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De l’esclavage, plaidoyer pour John Brown  

mardi 16 novembre 2010, par Henri David Thoreau (1817-1862)

En 1854, c’est lors d’un meeting avec les citoyens de Concord que Henry David Thoreau découvre la réalité de « l’esclavage au Massachussetts ». Sa rencontre avec le leader abolitionniste John Brown (1800-1859) marque un véritable tournant dans sa maturation politique.
Paysan de la Nouvelle Angleterre, John Brown s’avère prêt à tous les sacrifices pour œuvrer à l’amélioration du genre humain. Dès 1854, il part s’établir au Kansas, sur la frontière même du pays de l’esclavage. Engagé dans cette lutte implacable entre esclavagistes et abolitionnistes, John Brown devient un symbole de résistance au Massachussetts.
Quand Brown est arrêté en 1859, après l’attaque ratée de l’arsenal de Harper’s Ferry en Virginie et condamné à mort, Thoreau, pressé d’intervenir par les fils de Brown, prononce son célèbre « Plaidoyer pour John Brown », ainsi que de nombreuses conférences, dont « Les Derniers jours de John Brown » et « Après la mort de John Brown ».

J’espère que vous me pardonnerez ma présence en ce lieu. Je n’ai aucun désir de vous imposer mes pensées mais je m’y sens obligé. Je sais peu de choses du capitaine Brown mais je serais heureux de contribuer à corriger le ton des journaux dans leurs proclamations, de corriger aussi l’opinion de mes concitoyens à l’égard de sa personne et de ses actes. Cela ne coûte rien d’être juste et nous pouvons exprimer au moins la sympathie et l’admiration que nous éprouvons pour lui et pour ses compagnons ; c’est ce que je me propose de faire.

Parlons d’abord de sa vie. J’essaierai autant que possible de laisser de côté ce que vous savez déjà de lui. Je n’ai pas besoin de vous le décrire ; vous l’avez presque tous vu, je pense, et vous ne l’oublierez pas de sitôt. On dit que son grand-père, John Brown, servit en qualité d’officier pendant la guerre d’Indépendance ; lui-même est né dans le Connecticut au début du siècle mais, tout jeune, son père l’emmena en Ohio. Il raconte que son père fournissait de la viande à l’armée pendant la guerre de 1812 et qu’il l’accompagnait dans les camps et l’aidait dans son travail ; il avait vu bien des aspects de la vie militaire, plus peut-être que s’il avait été soldat, car il assistait souvent aux réunions des officiers. Cette expérience lui apprit surtout comment les armées sont nourries et équipées en campagne — travail qui, selon ses observations, exige au moins autant d’expérience et d’habileté que de les mener au combat. Peu de gens, disait-il, avaient la moindre idée de ce que coûtait au seul point de vue pécuniaire un unique coup de feu. Il en vit assez, en tout cas, pour se dégoûter de la vie militaire et même pour en acquérir une horreur absolue ; à tel point que, bien qu’on lui eût offert une charge subalterne dans l’armée alors qu’il avait 18 ans, non seulement il la rejeta, mais il refusa de répondre à l’appel et dut payer l’amende. C’est alors qu’il résolut de ne jamais tremper dans aucune guerre à moins que ce ne fût une guerre pour la liberté.

Lorsque les troubles du Kansas commencèrent, il y envoya plusieurs de ses fils pour renforcer les partisans du Free State(1) et les équipa avec les armes qu’il possédait ; si l’agitation augmentait et qu’on eût besoin de lui, leur dit-il, il viendrait les aider par son action et par ses conseils. Ce qu’il fit peu de temps après, comme vous le savez tous ; et plus qu’à n’importe qui c’est à lui que le Kansas doit de ne pas être devenu un État à esclaves.

Il fut arpenteur pendant une partie de sa vie, puis il se lança dans la production de laine et se rendit en Europe pour ses affaires. Là, comme partout, il garda les yeux ouverts et fit bien des observations originales. Il sut voir par exemple pourquoi la terre était si riche en Angleterre et si pauvre en Allemagne (je crois bien qu’il s’agissait de l’Allemagne) ; il voulut même faire part de ses réflexions à plusieurs têtes couronnées. C’était parce que, en Angleterre, les paysans vivaient sur la terre qu’ils cultivaient tandis qu’en Allemagne ils se retiraient le soir pour s’enfermer dans leurs villages. Il est bien dommage qu’il n’ait pas pu réunir ses réflexions en un volume.

Je dois ajouter que, par son respect pour la Constitution et sa foi en l’intangibilité de l’Union, c’était un homme d’autrefois. L’esclavage, estimait-il, était totalement opposé à l’esprit des institutions et il en était l’implacable ennemi.

Par son origine et sa naissance, c’était un paysan de la Nouvelle-Angleterre, un homme de bon sens, réfléchi et positif comme ils le sont tous, mais dix fois plus qu’eux. Il était l’égal des meilleurs de ceux qui combattirent jadis au pont de Concord, à Lexington et à Bunker Hill ; mais il avait des principes plus fermes que tous ceux qui s’y sont trouvés. Ethan Allen et Stark, à qui on peut le comparer à certains égards, défrichèrent un domaine moins vaste. Ils ont su faire face aux ennemis de leur patrie mais, lui, eut le courage d’affronter sa patrie elle-même lorsqu’elle se trouvait dans l’erreur. Pour expliquer qu’il ait pu échapper à tant de périls, un journaliste de l’Ouest raconte qu’il se dissimulait sous une « apparence rustique » ; comme si, pour se faire reconnaître comme tel, un héros devait se promener en habit de ville au cœur de la Prairie.

Il n’alla pas à l’université Harvard ; c’est pourtant une tendre et vieille nourrice. Il n’a pas sucé le lait que l’on y trouve. Il le disait lui-même : « Je ne sais pas plus de grammaire qu’un taurillon. » Mais il fit ses études à la grande université de l’Ouest où il poursuivit assidûment la recherche de la Liberté pour laquelle il avait ressenti très tôt un goût profond ; après avoir passé bien des examens, il commença enfin, comme vous le savez tous, à pratiquer publiquement ses humanités ; elles n’ont rien de commun avec la grammaire. Il aurait laissé un esprit grec dans le mauvais sens mais il aurait su relever un homme en train de tomber.

Il appartenait à cette espèce d’hommes dont nous avons beaucoup entendu parler mais dont nous ne savons rien en général : les puritains. Il serait vain de le mettre à mort ; il a disparu du temps de Cromwell mais il est revenu ici. Et pourquoi non ? On dit bien que des rejetons de la souche puritaine sont venus s’établir en Nouvelle-Angleterre ? C’étaient des gens capables de faire autre chose que de célébrer leurs ancêtres et de manger du maïs grillé en souvenir des temps anciens. Ils n’étaient ni démocrates ni républicains ; c’étaient des hommes simples, droits et pieux ; ils avaient piètre opinion des gouvernants qui ne craignent pas Dieu, acceptaient rarement les compromis et ne recherchaient pas de candidats éventuels aux élections.

