Cette lettre a été traduite par André Markowicz, on peut la lire sur un site de la Ligue des Droits de l’Homme (section du Périgord) précédée d’une introduction du traducteur que je me permets de reproduire ci-dessous :
"J’ai lu ce texte en russe — et j’ai été saisi. Saisi par les conditions de vie des prisonnières. Saisi par la description du système de répression en tant que tel. Saisi aussi par la grandeur de la personne qui écrit cela. La langue de Nadejda Tolokonnikova est une langue russe d’une pureté, d’une force, d’une précision qui s’illuminent de la grande tradition humaniste de la Russie — de cette tradition qui fait que la Russie, quelles que soient les horreurs de son histoire, est source de lumière — la tradition de la "Maison morte" de Dostoïevski, celle de Herzen, celle de Tchekhov, et celle de tous les écrivains du Goulag. Un souci de la précision, une précision impitoyable, et le sentiment constant d’être non pas "responsable" pour les autres, mais lié aux autres, d’une façon indissociable. C’est cette tradition qui fait dire à Anna Akhmatova, dans son exergue du Requiem :”
“"J’étais alors avec mon peuple
Là où mon peuple, par malheur, était".”
Nadejda Tolokonnikova parle pour elle-même, et parlant pour elle-même, elle parle avec les autres — elle parle pour nous, et nous donne confiance. Il faut lire ce texte. Il faut le lire."
En hommage à Nadedja Tolokonnikova et en soutien à tous ceux qui sont détenus dans les camps hérités du goulag, je vous propose la lecture d’un texte dans lequel Bakounine expose sa conception "non individualiste" de la liberté, conception qui "illumine" aussi me semble-t-il la lettre de la jeune femme.
Ce lien avec Bakounine m’a été soufflé par la lecture d’un texte de Vassili Golovanov, Autour de Bakounine, (Espace et Labyrinthes, Editions Verdier), dans lequel l’auteur évoque une rencontre avec des jeunes anarchistes qui restaurent le parc de Priamoukhino, lieu de naissance de Bakounine :
"Les anarchistes travaillaient frénétiquement, comme des journaliers. Mais uniquement jusqu’à midi. Après, c’était temps libre. (…) Le soir tombé, je suis parti à Lopatino, le village voisin, où pendant leurs raids d’été, les anarchistes vivaient dans une vieille maison vide. Un drapeau noir et rouge pendait au-dessus du toit. (…) Le système de la commune était classique : entre kolkhoze et communauté hippie ; le menu ascétique (pain gruau de sarrasin, pâtes, ketchup, gâteaux et thé), plus quelques livres sur le rebord de la fenêtre. Tout d’abord l’incontournable Bakounine de N.M. Piroumova. Et puis une surprise : Takeshi Kaikô, Le Géant et le Jouet. Encore plus surprenant, I.Prigogine, I. Stengers, Temps, chaos et lois de la nature. (…) Plus loin, un vieux livre sur les partisans biélorusses édité encore au temps de la Jeune Garde, et même l’idole de toute la nouvelle gauche, Guy Debord (…) Ce sont eux, les anarchistes et les "antifafs" (…) qui seront avec le temps les vrais opposants. Parmi les gauchistes, il n’existe pratiquement aucun mouvement qui, d’une façon ou d’une autre, ne flirte avec l’anarchisme".
Dans un deuxième temps, je tente une contribution personnelle sous une forme empruntée /adaptée du Vaduz de Bernard Heidsieck.
Michel Bakounine
Qui suis-je ?
"Je ne suis ni un savant, ni un philosophe, ni même un écrivain de métier. J’ai écrit très peu dans ma vie et je ne l’ai jamais fait, pour ainsi dire, qu’à mon corps défendant, et seulement lorsqu’une conviction passionnée me forçait à vaincre ma répugnance instinctive contre toute exhibition de mon propre moi en public.
