La Revue des Ressources
Accueil > Champ critique > Etudes > I love Mehdi Belhaj Kacem

I love Mehdi Belhaj Kacem 

mercredi 21 juillet 2010, par Aliette G. Certhoux (Date de rédaction antérieure : 1er mai 2009).

1 MAI 2009 : PASSAGE DU CHAT DE CHESTER ÉVIDEMMENT EN CONCLUSION. À propos de L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire, de Mehdi Belhaj Kacem ; collection "Ouvertures", éditions Fayard, Paris ; mars 2009.

Avertissement : Dans le cadre de la rubrique "Carte blanche", cet essai a donné lieu à la performance expérimentale publique de son évolution vers sa version définitive, en temps réel connecté des modifications du premier jet, depuis sa parution le 9 avril jusqu’au 20 avril inclus, un jour avant la disparition de son information au sommaire progressif de la page d’accueil de La revue des ressources. La version stabilisée demeurera consultable à son adresse URI respective — dès à présent celle de cette page — et d’autre part il sera repérable en procédant par requêtes dans les moteurs de recherche collectifs ou dans celui de la revue. L’article a le n°1185 présent dans le suffixe de l’adresse.

21 AVRIL 2009 APRIL 21 : MERCI À TOUS POUR VOTRE INTÉRÊT SUIVI AU LONG DE LA PERFORMANCE !! MANY THANKS TO EVERYBODY HAVING FOLLOWED OUR CONSTRUCTIVE WORK IN REAL TIME ! GREAT AND LONG LIFE TO MEHDI BELHAJ KACEM ! GRANDE ET LONGUE VIE À MEHDI BELHAJ KACEM ! MERCI À LUI DE NOUS AVOIR LAISSÉS LIBRES DANS LE RISQUE DE L’EXPÉRIENCE.

[ Abstract in English ]

.

Une présentation du livre de référence

« L’esprit du nihilisme » : titre doublement paradoxal, puisque ce livre entreprend parallèlement, et souvent en même temps, de déconstruire le (pseudo-)concept nietzschéo-heideggerien de "nihilisme" et de décrire ce que, par provocation provisionnelle nous appellerons "nihilisme démocratique". C’est graduellement, par la description phénoménologique de la spiritualité exprimée dans la voix moyenne de toute une époque, que se rouvre alors la voie qui a traversé toute la modernité pensante depuis deux siècles : la "redécouverte" de la Tragédie par l’homme sans dieu(x). S’y établit le "secret" découvert à tâtons par cette modernité, sans avoir jamais été énoncé comme tel : renversant la tradition métaphysico-politique de l’Occident, on démontre que ce n’est pas la Loi qui est la condition de la Transgression, mais le contraire. C’est la Transgression qui est la condition de possibilité de toute législation : non seule-ment "morale", politique et civique, mais technique et culturelle. L’enjeu est considérable : si la philosophie, pour la toute première fois de sa tradition, parvenait à renverser le rapport qu’elle a toujours posé entre législation et transgression, démontrant que celle-ci est la condition de possibilité de celle-là et pas l’inverse ; bouleversant au passage le sens même qu’on a toujours accordé au concept de "Transgression", alors la philosophie destituerait enfin la région de pensée qui, avec l’irrationalisme qui lui est propre, et qu’on a plus que jamais raison de qualifier d’"obscurantisme", a toujours "pensé" la précession de la transgression sur la législation : nommément la religion (le "péché originel"). Cette destitution non seulement court-circuiterait le pouvoir du religieux, mais restituerait ce pouvoir, et la tâche d’en penser les conséquences, à cela dont le retrait, depuis trente ans, est le vrai nom du "nihilisme" et du "retour du religieux" : la politique.

Cette citation est extraite de la page dédiée de l’éditeur de L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire (1), le dernier ouvrage de philosophie, paru le 4 mars, de Mehdi Belhaj Kacem *. Elle contient ce qu’il faut pour favoriser le pari qu’il s’agisse d’un résumé rédigé par l’auteur lui-même ; c’est bien son style de discours, la ponctuation inclus. Aussi, il est à considérer, et serait intéressant à traduire dans les autres langues, pour alerter sur l’ouvrage. En tous cas, c’est de là que nous partirons pour voyager avec Mehdi Belhaj Kacem, explorant ce que l’abstract prédit de la somme qu’il présente, avant que ses 614 pages ne soient dévoilées. À savoir ce qui précède de ses actes.

.

Ce qui est étrange/non étrange.

Mehdi Belhaj Kacem est un penseur imprescriptible au-delà du nihilisme. Il a trente six ans depuis le 17 avril. Il y a à peine plus de dix ans il a écrit son premier roman, Cancer, à vingt ans fondant le désordre et la désorientation glorieux de ses lecteurs désormais attentifs, parce que ce livre parut un an après avoir été écrit mais en même temps que son successeur, 1993 renvoyant à la naissance de son prédécesseur, donc il ne pouvait s’agir de nouveautés mais que d’éternité, chez l’éditeur Tristram (devise : "La littérature c’est ce qui change la littérature"). En réalité l’auteur déclara dans 1993 qu’il avait écrit son premier roman à 17 ans. Immédiatement ses ouvrages furent remarqués dans la revue Art Press et salués par les critiques de la nouvelle Presse. Les livres suivants furent attendus et autant salués par une critique élargie. Il reçut l’attention de personnalités telle Michèle Bernstein, co-fondatrice de l’Internationale Situationniste, qui lui dédia des mots superbes à propos de Vies et morts de Irène Lepic, dans le quotidien Libération où elle était alors journaliste littéraire, en 1996. Dans le même journal, en 2000, le poète et critique Éric Loret lui consacra l’article Belhaj Kacem, le démon de Mehdi, un portrait à propos de L’esthétique du chaos, suivi de Penseur en désordre à propos de Society, paru quelques mois plus tard (*)...

Huit ans après, l’auteur vient de publier cet ouvrage révolutionnaire qui nous anime, L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire au sujet de la pensée moderne, où il démonte le système de la vérité des origines, qui est peut-être la réalisation d’une métaphysique du mouvement, la première qui ne soit ni une vaine hypothèse ni une métaphore, parce qu’étrangement elle ne serait pas attachée à la réalité philosophique du temps ni à celle de l’espace (11) mais à l’événement. L’événement comme abstraction, révélation, métamorphose, et/ou émergence, singularité ou séquence, rythme tendu ou étendu de son mode d’apparition et de disparition, multidirectionnels. La pensée de Mehdi Belhaj Kacem telle qu’ontologiquement elle effectue son corps, ses expériences et ses créatures à nos yeux, dans chaque livre et de livre en livre dans le désordre, particulièrement concentrée sans anecdote dans son dernier ouvrage magistral, en discours de la transgression, serait l’événement manifeste lui-même de sa métaphysique du mouvement.

La Loi est une interruption de toutes les règles en vigeur, dont l’immanence humaine ne peut recouvrir la présence que dans la répétition "pleine" de l’événement ; mais qu’est-ce que cette répétition pleine ? Le contraire de la liturgie matérialiste démoctratique, où l’impasse chrétienne achève de se réaliser : un nouvel événement, le contraire d’un rituel, d’une Messe. Reste qu’il faut le rituel, la Messe, la règle, pour conserver la trace de l’évanouissement de l’évènement, qui est présence pleine. Les religions monothéistes le surent. Mais l’islam fut seul à voir que la répétition était la nécessaire transition d’un événement à un autre : qu’elle n’était là "que" pour tenir le fil entre deux événements. Présentation du Manifeste antiscolastique, col. Antiphilosophique, éd. Nous (2007) ; citation extraite des sites marchands.

Le dispositif dynamique de l’oeuvre en amont du grand livre juste paru me convoque, je vais essayer d’en amorcer une exploration subjective (perceptions, sensibilité, sources) hors de toute prétention disciplinaire. Il y aurait un préalable de la philosophie déclarée de Mehdi Belhaj Kacem dans le processus de création hétérogène de l’ensemble de ses livres, un développement organique de l’agir textuel dès les romans ; s’y nicherait une entrée métaphysique particulière, secrète, sous des représentations violentes du style et du contenu, dans le corps propre des ouvrages dont le laboratoire comprendrait : les références (sociales, culturelles, et les savoirs informés par l’auteur) et les leçons de connaissance personnelle de sa mouvance, incluant son corps biologique, décodés aléatoirement par l’écriture expérimentale qui les met à plat, et recodés arbitrairement par la destination de l’ouvrage rhétorique.

La production littéraire et intellectuelle écrite de Mehdi Belhaj Kacem est prolifique depuis la première oeuvre ; elle comprend un peu plus d’une vngtaine de publications. Il n’est pas sûr qu’on parvienne à compter les ouvrages car certains n’ont pas été réédités, d’autres réédités sous des titres modifiés, il y a aussi des changements d’édition, des transferts en livres de poches, sans jamais rompre avec le premier éditeur qui mène son chemin avec un grand partenaire (ou le grand partenaire mène son chemin avec), crise de l’édition oblige même pour les meilleurs, mais dans ce cas, ça ne peut être mauvais pour l’auteur, au contraire ; de sorte que la bibliographie n’est pas identique dans les sites qui en font l’inventaire et pourtant, ne le croirait-on : avec un peu de patience, tout y est. On voit surtout qu’un nombre de titres communs aux bibliothèques en ligne permet de faire des hypothèses vérifiables à ces sources. Dès la première trilogie romanesque à charge poétique publiée chez le même éditeur, de 1994 à 1996, le travail d’auteur de Mehdi s’est toujours ouvert sur la rupture possible du livre suivant ; ce pourrait être le cas réel à première vue. Seulement l’oeuvre comporte d’autres séries, comme la première, c’est-à-dire des ouvrages associés selon des cycles expérimentaux (plutôt que thématiques), auto critiques entre eux et de plus cognitifs d’une série à l’autre, en dépit d’un apparent désordre... Au long des paragraphes je vais tenter de montrer en quoi. Il y a aussi des ouvrages solitaires qui ont leur place dans l’édifice serait-ce par hasard. Tous ces livres semblent cheminer vers une abstraction de l’anecdotique pour se réaliser peu à peu en philosophie spéculative, pas tout à fait "progressivement" non plus du moins transversalement. C’est à éprouver dans le résultat de ce qui paraît caractériser cet énorme volume de lecture tout juste paru, dont la présentation pourrait renvoyer au questionnement de la première série romanesque (le statut social et personnel de l’existence possible des êtres et des choses extrêmes développées sans entrave par la littérature) ; à savoir en outre que son titre "connaisse" trois autres ouvrages comprenant le même intitulé, ou sous intitulé, "l’esprit du nihilisme" (sans compter des essais possibles entretemps) :

Incipit, l’esprit du nihilisme (Philosophie, éd. Ikko) - 52 pages, chez un éditeur principalement de poésie contemporaine - son premier tome du Manifeste antiscolastique, du moins le premier essai ?