Comme on me l’a écrit récemment et comme je le lui ai entendu dire, il « ne supportait pas les blasphèmes dans son camp ; aucun homme de mœurs douteuses n’y était toléré, à moins bien entendu que ce ne fût un prisonnier. J’aimerais mieux une épidémie de petite vérole, de fièvre jaune et de choléra à la fois qu’un seul homme sans principes. Les gens se trompent, monsieur, s’ils croient que la racaille fait les meilleurs combattants ; nous n’avons pas besoin de ces gens-là pour résister à ceux du Sud. Donnez-moi des hommes de principes, des hommes craignant le Seigneur, des hommes qui se respectent — et si j’en ai douze, je combattrai cent brigands de la frontière (2). » Il ajoutait que si un homme s’offrait à servir sous ses ordres et se vantait aussitôt de ce qu’il ferait s’il pouvait seulement apercevoir l’ennemi, il n’avait que peu de confiance à lui accorder.

Il ne put jamais rassembler plus d’une vingtaine d’hommes ; il n’avait pleine confiance qu’en douze d’entre eux dont ses fils. Il y a quelques années, alors qu’il se trouvait ici, il me montra un petit carnet — son cahier de rapports comme il l’appelait — où étaient inscrits les noms de ses hommes du Kansas et le règlement auquel ils avaient accepté de se soumettre : il affirmait que plusieurs d’entre eux avaient déjà scellé le contrat de leur sang. On lui fit remarquer qu’avec un aumônier en plus sa troupe eût été digne de Cromwell ; il aurait été heureux de pouvoir en ajouter un sur sa liste, répondit-il, mais il n’avait trouvé personne qui fût digne de remplir cet office. Pourtant l’armée des États-Unis n’a aucune peine à en recruter. Il faisait néanmoins dire les prières matin et soir.

Ses habitudes étaient spartiates ; à soixante ans, il se montrait soucieux de sa nourriture, s’excusait auprès de son hôte en lui expliquant qu’il devait manger peu et vivre à la dure ainsi qu’il sied à un soldat, à un homme qui se préparait à des entreprises difficiles et à une vie de hasards.

C’était un homme de bon sens qui allait droit au but en paroles comme en actes ; par-dessus tout, un transcendantaliste, un homme d’idées et de principes — tout cela le distinguait des autres. Ne cédant jamais à un caprice ou à une impulsion passagère, il ne visait qu’à accomplir le but de toute sa vie. J’ai remarqué qu’il ne mettait jamais d’emphase dans ses paroles mais qu’il était très discret. Je me souviens surtout de la manière dont il fit allusion aux souffrances des siens au Kansas sans jamais donner libre cours à la flamme qui brûlait en lui ; on eût dit un volcan coiffé d’un tuyau de cheminée ordinaire. En évoquant les activités de certains brigands de la frontière, il disait, économisant ses mots comme un vieux soldat qui garde une réserve de puissance et d’intention : « Ils avaient le droit le plus strict à la pendaison. » Ce n’était pas du tout un rhéteur, il ne flagornait jamais, n’éprouvait jamais le besoin d’inventer quoi que ce soit, mais il disait la simple vérité et communiquait sa conviction ; tout cela le faisait paraître fort, d’une force inégalable ; comparée à la sienne l’éloquence que l’on entend au Congrès ou ailleurs n’est que de la camelote au rabais. Cela fait penser aux meilleurs discours de Cromwell comparés à ceux d’un roi quelconque.

Quant à son adresse et à sa prudence, je raconterai seulement ceci : à l’époque où, lorsqu’on venait d’un État libre, il était presque impossible de pénétrer au Kansas par un chemin normal sans se faire dépouiller de ses armes, lui transportait tout ce qu’il avait pu trouver d’armes et de vieux fusils dans un char à bœufs qu’il mena lentement et sans se cacher, à travers tout le Missouri ; il se faisait passer pour arpenteur, sa boussole bien en évidence ; c’est ainsi qu’il passa sans éveiller les soupçons et qu’il eut toutes facilités pour connaître les projets de l’ennemi. Il continua pendant un certain temps d’exercer le même métier. S’il voyait un groupe de brigands rassemblés dans la Prairie et discutant, bien sûr, du seul projet qui occupait leur esprit, il prenait sa boussole et, accompagné de l’un de ses fils, il se mettait à tracer une ligne imaginaire qui passait par l’endroit même où le conseil était réuni ; en arrivant à la hauteur du groupe, il s’arrêtait tout naturellement pour échanger quelques mots, il apprenait les nouvelles et, à la fin, il connaissait à la perfection les plans de l’ennemi ; ayant ainsi achevé son véritable relevé, il continuait son arpentage fictif et suivait sa ligne jusqu’à se trouver hors de vue. Quand je lui exprimai ma surprise qu’il ait pu vivre au Kansas, avec sa tête mise à prix et une telle portion de la population contre lui, y compris les autorités, il répondait simplement : « Il est parfaitement entendu que je ne serai jamais pris. »

Pendant quelques années il a passé le plus clair de son temps caché dans les marais, souffrant de privations et des maladies provoquées par cette vie rude, à peine secouru par une poignée d’Indiens et quelques Blancs. Mais, même s’ils savaient en quel endroit des marais il se cachait, ses ennemis ne tenaient pas tellement à venir l’y débusquer. Il lui arrivait même de se risquer dans une ville, où se trouvaient plus de brigands de la frontière que de partisans du Free State,pour y régler quelque affaire sans trop s’attarder et tout cela sans être inquiété car, ajoutait-il, « si ses ennemis étaient trop peu nombreux ils ne s’y risquaient pas et on n’avait pas le temps de rassembler une troupe suffisante. »

Nous ignorons les circonstances de son échec récent. C’était évidemment loin d’être une tentative folle. M. Vallandingham, son ennemi, est bien obligé d’avouer que c’était « de tous les complots qui ont échoué un des mieux ourdis et des plus soigneusement mis à exécution. »

Nous ne mentionnerons pas ici ses victoires ; délivrer de la servitude une douzaine d’être humains, s’en aller avec eux à pied en plein jour, marcher pendant des semaines, sinon des mois, à une allure paisible, traverser un État après l’autre et la moitié du Nord au vu et au su de tous, alors qu’on est recherché, pénétrer en chemin dans un tribunal pour proclamer ce qu’on a fait et montrer ainsi à l’État de Missouri qu’il ne sert à rien d’essayer de posséder des esclaves si Brown est dans les parages, est-ce dont là un échec et la preuve d’un manque de direction ferme ? Les laquais du gouvernement n’étaient pas tolérants, ils avaient peur de lui, c’était toute l’explication.

Pourtant, il n’attribuait pas ses succès à son étoile ou à quelque talisman comme font les insensés. Ce qui faisait trembler ses ennemis, bien supérieurs en nombre, c’était, disait-il avec raison, le fait qu’ils n’avaient pas de cause à défendre — et jamais ni lui ni les siens ne furent privés de cette armure. Quand venait le moment d’agir, bien peu d’hommes consentaient à risquer leur vie pour une mauvaise cause ; ils ne voulaient pas que leur dernier geste, ici-bas, fût une félonie.

Mais venons-en à sa dernière action et à ses conséquences.

