt… A Londres, on apprend que l’obèse est décédé d’une crise cardiaque. Un détail : l’homme était équipé d’un pacemaker dernière génération qui aurait dû donner l’alerte…
Dès lors, Meyer, anti-héros décalé, va enquêter sur plusieurs tableaux : il va devoir débusquer l’assassin de l’obèse, retrouver Humbert Katz, poursuivre Nora de ses assiduités et surtout élucider le mystère d’un virus inconnu qui cause une épidémie de cécité chez les diamantaires de la ville d’Anvers. Pas de serial-killer ici mais un conflit très complexe de nature bio-politico-économique. Prise dans le tourbillon d’une guerre ouverte entre sociétés transnationales, l’enquête de Meyer se transforme en un périple haletant à travers l’Europe au sein d’un univers dont le burlesque ne parvient pas à dissimuler l’extrême violence.
Mortelle hôtesse est un roman tentaculaire à l’architecture maîtrisée qui ne manquera pas de dérouter les amateurs de polars. D’ailleurs, celui-ci contribue à renouveler le genre. L’action est menée sur plusieurs fronts en un peu moins de quinze jours, dans diverses parties du globe. Meyer ne poursuit pas seulement un coupable (même si le titre, malheureux choix, pourrait le laisser penser) mais tout un réseau de pouvoirs qu’il s’agit de dénoncer et de faire tomber. Parallèlement, on observe progressivement un glissement entre la mission de l’espion Meyer et la réalité de sa situation propre. Par ailleurs, la construction du roman ne manque pas d’originalité : notons à cet égard la mise en exergue, au début de chacun des quinze chapitres, d’une courte phrase en italique provenant de pages qui composent le chapitre que l’on s’apprête à lire, comme une prolepse, une anticipation de ce qui va suivre, comme si l’auteur invitait son lecteur à une possible réfutation.
Bernard Pasobrola cherche à dynamiter le réel et à mettre en évidence l’aspect ridicule du pouvoir et de ce qui est considéré comme respectable. Pour ce faire, il a recours à un humour que l’on pourrait qualifier de baroque et à un talent certain pour camper ses personnages, fussent-ils secondaires tel le Chief Inspector dont « (les ) métaphores subtiles exaltant les parties obscures de l’anatomie et (les ) cris de bison teigneux prisonnier d’un marécage » ne laisseront aucun lecteur indifférent !
Ce roman est aussi un acte politique qui incite à la vigilance. L’avertissement vous en convaincra : « Malgré la référence à certains faits réels, le contenu de ce livre obéit à des critères purement fictionnels. Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite ou accidentellement prémonitoire. »
Lire un extrait de Mortelle hôtesse.