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JO de Tokyo : Corée du Sud et Chine en embuscade 

lundi 16 août 2021, par Christian Kessler

Les JO de Tokyo sont pour la Corée du Sud et la Chine une bonne occasion de critiquer le Japon et autant que faire se peut, de présenter l’archipel sous un mauvais jour.

JO de Tokyo : Corée du Sud et Chine en embuscade

Dès l’installation de l’équipe coréenne dans le village olympique, des banderoles accrochées aux balcons des athlètes sud-coréens délivraient un message quelque peu mystérieux pour qui ne connaît pas l’histoire des relations entre les deux pays : « J’ai toujours le soutien de 50 millions de Coréens ». Cette citation est à replacer dans le cadre des deux expéditions de Corée déclenchées par Hideyoshi le nouveau maître du Japon entre 1592 et 1598 et qui tournèrent finalement au fiasco pour le Japon sous la pression de troupes envoyées par la Chine des Ming en aide à ce pays tributaire mais aussi de la marine coréenne elle-même qui, sous le commandement inspiré de l’amiral Yi Sunshin, infligea aux flottes japonaises pourtant supérieures en nombre une série de cuisantes défaites qui coupèrent les lignes de ravitaillement entre la péninsule et l’archipel. Le message inscrit sur les banderoles faisait référence à une citation de l’amiral qui, selon la tradition historique, aurait ainsi affirmé au roi Seonjo du royaume de Choseon dans l’actuelle Corée du Sud, qu’il lui restait encore 12 navires, à savoir des forces plus faibles que le Japon mais suffisantes pour l’emporter sachant que tout un peuple était derrière lui. Bref, un symbole de la fierté des Coréens d’avoir par deux fois repoussé les envahisseurs japonais à la fin du XVIe siècle ! La Corée voulait aussi rappeler que lors des JO de 1936 à Berlin, Son-Ki-Chong alors appelé Son Kitei par le Japon avait remporté le marathon mais sa victoire fut attribuée au Japon colonisateur. Durant l’hymne national, le médaillé d’or garda la tête baissée, ce qui mit un terme à sa carrière. Dès le lendemain d’ailleurs, le quotidien coréen Dong titra en hangul, langue coréenne alors interdite : « Victoire coréenne à Berlin ». En 1948, Son Ki Chong prend sa revanche et devient le porte-drapeau de la délégation coréenne. En 1992 enfin, le 9 août exactement, soit 50 ans jour pour jour après sa victoire il put assister à la victoire d’un coréen aux JO de Barcelone et justement devant un Japonais ! Même si depuis 2011 le CIO a accédé à la demande coréenne de rétablissement du vrai nom, la médaille étant donc attribuée désormais officiellement à Son-Ki-Chong, il refuse toujours que cette médaille d’or soit attribuée à la Corée elle-même, s’en tenant à son explication traditionnelle qui est qu’à cette époque celle-ci n’existait plus ! Devant les protestations notamment de l’extrême droite japonaise mais pas seulement, et du CIO qui y voyait une provocation, les banderoles furent retirées par la Corée du Sud non sans que celle-ci ne rappelle qu’elle avait obtenu l’assurance en contrepartie que le drapeau japonais impérial (kyokujitsuki) représentant un soleil rouge avec 16 rayons s’étendant vers l’extérieur - symbole pour la Corée et de nombreux pays asiatiques de la domination coloniale du Japon et de l’occupation pendant la deuxième guerre mondiale - ne soit interdit sur tous les sites des JO. Bref, les contentieux historiques et territoriaux entre les deux pays ne risquent pas de se régler de sitôt, d’autant que le Premier ministre de Corée M. Moon, qui avait souhaité rencontrer son homologue japonais M. Suga afin justement d’aplanir certaines difficultés entre les deux pays, a finalement renoncé à se rendre à Tokyo pendant les JO. Sans doute en partie à cause de remarques désobligeantes rapportées par la chaîne câblée sud-coréenne JTBC d’un diplomate japonais de haut rang non nommé qui aurait estimé que le Président sud-coréen se « masturbait ainsi et se livrait seulement à un combat avec lui-même » en voulant venir discuter lors des JO, car le Japon n’avait pas le temps de se préoccuper des relations entre Séoul et Tokyo ! Rappelons à contrario, qu’aux Jeux olympiques d’hiver à Pyeonchang en Corée du Sud en 2018, c’était le Japon qui s’était plaint de supporteurs coréens agitant un drapeau de la péninsule représentant un petit groupe d’îlots en mer du Japon (mer de l’Est pour la Corée) nommés Takeshima en Japonais et Tokdo en coréen, revendiqués par le Japon mais contrôlés de facto par la Corée du Sud. Et si la marine coréenne a baptisé Tokdo un de ses fleurons ce n’est certainement pas à priori pour coopérer avec le Japon. Les deux pays sont pourtant les principaux piliers du dispositif militaire américain en Asie. Mais c’est sans doute le bouclier militaire américain - lequel se renforce encore avec le basculement stratégique vers le Pacifique - qui, en assurant aux deux pays une certaine sécurité régionale, leur permet paradoxalement de donner plus librement cours à leurs égos nationalistes.