La presse semble ignorer, et peut-être l’ignore-t-elle vraiment, que dans chaque ville du Nord il existe au moins deux ou trois personnes qui le jugent de la même manière que moi. Je ne crains pas de dire que nous formons un parti important en pleine croissance. Nous prétendons être autre chose que des serfs timorés et imbéciles qui font semblant de lire l’histoire et la Bible mais qui profanent leur demeure chaque fois qu’ils respirent. Des politiciens angoissés tenteront peut-être de prouver qu’il n’y avait que dix-sept Blancs et cinq Noirs impliqués dans cette expédition ; mais leur inquiétude même ne prouve-t-elle pas que nous sommes loin de tout savoir ? Pourquoi persister à fuir la vérité ? Leur inquiétude provient d’une intuition vague ; ils n’osent pas considérer le fait qu’un million au moins des libres habitants des États-Unis se seraient réjouis si Brown avait réussi. Aussi se bornent-ils à critiquer sa tactique. Nous ne portons pas le deuil, mais l’idée de la position qui est celle de Brown, la pensée du sort qui l’attend peut-être, empêche bien des hommes ici dans le Nord de penser à autre chose tout au long du jour. Si un seul de ceux qui l’ont vu ici arrive à suivre un autre enchaînement de pensée, j’ignore de quoi il est fait. S’il en est un seul qui jouisse de sa ration de sommeil normale, alors je peux lui garantir qu’il engraissera facilement en toutes circonstances pourvu qu’on ne touche ni à son corps ni à son argent. Pour moi, j’ai glissé un crayon et du papier sous mon oreiller et, quand je ne peux pas dormir, j’écris dans le noir.

Dans l’ensemble, le respect que je porte à mes semblables n’a guère l’occasion de grandir ces jours-ci. J’ai remarqué avec quel sang-froid les journalistes et les gens en général parlent de cet événement ; on dirait qu’il s’agit d’un vulgaire malfaiteur ; on lui reconnaît pourtant un « culot » peu ordinaire (c’est le mot qu’emploie le gouverneur de la Virginie en parlant de lui ; il utilise le langage des combats de coqs : « l’homme le plus casse-cou que j’aie jamais vu »). On dirait donc qu’un vulgaire malfaiteur a été pris et condamné à être pendu. Il ne songeait pas à ses adversaires lorsque le gouverneur lui trouva l’air si brave. Ce qu’il peut y avoir en moi de douceur devient fiel lorsque j’entends les propos de mes voisins ou qu’on me les rapporte. Au début, on fit courir le bruit qu’il était mort et l’un d’entre eux remarqua qu’il « mourait comme meurt l’insensé », ce qui pendant un instant — j’en demande bien pardon —, évoquait une ressemblance entre celui qui mourait et mon voisin en vie. D’autres, cœurs de lâches, disent d’un ton méprisant « qu’il a gaspillé sa vie » parce qu’il a résisté au gouvernement. Qu’ont-ils fait de leur vie ceux qui parlent ? Ce sont les mêmes qui couvriraient de louanges l’homme qui aurait attaqué seul une bande de voleurs ou d’assassins quelconques. Un autre, un vrai Yankee, demande : « Qu’est-ce que cela lui rapportera ? » comme s’il avait compté sur cette aventure pour se remplir les poches. Pour ces gens-là le mot gain n’a qu’un sens matériel. Si le résultat n’est pas une soirée improvisée chez des amis, si on ne gagne pas une paire de bottes neuves ou un vote de félicitations, alors on a échoué. « Mais il n’y gagnera rien. » Eh bien, non. Je suppose que de se faire pendre ne lui fera pas gagner son pain quotidien, mais il y gagne une chance de sauver son âme — et quelle âme ! tandis que vous... Je ne doute pas que sur vos marchés on ne vous paie plus pour un litre de lait que pour un litre de sang ; mais ce n’est pas à ce marché-là que les héros portent leur sang.

Ces gens-là ne savent pas que la bonne semence donne de bon fruit et que dans le domaine moral, une fois le bon grain planté le bon fruit arrivera à maturité ; que la plante n’a besoin ni d’être arrosée, ni d’être sarclée ; ils ne savent pas que si l’on enterre un héros dans un champ, une moisson de héros lèvera. Cette semence a une telle puissance, une telle vitalité quelle n’a cure de notre permission pour germer.

La charge de la brigade légère à Balaclava ne dura qu’un instant ; ce fut un acte d’obéissance à un ordre absurde ; elle prouva que le soldat est une machine parfaite ; un poète-lauréat l’a chantée à juste titre, mais cet homme qui continue à charger obstinément, depuis des années, contre les légions de l’esclavage, obéit à des ordres infiniment plus hauts et son combat est bien plus mémorable car un seul homme doué de conscience et d’intelligence est infiniment supérieur à une machine. Croyez-vous qu’on ne chantera pas cet exploit ?

— C’est bien fait pour lui.

— C’est un individu dangereux.

— C’est un fou, cela ne fait aucun doute.

Et ils continuent à mener une vie nette, sage et admirable en tout ; ils lisent un peu leur Plutarque et s’arrêtent surtout à l’exploit de Putnam (3) qui fut jeté dans la tanière d’un loup ; ils se préparent de la sorte à accomplir un jour des actions de patriotique bravoure. La Société d’éducation populaire pourrait bien faire imprimer l’histoire de Putnam. Dans les écoles communales on commencerait la classe en en lisant des passages, car il n’y a rien dedans qui affecte l’Esclavage ou l’Église ; à moins qu’il ne vienne à l’esprit du lecteur que certains pasteurs sont des loups déguisés en moutons. Le bureau des Missions Étrangères pourrait avoir assez d’audace pour protester contre cette espèce de loups. J’ai entendu parler de bureaux, de bureaux américains, mais ce n’est que tout dernièrement que l’on m’a parlé de ce meuble-là. Et pourtant il paraît que des hommes, des femmes et des enfants du Nord cotisent, par familles entières, pour devenir membres à vie de ce genre de société — une participation à vie dans la tombe !

On peut se faire enterrer à meilleur compte.

Nos ennemis sont parmi nous. Il n’y a pas de maison qui ne soit divisée contre elle-même, car notre ennemi est cette espèce d’inertie quasi universelle de la tête et du cœur, ce manque de vigueur en l’homme, qui sont l’effet de notre vice : c’est de là que viennent la crainte, la superstition, le fanatisme, la bigoterie et tous les esclavages. Nous ne sommes que des mannequins montés sur une carcasse creuse et nous avons le foie à la place du cœur. L’adoration des idoles est notre malédiction, c’est elle qui change son adorateur en image de pierre ; et l’homme de la Nouvelle-Angleterre est aussi idolâtre que l’Hindou. Ce Brown était exceptionnel : entre son Dieu et lui il n’a dressé aucune image taillée, même pas une image politique.

Que penser d’une Église qui, tout au long de son existence, ne cesse d’excommunier le Christ ? Laissez-nous donc avec vos églises larges et basses, avec vos églises étroites et hautes ! Faites donc un pas de plus, inventez un nouveau style, inventez un sel qui vous sauve de la corruption et préserve nos narines.

Le chrétien de notre temps est un homme qui accepte de dire toutes les prières indiquées par la liturgie pourvu qu’on le laisse aller se coucher et dormir tranquille. « Et maintenant je m’allonge et j’attends le sommeil. » C’est ainsi que commencent toutes ses oraisons et il passe son temps à attendre dans l’impatience le moment où il pourra jouir de son « long repos ». Il a également consenti à accomplir, tant bien que mal, quelques actes de charité bien définis mais il ne veut surtout pas entendre parler d’innovations ; il refuse de voir ajouter au contrat de nouveaux articles qui s’adapteraient au temps présent. Il montre le blanc de ses yeux le jour du Sabbat et, le reste de la semaine, le noir. Le mal n’est pas seulement la stagnation du sang mais celle de l’esprit. Nombreux certes, sont ceux qui ont des dispositions ; mais lents de constitution et englués par la routine, il leur est impossible d’imaginer qu’un homme puisse agir au nom de motifs plus élevés que ceux auxquels eux-mêmes obéissent. Aussi le proclament-ils insensé, car ils savent bien qu’aussi longtemps qu’ils demeureront eux-mêmes ils seront incapables d’agir comme lui.