Qui suis-je donc, et qu’est-ce qui me pousse maintenant à publier ce travail ? Je suis un chercheur passionné de la vérité et un ennemi non moins acharné des fictions malfaisantes dont le parti de l’ordre, ce représentant officiel, privilégié et intéressé à toutes les turpitudes religieuses, métaphysiques, politiques, juridiques, économiques et sociales, présentes et passées, prétend se servir encore aujourd’hui pour abêtir et asservir le monde.
Je suis un amant fanatique de la liberté, la considérant comme l’unique milieu au sein duquel puissent se développer et grandir l’intelligence, la dignité et le bonheur des hommes ; non de cette liberté toute formelle, octroyée, mesurée et réglementée par l’État, mensonge éternel et qui en réalité ne représente jamais rien que le privilège de quelques-uns fondé sur l’esclavage de tout le monde ; non de cette liberté individualiste, égoïste, mesquine et Fictive, prônée par l’École de J.-J. Rousseau, ainsi que par toutes les autres écoles du libéralisme bourgeois, et qui considère le soi-disant droit de tout le monde, représenté par l’État, comme la limite du droit de chacun, ce qui aboutit nécessairement et toujours à la réduction du droit de chacun à zéro.
Non, j’entends la seule liberté qui soit vraiment digne de ce nom, la liberté qui consiste dans le plein développement de toutes les puissances matérielles, intellectuelles et morales qui se trouvent à l’état de facultés latentes en chacun ; la liberté qui ne reconnaît d’autres restrictions que celles qui nous sont tracées par les lois de notre propre nature ; de sorte qu’à proprement parler il n’y a pas de restrictions, puisque ces lois ne nous sont pas imposées par quelque législateur du dehors, résidant soit à côté, soit au-dessus de nous ; elles nous sont immanentes, inhérentes, constituent la base même de tout notre être, tant matériel qu’intellectuel et moral ; au lieu donc de trouver en elles une limite, nous devons les considérer comme les conditions réelles et comme la raison effective de notre liberté.
J’entends cette liberté de chacun qui, loin de s’arrêter comme devant une borne devant la liberté d’autrui, y trouve au contraire sa confirmation et son extension à l’infini ; la liberté illimitée de chacun par la liberté de tous, la liberté par la solidarité, la liberté dans l’égalité ; la liberté triomphante de la force brutale et du principe d’autorité qui ne fut jamais que l’expression idéale de cette force ; la liberté, qui après avoir renversé toutes les idoles célestes et terrestres, fondera et organisera un monde nouveau, celui de l’humanité solidaire, sur les ruines de toutes les Églises et de tous les États.
Je suis un partisan convaincu de l’égalité économique et sociale, parce que je sais qu’en dehors de cette égalité, la liberté, la justice, la dignité humaine, la moralité et le bien-être des individus aussi bien que la prospérité des nations ne seront jamais rien qu’autant de mensonges. Mais, partisan quand même de la liberté, cette condition première de l’humanité, je pense que l’égalité doit s’établir dans le monde par l’organisation spontanée du travail et de la propriété collective des associations productrices librement organisées et fédéralisées dans les communes, et par la fédération tout aussi spontanée des communes, mais non par l’action suprême et tutélaire de l’État.
C’est là le point qui divise principalement les socialistes ou collectivistes révolutionnaires des communistes autoritaires partisans de l’initiative absolue de l’État. Leur but est le même ; l’un et l’autre partis veulent également la création d’un ordre social nouveau fondé uniquement sur l’organisation du travail collectif, inévitablement imposé à chacun et à tous par la force même des choses, à des conditions économiques égales pour tous, et sur l’appropriation collective des instruments de travail.
Seulement les communistes s’imaginent qu’ils pourront y arriver par le développement et par l’organisation de la puissance politique des classes ouvrières et principalement du prolétariat des villes, à l’aide du radicalisme bourgeois, tandis que les socialistes révolutionnaires, ennemis de tout alliage et de toute alliance équivoques, pensent, au contraire, qu’ils ne peuvent atteindre ce but que par le développement et par l’organisation de la puissance non politique mais sociale et, par conséquent, antipolitique des masses ouvrières tant des villes que des campagnes, y compris tous les hommes de bonne volonté des classes supérieures qui, rompant avec tout leur passé, voudraient franchement s’adjoindre à eux et accepter intégralement leur programme.
