J’étais écologiste, "comme tout le monde". La protection de l’environnement et des populations m’est longtemps apparue, comme à la majorité des gens, un peu abstraite et ne faisait pas partie, hélas, jusqu’à ces dernières années, de mes priorités.
Pourtant, je suis vietnamienne, et j’ai vécu pendant mon enfance les bombardements américains responsables de la dévastation de mon pays, semant la terreur, répandant le sang et favorisant la misère.
Depuis la fin de la guerre, en Pologne où j’ai fait mes études, et en France où je vis loin de mes racines, j’ai cependant entendu parler, à travers des articles de presse ou des reportages télévisés, de la guerre chimique menée par les Américains au Vietnam. Le temps s’est écoulé et je n’ai jamais vraiment pris le temps de m’informer davantage sur la nocivité de ce défoliant abominablement destructeur, ni sur les conséquences monstrueuses infligées aux populations contaminées et à leur descendance.
Au Vietnam, personne n’ignore la présence des victimes de l’Agent Orange vivant dans le même quartier ou dans le même village, mais, par pudeur, par sentiment de honte ou par crainte de donner à penser, à cause des croyances populaires, qu’on subit une "punition céleste méritée", on a tendance à "cacher" les enfants atteints de malformations ou d’autres séquelles graves, on "couvre d’un voile d’oubli" des situations dramatiques, que, malgré mes nombreux voyages au pays, je n’ai jamais vraiment approchées en connaissance de cause.
C’est la douleur muette de ceux qui endurent une guerre qui n’en finit pas...
Les difficultés des victimes de l’Agent Orange/Dioxine affectant leur existence et celle de leur entourage n’ont jamais fait l’objet de véritables campagnes d’information, d’aides aux soins, d’actions en justice déterminantes, ni contre les responsables de ces crimes, ni contre les fabricants de ces produits hautement toxiques. Aucun geste, aucun versement d’indemnités, non plus, de la part du gouvernement américain, à l’exception de chantiers de décontamination de certains sites de stockage récemment entrepris par des ONG américaines, souvent aidées par des victimes ou par des descendants de soldats américains et de leurs alliés exposés aux épandages ou contaminés lors de la manipulation des produits.
Depuis le début des années 2000, et singulièrement en janvier 2004, avec la création de la VAVA (Vietnam Association for Victims of Agent Orange/Dioxin), ce drame atroce a été mis en lumière d’une manière plus systématique : des ONG internationales ont commencé à identifier les responsables de ces crimes et à intervenir à plus grande échelle, mais leurs moyens restent très en deçà des problèmes à régler.
Je me suis intéressée de près aux méfaits de l’Agent Orange/Dioxine à partir de 2011, et, début 2012, le Docteur Louis Reymondon, ancien chirurgien des Hôpitaux, un ami de longue date connu et apprécié pour ses actions au Vietnam, a organisé, au centre culturel du Vietnam à Paris, un colloque à l’issue duquel ont été jetées les bases d’une campagne d’éveil de l’opinion aux effroyables effets de la guerre chimique qui affectent encore aujourd’hui des centaines de milliers de Vietnamiens.
La proposition revient à ce que chaque Agence de voyage ou compagnie aérienne facturant un titre de transport pour le Vietnam s’engage à mentionner sur chaque billet, au prétexte d’informer les voyageurs du drame que vivent encore les victimes, le versement d’Un Euro Symbolique au profit de la VAVA.
Je souhaitais m’impliquer dans la réalisation de ce projet, et mon voyage au Vietnam en septembre 2012 a été décisif...
Le but principal de ce voyage n’était pas l’Agent Orange, mais familial, et, aussi, de participer au congrès organisé à l’occasion du 40è anniversaire du départ en 1972 de notre groupe d’élèves bacheliers désignés par le gouvernement pour aller étudier en Pologne, congrès qui me valut de vivre une rencontre unique et des retrouvailles émouvantes de camarades avec qui j’avais alors quitté mon pays sous les bombardements américains.
Puis je me suis rendue, en compagnie de mon ami Pierric Le Neveu, au siège de la VAVA à Hanoï. Nous fûmes chaleureusement accueillis par le président, Monsieur Rinh, qui nous exposa, documents et photographies à l’appui, la situation épouvantable des victimes et nous parla de l’existence de sites de stockage, abandonnés par l’armée américaine, responsables aujourd’hui de la contamination des sols et des eaux environnants.
Nous nous sommes alors demandé : "Comment ont-ils osé, quels stratèges et quels industriels chargés de mettre au point cet herbicide ultra concentré et non débarrassé, pour gagner du temps et de l’argent, du poison mortel résultant de sa fabrication, la dioxine, ont-ils pu imaginer et utiliser sans état d’âme une telle arme de destruction massive ?"
Au retour, le Docteur Reymondon et des personnalités ayant participé au colloque fondateur m’ont chargée, en tant que secrétaire générale, de la communication de l’association "Fonds d’Alerte contre l’Agent Orange/Dioxine - FaAOD", à laquelle Pierric et moi avons eu pour mission de donner vie, et dont la présidence lui a été confiée.
J’ai pris à cœur cette fonction, et j’essaie d’engager toute mon énergie dans ce combat auquel nous nous consacrons dans un esprit de total bénévolat.
Je profite de cette occasion pour rappeler des faits réels liés à l’Agent Orange/Dioxine au Vietnam :
De 1961 à 1971, l’aviation américaine a déversé plus de 14 millions de tonnes de bombes et de munitions de tous types (une puissance totale destructrice bien supérieure à celle des bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki !) Aujourd’hui, 40 ans après la fin de la guerre, des engins non explosés continuent de tuer au quotidien, en particulier des paysans, des minorités vivant dans les zones montagneuses, et des enfants ignorants du danger. Les épandages d’Agent Orange/Dioxine représentent aujourd’hui, pour leur part, à la fois une catastrophe humanitaire et un véritable “écocide”.
Pendant 10 ans, des aspersions massives et répétées de différents types d’herbicides par l’aviation américaine sur les forêts et les cultures du Vietnam dans les zones de guerre ont eu pour buts monstrueux de priver les combattants de couverture forestière, de priver les populations de récoltes, d’empêcher l’approvisionnement en vivres et le soutien logistique des combattants pour ensuite obliger les paysans à se regrouper dans les zones contrôlées par les américains.
L’effet pathogène de la dioxine n’est pas immédiat. L’Agent Orange/Dioxine est véhiculé par l’air, par le sol, par l’eau, et l’impact sur les victimes est progressif. Il a un effet à long terme sur l’organisme humain, endommage le système immunitaire, le système endocrinien et le système reproducteur.
Des enfants naissent avec d’effroyables malformations atteignant les 3è et maintenant 4è générations !
Nous participons, enfin, à de nombreuses manifestations organisées par des organismes de protection de l’environnement ou de lutte contre les agissements des multinationales fabricant ces produits chimiques toxiques que je viens d’évoquer.
Cette mobilisation est très utile à une large prise de conscience collective de la cupidité et de la culture du profit immédiat développée par des multinationales toutes-puissantes au détriment de la nature et de la santé des populations.
Ces manifestations représentent en même temps une excellente opportunité de dénoncer le drame des victimes de l’Agent Orange/Dioxine au Vietnam et un relai précieux de notre action par les associations participantes.
J’espère de tout mon cœur que ces quelques lignes sauront favoriser une appréhension urgente du danger que représentent, tant au plan civil que militaire, tous ces produits chimiques toxiques utilisés de façon irresponsable au préjudice de la nature et de l’homme.
Paris, le 30 novembre 2013
Thi-Hien TRAN