Nous rêvons de pays lointains, d’autres siècles, d’autres races d’hommes que nous plaçons très loin dans le temps ou dans l’espace ; mais qu’un événement aussi plein de sens que celui-ci éclate au milieu de nous, nous découvrons qu’une distance, une étrangeté comparables nous séparent de nos proches. Les voilà bien nos Autriche, nos Chine, nos Îles des Mers du Sud ! D’un seul coup, notre société compacte devient clairsemée, dégagée, magnifique, telle une cité aux splendides perspectives. Nous comprenons pourquoi nous n’étions jamais parvenus à franchir la barrière des compliments et des aménités de surface ; nous prenons conscience que des verstes nous séparent des autres et nous les rendent aussi étrangers que le nomade Tartare l’est de la cité de la Chine. L’homme qui pense devient hermite au milieu de l’agitation de la place du marché. Entre eux et nous d’infranchissables océans rassemblent leurs eaux, des steppes désolées s’allongent à perte de vue. Ce sont les différences de caractère, d’intelligence et de foi qui élèvent entre les individus et les nations les vraies barrières infranchissables. Nul ne peut venir en plénipotentiaire à notre cour s’il n’est de notre famille d’esprit.

Pendant la semaine qui a suivi l’événement, j’ai lu tous les journaux que j’ai pu trouver et je ne me souviens pas y avoir découvert la moindre expression de sympathie à l’égard de ces hommes. Depuis, j’ai lu dans une feuille de Boston quelques phrases nobles — mais ce n’était pas dans l’article de fond. Certains journaux importants ont refusé d’imprimer le texte intégral des déclarations de Brown ; il leur aurait fallu pour cela supprimer d’autres articles. C’est comme si un éditeur refusait le manuscrit du Nouveau Testament pour publier le dernier discours de Wilson. Le même journal qui annonçait cette nouvelle d’une si grande portée, avait bourré les colonnes voisines de comptes rendus des congrès politiques qui se tenaient alors. Quelle chute ! On aurait dû leur épargner ce contraste et les imprimer en supplément. Passer de la parole et des exploits de tels hommes au caquetage des réunions politiques ! Ce ne sont qu’individus avides d’obtenir des charges, faiseurs de laïus incapables de pondre un œuf honnête, qui s’écorchent le bréchet sur un œuf de plâtre. Ils ne savent jouer qu’à la courte paille ou plutôt au jeu universel de la gamelle, ce jeu primitif que les Indiens pratiquent en hurlant comme des forcenés. Mais supprimez donc ces comptes rendus de réunions politiques ou religieuses et laissez-nous entendre la voix d’un homme qui vit, lui !

D’ailleurs, je ne me plains pas tant de ce qu’ils ont omis que de ce qu’ils ont publié. Le Liberator(4) lui-même parle de « tentative malencontreuse, délirante, présentant tous les signes de la folie ». Quant à la meute des journaux et des revues, je ne connais pas, dans tout le pays, un seul rédacteur en chef capable de publier en connaissance de cause un article qui diminuerait sérieusement et définitivement le nombre de ses abonnés. Ce n’est pas opportun, pensent-ils. Alors, comment peuvent-ils jamais imprimer la vérité ? Mais si nous ne disons pas ce qui plaît aux gens, ergotent-ils, personne ne nous écoutera. Aussi agissent-ils comme les charlatans ambulants qui, pour attirer la foule, chantent quelque refrain obscène. Les propriétaires de journaux républicains forcés d’avoir leurs phrases toutes prêtes pour l’édition du matin, habitués à tout examiner au faux-jour de la politique, n’expriment ni admiration ni véritable chagrin ; ils traitent ces hommes de « fanatiques abusés — égarés — insensés — fous ». C’est dire quelle bénédiction cela représente pour nous d’avoir une troupe de rédacteurs sensésqui, eux, ne sont pas égarés ; ils savent bien de quel côté leur tartine est beurrée.

Un homme accomplit un haut fait plein de courage et d’humanité et, d’un seul coup, de tous côtés, les gens et leurs partis clament : « Ce n’est pas moi, je ne l’ai jamais soutenu. Et d’ailleurs mon passé parle pour moi. » Pour moi, il m’importe peu de connaître votre position. Je ne crois pas que cela m’ait jamais intéressé ni que cela m’intéressera jamais ; je pense qu’en ce moment ce n’est qu’égoïsme ou futilité. Ne prenez donc pas la peine de vous en laver les mains, c’est bien inutile. Nul homme intelligent ne pourra jamais croire qu’il était votre créature. Il est parti et revenu comme il l’a dit lui-même « sous les auspices de John Brown seul ». Le parti républicain ne comprend donc pas que l’échec de Brown fera voter des gens plus sainement qu’il ne l’aurait souhaité ? On a compté les votes de Pennsylvania and Co,mais on n’a pas estimé à sa valeur celui du capitaine Brown. Il a fait tomber le vent qui gonflait leurs voiles — le peu de vent qu’ils avaient — ils feraient aussi bien de rentrer au port et de réparer.

Qu’importe qu’il n’ait pas fait partie de votre coterie ! Peut-être que vous n’approuvez ni ses méthodes, ni ses principes, mais reconnaissez au moins sa grandeur d’âme. Avouez que vous aimeriez vous réclamer d’une parenté avec lui sur ce point-là, bien qu’il ne soit ni pareil ni semblable à vous sur aucun autre. Croyez-vous que cela vous ferait perdre votre réputation ? Ce que vous aurez donné d’une main vous le rattraperez de l’autre.

Si les gens ne pensent pas tout cela, alors ils ne disent pas la vérité, ils ne disent pas ce qu’ils pensent, ils sont revenus à leurs vieilles manigances.

L’un de ceux qui le traitent de fou dit qu’on « a toujours reconnu que c’était un homme de conscience, très effacé dans son comportement et en apparence inoffensif, sauf si l’on discutait de l’esclavage ; alors il montrait une fureur sans exemple. »

Le navire négrier est en route chargé de ses victimes mourantes ; en plein océan on lui ajoute de nouvelles cargaisons ; l’équipage, une poignée de propriétaires d’esclaves, soutenu par les nombreux passagers, asphyxie quatre millions d’êtres enfermés à fond de cale, et pourtant le politicien veut nous faire croire que le seul moyen convenable de délivrer les victimes et de « diffuser peu à peu des sentiments d’humanité ». Comme si les sentiments d’humanité se rencontraient jamais séparés des actes d’humanité et que l’on puisse les répandre en quantités convenables (le produit authentique !), aussi facilement que l’on arrose le sol pour abattre la poussière. Qu’est-ce donc que j’entends jeter par-dessus bord ? Ce sont les cadavres de ceux qui ont trouvé la délivrance. C’est ainsi que nous diffusons l’humanité et les sentiments d’humanité avec.

Des directeurs de journaux éminents, influents, habitués à traiter avec les politiciens (hommes d’un niveau infiniment plus bas) disent, les ignorants, qu’il a agi « par vengeance ». Il leur faudrait s’agrandir pour le comprendre. Le temps viendra où ils commenceront à le voir tel qu’il était, je n’en doute pas. Il leur faut comprendre qu’il s’agit ici d’un homme qui a une foi et qui obéit à des principes religieux, non d’un politicien ou un Indien ; d’un homme qui n’a pas attendu qu’on lui nuise ou qu’on sème des embûches sous ses pas pour donner sa vie à la cause des opprimés.