Manifeste antiscolastique : Tome 2, L’esprit du nihilisme (éd. NOUS) - 83 pages (oct. 2007)

L’esprit du nihilisme : Tome 1, Ironie et vérité (éd. NOUS) - 93 pages - qui a du être réimprimé car j’en vois un avec une couverture titrée simplement : "Ironie et vérité" chez le même éditeur, à la même couleur de la couverture (fév. 2009).

Voici peut-être le maître-livre qui recense et compose ensemble le tout, peaufinant les possibles, traçant le profil onto philologique de l’auteur et de son projet, chez un éditeur qui en permet techniquement la synthèse. Peut-être qu’en pointant les questions existentielles qui le traversent, à travers la question du nihilisme, de la loi et de la transgression, on pourrait remonter le cours des ouvrages jusqu’à Cancer ? Mais non, la tentative chronologique échouerait... Entre la disposition anachronique externe des rééditions, qui peuvent modifier les titres ou envoyer un deuxième tome avant le tome un, et la disposition sauvage interne des ouvrages, il y a une hétéronomie pluritransitive, un mode de présentation non aristotélicien de l’oeuvre, en sorte qu’elle soit multiple en plus d’être nombreuse, qui la rend irréductible à l’herméneutique tradtionnelle de la littérature et de la philosophie (dont l’histoire, les genres, et les formats).

Entrer dans le processus de création où le cursus biographique de l’auteur, son mode de vie et ses objets le réalisant dans l’écriture, c’est admettre que le cours des textes tous ouvrages confondus ne comprenne pas de méthodologie, sinon celle qui émergera en solution originale inventée dans son propre mouvement, faisant événement après coup. L’édifice du philosophe est dynamique et dans l’activité d’être fait, il est l’objet de significations relatives entre les parutions, instabilité de l’interprétation que d’ailleurs l’auteur prévoit, jouant les ruptures par exemple entre Vies et morts de Irène Lepic, fin de la première série des récits transformistes et l’Antéforme, ouvrage inaugural des romans conceptuels de la série suivante (qui pourtant renvoie à la multitude littéraire contenue dans Cancer, pour peu qu’on la considère comme un récit déréglé). Après Society il n’y a plus de roman mais des essais aux discours transitionnels et des thèses. Il y a bien cet autre texte, L’ Essence n de l’amour qui n’est pas une phénomènologie de l’amour. Tant d’émotion simplement dite ce n’est pas l’analyser, c’est le destin à part de la littérature du destin. Un livre que l’auteur tenait en lui avant son expérience, peut-être depuis toujours, il savait qu’il le portait dans un recoin de sa peau, ne l’ayant pas voulu lui-même, au contraire de ses autres livres il néantisait de le ressentir possible, un livre qu’il finirait par ne jamais écrire. Un livre plus fort que lui.

Je ne sais pas s’il peut exister des philosophies du mouvement qui puissent n’être pas en mouvement elles-mêmes. En général la philosophie a plutôt tendance à mettre le mouvement en morceaux ; s’agissant de dire la vérité des choses leur mouvement pose un cas d’école ; la vérité de leurs états intermédiaires ne serait surement pas une condition suffisante pour statuer certainement sur leur état général. En général la philosophie laisse la résolution du mouvement à la physique ou à la chimie. Mais ce n’est pas le cas de Mehdi Belhaj Kacem, puisque l’objet de la philosophie qui émerge de lui, des romans aux essais, c’est après ou avec la transgression corporelle la transgression littéraire et poétique puis la transgression intellectuelle, tout ça étant de la transgression non de l’interdit mais de l’énergie en surplus, de toute façon, jusqu’au discours de la transgression lui-même enfin abstrait de l’anecdote donc pour tout le monde, dans le dernier livre.

L’onto philologie à propos des travaux de Mehdi Belhaj Kacem. Ontologie de la "matière" de l’écriture, philologie du temps d’écrire, et leur syntaxe vivre/écrire/penser la philosophie, en interne et en externe de son être imbriqué de collectif (de la même façon que la phénoménologie et l’ontologie). Dans l’extrême singularité intellectuelle de cet auteur c’est en réalité la recherche du collectif qui l’anime ; quand transgressant sa propre condition créative il désigne par le terme "l’ontologique" ce qu’il applique hors de lui à l’Histoire, c’est le collectif qu’il "commet". L’onto, l’être ; le logo, le discours ; mais encore logique, la logique, configuration d’une philosophie possible dans le principe de ces termes déconstruits en une sorte de contraction de l’ontologie philosophique ; mais quelque chose en plus, et moins précis, laissant encore la porte ouverte à l’autre, venant agrandir ce qui est vivant, ce qui continue de se développer ou naît, de dire et de faire : l’ontologique.

On pourrait envisager la même gestation du travail de lecture, même s’il n’en procédait pas de traces matérielles. Dans le cas présent il ne s’agit même pas de lecture, simplement de l’intuition d’y préparer d’abord, par le recours à une subjectivité de notre perception distante ; justement distante, cela permet d’en parler autrement qu’un article de Presse, suivant traditionnellement la parution d’un ouvrage, pût paraître convenir. Il n’y a pas dans notre approche une vision précise des systèmes philosophiques de la métaphysique, de l’ontologie, de la phénomènologie ontologique, abordés dans l’ouvrage selon le résumé qui nous convoque, ni de possibilité d’y circuler de façon prédictible à l’instar du titre, tels qu’ils annoncent le connaisseur qui va leur "régler leur compte" au long des pages ouvrables — car il y a de l’ironie et de l’émerveillement tout à la fois, une énergie active, dans le résumé articulé des idées qui présentent le livre, comme une performance critique en soi, par son auteur.

Si mon approche s’autorise à anticiper la lecture du nouveau livre, c’est qu’elle est informée et au moins logique mais informelle, insuffisante en matière disciplinaire et des nuances infra disciplinaires des références discutées dans l’ouvrage qui en trace sa voie (d’autant plus qu’il ne soit pas encore, pas intégralement, consulté). Le travelling du nihilisme de Nietzsche à Heidegger autorisant le terme de "(pseudo-)concept" me dépasse, dans la mesure où je ne connais pas en quoi il consiste dans l’ouvrage : c’est à découvrir à la lecture. J’ai bien une petite idée, à lire le résumé, mais là encore je me trouve face à une de ces substitutions dont l’auteur a le secret, qui ne sont pas mensonge mais ruse, et qui me rendent doublement modeste sur le débat philosophique, à la lettre, auquel lui seul pourrait prétendre. Je reste dans le sujet qui me tient à coeur, à ce que d’autres livres de Mehdi Belhaj Kacem pourraient m’apprendre auparavant de celui-ci : une stratégie révélant que la philosophie n’est qu’un jeu du sens prêté au monde, son théâtre et loin de le détruire, de le faire advenir plus extrême encore, en "Grand Jeu" de l’existence pas seulement individuelle, mais réellement et conceptuellement (par le concept) collective en même temps ; et ce serait cet événement là, le livre L’esprit du nihilisme : une Ontologique de l’Histoire, celui des coexistences sauvages capables de se régler d’elles-mêmes.

Une real-philosophie a lieu, non plus pratique mais vécue, du monde transgenre à la fois biologique et virtuel où nous sommes parvenus après la post-modernité. Un monde d’altérité qui ne peut être arraisonné mais qui délivre une disposition sociale nouvelle du raisonnement. Je n’ai pas dit l’invention d’une rhétorique mais j’attends un déplacement de l’objet de la rhétorique, depuis l’état de vérité jusqu’au mouvement de son déplacement comme vérité ; et donc la raison d’une inéthique comme éthique de l’événement (où seule l’existence pourrait faire acte de vérité du discours en dépit de l’amoralité de la rhétorique — comme forme) s’imposerait d’elle-même, peut-être ? Devant les paradoxes du résumé de L’esprit du nihilisme : une Ontologique de l’Histoire, qui ne sont pas des ambiguïtés dans leur façon qu’ils ne soient pas ambivalents, mais déterminants de l’activisme du contenu, mon point de vue requiert ma propre capacité de transgression à évoquer des préalables de ce livre pour en questionner l’énigme ; loin de pouvoir la dévoiler, d’inspirer la curiosité de le découvrir dans son grand nombre de pages, à la fois comme une carte (où chaque chapitre de ce nouveau livre serait un essai lui-même) et un territoire (cette pensée).

C’est à comprendre comme un hommage à la création de pensée "bruitiste" de Mehdi Belhaj Kacem, une pensée actuelle des modes de vie extrêmes qui ont inpiré les trangenres littéraires de sa génération, autant que la détermination destinale de l’auteur, à devoir intégrer la philosophie pour éprouver qu’elle existe, et chemin faisant de la réinventer, de la rendre d’autant plus subversive que rythmée (battements du coeur, des veines et des artères)... et donc hommage à l’enjeu subtil de l’entrée magistrale du dernier livre de Belhaj Kacem au plus haut niveau de la communauté critique, sans perdre pied avec la base.

Au fond, chaque livre en différente sorte de Mehdi Belhaj Kacem pourrait être considéré comme l’ayant agi dans l’expérience relative dont il a fait les phénomènes de sa plume. Reprenant le fil symbolique de la discipline vivante de la communauté au-delà des champs du savoir, Mehdi Belhaj Kacem la rend socialement pertinente par droit de fait, victorieusement sans la simplifier, provocant par les références ceux devant lesquels il publie en toute singularité disciplinaire (toujours se mettant en danger) : ses amateurs épars et des maîtres, et des "quidam" dans mon genre qui s’autorisent à penser autrement l’impact du texte sans y avoir été attribués, sinon par eux-mêmes.