De là, deux méthodes différentes. Les communistes croient devoir organiser les forces ouvrières pour s’emparer de la puissance politique des États. Les socialistes révolutionnaires s’organisent en vue de la destruction, ou si l’on veut un mot plus poli, en vue de la liquidation des États. Les communistes sont les partisans du principe et de la pratique de l’autorité, les socialistes révolutionnaires n’ont de confiance que dans la liberté. Les uns et les autres également partisans de la science qui doit tuer la superstition et remplacer la foi, les premiers voudraient l’imposer ; les autres s’efforceront de la propager, afin que les groupes humains convaincus, s’organisent et se fédèrent spontanément, librement, de bas en haut, par leur mouvement propre et conformément à leurs réels intérêts mais jamais d’après un plan tracé d’avance et imposé aux masses ignorantes par quelques intelligences supérieures.
Les socialistes révolutionnaires pensent qu’il y a beaucoup plus de raison pratique et d’esprit dans les aspirations instinctives et dans les besoins réels des masses populaires que dans l’intelligence profonde de tous ces docteurs et tuteurs de l’humanité qui, à tant de tentatives manquées pour la rendre heureuse, prétendent encore ajouter leurs efforts. Les socialistes révolutionnaires pensent, au contraire, que l’humanité s’est laissée assez longtemps, trop longtemps, gouverner, et que la source de ses malheurs ne réside pas dans telle ou telle autre forme de gouvernement mais dans le principe et dans le fait même du gouvernement, quel qu’il soit.
C’est enfin la contradiction, devenue déjà historique, qui existe entre le communisme scientifiquement développé par l’école allemande et accepté en partie par les socialistes américains et anglais, d’un côté, et le proudhonisme largement développé et poussé jusqu’à ses dernières conséquences, de l’autre, acccepté par le prolétariat des pays latins."
Michel Bakounine, extrait du Préambule pour la seconde livraison de L’Empire Knouto-Germanique. Locarno, 5-23 juin 1871, Oeuvres, Tome 4, en libre accès sur Wikisource
Autour de toi Nadedja Tolokonnikova
Autour de toi Nadedja Tolokonnikova
Autour de toi il y a Prata
Autour de toi Nadejda il y a la colonie il y a la Mordovie
Tout autour de toi Nadejda il y a des camps
Autour de toi Nadejda il y a des détenues des détenus
Il y a des gardiennes autour de toi Nadejda il y a des gardiens il y a la Russie tout autour de toi Nadedja Tolokonnikova
Tout autour de toi Nadejda
Autour de toi il y a Tolstoï autour de toi il y a Tchekov
Il y a Pasternak Il y a Dostoïevski il y a Platonov il y a Golovanov autour de toi Nadedja Tolokonnikova
Autour de toi Nadejda il y a Mychkine il y a Jivago il y a Rogogine
Il y a Anastasia Philippovna tout autour de toi Nadedja Tolokonnikova
Tout autour de toi il y a Poutine il y a des oligarques
Autour de toi Nadejda il y a la coupe du monde de foot-ball il y a des matières premières
Il y a des stades autour de toi Nadedja
Le stade de Kazan autour de toi
Le stade de Moscou le stade de Saint-Pétersbourg tout autour de toi Nadejda le stade d’Ekaterinbourg le stade de Sotchi le stade de Nijni Novgorod Nadejda,
Tout autour de toi le stade de Samara le stade de Rostov-sur-le-Don le stade de Kaliningrad le stade de Volgograd le stade de Saransk capitale de la Mordovie Nadejda Tolokonnikova
Autour de toi Nadejda il y a Priamoukhino il y a Pussy Riot Il y a Tchevengour il y a Bakounine Nadedja Tolokonnikova
(Nadejda Tolokonnikova a été condamnée a deux ans de prison pour hooliganisme).