Si l’on peut considérer Walker comme le représentant du Sud, j’aimerais pouvoir dire que Brown était celui du Nord. C’était un homme d’élite. Il n’accordait aucune valeur à sa vie terrestre comparée à son idéal. Il n’a jamais reconnu les lois iniques mais leur a résisté conformément à ses principes. Pour une fois nous voici arrachés à la poussiéreuse vulgarité de la vie politique et transportés dans le royaume de la vérité et de l’humanité. Jamais aucun homme en Amérique n’a combattu avec autant de persistance, autant d’efficacité pour la dignité de la nature humaine. Car il se savait homme, égal à n’importe quel gouvernant. En ce sens, il était plus américain que nous tous. Il n’avait pas besoin pour le défendre d’un avocat bavard.

C’était plus qu’un bon adversaire pour tous les juges que peuvent créer les électeurs américains ou les gens en place, quel que soit leur rang. On n’aurait pu le faire juger par ses pairs, car ses pairs n’existent pas. Lorsqu’un homme fait front en toute sérénité contre la condamnation et la vengeance du genre humain, qu’il s’élève au-dessus d’eux de toute la hauteur de son corps — même s’il est le plus ignoble des assassins et qu’il le reconnaisse — le spectacle est sublime — l’ignoreriez-vous, Liberators, Tribuneset Républicans ? et c’est nous qui, en comparaison, devenons des criminels. C’est à vous que vous devez faire l’honneur de reconnaître John Brown. Lui n’a que faire de votre considération.

Quant aux journaux démocrates ils ne peuvent m’affecter : ils ne sont pas assez humains. Rien de ce qu’ils disent ne peut m’indigner.

Je sais bien que j’anticipe : aux dernières nouvelles il était encore en vie entre les mains de ses ennemis ; malgré cela, je parle et je pense comme s’il était déjà mort physiquement.

Je n’aime pas qu’on élève des statues à ceux qui vivent toujours dans nos cœurs et dont les os ne sont pas encore réduits en poudre dans la terre ; mais c’est la statue du capitaine Brown que j’aimerais voir orner la cour du Parlement du Massachusetts de préférence à celle de toute autre personne de ma connaissance. Je me réjouis de vivre maintenant parce que je suis son contemporain.

Que différence lorsque nous voyons les agissements de ce parti politique qui essaie d’enterrer l’homme et le complot et qui cherche un candidat partout : quelque propriétaire d’esclaves ou alors quelqu’un qui fera appliquer la loi sur les esclaves fugitifs et toutes les autres lois injustes contre lesquelles Brown s’est dressé les armes à la main.

Fou ! Un père, ses six fils, son gendre, d’autres hommes encore — au moins douze disciples — tous saisis de folie au même instant ; mais le tyran normal, lui, resserre son emprise sur ses quatre millions d’esclaves ; un millier de journalistes normaux, ses complices, sauvent leur pays et leur peau. Alors, il était fou aussi au Kansas. Interrogez le tyran, demandez-lui qui de l’insensé ou du sage est son plus redoutable ennemi. Ceux qui par milliers l’ont aidé, ceux qui le connaissent, ceux qui ont applaudi sa hardiesse au Kansas et eux qui l’ont aidé matériellement, tous ceux-là le croient-ils fou ? Ce mot n’est qu’une figure de style pour ceux qui persistent à l’employer et je suis bien sûr que parmi les autres beaucoup ont, en silence, rétracté leurs paroles.

Lisez donc les réponses admirables qu’il a faites à Mason et à bien d’autres. Le contraste les rapetisse, les annihile ! D’un côté un interrogatoire mi-craintif mi-brutal, de l’autre la vérité éblouissante comme la foudre qui éclate dans leurs temples immondes. Ils sont dignes de figurer aux côtés de Pilate, de Gessler et des sbires de l’Inquisition. La vanité de leurs paroles et de leurs actes ! Le vide de leur silence ! Ils ne sont qu’instruments inertes dans cette œuvre immense ; aucune puissance humaine ne les a rassemblés autour de ce prophète.

Dans quel but le Massachusetts et le Nord ont-ils envoyé une poignée de députés normauxau Congrès ces dernières années ? Pour faire connaître quels sentiments ? Tous leurs discours, mis ensemble et passés au crible (peut-être même l’avoueront-ils ?) n’ont pas assez de force et de puissance directe pour prétendre égaler les quelques remarques prononcées par ce fou de John Brown dans l’arsenal de Harper’s Ferry — par cet homme que vous allez pendre et envoyer dans l’autre monde. Mais pas pour vous y représenter. Non, il n’a jamais été votre député, en quoi que ce soit. C’était un trop beau spécimen d’humanité pour cela. Qui étaient donc ses électeurs ? Si vous savez lire ses paroles vous le découvrirez. Chez lui, pas d’éloquence futile, pas de discours fabriqué, pas de révérence à l’oppresseur. La vérité l’inspire, la certitude polit ses phrases. Que lui importait de perdre ses fusils Sharpe s’il gardait son éloquence ? Voilà un fusil qui portait bien plus sûrement et bien plus loin.

Et le New York Heraldqui transcrit le dialogue textuellement ! Il ignore de quelles paroles impérissables il devient le véhicule.

Si après avoir lu le compte rendu de ce dialogue, il se trouve encore quelqu’un pour persister à traiter de fou le principal interlocuteur, je n’aurai que peu de respect pour ses facultés. On y sent une clarté d’esprit que la discipline et les habitudes de la vie ne suffisent pas à donner. Prenez n’importe quelle phrase : « Je répondrai à toutes les questions auxquelles mon honneur me permettra de répondre — aux autres, non. J’ai dit la vérité pour tout ce qui me concerne personnellement. Je respecte ma parole, monsieur. »

Ceux qui parlent de son esprit rancunier, tout en admirant son héroïsme, ne possèdent aucune pierre de touche qui leur permette de découvrir un homme, non, aucun amalgame qui se puisse mêler à cet or pur.

Il est réconfortant de laisser de côté ces calomnies pour le témoignage de ses geôliers et de ses bourreaux ; ils ont peur mais il sont plus sincères. Le gouverneur Wise parle de lui avec bien plus de justice et d’estime que n’importe quel politicien propriétaire de journaux ou personnage connu dans le Nord que j’aie pu entendre. Écoutez de nouveau ce que dit Wise, je sais que vous en avez besoin : « Ceux qui le prennent pour un fou se trompent... C’est un homme de sang-froid, très maître de lui, rien ne peut l’abattre et il n’est que juste de dire qu’il a traité ses prisonniers humainement. Il m’a inspiré une confiance absolue en sa droiture... C’est un fanatique orgueilleux et prolixe (je cite M. Wise), mais il est ferme, sincère et intelligent. Ses hommes, ou du moins les survivants, lui ressemblent... Le colonel Washington affirme qu’il n’a jamais vu personne qui fût plus courageux que lui en face du danger et de la mort. Un de ses fils tué à ses côtés, il tenait le poignet d’un second qui avait eu le corps traversé d’ue balle ; il continuait à manier son fusil et donnait des ordres à ses hommes sans montrer la moindre émotion ; il les exhortait à tenir et à faire payer leur vie aussi cher que possible. Des trois prisonniers blancs, Brown, Stephens et Coppic, je ne saurais dire lequel avait le plus de courage. »

Ce sont presque les premiers hommes du Nord que le propriétaire d’esclaves ait appris à respecter.