Il fait acte.

*

Inventer d’exister.

Donc, dans cette "zone" où j’entre de fait par celui d’y suivre l’auteur, il est impossible de ne pas remarquer au voisinnage de l’ontologie, de la phénoménologie et du nihilisme, que la fenêtre est ouverte sur l’existentialisme. Alors on pense à une onto phylogénèse : non pas l’évolution de la pensée de la tribu ou de la civilisation, qui paraîtrait en ressortir comme un concept philosophiquement contestable, mais l’évolution sociale révélée soudain non comme le fruit des lois mais comme une altérité émergente ; ainsi nous écrirons volontairement "philogénèse" dans la suite, pensant à la philologie de l’auteur, dans le cas original de la construction de ses ouvrages égale à celle du mode de vie de sa pensée. S’il construit une oeuvre originale en connaisseur des références qu’il ébranle quand il les déconstruit, révélant la fragilité de la philosophie académique dont il a appris le dogme rhétorique par lui-même, cela instruit un défi informel mais conçu comme tel. Ce défi serait un mode d’existence procèdant de la construction générale de son "ontologique" de l’Histoire, défi d’existence de sa propre pensée en cela de prométhéen, face aux grands récits défaits du pouvoir dont il ne reste plus que les palanquins.

Un paradoxe s’informe entre la déconstruction du nihilisme "nietzschéo-heideggerien" et la contradiction d’une provocation "provisionnelle" recourant au terme de "nihilisme démocratique", à savoir de plus que l’interprétation ontologique de l’Histoire paraisse contradictoire du principe philologique que l’Histoire affiche de représenter en soi. Ce qui installerait la critique la plus radicale et peut-être davantage, un autre concept de l’Histoire, à l’acte de l’événement. Contre l’Histoire comme récit phylogénétique d’une civilisation, en quelque sorte un récit fatal, déjà prédit à l’origine et donc prédictible, par la ressource d’une raison arbitraire du mode d’existence qu’il prétend englober, et donc un leurre : y aurait-il une histoire vivante, "ontologique", à plusieurs vitesses du temps, des événements et de leurs coïncidences ? Celle qui manifesterait le changement en même temps qu’elle le rendrait possible, à l’instar de la philosophie du mouvement "commise" par son auteur ? L’Histoire disparaissant tandis qu’elle adviendrait en philosophie.

Dans la formulation résumée de la critique de l’Histoire, le retournement de la pensée est manifeste ; il suffit de quelques lignes bien pensées pour nous livrer à l’expérience rhétorique de dévoiler le rôle actif total de l’idéologie dans les sociétés ainsi aveuglées ; entrer dans cette pensée depuis mon désarroi civique actuel : je me dis que cela m’aidera à comprendre plutôt qu’à vivre étouffée sans savoir pourquoi ; je ne veux pas le savoir (je sais) mais le processus extérieur des théories matérialistes, croyances post naturalistes d’un monde qui ne l’est plus que conceptuellement, m’intéresse. Le lecteur peut s’embarquer autrement qu’en spécialiste, il évalue la logique du discours au tableau sensible de son environnement, il voit si cela est pathétique ou ironique, ses expériences personnelles directes et indirectes lui permettent de monter à bord du navire philosophique, que les experts du grément ne manqueront pas d’examiner épistémologiquement en plein vent dans toute sa pertinence métaphysique, quelques lecteurs potentiels ne manqueront pas de s’informer du résultat. Comme ladite pertinence ne fait pas un pli, faute de pouvoir malnoter les experts n’auront plus qu’à répondre, en s’éprouvant au-delà des limites de leur compétence.

L’apparaître de l’Histoire (sa phénoménologie) est ordinairement comprise comme l’épistémologie des événements du corpus social, économique, politique, militaire, etc.. qu’elle attribue par le récit : quelle pourrait être l’incursion qui la rende inhabituelle ou imprévue ? La corporéité et son extérieur non philosophiques (l’ontologie de l’auteur dans une vision philosophique de Merleau-Ponty) semblent traduire en même temps l’enjeu d’une ontogénèse philosophique de celui qui le joue, en quoi consisterait la philosophie chez Mehdi Belhaj Kacem, de s’inventer depuis son mode d’existence en dehors de l’académie, mais sans conteste possible de la part de celle-ci. En tous cas, il ne s’agit pas d’une autre façon d’envisager la quête narcissique, ce n’est même pas un problème de pouvoir mais de puissance possible de la critique ici bas. C’est un combat.

L’émotion du mode de présentation que nous impose la "civilisation" voit le trop de "civilisation" comme un pouvoir oppressif (à la fois instrumental et utilitaire) ; la stratégie de l’auteur pourrait aller jusqu’à remettre en cause le concept de civilisation dans la ligne de l’"Histoire" (puisqu’elle ne serait qu’un viatique du mensonge des origines, et la civilisation fondée par les monothéismes et leur résultante occidentale, un moyen de dominer les autres)... Il s’ensuit d’apercevoir un travail déviant non "par" mais "de" l’autobiographie, consistant en contamination du corpus scientifique et disciplinaire par la condition autobiographique et autodidacte, mais dans un pur exercice technique la plume opère respectivement que le texte s’en saisisse pour les évacuer globalement, parce que l’objet de l’auteur n’est pas la délinquance, mais la révolution. C’est exactement le cas de Mehdi Belhaj Kacem.

Il élabore depuis plusieurs ouvrages une philosophie contemporaine événementielle, parution par parution, transgenre après transgenre, autant à l’acte de destituer son vécu personnel que les genres qu’il plagie cumulativement jusqu’à leur dépassement ironique, que le pouvoir dans tous ses champs disciplinaires, y compris le pouvoir de la langue sur l’auteur et de l’image représentative sur la pensée, (et le pouvoir universitaire), que la clé scellant la voûte : la politique comme croyance. Ses textes sont d’abord des scopies connectées des états perceptifs qu’il traverse et de les constituer en corpus d’écriture, comme s’agissant d’un décodage linéaire, recodé dans l’énergie d’advenir en corpus de pensée.

C’est autant l’acte d’explorer la validité/invalidité des paradigmes philosophiques de la modernité, qu’à dévoiler la politique donnant lieu à un système d’administration social hiérarchisé et dominant, qui dans la violence de s’imposer sans conteste des réalités qu’elle installe, se fonde de fait comme la représentation de l’éthique de la pratique des communautés correspondantes, en réalité contestable pour l’existence. Dans une stratégie métaphysique et post métaphysique ni marxiste ni freudienne, il paraît régler la critique du nihilisme (mais y réfèrant il s’y situe) succédant à l’idéalisme d’une part, et au défaut du matérialisme freudo-marxiste d’autre part, une étude phénomènologique à la fois de la société, des institutions, et de la culture, d’où il délivre l’affect collectif par la maîtrise de l’insurrection textuelle (ce qui libère l"énergie sociale, cognitivement s’entend). Non pas la révolte individuelle ni impulsive qui fait suivre ses réformes adaptées autant dire leur cortège de vicissitudes, preuve à l’appui du vécu des générations rattrapées par leurs propres réformes après 1968 (L’affect), mais peut-être la tendance d’une transgression en commun "raisonnable" (au sens propre d’être raisonnant(e) — la pensée — pas seulement "résonnante" — la rumeur — ni ressentie — l’affect) et d’en faire la libre philosophie, elle-même, une énorme émotion auto-critiquée par le processus de la pensée qui s’en distille à froid.

En effectuant lui-même une transgression des disciplines qu’il subjugue par le style (romanesque) ou la méthodologie (philosophique) auxquels il recourt en les performant, ce qui métabolise ou supplante ses sources, ce n’est pas une philosophie de la transgression qu’il instruit, mais la philosophie elle-même comme transgression.

* *

Double détente des questions de style.

L’émergence générationnelle du romancier Mehdi Belhaj Kacem c’est la confrontation des mythologies, tous les thèmes avant-gardistes extrêmes de l’engouement ludique, critique, et désirant auxquels il s’adonna lui-même au premier plan ; l’émergence collective du philosophe Mehdi Belhaj Kacem c’est l’abstraction de son affect, de ses sens, de son corps, après leur asomption hyperbolique dans les romans. C’est la même création à l’oeuvre, elle n’est pas séparée ni successive, l’expérience romanesque nourrit les concepts philosophiques dans cette configuration de la philosophie de la transgression de la doctrine, chez Mehdi Belhaj Kacem.

En même temps, grâce à la pratique des protocoles et rituels du discours et de la rhétorique qui le rend plastique, procurés par les ressources internes de la philosophie, l’auteur édifié d’exploiter son corpus personnel (l’être et ses couches de connaissance de la même façon que ses expériences sociales ou artistiques sous un angle darwinien) s’en distancie, à intégrer l’hétérogènéité de ses différents objets dans une langue pour l’exprimer autrement ; l’intention caractérisée depuis l’univers contextuel singulier et sensible du raisonnement, tandis qu’il s’exerce, porte l’auteur au débat critique sur les intentions entre penseurs, s’il parvient à le maîtriser. Donc il y a eu un maître, c’est Alain Badiou. Mais il n’y a pas de prosélythisme de la pensée d’Alain Badiou dans la pensée de Medhdi Belhaj Kacem que pourtant il inspire, parce que justement Mehdi n’est pas un prosélythe mais un initié, ce qui porte l’influence à devoir égaler ou dépasser l’art du maître en créant et en performant une pensée propre. En sorte que l’un excelle dans la philosophie des invariants tandis que l’autre inaugure une philosophie dynamique, ce qui pourrait paraître une opposition d’école irréconciliable. Alors que le maître reste le premier lecteur attentif à l’innovation de son ancien élève.