La Chine elle, s’est placée sur le plan sanitaire et technologique. Elle n’en affirme pas moins de plus en plus fermement sa revendication sur l’archipel des Senkaku (Diaoyutai en chinois) au nord-est de Taïwan administré par le Japon, en accélérant notamment les incursions plus longues que d’habitude de navires garde-côtes dans les eaux territoriales nippones. Par ailleurs, lors de la cérémonie d’ouverture, un présentateur de la NHK, la télévision publique japonaise, a utilisé le terme de Taïwan lors du passage de la délégation, plutôt que celui de Taipei chinoise pourtant utilisé d’habitude lors de compétitions ou de réunions internationales, ce qui n’a pas manqué d’irriter la Chine. Sur le plan sanitaire, L’équipe de voile chinoise qui a pris ses quartiers dans un hôtel sur l’île d’Enoshima, là où se dérouleront leurs épreuves, s’est plainte d’y côtoyer des touristes locaux qui poseraient un problème potentiel de contamination des athlètes dans les espaces communs, et notamment lors des repas. La délégation chinoise dénonce ainsi ce qu’elle appelle une faille dans le dispositif sanitaire organisé pour les JO, retour à l’envoyeur d’un Japon qui s’est aligné tôt sur les pays occidentaux pour critiquer l’opacité que la Chine opposerait à toute enquête sérieuse sur l’origine du Covid. Sur le plan technologique, la Chine a dévoilé comme par hasard le 20 juillet, à trois jours de l’ouverture des JO, des images de son nouveau train à sustentation magnétique basé sur le système allemand Maglev (acronyme de « lévitation magnétique ») pouvant atteindre 600 km à l’heure, véhicule terrestre le plus rapide du monde, qui mettrait Shangai à 2h30 de Pékin contre 5 heures actuellement. Ce n’est encore qu’un prototype avec pour objectif la création de 9 lignes à suspension s’ajoutant alors au plus grand réseau ferré du monde. La Chine coupe ainsi l’herbe sous le pied d’un Japon qui comptait justement sur ces JO pour présenter son propre train magnétique expérimental à la presse et au monde, comme elle l’avait fait pour le Shinkansen lors des JO de 1964 à Tokyo. La Chine entend bien ne pas laisser la moindre marge de manœuvre à son voisin.

P.-S.

Historien, professeur à L’Athénée Français de Tokyo et à l’université Musashi de Tokyo. A publié de nombreux articles dans L’Histoire, Le Monde Diplomatique, La Vie des Idées, le Figaro (rubrique débats), France-Japon Eco, La Documentation Française, Guerres et Histoire, etc.

Il a publié de plusieurs ouvrages dont : Le château et sa ville au Japon, pouvoir et économie du XVIe au XVIIIe siècle (Sudestasie, Paris 1995), prix de la Fondation du Japon ; le Petit Dictionnaire du Japon : Le Japon en 50 mots (Desclée De Brouwer, Paris, 1996) ; Dans les Archives Inédites des services secrets français, un siècle d’espionnage (1870-1989), (L’Iconoclaste, Paris 2010) ; Le Japon des samourais à Fukushima (Fayard/Pluriel, Paris 2011) ; Les Kamikazés Japonais Dans La Guerre Du Pacifique 1944-1945, (Economica, 2018) ; Les kamikazés japonais (1944-1945) : écrits et paroles (libres d’écrire, 2019) ; J’étais un kamikaze, Ryuji Nagatsuka, présentation et notes de Christian Kessler (Perrin/Tempus, août 2021).

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