Le témoignage de M. Vallandingham va dans le même sens bien qu’il ait moins de valeur : « Il est vain, dit-il, de chercher à décrier l’homme ou son complot... Brown est aussi différent qu’on peut l’être du bandit vulgaire, du fanatique ou du fou. »

« Tout est calme à Harper’s Ferry », écrivent les journaux. Quelle est la nature du calme qui règne après que la loi et le maître d’esclaves aient gagné ? Je considère cet épisode comme une pierre de touche qui doit révéler aux yeux de tous, sous une lumière impitoyable, la nature de notre gouvernement. Il nous fallait cela pour que nous le comprenions à la lumière de l’histoire. Il fallait qu’il se voie. Lorsqu’un gouvernement met sa force au service de l’injustice, comme le fait le nôtre, pour maintenir l’esclavage et tuer les libérateurs des esclaves, il montre bien qu’il n’est qu’une force brutale ou pire une force inspirée du démon. C’est lui qui commande les Plug Uglies(5). La tyrannie l’emporte, c’est plus évident que jamais. Pour moi, ce gouvernement-là s’est allié à la France et à l’Autriche pour opprimer l’humanité. Là trône un tyran qui maintient dans les fers quatre millions d’esclaves ; en face de lui se dresse leur héroïque libérateur. Ce gouvernement diabolique et hypocrite jette un regard innocent sur ses quatre millions de victimes et demande : Mais pourquoi m’attaquez-vous ? Ne suis-je pas honnête ? Assez d’agitation, sinon je fais de vous un esclave à moins que je ne vous fasse pendre.

Nous parlons de gouvernement représentatif : mais quelle monstruosité de gouvernement est-ce donc que celui où les plus nobles facultés de l’esprit, où le cœur, ne sont pas représentés ? Un fauve à demi-humain dont on a arraché le cœur et dont un coup de fusil a emporté le cerveau : et ce monstre parcourt la terre cherchant qui dévorer. On a vu des héros continuer à se battre debout sur leurs moignons après que la mitraille eut fauché leurs jambes ; mais je ne sache pas qu’un tel gouvernement puisse faire quelque bien.

Le seul gouvernement que je reconnaisse — peu importe le petit nombre de ceux qui sont à sa tête, ou la faiblesse de son armée — c’est le pouvoir qui établit la justice dans un pays, jamais celui qui instaure l’injustice. Que penser d’un gouvernement qui a pour ennemis tous les hommes justes et courageux du pays dressés entre lui et ceux qu’il opprime ? Un gouvernement qui se targue d’être chrétien et qui crucifie tous les jours un million de Christs !

Trahison ! Mais d’où vient-elle cette trahison ? Je ne peut m’empêcher de penser à vous comme vous le méritez, gouvernements de la terre. Êtes-vous capables de tarir les sources de la pensée ? Quand elle consiste à résister à la tyrannie d’ici-bas, la haute trahison a son origine dans le pouvoir qui crée l’homme et le recrée à jamais, et c’est de ce pouvoir qu’elle tient sa mission. Quand vous aurez pris tous les rebelles et que vous les aurez fait pendre vous n’aurez rien accompli, sinon votre crime, car vous n’avez pas frappé à la tête. Vous vous mesurez à un adversaire contre qui vos canons et vos cadets de West Point ne peuvent rien. L’art du fondeur de canons ne peut tenter la matière et la faire se révolter contre son créateur. La forme que croit lui donner le fondeur est-elle plus essentielle que la constitution même de cette matière ou la sienne propre ?

Les États-Unis possèdent un convoi de quatre millions d’esclaves qu’ils sont bien décidés à maintenir dans la servitude ? Le Massachusetts n’est qu’un des surveillants confédérés chargés de les empêcher de s’enfuir. Tous les habitants du Massachusetts n’appartiennent pas à cette clique ; les seuls à s’en réclamer sont ceux qui gouvernent l’État et se font obéir. Au même titre que la Virginie, le Massachusetts a étouffé l’insurrection de Harper’s Ferry. Il y a envoyé ses fusiliers marins : il devra payer sa faute.

Supposons qu’il existe dans cet État une société qui, à ses frais, par pure philanthropie, sauverait tous les esclaves marrons qui s’enfuient chez nous, protégerait nos compatriotes de couleur, et laisserait toutes les autres besognes au soin du prétendu gouvernement. Celui-ci ne perdrait-il pas bien vite sa raison d’être pour devenir l’objet du mépris de l’humanité ? Lorsque les charges du gouvernement, la protection des faibles et la justice tombent entre les mains des particuliers, alors le gouvernement se réduit à n’être qu’un valet, un employé que l’on a embauché pour accomplir des tâches subalternes et insignifiantes. Ce n’est plus que l’ombre d’un gouvernement qui rend indispensable la mise sur pied de comités de Vigilance. Que penserions-nous d’un cadi de l’Orient si un comité de Vigilance travaillait en secret dans son dos ? Mais c’est ainsi que se présentent presque tous nos États du Nord ; chacun a son comité de Vigilance. Et ces gouvernements fous reconnaissent et acceptent cette situation jusqu’à un certain point. En fait ils disent : Nous voulons bien travailler pour vous à ces conditions, mais surtout n’en dites rien. Ainsi le gouvernement, une fois son salaire assuré, se retire dans son arrière-boutique en emportant la constitution et passe presque tout son temps à rapetasser les choses. Lorsqu’en passant je l’entends travailler, je pense à ces paysans qui, en hiver, se font quelques sous en fabriquant des tonneaux. Quel genre de spiritueux ce tonneau pourra-t-il contenir ? Le gouvernement spécule à la Bourse, il perce des montagnes, mais il n’est même pas capable d’ouvrir une seule route convenable. La seule voie qui soit libre, c’est le Chemin de Fer Souterrain (6) ; il appartient au comité de Vigilance qui l’exploite. C’est le comité qui a percé des tunnels sous toute l’étendue du pays. Ce gouvernement ne fait que perdre sa puissance et sa réputation aussi sûrement que l’eau s’écoule d’un récipient qui fuit et qu’elle reste dans un vase étanche.

J’entends beaucoup de gens condamner John Brown et ses hommes sous prétexte qu’ils étaient si peu nombreux. Et quand donc les braves et les forts ont-ils été la majorité ? Vous auriez préféré qu’il attende que les temps fussent venus — que vous et moi allassions le rejoindre ? Le fait même qu’il ne s’était pas entouré d’un ramassis de mercenaires suffirait à le distinguer des héros ordinaires ; sa troupe était réduite certes, car rares étaient ceux qui pouvaient briguer l’honneur d’y appartenir. Chacun de ceux qui ont donné leur vie pour les pauvres et les opprimés avait été choisi, désigné entre les milliers d’autres sinon des millions ; chacun était un homme de principes, doué de dévouement et d’un rare courage ; prêt à sacrifier sa vie à tout instant pour son prochain. On peut douter qu’ils aient eu leurs égaux dans toute l’Amérique — je ne parle que de ses compagnons car leur chef, je n’en doute pas, a fouillé le pays en tous sens pour augmenter son effectif. Eux seuls étaient prêts à se dresser entre l’oppresseur et ses victimes. Vous ne pouviez choisir de meilleurs hommes pour les pendre ; c’est le plus grand compliment que leur pays puisse leur faire. Ils étaient mûrs pour ses potences ; car leur patrie essaie depuis longtemps de les capturer, elle en a pendu un bon nombre, mais elle n’avait pas encore trouvé celui qu’il fallait.