Chez Mehdi l’abstraction n’est ni topologie ni formule mais mouvement de vie sans récit. Sa vie, son œuvre, ses émotions, ses informations, sont traitées en équivalence de toute autre composante du discours ou de l’écriture qui s’en saisit, les alignant en toute indifférence de "nature" et de "signification", avant de les métaboliser par le style ou par le modelage de la rhétorique qui les performe en syntaxe ; l’issue de cette recherche n’est pas le sens performatif du disours par rapport à son modèle de compétence, ce qui asphyxierait la possibilité de la trouvaille, c’est tout au contraire le sens comme événement d’une pensée symbolique de la vie révélée par le discours. Par quoi l’auteur parvient à innover une courbure de la discipline qu’il requiert ou davantage la soulève, en retournant la modernité à contre sens de son flux de pouvoir et de fatalité (la chaîne du progrès, dont celle des méta-disciplines comme progrès des disciplines, ce qui empêche la reconnaisance du transgenre et du renouvellement)...

L’incapacité ordinaire des éditeurs à déceler l’innovation permettrait de comprendre l’impact du progrès en quelque nuance, si on cite Deleuze (toujours dans "L’abécédaire" qu’on aurait pu appeler "La vie mode d’emploi" si le titre ne fut déjà pris, magistralement), parlant des formats d’édition par conséquent imperméables aux singularités et aux innovations littéraires, sauf accident.

L’esprit du nihilisme dans son opus magistral procurerait un autre point de vue sur les dommages collatéraux de "l’Histoire" dans l’organisation des sociétés matérialistes succédant à la postmodernité. Ces sociétés, nous en sommes ; nous les avons traversées et vécues et/ou nous les traversons et les vivons ou les subissons encore comme préjudicielles. A l’issue de l’ère du progrès social associé au progrès technique, quand tout le dispositif de l’équivalence de la valeur qui en dépendait s’est effondré dans un désastre écologique, social (et maintenant financier lequel n’est peut-être que celui des sociétés façonnées par l’oligarchie, en réalité), ce fut au même niveau le désastre durable de la culture. La pensée qui se transmet dans un tel environnement s’est elle-même forgée pour s’en extraire ; quand ses textes parviennent à la conscience du lecteur (si de cela on peut dire qu’un texte le saisisse) c’est pour eux une expérience singulière de l’événement du texte, donc les exemples d’oeuvres choisies ici et là n’ont de semblable aux yeux de tous que de faire ou d’avoir fait événement, comme une évidence commune de cette importance, qui ne dit rien de plus du sens pour commencer. Quand on est d’accord pour dire qu’il s’est produit quelque chose (sinon il n’y a pas d’événement), c’est qu’il est advenu un sens de l’événement dans sa révélation, ce quelque chose en plus d’art ou d’aléatoire, c’est la part maudite de l’événement — ce qu’il dit — (en réalité un cadeau de l’art ou du hasard). C’est pourquoi un philosophe qui s’attache à produire les événements des discours, essais ou aphorismes, comme le romancier talentueux put surprendre à le faire, passe dans un domaine au-delà de la philosophie, qui est celui la part maudite. C’est toujours Mehdi Belhaj Kacem.

Le parcours spéculatif du réalisme (si l’on peut dire à la fois le point de vue et son résultat) qui accomplit pour le lecteur le leurre d’une familiarité avec les visions romanesques hypernaturalistes les plus folles, ou au contraire la distance de la voix abstraite (par désemparement de la représentation) dans la philosophie de Mehdi Belhaj Kacem, est voisin du réalisme "objectal" qui dénaturalise la voix chez McKenzie Wark dans Un manifeste Hacker (2004). Lorsque celui-ci extirpe de la machine du remix textuel qu’il prête à l’invention, au nez et à la barbe du "progrès" dont elle fait son affaire, et de la domination dont elle fait ses luttes, une critique de la critique de l’économie politique et une critique du matérialisme historique, qui font émerger le vectoralisme et sa critique dans une épopée d’aphorismes : il plagie les manifestes politiques de référence pour rendre compte qu’il n’y ait pas de manifeste imprescriptible. De là, à dire que Mehdi "hackerait" la philosophie pour faire la sienne, cela n’aurait rien de choquant ni "dévalorisant".

Le "Hacker" de Mehdi c’est le "Trickster", le rusé (par une altération imbécile d’autres entendront l’escroc, tant pis pour eux) ; dans une sorte de re-interprétation du nom de l’auteur-compositeur qui a inventé le Trip-hop, Tricky (celui qui trouve le truc, l’intelligence de la rue) dont Mehdi fut un amateur passionné de la première période, celui-ci a écrit Théorie du Trickster (9). Seulement ce n’est pas si simple, car il y a aussi The Trickster, A study in Native American Mythology (1956), de l’anthropologue Paul Radin que peu connaissent en France, même s’il a travaillé avec Jung pour publier ensuite une version française Le Fripon divin : un mythe indien (10), ouvrage collectif avec Paul Radin, Carl Gustav Jung, et Kerényi, immédiatement traduite en 1958 (réd. Georg et Cie, collection Jung, 1997).

On revient ainsi à l’onto philologie, signifiant par là qu’extérieurement des intentions déclarées de l’œuvre, celle-ci délivre l’hétérogènéité d’une solution originale de la construction de pensée qui absorbe le cursus singulier de l’auteur (toutes sources et expériences confondues), pour le propulser au-delà.

* * *

La question de la bio-bibliographie de l’oeuvre est celle de la beauté de l’intellect se débarassant de l’auto-biographie.

Chez Belhaj Kacem, l’équivalence se trouve dans ce qu’il résulte d’abstrait de la biographie des expériences extrêmes de son corps et de ses neurones, intégrée depuis le romancier poète de Cancer dans l’édifice paradoxal en sorte de question de vie et de mort, d’une écriture qui se forme à l’épreuve de dépasser la limite de crédibilité sociale des proliférations métaphoriques, jusqu’à Vies et morts d’Irène Lepic (éd. Tristram, 1996). Dans ce livre, la transexualité vocale du texte comme scénographie de la confusion identitaire des genres est à la fois la mise en dérèglement expérimental du roman et une interrogation de l’être dans le miroir de la communauté (les goths) ; mais la voix littéraire transgenre de la femme qui parle avec la voix de l’homme — l’auteur — la voix d’Irène Lepic : c’est lui qui cherche le sens.

Puis c’est l’expérience de L’Antéforme (éd. Tristram, 1997), ou la question d’abstraire la représentation, dans la vision d’Hiroshima égale à l’état dévasté de la structure personnelle de l’écrivain (qu’il s’agisse de la déconstruire, de la reconstruire ou de la construire), et l’altération des mots de l’archive et du temps présent, dans un triple recours stylistique..

Pour donner un peu de lumière à la philosophie du corps biologique qui s’accomplit en corps propre sémiotique, puis se succède en corps propre philosophique, il y aurait, à l’horizon du corps organique diffracté en tous objets sensoriels et sensitifs et ces objets diffractant réciproquement dans la plupart des livres de Mehdi Belhaj Kacem, de L’Antéforme (7), dont on peut concevoir le premier galop dans les dérèglements nutritionnels de Cancer et un autre dans les changements métaboliques de la voix de "Irène Lepic" : le plagiat lointain de Guyotat, pour la quête de la langue propre des progénitures, à la fois l’intégration de la vie devenant génératrice par l’écriture, et celle-ci devenant autonome en syntaxe générative des objets de l’oeuvre qui procrée d’elle-même (d’autant plus sensible pour Mehdi qu’il entende la langue arabe traverser "lalangue" française de Guyotat) ; comme une sorte d’aléa de la catastrophe ou de la merveille de vivre son temps biographique, quand il ressort en structure créative ; il y aurait encore la graphomanie de Jules Doudin, ou la dénaturalisation de la langue in extenso pour la faire advenir non sociale, en puissance d’oeuvre d’art ou de poésie étrange et altière chez Doudin, et chez Mehdi de l’expérimenter pour l’hyperréaliser afin de faire surgir a contrario la langue sociale dans un dispositif ironique du miroir, contre la langue de la communication pour ce qu’elle ne puisse procurer de sens de pensée exprimée (mais seulement procurer des signes utilitaires, du fait concret de son échange présignifié, sinon l’affect ou l’intuition du domaine de l’"impensé"). Il y aurait enfin ou d’abord, pour la globalité de l’insolence persistante, impertinence pertinente, les altérations orthographiques typographiées d’Isidore Ducasse, quand lui-même signe Comte de Lautréamont le plagia poétique des savoirs et de la morale dérisoires de son temps, dans Les chants de Maldoror ; mais Isidore Ducasse signant sous son vrai nom Poésies I. et Poésies II., où il pose la question de la philosophie sur le fond contre la représentation.

Ducasse présente Poésies comme une publication "permanente" : inépuisable et ouverte à sa succession comme s’agissant de son propre développement, et "sans prix" (4), hors valeur, abstraite du "marché" (mais pas de l’échange). Contraire de la marchandise absolue qui informe le marché de l’oeuvre d’art en rupture de la valeur d’usage, par la valeur d’échange sans rapport d’équivalence, chez Baudelaire, lorsque dans les Salons il pressent à nos propres yeux quelque chose comme l’autonomie sociale et économique possible de l’argent de la finance dans les sociétés post-modernes (où d’autres ont vu une répétition de l’arbitraire du signe pointé par le linguiste Saussure).

Concernant Mehdi, il s’agit d’éprouver les limites du corps avant de passer au domaine abstrait de la langue, qui l’exhausse, et à celui des idées pour en dépasser ces limites. C’est la condition informelle/formelle de la désindividuation de la langue représentative respectivement appropriée, visant à faire advenir l’écriture philosophique comme subversion abstraite de cette individuation, au crédit de l’événement du "sens permanent" (résultant de la pensée de l’expérience comme potentiel partagé par tous indépendamment des "civilisations", et cette cognitivité du sens permanent et commun de la différence, substitué à l’universalité d’un seul concept pour tous) étant une philosophie "anti-impérialiste" (Spinoziste ?)

Et cette aventure, où s’élimine la validité des clichés des références reproductibles, fonde une langue cognitiviste, critique du réseau social de la communication, qui advient en "novation" à un autre niveau.

