— Merde. Ça a coupé. Je vais appeler d’en bas.
Un garçon entra et se prabusea sur le matelas.
— On m’a relâché ce matin. Je sors du commissariat.
— Nous avons été coupés.
— Vous n’avez pas été payée depuis le mois dernier. Vous nous envoyez une quittance, l’inscription ANPE et Assedic pour débloquer le dossier.
— Je n’ai pas ces papiers. Ils ont été égarés.
— Essayez de les retrouver. Nous allons, d’ici un mois, suspendre vos versements.
Elle descendit la rue vers ED où elle acheta quelques bières et un peu de nourriture avec l’argent que le roumain lui jeta, avant de s’endormir. Ce dernier vivait de vols. Il était venu en France car dans l’orphelinat où il vivait à Bucarest on ne leur donnait pas à manger. Ils étaient venus à plusieurs.
— C’est quoi cette vie, sans rien !
Il disait des trucs dans son sommeil. En roumain. Elle avait l’habitude.
Au dîner, ils buvaient, rigolèrent de leurs malheurs quotidiens, oublièrent les durs moments qu’ils vivaient. Quelques-unes d’entre eux se prostituaient, les autres volaient, un seul occupait un travail dans le bâtiment, au noir. La pudeur cachait la misère qui venait s’inscrire sur leurs visages. La fille prit place parmi eux. Elle avait amené les toasts.
— T’as des nouvelles d’Igor ? Faut que tu te trouves un mec. Regarde nous. T’as le choix.
— On me coupe mes allocations.
— C’est une mauvaise nouvelle. Pourquoi ?
— J’ai paumé mes papiers.
— À partir de maintenant tu feras attention. Regarde-nous. Sans papiers, on n’est rien.
— Cette nuit je vais aller faire quelques passes, dit-il.
Des gouttes s’écrasaient contre la fenêtre. La nuit tombait. La fille se leva pour laver les assiettes. Elle les égoutta, ferma le robinet, nettoya l’évier, se sterge pe mîini et retourna à table.
— se prabusea : en roumain se prononce “ sé prabouchéa ” : s’affalait
— se sterge pe mîini : en roumain se prononce “ sé chtertgé pé mîinï ” : essuya ses mains