Cet homme accompagné de son gendre et de ses six fils — pour ne pas nommer les autres — tous engagés dans cette lutte, ont accompli leur tâche avec sang-froid, respect et bonté pendant des mois pour ne pas dire des années. Ils dormaient et s’éveillaient avec cette pensée, vivaient avec elle été comme hiver sans attendre d’autre récompense que celle de leur conscience, tandis que l’Amérique presque entière se rangeait de l’autre côté ; je le répète, ce spectacle me paraît sublime. Si Brown avait eu un journal pour appuyer « sa cause », un organe comme on dit, pour moudre la même rengaine éculée, monotone et agaçante, avec quelqu’un pour faire la quête dans un chapeau, il n’aurait pu agir avec efficacité. S’il avait agi de la sorte que le gouvernement n’ait aucun motif de l’inquiéter on aurait soupçonné ses intentions. Il faut que le tyran lui cède la place ou qu’il la cède au tyran : c’est cela qui le distingue de tous les réformateurs d’aujourd’hui.

Il avait sa théorie : tout homme a le droit absolu d’intervenir par la force contre le propriétaire d’esclaves afin de sauver l’esclave. Je suis de son avis. Ceux que l’esclavage révolte à chaque minute ont le droit de se choquer si un propriétaire d’esclaves meurt de mort violente ; les autres n’ont pas ce droit. Ceux-ci seront bien plus révoltés s’il reste en vie que s’il meurt. Je ne me risquerai pas à reprocher sa méthode à celui qui arrive à libérer les esclaves plus vite que les autres. C’est pour l’esclave que je parle si je dis que je préfère la philanthropie du capitaine Brown à celle qui ne me tire pas dessus mais qui ne me délivre pas non plus. Je ne pense pas qu’il soit très raisonnable de passer sa vie à traiter ce sujet en écrit ou en paroles si l’on est pas continuellement inspiré, et je ne l’ai pas fait ; on peut avoir autre chose à faire. Je n’ai envie ni de tuer ni de me faire tuer, mais je peux imaginer que le temps viendra où l’un et l’autre seront inévitables. C’est par des actes de violence quotidiens que nous sauvegardons la prétendue paix qui règne dans notre communauté. Il suffit de voir la matraque et les menottes de l’agent de police ! La prison, la potence ! L’aumônier du bataillon ! Tout ce que nous espérons c’est de vivre en sécurité aux côtés de cette armée provisoire. Ainsi nous nous protégeons avec nos perchoirs et nous maintenons l’esclavage. Pour la plupart de mes concitoyens le meilleur usage que l’on puisse faire d’un fusil Sharpe ou d’un revolver, c’est de s’en servir pour nous battre en duel avec les nations qui nous insultent, faire la chasse aux Indiens ou tirer sur les esclaves marrons. Il me semble que pour une fois les fusils Sharpe et les revolvers ont servi une bonne cause et que les instruments se trouvaient entre les mains de ceux qui savaient s’en servir.

Le temple sera balayé par la même indignation qui jadis l’avait nettoyé. La question n’est pas de savoir quelle arme on utilise, mais dans quel esprit on s’en sert. On n’a encore jamais vu en Amérique d’homme qui aimât autant son semblable et le traitât avec une pareille tendresse. C’est pour lui qu’il vivait, pour lui qu’il offrit sa vie et la sacrifia. Quelle est donc cette formule de violence qui est encouragée non par les soldats mais par de paisibles citoyens ; qui est plus soutenue par les ministres de l’évangile que par les laïcs, par les Quakers que par les sectes militantes, et par les femmes des Quakers plus que par les Quakers eux-mêmes ?

Cet événement me fait toucher du doigt le fait même de la mort — le fait qu’un homme peut mourir. On dirait qu’il n’est jamais mort personne en Amérique avant ce jour, car pour mourir il faut avoir vécu. Les corbillards, les poêles, les funérailles que ces gens ont eu, tout cela me paraît irréel. Il n’y avait pas de mort dans leur cas puisqu’il n’y avait pas eu de vie ; ils sont partis simplement en pourriture ou en poussière à peu près comme ils avaient pourri ou s’étaient effrités leur vie durant. Le voile du temple ne s’est pas déchiré ; on a creusé un trou quelque part. Laissons les morts enterrer les morts. Les meilleurs d’entre eux sont simplement allés au bout de leur course comme une pendule. Franklin, Washington, eux, sont partis sans mourir ; un jour on ne les a plus trouvés. Il y a des gens pour dire qu’ils vont mourir — ou qu’ils sont déjà morts pour ce que j’en sais. Sottises ! Je les en défie bien. Il n’y a pas assez de vie en eux. Ils se déferont comme des moisissures et une bonne centaine de panégyristes épongeront l’endroit qu’ils ont quittés. Une demi-douzaine d’homme à peine sont morts depuis le commencement du monde. Vous, monsieur, croyez-vous que vous mourrez ? Que non pas ; aucun espoir. Vous n’avez pas encore appris votre leçon ; il faudra rester après la classe. Nous faisons bien des histoires de la peine capitale. On prend des vies là où il n’y a pas de vie. Memento mori ? On ne comprend guère cette phrase sublime qu’un digne homme fit graver sur sa tombe. Nous l’interprétons de façon pleurarde et gémissante ; nous avons complètement oublié comment il faut mourir.

Mais ne manquez pas de mourir vraiment. Faites votre ouvrage, achevez-le. Si vous savez commencer vous saurez quand il faudra finir.

En nous apprenant à mourir, ces hommes nous ont en même temps appris à vivre. Si les actes et les paroles de Brown ne créent pas un renouveau ce sera la plus terrible condamnation des actes et des paroles qui ont ce pouvoir. C’est la meilleure nouvelle qu’on ait apprise en Amérique. Déjà elle a rendu la vie au cœur bien faible du Nord, elle lui a infusé dans les veines un sang plus généreux que ne pourraient le faire des années de ce que l’on appelle la prospérité de la politique et du commerce. Combien d’hommes acculés au suicide qui ont maintenant une raison de vivre !

Un journaliste prétend que la bizarre idée fixe de Brown l’avait fait « redouter par les gens du Missouri à l’égal d’un être surnaturel ». Il est évident qu’au milieu des lâches que nous sommes, un héros est toujours craint. C’est bien un être surnaturel, supérieur au commun des hommes, car il a en lui une étincelle divine.

S’il ne se hausse au-dessus de lui-même
Quelle misérable chose que l’homme !

Les rédacteurs des journaux prétendent que s’il se croyait appelé pour accomplir cette mission — s’il ne douta pas de lui-même un instant, c’est bien une preuve de sa folie. Ils parlent comme s’il était impossible à notre époque qu’un homme fût « désigné » pour accomplir quelque chose ; comme si la mode voulait que les vœux et la religion fussent détachés de l’ouvrage quotidien — comme si celui qui doit abolir l’esclavage ne pouvait être nommé que par le Président des États-Unis ou par un parti. Ils parlent comme si mourir c’était échouer et continuer à vivre n’importe comment, réussir.