Isidore Ducasse voyait une suite sans fin à travers les lecteurs et les adaptations possibles par d’autres (de) Poésies. Aller plus loin dans la libération de la pensée pour elle-même, pour la beauté de sa déambulation nomade, existence mobile à la fois insaisissable mais incontestable. S’arracher à la trivialité du monde en l’empoignant par l’intellect qui se définit depuis le chaos de son auteur, et cette quête d’abstraction à réaliser comme telle non seulement par les mots (ce serait insuffisant) mais par leur publication, comme un rituel qui en proclame le libre événement, fécond parmi tous et pour tous. L’événement du livre consistant dans la disparition de son créateur (plus simplement dit-on "couper le cordon ombilical), et la répétition de cet événement dans la multiplicité des oeuvres, pas seulement d’un auteur mais de tous et tous les actes de création compris. (Manifeste antiscolastique).

Tout cela est prédit par le dynamisme hyperbolique de la présence corporelle de Mehdi Belhaj Kacem dans son oeuvre, une assomption n’ayant d’autre vocation que finir par disparaître dans sa propre ellipse pour réaliser la version qui en procède par le texte ; c’est la part de l’auteur auto-sacrificielle de sa biographie, en échange de l’événement produit par l’écriture, où celle-ci jouerait le rôle d’un passe-muraille à deux niveaux, du réel au virtuel et de la virtualité à sa nouvelle réalité. Il a plus avec le dehors, car la rubrique perpétuelle des "nouveautés" scande le rythme d’ensemble de la marche de l’oeuvre extérieurement de ses ouvrages, dans la chronologie de ses apparitions en librairie paradoxalement non linéaire : une oeuvre peut en incruster ou en distraire une autre. Et tout cela comme philosophie de la vie à pouvoir en advenir, en "naître", intégralement parmi les autres.

RÉALISER

Quand Mehdi Belhaj Kacem réalise un vampire textuel, c’est à l’épreuve de résoudre la contradiction moderne de l’intelligence et du pouvoir entre le poète (l’inspiré) et le philosophe (le dominant) ; il effectue le cannibalisme d’une voix par l’autre : Enquête sur la phénoménologie du vampire est en quelque sorte la postface de L’esthétique du chaos (éd. Tristram 2000) qui était déjà pratiquement achevé au moment où cet essai qui s’en ressaisit fut écrit, ou la préface de Society - jeu investigatif et aventurier sur la communauté désavouable (éd. Tristram 2001) qui allait succéder au texte sur eXistenZ — du film de David Cronenberg ; en fait ces deux grands textes, qu’on pourrait appeler "discussions", ont chacun donné lieu à un chapitre de "Society". La "communauté désavouable" est une déviation ou un concept critique de La communauté inavouable (1983) du romancier, philosophe, critique et essayiste, Maurice Blanchot, mais encore de la lecture créative qu’en fait Jean-Luc Nancy, depuis son ouvrage La communauté désoeuvrée (1984) ; plus encore que Nancy universitairement intégré, dont Mehdi est proche, depuis la revue expérimentale EvidenZ qu’il avait crée avec des amis et dans laquelle Jean-Luc Nancy avait publié (op. 2, De la lucidité, éd. Sens & Tonka, 2002), Blanchot présente une singularité exemplaire, magistrale, de l’essayiste littéraire trans disciplinaire extérieur à l’université, pourtant reconnu par cette hiérarchie : il y a un véritable encouragement de pouvoir vaincre, pour un auteur de défi depuis l’autodidacte, comme Mehdi Belhaj Kacem, "formé" par la pratique cocntinue de l’écriture, comme développement élargi du champ de l’expérience vers la pensée, "initié" à la philosophie dans un contact direct avec des maîtres. D’ailleurs, ces deux "discussions" constituent des essais en eux-mêmes ; le vampire textuel a été publié en 2000 dans l’opus n°1 de la revue www.criticalsecret.com, versions numérique (puis typographique) ; l’autre, simplement numérique dans l’opus n°4 de la même revue, a finalement paru sous la forme d’un ouvrage corrigé, repris et finalisé après la lecture du texte par Cronenberg et une discussion entre lui et Mehdi, à propos de la forme cinématographique traditionnelle et de son entropie par le jeu : eXistenZ, lecture d’un film, toujours aux éditions Tristram, en 2005).

Il manque dans cette liste beaucoup d’autres ouvrages de Mehdi Belhaj Kacem et aussi beaucoup de versions d’éditeurs (en passant par Denoël ou Sens & Tonka) des essais dont nous citons les titres, ou l’exploration d’un même contenu sous un autre titre, tous différents dans leur corps éditorial propre : ce sont des répétitions variables. L’oeuvre de Mehdi est à la fois proliférante et diversement multiple. Instable — si proche des mouvements de l’esprit qui l’élaborent organiquement que volontairement instable comme le corps — du moins jusqu’au livre neuf qui vient de paraître.

Ainsi, chaque grand livre compose une série cumulative d’essais, qui pourraient chacun faire l’objet d’un livre séparé (mais qui ne seront jamais des reproductions à l’identique de ceux qui l’auraient déjà été ou pourraient suivre même sous le même titre), qui le structurent et le rythment dans une version dilatée du tempo et du travail de l’esprit que l’on réserve généralement aux livres d’aphorimes. Rien que cela est inoui. Il faut y trouver un encouragement de le découvrir désirant, je dirai voluptueusement serait-ce violent, en zappant patiemment d’un essai à l’autre, diachroniquement d’un livre à l’autre — et je dirai : jusqu’à inclure les premiers romans. C’est justement cela qui prend sens commun de l’originalité contemporaine de l’oeuvre de Mehdi Belhaj Kacem, à la fois dans sa synchronie et sa diachronie contradictoires personnelles, selon son vécu contemporain propre, mais toujours en toute cohérence de sa recherche, avec l’expérience particulière, ironie de la lecture médiatique intégrée de son temps, de l’intelligence qu’il propose aux lecteurs au-delà qu’il soient des consommateurs de communication. Lire Mehdi Belhaj Kacem est une aventure critique à la fois discontinue et continue avec ses textes, et l’émotion de leur évidence dans chaque lecture intégrale de ses séquences, au delà du temps brisé environnant, dont lui fait son affaire, par quoi il nous aide à la fois souriant et gravement, à ne pas être les victimes du nouveau monde.

* * * *

L’activité d’une pragmatique inéthique de l’intellect répond radicalement à et dans la "communauté désavouable".

La transgression d’une métamorphose par la suivante, en tant que processus d’abstraction, est un événement aléatoire quoique logique, prédictible d’événements aléatoires quoique logiques : entendre par là que tous les événements prédits y compris statistiquement ne se réalisent pas forcément, dépendant en partie de concours de circonstances imprévisibles, court-circuitant ou déroutant les projets ; or justement il peut en advenir d’autres que seule l’intuition intellectuelle de l’altérité, ou la prédiction du collage réel ou conceptuel dans l’écriture, comme Burroughs l’a exprimé, peuvent permettre d’imaginer.

D’autres sources contextuelles ou coïncidences sensibles, peut-être ? Il y a bien ce livre de George Didi-Huberman : La Ressemblance informe, ou Le gai savoir visuel selon Georges Bataille, publié chez Macula, en 1995... Je ne l’ai découvert que récemment, dans la bibliographie de son auteur. Mehdi le connaît-il ? Probablement. Et puis, de l’attribution de la répétition dans l’affect, à l’image mouvement, en passant par l’attribution de l’image dans la plasticité de la pensée chez Catherine Malabou (qui cite Lyotard), l’idée de la pensée comme mouvement non pas du sens mais sensé lui-même, qui paraît se dégager de la succession de l’œuvre de Mehdi Belhaj Kacem, dit peut-être aussi comment Deleuze y est niché autrement de lui-même.

Sa révolte philosophique existentielle c’est d’abord ce qu’il explore du potentiel cérébral par l’écriture comme en poésie — la situation romanesque, ou la métaphore générative de l’écriture puis la stratégie de l’écriture réalisant sa recherche, jusqu’au fond de l’exploration s’il est un fond du moins au terme de l’excès — ; la question, c’est toujours et dès Irène Lepic, celle qui émerge de l’écriture pratiquée aux extrêmes de son expérience comme valeur symbolique générale : ce qui apparaît comme le sens même quand Mehdi fait face à son propre nihilisme ontologique, existentiel, de ses débuts.

Ainsi, il vogue vers des ouvrages plus spécifiquement philosophiques (de plus en plus abstraits de la représentation), encore qu’il n’y ait pas de rupture dans les questions posées sur le sens, ni dans le principe des tentatives d’y répondre par une succession de métamorphoses de la plume et des situations, jusqu’à la situation du questionnement philosophique lui-même, comme discours de "désemparement" de la biographie en ceci : après avoir travesti cette question (cetté énigme d’exister par l’événement du livre) dans la série des romans poétiques puis dans ses premiers essais intermédiaires de la seconde série, de l’avoir étendue à la question du mode d’exister possible ou impossible de la communauté tout entière — sans laquelle l’objet de la philosophie non comme acte d’art, mais comme acte collectif, ne pourrait exister.

Quand on regarde les ouvrages de Mehdi Belhaj Kacem en les considérant rétrospectivement, on se dit qu’il s’agit d’une cascade de transgressions, notamment sur la question du sens comme révolte de l’existence, de l’émotion à l’abstraction, que toute cette œuvre n’a qu’un seul profil, accidenté, et ceci par le même processus que la philosophie originale qui en émerge maintenant : à l’instar de la primauté de la transgression "instituante" sur la loi instituée.

Il est possible d’évoquer une pensée organique de l’hétéronomie culturelle — trans historique, et trans-sociale, trans-biologique, comme pensée de la communauté élargie — non plus l’autonomie moderne des Lumières (séparation des savoirs, rationalisme de l’organisation, autonomie de la détermination), ni une méta philosophie métaphysique d’après la modernité (encore moins une épistémologie), mais une nouvelle philosophie de l’hétéronomie disciplinaire et biologique — sa propre discipline, son propre rythme d’existence, non la schyze mais une philosophie cognitive tous extérieurs et intérieurs confondus et donc générale. Ce qui fait en même temps l’invention d’une culture hétérogène en mouvement existentiel y compris des choses, vitale, dans un rapport d’équivalences symboliques du privé au public (de l’intime à la publication) et selon les œuvres, du personnel au commun, plutôt que de l’individuel au collectif comme aptitude de compétence enseignée ou formée —. Mais pour finir, de toutes façons c’est la communauté tout entière qui parle à travers lui, comme si Irène Lepic était à la fois l’individu et l’altérité, la condition humaine et la sphinge. Sans marque identitaire ni expression de la hiérarchie, entre la souveraineté de la connaissance et la souveraineté civile, il y aurait comme la manifestation d’un impact civique incroyablement situé, au-delà du livre et de la cité.

