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En noir et blanc : Michael Jackson 

dimanche 19 juillet 2009, par Marie-Louise Audiberti

La mort de Michael Jackson a envahi les médias. Tout a été dit sur le talent et l’étrangeté du personnage ; mais si l’on a dénoncé à l’envi les blanchiments et autres tortures qu’il s’est infligés, a-t-on vraiment perçu, au-delà du grotesque et du pitoyable, ce que signifiaient de tels agissements ?

Trois hommes de couleur dans notre actualité proche : l’un, Aimé Césaire, le « nègre fondamental » comme l’appelait André Breton, est mort de sa belle mort l’année dernière, après avoir accompli un destin hors pair de poète et d’homme politique. L’autre, Barack Obama, fils d’un Kenyan et d’une Blanche est devenu, à la barbe des Busheries, Président des Etats-Unis, pays où un Noir n’avait pas le droit de boire dans les mêmes verres que les Blancs. Le troisième, Michael Jackson, a explosé en plein vol.

On sait tout sur l’ascension irrésistible de cet ange démoniaque, ce génie de la danse et du chant, ce pervers polymorphe s’il en est, enfant à plein temps, amoureux des enfants, écoeuré par le monde et par lui-même.
Lui-même, son visage de stuc émacié, son nez, ou plutôt son absence de nez, juste une arête avec deux trous, ses perruques aux cheveux pendants. Ange ou mutant, dit-on de ce Dorian Gray outrageusement maquillé dont on ne sait si les masques hygiéniques le protégeaient des microbes ou de son reflet dans le miroir.

Oui, il a enchanté, époustouflé des générations par son génie et il est mort, crucifié sur une croix trop lourde à porter, celle du monde noir qu’il incarne par défaut jusque dans sa carnation. Pourquoi, en effet, a-t-il voulu s’arracher à lui-même, jusqu’à se déshumaniser ?

S’il est juste de pleurer l’artiste, n’oublions pas l’homme. Par cette autodestruction programmée, Michael Jackson nous dit de façon tragique ce que vivent les Noirs au pays des Blancs. Et ceci reste valable, à des degrés divers, pour toute minorité visible.

Au pays du Ku Klux Klan comme ailleurs, être noir c’est être vu. Si en France, par exemple, le « Noiraméricain », comme le dit Eddy L. Harris dans son beau livre [1] , est plus coté que le Noir Africain, la ségrégation a encore de beaux jours. Des signes positifs, il y en a, depuis cette petite couturière noire des Etats-Unis refusant de quitter sa place assise dans le bus jusqu’à l’élection d’Obama, mais il reste un long chemin à faire. Tant est si bien que les Noirs, les filles en particulier, ne cherchent qu’à se blanchir la peau et défriser leurs cheveux. Michael Jackson n’a fait que pousser le mouvement jusqu’à son point extrême. Avec lui, on a in vivo la personnification de cette haine de soi, de sa race, qui pousse un jeune Noir doué comme personne, à se mutiler, se torturer jusqu’à offrir au monde ce masque terrifiant.

Chez les Jackson, semble-t-il, le racisme s’exerçait déjà en famille, le père reprochant au fils cette négritude qui lui collait au visage, et le fils refusant de ressembler plus tard au père. Tragédie de la discrimination symboliquement répercutée, voire orchestrée dans l’intimité familiale.
Des différences de traitement, je l’ai dit, d’un pays à l’autre. Ainsi ces jeunes Noirs diplômés mieux accueillis au Canada qu’en France. « Je ne voulais pas finir par avoir ma couleur dans la tête », dit cette jeune Noire, engagée à Montréal après avoir subi de nombreux refus en France, dans son propre pays.

Sa couleur dans la tête. Car le fait est là, le Noir est d’abord vu comme Noir, donc se ressent comme tel. Et du fait de l’Histoire, en particulier de l’esclavage, il est vu comme inférieur jusqu’à ce qu’il fasse ses preuves. Comme s’il n’existait pas dans sa singularité mais seulement comme membre d’un groupe, d’une ethnie. Là, tout reste à faire.Tant qu’aux Noirs seront réservées les tâches subalternes, éboueur ou autre, le regard ne changera pas. Nous le savons pourtant de source scientifique, tout Blanc peut avoir davantage de gênes communs avec un Noir qu’avec son voisin de palier. Tête du voisin !

A San Francisco, les métis hispano-black sont majoritaires. Les Blancs ne représentent maintenant que 20% de la population. Il existe une middle class noire très intégrée, très cultivée. Les Blancs ont également changé de comportement car ils sont maintenant assez admiratifs des Noirs. Ils les imitent dans leur manière de s’habiller et même de parler.

Une Blanche trop bon teint s’est fait traiter de "white ass", "cul blanc", ce qui montre qu’il y a maintenant un racisme à l’envers qui n’existait pas encore il y a quelques années.

« Je parle pour ceux qui n’ont point de bouche », disait Aimé Césaire. Michael Jackson, le roi de la pop, a parlé à son corps défendant, dans un mouvement de triomphe et de terreur pour devenir ce mythe post-racial qui n’en finit pas de troubler les esprits. Ecoutons-le au-delà de sa musique.

Notes

[1Paris en noir et black, Eddy L. Harris, Liana Levi, 2008

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