Quand je pense à quelle cause cet homme se donna et avec quelle foi, quand je pense ensuite à celle à quoi se vouent ses juges et ceux qui le condamnent avec tant de fureur et tant de verbiage, je les vois aussi éloignés de lui que la terre l’est du ciel.

Tout se résume à cela : nos personnalitésappartiennent à une espèce médiocre ; ils savent bien, ces gens-là, que nulle divinité ne les a désignés mais bien que ce sont les votes de leur parti qui les ont élus.

Qui est celui dont la sécurité exige que l’on pende le capitaine Brown ? Y a-t-il un homme du Nord pour trouver que c’est indispensable ? Faut-il livrer ces hommes au Minotaure ? Si vous ne le voulez pas, criez-le. Tandis que ces choses s’accomplissent la beauté se voile, la musique n’est qu’un hurlement mensonger. Pensez à lui, à ses qualités uniques. Il faut des âges pour faire un homme comme lui, des âges pour comprendre ; ce n’est pas une caricature de héros, ce n’est pas le représentant d’un parti. Peut-être que, dans ce pays de ténèbres, le soleil ne se lèvera jamais plus sur un homme comme lui. Les plus précieuses matières le constituent, le diamant le plus dur ; il a été envoyé pour racheter les captifs et tout ce que vous êtes capables de faire de lui c’est de le pendre au bout d’une corde. Vous qui prétendez aimer Jésus crucifié, voyez ce que vous êtes prêts à faire à celui qui s’est immolé pour sauver quatre millions d’hommes.

Chaque homme sait bien s’il est justifié ou non, et tous les brillants esprits du monde ne peuvent l’éclairer sur ce point. Le meurtrier sait qu’il est justement châtié ; mais c’est un gouvernement téméraire celui qui ôte la vie à un homme contre sa conscience ; c’est le premier pas vers la dissolution. Croyez-vous impossible qu’un homme ait raison et que le gouvernement soit dans son tort ? Appliquera-t-on les lois pour la seule raison qu’elles ont été promulguées ou parce qu’un certain nombre de gens les déclarent justes quand elles ne le sont pas ? Faut-il vraiment qu’un homme se fasse l’instrument d’un acte qui répugne à ce qu’il y a de meilleur dans sa nature ? Est-ce l’intention du législateur que les gens de bien soient jamais pendus ? Les juges doivent-ils interpréter la loi selon la lettre et non selon l’esprit ? Croyez-vous avoir le droit de signer, avec vous-mêmes, un contrat qui vous permettra d’agir dans tel ou tel sens à l’encontre de la lumière qui est en vous ? Est-ce à vous qu’il appartient de décider — quelle que soit la résolution que vous preniez — et de refuser les jugements que l’on vous impose et qui dépassent votre entendement ?

Dans cette manière d’attaquer ou de défendre un homme je ne me fie pas aux juristes, car vous vous abaissez pour faire face au juge sur son terrain et dans les cas d’une si haute importance il importe peu que vous enfreigniez ou non la loi des hommes. Laissez les juristes statuer sur les procès ordinaires ; les hommes d’affaires peuvent bien s’arranger entre eux. S’ils étaient les interprètes des lois éternelles qui régissent l’humanité, ce serait tout autre chose. Une usine à fabriquer des simulacres de lois, à cheval sur le pays libre et sur le pays à esclaves ! Pouvez-vous en attendre des lois pour les hommes libres ?

Si je suis ici c’est pour plaider cette cause devant vous. Je ne plaide pas pour sa vie ; mais bien pour sa réputation — pour sa vie immortelle ; ainsi cette cause devient la vôtre, entièrement ; elle n’est plus sienne en rien. Il y a quelques dix-huit cents années, Jésus-Christ a été mis en croix ; peut-être que ce matin le capitaine Brown a été pendu. Voici les deux extrémités d’une chaîne où les anneaux ne manquent pas. Il n’y a plus de vieux père Brown ; il y a un ange de lumière.

Il fallait, je le comprends maintenant, que l’homme le plus courageux, le plus humain du pays tout entier fût pendu. Peut-être l’avait-il compris lui aussi. J’ai presque peurd’apprendre qu’il a été libéré car je doute que, si on la prolonge, la vie — n’importe quelle vie — fasse autant de bien que sa mort.

« Égarement ! Verbiage ! Folie ! Vindicte ! » Assis dans vos fauteuils, voilà ce que vous écrivez et voici sa réponse à lui, cet homme blessé qui vous parle depuis l’Arsenal, sa réponse claire comme un ciel bleu, vraie comme la nature : « Personne ne m’a fait venir ici, c’est moi qui l’ai voulu et mon Créateur. Aucun homme n’est mon maître. »

Et de quel accent noble et doux il s’adresse à ses adversaires qui le font prisonnier : « Mes amis, je vous crois coupables d’un grand crime contre Dieu et contre l’humanité, et c’est justice que de se mettre en travers de votre route pour délivrer ceux dont votre perversité a fait des esclaves. »

Parlant de son action : « C’est, je crois, la meilleure façon de servir Dieu ».

« J’ai pitié des malheureux esclaves qui n’ont personne pour les secourir ; c’est pourquoi je suis ici ; il n’est pas question de satisfaire une animosité personnelle, vengeance ou esprit de vengeance. C’est par sympathie pour les opprimés, les bafoués qui valent autant que vous et qui sont aussi précieux que vous aux yeux du Seigneur. »

Vous ne reconnaissez pas votre testament quand vous l’avez sous les yeux.

« Je veux que vous compreniez que je respecte autant les droits des plus pauvres et des plus faibles parmi les gens de couleur opprimés par l’esclavage, que ceux des riches et des puissants. »

« J’ai encore à dire ceci : Vous tous, gens du Sud, vous devriez vous préparer à régler cette question car il faudra la régler, plus vite que vous n’êtes prêts à le faire. Le plus tôt sera le mieux. Vous pouvez m’éliminer très facilement : c’est presque fait. Mais cette question il faudra la régler — cette question des Noirs — vous n’en avez pas encore vu la fin. »

Je vois venir les temps où le peintre s’inspirera de cette scène et n’aura plus besoin d’aller chercher un sujet à Rome ; le poète la célébrera ; l’historien en fera la relation ; avec l’arrivée des Pères Pélerins sur notre sol et la Déclaration d’Indépendance, ce tableau sera l’ornement de quelque galerie à venir quand l’esclavage, sous la forme que nous connaissons, n’existera plus chez nous. Alors nous serons libres de pleurer le capitaine Brown. Alors, et alors seulement, nous nous vengerons.

P.-S.

Notes

(1) État où, d’après les conclusions du compromis du Missouri, l’esclavage était illégal. (N.D.T.)

(2) Borders Ruffians : membres du parti esclavagiste du Missouri qui, de 1854 à 1858, traversaient fréquemment la frontière du Kansas, où ils votaient illégalement, et tentaient d’intimider les anti-esclavagistes. (N.D.T.)

(3) Selon la tradition, Israël Putnam, héros de la guerre d’Indépendance, tua de ses mains un loup dont il occupait la tanière (N.D.T.)

(4) Journal abolitionniste (N.D.T.)

(5) Membres du parti esclavagiste au Kansas (N.D.T.)

(6) Organisation clandestine qui se chargeait de faire passer aux esclaves fugitifs la frontière entre le Nord et le Sud e de les escorter jusqu’à ce qu’ils fussent en sécurité au Canada (N.D.T.)

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