* * * * *

La répétition de l’abstraction de l’image — et l’événement qui se produit au moment de l’évidence de leur disparition — fait l’événement novateur de la pensée qui se construit de cette succession, dans l’ouvrage et d’un ouvrage à l’autre : car l’actualisation des idées par leur re-présentation dans un nouveau livre en change la donne et le réultat, chez Mehdi Belhaj Kacem, comme chez d’autres auteurs. Mais chez Belhaj Kacem un livre fait de plus diparaître l’autre, il y a des morts. (En somme ce seraient des livres-vies, comme Balzac put en rêver ; et les "progénitures" ici, ce seraient les ouvrages eux-mêmes, se générant les uns les autres en épures accomplies de leur grand métissage).

Si la stratégie de l’écriture est aussi celle de l’intégration sociale, chez Mehdi Belhaj Kacem, c’est sans distinction réciproque de l’intégration de sa pensée à la société ; et on le suppose bien à présent, sans se soumettre aux règles de compétence et de performance des savoirs (comme philosophie et capacité de la produire — voir de la reproduire), pourtant c’est encore d’être capable non seulement d’en plagier mais d’en performer les règles, extérieurement de l’institution, ou de les égaler par le développement de la philosophie comme une pratique intellectuelle de la connaissance de soi et du monde, dans (et en même temps que) le mouvement même du monde quand il vit.

Autrement dit, la plasticité du monde dans la pensée de Mehdi Belhaj Kacem se déploie dans la continuité a-directionnelle de ses préséances, non plus en inventant une durée de l’œuvre simulant ou reconstruisant la durée collective (comme un romancier tel que Proust a pu le faire de la communauté sociale à la marge de l’Histoire) ni une évolution de la discipline, mais dans les ruptures d’une abstraction de la biographie comme de l’épistémologie de la discipline, s’effectuant au long de l’œuvre, abstraction de la représentation — formes sociales, littéraires, avant-gardistes, langue — y compris abstraction de l’idée ou du concept comme image cherchée et formée, pour faire advenir la pensée sans pareil ni appareil : non pas en objet mais en réalisation à la fois inédite mais indissociable de son entour, étant son paradoxe ou plutôt cette énigme que le cerveau ne dise pas à lui seul la pensée.

On pourrait penser qu’il n’échappe pas à la représentation du discours philosophique puisqu’il le performe, seulement il n’y a pas de compréhension de la philosophie de Mehdi Belhaj Kacem sinon partielle, ou alors comme abstraction pure de ses référents, sans la "cognitivité" de l’ensemble de son œuvre comme pratique sociale (publiée). Il n’y a pas d’image dans la pensée philosophique de Mehdi Belhaj Kacem parce que c’est la pensée elle-même sans habillage qu’après L’Antéforme il poursuit de vouloir réaliser sans comme l’événement de l’autre (que par définition on ne peut représenter : pas seulement l’autre de soi mais l’autre comme concept de ce qu’on ne connaît pas, et qu’on ne peut donc soumettre au discours ni évaluer) : la pensée comme altérité en soi (ce qui était déjà une des limites épinglées par Heidegger à propos du mal radical de la pensée raisonnée parvenant à son point d’excellence extrême, comme le rationalisme ordinaire exercé dans son principe radical tel qu’Hannah Arendt put l’évoquer dans son reportage du procès de Eichmann), sauf que chez Mehdi Belhaj Kacem c’est au-delà : la réalisation collective de l’autre comme objet étrange du commun en partage, et le concernant, émergeant de la langue et de la pensée comme invention du monde.

Il n’y a pas d’image dans la pensée de Mehdi Belhaj Kacem comme pensée du monde et de la discipline en temps réel dans le monde, parce que c’est son propre corps dans le processus lui-même, comme philosophie de la raison (cette abstraction comme un don de part maudite du corps physique émergeant en corps propre de l’intellect, sans forme et sans valeur) qui constitue l’innovation de sa philosophie. C’est une philosophie contre la représentation et c’est aussi en quoi elle est révolutionnaire, parlant de ce qui change sans l’assigner. Cette spatialisation dynamique du processus conceptuel en temps réel de ses actes et de la suite de ses ouvrages s’accumule en énergie, sans dresser de ses objets une topologie du savoir ni un tracé des sources qui l’intéressent... Le tout prend la place des représentations du récit historique, durée signifiée, identitaire de la communauté occidentale (et non pas créatrice comme on l’a dit du roman de Proust, en ce qu’il réaliserait la philosophie de Bergson) ; l’Histoire, par conséquent linéaire et « fictionnellement » sans rupture, sauf les guerres (comme continuation de la politique par d’autres moyens), proposerait une tradition culturelle rétrospective, par conséquent purement idéologique — et arbitraire : contre quoi tout l’être et l’écriture de Mehdi Belhaj Kacem sont tendus par y opposer l’événement intellectuel en lui-même comme temps réel de la transgression, au grand dam de la cité du désespoir.

La gravité de l’ironie (9) et du jeu sont des thèmes organiques (structuraux) récurrents, émergents, et/ou constructifs et en tous cas spéculatifs, dans la plupart des ouvrages de cette oeuvre, dont la philosophie spéculative elle-même serait en quelque sorte, comme on l’a déjà suggéré, le "Grand Jeu". Le grand jeu dans tous les sens du terme, y compris guerrier par les voies de la réversibilité de la pensée, laquelle pour être révolutionnaire — non systémique — doit excèder le Grand Jeu hors de lui-même, dans son temps contemporain. C’est la part d’aléatoire entre le véritable événement de l’oeuvre et son avenir au-delà du moment de sa publication, pour qu’elle ait un destin propre, qui n’est pas celui de son auteur même si à la faire il en édifie aussi le sien (ce qui n’est même pas le cas de tous les auteurs, mais l’est de l’engagement à long terme par le texte, chez Mehdi Belhaj Kacem).

* * * * * *

Le retournement de la logique est une manifestation d’altérité opposable à l’économie utilitaire de l’existence (8).

L’attaque philosophique de la philosophie par Mehdi tout entier tendu vers cet objectif peut-être, depuis L’enquête sur la phénoménologie du vampire, tout en rompant avec ses épisodes littéraires avant gardistes préalables égaux à ses excès physiques comme leur matière même, loin d’être négligeables au contraire édifiants, serait donc de régler le compte de la représentation à tous les niveaux du récit et du discours. Il réintègre abstraitement Sade mais certainement aussi la conception économique de l’énergie chez Bataille, et voici de nouveau la part maudite du corps se convertissant en pensée, ici le contre-don partageable du don radicalement impénétrable de son corps et de ses abus expérimentaux ou adictifs, dans la pensée de la communauté qui en émerge : par là il se sauve en soumettant son corps à être extrapolé abstraitement dans sa propre philosophie. Il met son corps au calme de la philosophie en transférant son impatience dans le retournement philosophique de la loi par la transgression héritée de la violence de l’expérience. Baudrillard avait clamé la fin symbolique de la philosophie moderne, de l’économie et de la philosophie politiques, et a fortiori de la métaphysique, il cherchait des solutions réversibles (réponse incontournable à ses yeux) pour aller vers une nouvelle ontologie de l’être, il ne les avait pas imaginées provenir d’un discours critique au sein de la discipline déchue mais dans son retournement externalisé (du moins à ce jour l’ai-je interprété de cette façon). Au contraire, Mehdi cite une logique conflictuelle interne liée au secret philosophique comme un mensonge primitif, désinformé par les monothéismes jusqu’aux philosophies de la modernité, contradiction inexprimable évoluant en paradoxe explosif en deux millénaires, telle une masse critique d’une force de propulsion non reproductible (non systémique) mais croissante et événementielle, serait à l’œuvre d’une révolution paradigmatique dans la société actuelle.

Ce n’est plus une sorte de fiction comme la cas de son vampire, c’est l’événement philosophique réalisé lui-même, plus fort que tout effet procédant de la réalisation de l’image.

Loin de Baudrillard mais pas si loin, à l’instar des bombes à retardement des aphorismes réversibles, dans l’énoncé critique de la société et de la culture chez Baudrillard, Mehdi envisage la conceptualisation élargie du retournement paradoxal, jusqu’à la globalité disciplinaire explosive elle-même, prédisant ou révolutionnant son entour. Lorsqu’il intègre les épreuves de la solitude de sa recherche, et son environnement de références, avec sa plume transgenre d’autant plus poétique qu’elle performe l’exercice le plus radical possible de la philosophie, et justement philosophique étant parvenue à ce terme certainement incontestable — il y travaille depuis dix ans comme s’agissant de précision plutôt que d’honneur — ; il cible en plein dans le mille l’ère du "héros sacrilège" (Mizoguchi) comme sorti d’un manga manifeste, hackant l’existence altérée pour ce qu’elle vaut de libération de différence victorieuse à l’acte de se former elle-même avec les autres, au-delà du bien et du mal — si la loi la règle et la tendance de la règle sont le bien égal au mal, à l’échelle de la transgression.

Autrement dit, l’insolence constructive du bâtard (au sens sartrien) qui ne se donne pas de survivre, mais au contraire de vivre la puissance de création et d’invention que sa faculté subversive, par constitution altière, lui vaut sans équivalence d’être dans la cité, serait non pas le philosophe mais son processus même, telle une réflexion hétérogène interférant avec le monde égale à celle du monde, capable d’ancrer une philosophie organique de l’hétéronomie trans individuelle, par delà la révocation de l’Histoire comme structure vide et icône du pouvoir. Ceci n’étant qu’une affaire de philosophie au delà de la métaphysique, sans le moindre méta rapport avec la notion de progrès en modernité (donc enfin, d’autre part de la postmodernité et d’autre part de la critique du matérialisme historique et de la dialectique matérialiste). Une philosophie du paradoxe et du retournement (procédant des métamorphoses en cascade comme métaphysique de la vie, indifféremment personnelle et sociale, mais où l’image ne cesse jamais de se défaire pour changer, pour être prête à changer avec la vie et avec le monde), comme pensée indissociable de son mouvement : parce que la pensée elle-même serait exprimable par sa mobilité — irreprésentable.

Il reste l’événement de la métaphysique du mouvement.

Dans le même saut, le processus non reproductible et extensif de Mehdi Belhaj Kacem pulvérise à la marge de sa pensée, ou plutôt dans son principe même, et donc sans s’en préoccuper, le concept économique de la philosophie cognitive (par la théorie du capital cognitif elle est rattachée à la critique de l’économie politique de la production et au matérialisme historique étant son récit d’un côté, et par le fonctionnalisme elle se rattache au comportementalisme et à sa déviation sociale utilitaire vers la productivité du résultat, de l’autre) : il lui substitue le pragmatisme émotionnel de l’affect comme préalable de la réalisation sociale des masses, compris comme dispositif aléatoire de l’énergie collective — comme il le montre à contre emploi de la révolution dans L’affect (éd. Tristram, 2004) à propos des générations qui ont fait 1968 et donc : ce chemin cognitif empirique ne se validerait comme "génie des masses" que dans sa mise à distance par la critique qui le réalise en connaissance commune mais abstraite de l’affect : la pensée philosophique.

Et tout cela à la fois mais surtout d’en vivre non d’en produire (encore moins d’en reproduire) mais de le répéter (le rythme), installerait l’ensemble mobile potentiel de la connaissance cognitive collective, comme réalité d’une libération de pensée plus génértive que transformationnelle (comme la forme est justement ce dont il conviendrait de se tenir à distance, afin de préserver le potentiel prédictible de ce qui ne peut pas être prévu — Deleuze l’évoque dans son abécédaire, à propos des éditeurs), en termes sociaux d’une transgression "instituante" générale.

Il pense l’événement de la conscience en transformation sans distance avec celle du monde, plutôt que le savoir en tant que résolution du non dit (le secret du mensonge ou de l’imposture) par le pouvoir (récit et domination). Mais il l’instruit depuis l’observation ontologique d’une discipline qui ne s’y prête pas ; aussi l’énergie textuelle de la critique de la transgression et de la loi instruit celle du retournement du mal, comme une réalisation abstraite incontestable, mais dynamique et plastique — au delà de l’ontologie mathématique (justement statique) des invariants abstraits reproductibles, dans la philosophie de Alain Badiou, son maître initiatique.

Et donc de la spatialisation conceptuelle en place de durée constructive, à l’hétérogènéité du monde et de la pensée, à l’œuvre d’inventer, il explose doublement le concept de capitalisme cognitif en ceci : que l’invention ne soit pas la production d’un capitalisme spéculatif, mais l’œuvre du démontage technique, symbolique, à l’acte de "la critique du nihilisme" et de la critique du "nihilisme démocratique" comme transgression, jusqu’à restituer la politique "désintensifiée" en profil général du politique n’advenant qu’en croyance, et non pas en raison sinon de la transgression de la loi pour la loi — comme religion contre la transgression générale.

Aussi il n’y aurait pas d’un côté le pouvoir et de l’autre le peuple, mais un dispositif onto philologique des langages de la transgression intégrés — intégrables — en tout de l’un comme de l’autre masse qui le contient et qu’il contient ; sans prédiction représentative ni formelle, ni dialectique, mais mobile et aléatoire, voire accidentelle, il répond en termes d’intégration dynamique du matériel et du conceptuel — immatériel — d’autre part de la réponse formelle de la plasticité dont Catherine Malabou a conçu une disposition émergente de l’agir "penser" depuis le sytème de l’image, dans une référence à Lyotard sur le processus mental. De la même façon il déplace l’ontologie de Badiou, dans le mouvement intégrateur de la diversité (précisément non homogène) qui installe une énergie à l’œuvre d’innovation du monde sans configuration définie (au contraire du maître) — la pensée toujours en aventure d’elle-même et en capacité non de reproduire des schémas, mais d’instruire la possibilité du changement paradigmatique du monde en mouvement, et de celui-ci, sans le prélever mais d’y vivre en connaissance, d’instruire la pensée.

Belhaj Kacem. Il nous dit par son mouvement de pensée transgressive de la représentation que l’image est l’outil, mais qu’elle n’est pas le processus (à l’instar du media, qui n’est pas le flux), que la topologie n’est pas l’événement, mais que l’événement est peut-être celui de la mobilité aléatoire de la pensée, donc en rien n’étant l’identité ni la "philogénèse" des oeuvres.

Et l’invention, cette formidable propulsion de la pensée n’advenant pas en termes de production, mais de réalisation événementielle aléatoire du projet en commun, au fond, ce serait toujours le défi fictionnel avec le phénoménologue Margel, à l’instar du rôle de Hegel dans la dialectique de la folie de Hölderlin, fiction en ellipse de l’installation textuelle par Mehdi de son vampire textuel à deux voix, "image dans le tapis", rien que le mythe en réalité, qu’il poursuivrait sereinement d’animer en s’arrachant à la fatalité d’être singulier pour accomplir son destin incisif dans la communauté : depuis la révolte personnelle qui l’a mu de l’intime au publié, du privé au public, de l’individuel au collectif — en transgression lui-même.

Un destin ironique mais intégré par la force de sa parole, organique voulant dire une structure indissociable de l’être et de son entour comme production de pensée au monde. Paradoxalement accomplir une philosophie inspirée par l’entremise — je choisis bien le mot — d’un dialogue virtuel (poiëse d’une topologie imaginaire stratégique et extensive) du poète penseur qu’il était, face au phénoménologue avant-gardiste qui se présentait en Serge Margel (jusque dans ses derniers retranchements — après la Phénoménologie du fantôme qui avait inspiré l’Enquête sur la phénoménologie du vampire). Quand Margel, passant de la physique au destin, post métaphysique, en arrive à la critique du religieux, alors il se désigne pour devenir celui qui envisage sur son parcours les "justes questions", mais auxquelles il conviendrait donc de répondre pour les dévoiler dans leur réalité pragmatique, à la façon de Marx à Hegel et aux économistes, en retournant leurs anamorphoses primitives, comme le fait mais bien plus radicalement encore Mehdi : passer au delà de l’économie en étant plus matérialiste que le matérialisme, plus phénomènologue que la phénomènologie... si on revient à l’abstract du livre que nous allons maintenant découvrir, hors d’ici.

Il faudrait donc lire ou relire aussi Serge Margel, ne serait-ce que pour éprouver l’objet différent des intentions philosophiques de Belhaj Kacem au point où il en est, l’impact de son radicalisme conceptuel rhétorique, qui met en avant la révélation de l’événement plutôt que son analyse, l’ellipse de l’image plutôt que sa trace et ses signes et finalement, l’événement non plus comme phénomène. Une fois de plus il fait son cas de la phénomènologie qu’il paraissait convoquer, quand en réalité il y trouve sa force de réplique pour mieux s’en distinguer et comme dans les arts martiaux, la mettre à terre ; ainsi, il accroît la communauté insurgée dans "la communauté désavouable" (Society) de ceux parmi lesquels il ne pourrait se priver d’exister, pour dire et faire entendre sa philosophie.

Alors je me dis que Mehdi Belhaj Kacem est non seulement d’une rare cohérence et son radicalisme implacable, pour ériger l’intégration du sauvage en projet critique de la philosophie contenant la société, mais encore, que ce sont ses défis personnels originaux et leur accomplissement depuis sa vie, qui révèlent la transgression comme un paradigme de la pensée collective de l’organisation, ou de l’organisation sociale cognitive, comme une activité pensante extérieurement de l’éthique (comme "inéthique" ?) qui fonde les lois, dans un retournement de la conception freudienne elle-même de l’interdit et du passage à l’acte.

Et je me dis encore, c’est plus fort que moi, mais toujours je l’ai pensé à le connaître un peu, dans sa capacité de création provocante et opiniâtre, qu’il est un génie de ne s’être jamais départi du projet d’accomplir la puissance poétique, dans les intentions radicales de la pensée visionnaire, pour performer une philosophie vivante dans la lignée de Ducasse mais plus loin ; car il manifeste que la création soit aussi l’impossibilité d’arraisonner la liberté de s’installer en importance au delà des institutions du savoir (ce que Lautréamont Ducasse conceptualise par la poésie l’accomplissant en philosophie, mais sans donner lieu à l’événement philosophique en soi), et cette résolution singulière non pour dominer, mais pour situer les convenances de la vie à plusieurs, comme altérité irréductible à la formalisation représentative de la loi.

Voilà une philosophie de l’insurgé non pas insurrectionnelle mais probablement révolutionnaire au sens propre, tout ce qu’il y a d’impur assumé dans sa gestation et son impact, d’autant plus incontestable dans sa structure qu’elle est l’énergie d’un mouvement singulier sans conformité avec une existence préétablie des choses et de leurs attracteurs, ni un projet représenté, en retour des français pour énerver le monde.

Philogénèse lui dédie la corruption de la phylo (la tribu, la race — la civilisation) par la philo de l’ontologique (l’amour de la pensée à l’acte d’exister, la sagesse en mouvement) : l’onto philologique et le philo ontologique, comme pensée ontophilogénétique externe et interne — l’anneau de Möbius mais qui serait ouvert et non fermé ne serait qu’un passage de la pensée et la pensée : l’aventure d’un merveilleux accident de sens et des rencontres que sont la vie la vie de création et la philosophie, les circonstances, et les coïncidences.

* * * * * * *

Agon.

Il y a encore ce point, soulevé par George Didi-Huberman, lui dont les métaphores au long des venelles de l’intellect ne cessent d’éclore, hyper arborescence féconde au contact des références et des arts, toujours l’empêcheur que la philosophie esthétique tourne en rond ; dans une conférence, il parle de Pasolini et d’Agamben à propos de la disparition des "lucioles" (3) ; il tient un détail chez Aristote qui fait boule de neige jusqu’au point radicalement contestable de l’enjeu de la philosophie de la vérité, qu’en somme il ne soit de vérité définitive (pure) que celle décrétée sur les choses, états, ou êtres, qu’après leur existence. En effet, tant que cela vit, cela peut changer, et aussi le sens : il n’y a pas de vérité possible de telles choses. S’il s’agit de choses vivantes éclairées par la philosophie en quête de les raisonner/résonner pour statuer sur leur sens, il y aurait donc une réalité de la destruction pure et simple de leur existence supplantée, à l’échéance du raisonnement, par leur statut philosophique représenté (cela aussi est chez Ducasse).

L’histoire fait penser à l’entropie dans L’invention de Morel, de Bioy Casares, roman réédité en 1992 (éd. 10/18), qui auparavant avait tant inspiré le cinéma et les philosophes postmodernes, mais aussi à la question de la survivance de l’image telle que Didi-Huberman spécialiste de Warburg l’instruit comme une image déplacée, survivante dans son décentrement... (L’image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, éd. de Minuit, 2002) à savoir : George Didi-Huberman innove un engagement de la pensée collective depuis la question de l’éclairage et de la vérité comme possibilité mortifère, dans l’opposition d’une disposition subtile du paysage altier grouillant de vie, non pas obscur mais discret, opposé à la philosophie représentative en tant que vue et vision dominantes. Selon lui, le vivant, pour être décelable — et vécu — devrait rester protégé de la lumière totale des "projecteurs" qu’il s’agisse des média de la gloire ou du raisonnement de vérité ; les petites lumières des lucioles rassemblées et actives, ce serait l’image de la myriade des cultures, empruntée à Dante ( ?) par Pasolini, qui la requiert une dernière fois dans son article dit "des lucioles" (5) ; lucioles ou "Les petites Lumières" : biologiquement il s’agit de l’insecte coléoptère, métaphoriquement il s’agit des microcultures empêchant l’uniformité fasciste. Quand il écrit ce texte sur "le vide du pouvoir en Italie", peu de temps avant sa mort — le 2 novembre 1975 — où il cite encore le Cahier 11 de Gramsci La philosophie de la praxis face à la réduction mécaniste du matérialisme historique, Pasolini dit que depuis une dizaine d’années les lucioles ont disparu (pour sa part, il avait écrit en dialecte de Frioule pour combattre la disparition de sa langue natale). Mais Didi-Huberman relève que Pasolini ne "voyait plus les lucioles", non qu’elles eussent disparu radicalement (pas davantage biologiquement du fait de la pollution de l’eau) mais que celui-ci fut lui-même trop aveuglé par les "projecteurs" pour apercevoir les petites lumières signalant leur "survivance" en plein Rome, sur le Pinccio (ce qui aurait pu lui redonner l’espoir de la survivance des cultures, déplacées des banlieues où il les avait connues). Sans doute était-il trop péoccupé par des contingences menaçantes liées à sa subversion en pleine gloire, peut-être même pressentait-il sa propre mort. Réponse contestant de la même façon le statut collectif de la vérité philosophique du désespoir, dans la conclusion du dernier ouvrage d’Agamben, le deuxième tome d’Homo Sacer, Le règne et la gloire, paru en France, en 2008 (éd. du Seuil). Et réponse par laquelle Didi-Huberman annonce son prochain ouvrage, déjà écrit mais qui décante, où il parlerait depuis la perception de la vie comme un langage d’activité discret, contre la mortification du monde dévoilé, épuisé — vidé de vie et substitué — par le raisonnement du décret de la vérité.

Justement ce meurtre effectué par le discours, c’est la cible annoncée du dernier ouvrage de Mehdi Belhaj Kacem, mais à l’effet inverse de la mortification de la vie, tuer le dogme pour réaliser la pensée, pour libérer une pensée vivante/non survivante, nouvelle : par la disparition de son corpus d’autobiographie littérale, dans le chemin du raisonnement philosophique qui l’intègre (entropie du discours en place de récit et raisonnement des références). Autrement dit, ce qu’il expérimente des voix dans L’enquête sur la phénoménologie du vampire il en aurait rendu l’objet sa propre écriture, pour construire le discours à l’acte de sa pensée jusqu’à ce livre neuf ; s’il n’y a pas de "fantômes" (ni vestige ni trace) dans ses ouvrages et encore moins à l’issue du dernier, c’est que l’objet de sa voix est de les engloutir — dont ses propres fantômes — en se réalisant, révélation de l’autre surgissement. Sa pensée est événement et présence — la pensée en temps réel de son écriture et de sa lecture révélée chaque fois originale (6), par épisodes répétés et rythmés, qui fondent et développent la structure particulière et générale de l’oeuvre, livre par livre. Mais de plus, détruire l’existence du chemin philosophique selon lequel la politique serait distincte de la religion (la dévoilant par substitution du raisonnement non seulement l’objet de la croyance mais davantage : la croyance religieuse elle-même, et la religion son leurre) c’est allant défricher une mine fut-elle interdite : celle de l’institution du savoir où sans l’autorisation des diplômes on pourrait croire entrer par effraction, quand au contraire Mehdi montre que l’accès est libre, que la clé du savoir est bidon, qu’il suffit d’oser : agir/faire/penser. Ce serait bien aux fins d’en finir une fois pour toutes avec l’hstoire comme récit, et la politique comme tabou, mais encore avec la stabilité philosophique elle-même comme certitude académique (la philosophie étant par le processus émergeant de l’oeuvre qui la génère : instable, et la preuve est dans le renversement de la préséance de la transgression et de la loi)... Et de plus, combattre que la loi soit une préséance de la transgression, ce serait encore chez lui montrer en quoi l’éclairage aveuglant qui est fait de la politique n’est qu’une opacité empêchant de voir d’autres lumières, l’activité des lucioles (la transgression plurielle) non comme image mais comme action ; et donc, aux lucioles il ouvrirait la porte... Oui en nous livrant sa fin prédictible, il n’en définit pas un devenir précis ; sinon le projet de la pensée en mouvement comme effecteur dynamique, en temps réel de la philosophie correspondante, et cette philosophie comme attracteur vital ironique (du paradoxe logique au retournement de sens, avec la ruse de l’intuition inexplicable qu’il y aura quelque chose d’autre à trouver — réalisant en quelque sorte, et sans détour, le "mal radical" de la pensée en philosophie — . Grâce à la distance de son plagiat parfaitement performé, et son ressaissement en toute duplicité de cette pensée et de l’auto-critique de son discours, donnant lieu à une philosophie originale de l’expérience, vitale : rendre la philosophie vraiment vivante, est-ce possible ? En tous cas, ce pourrait être le projet de Mehdi Belhaj Kacem. À moins qu’il ne vienne de l’accomplir avec L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire ? A moins qu’il ne l’ait toujours fait, pour chaque livre, et qu’en cela chaque livre qui n’en aurait pas l’air participe pourtant d’une philosophie générale.

En somme ce serait sa thèse ; elle n’exclut pas la survivance, elle trace autrement, de la terre désertique, comme de lui-même après la bombe, distrayant de leur fonction et de leurs idéologie perdues les outils cassés des catégories, usant curieusement de leurs fragments tirés des ruines dans l’environnement qui ne leur ressemble plus. Ce qui fut toujours la façon de renaître par la pensée radicale, à la fois "matériale" et poétique, en philosophie comme en sciences, dans les cultures sinistrées.

Et à l’aventure de la suite : seule la suite dira la suite.

Lisons.

Il a 21 ans. Il écrit comme un diable. Il joue et jouit avec les mots. Au terme de son voyage fantastique, Mehdi s’est défroqué d’un moi pharaonique et tout-puissant pour se pulvériser en un "concassement de mille Ramsès déterrés". Adolescent adultéré par la vie, mi-chair mi-poisson, il contemple sa mue, avec un vertige, comme si c’était la fausse couche d’un petit alien. Fabrice Pliskin, à propos de 1993, Le Nouvel Observateur (1994) ; citation extraite des sites marchands.

Cancer est un roman noir, au sens où il vous laisse plutôt sombre, après de grandes violences. Cancer est un roman de chevalerie, qui obéit à l’organisation traditionnelle : naissance du héros, éducation du héros, combats du héros. Cancer est aussi un roman scientifique, parce qu’on y apprend beaucoup de choses qu’on ne savait pas sur le fonctionnement du corps. Cancer est un roman d’aventures, c’est-à-dire un roman dont vous ne savez pas vers quels périls sa lecture va vous mener. Un roman d’espionnage, parce qu’il vous fait douter de tout, et particulièrement de vous. Un roman fantastique, parce que c’est fantastique. Un roman pornographique. Et on rit tout haut en lisant Cancer. Et Cancer ne vaut pas 1993. Michel Jourde, Les Inrockuptibles (1994) ; citation extraite des sites marchands.

Pour conclure cette réflexion non exhaustive sur la somme encore moins exhaustive d’une œuvre, à propos du dernier ouvrage de 616 pages que je n’ai pas encore lu (ne serait-ce qu’à devoir compter avec le temps pour le lire entièrement), je rappelle quant à ce livre s’agir d’hypothèses intrépides de ma part pour en éclairer l’approche en zig zag, comme dans la traversée des ouvrages que je connais dont je n’imagine pas pouvoir conseiller de les lire autrement, selon l’inspiration, et faire surgir ce qu’il en ressortira de différent ou de surprenant, ou se confirmant, à la lecture. Ce n’est donc pas à prendre pour une recension ni pour une critique, mais pour une contribution à la passion, amour ou haine, que suscite toujours Mehdi Belhaj Kacem dès qu’il crée, même au cinéma ; car c’est toujours inhabituel, toujours inattendu, toujours puissant dans le charisme des intentions et des réalités, toujours une révélation collective. Même quand il a l’air de se répéter jamais il ne se reproduit. Depuis une conscience de la créativité de l’auteur, à la façon de plusieurs grands philosophes français du siècle dernier, on voit son saisissement violent de la discipline à l’extérieur de l’université, sans précédent dans une époque telle que la nôtre où la convention et les ordonnances règnent (pourtant aussi dans le désordre, mais à leur insu comme elles sont dupes d’elles-mêmes), sinon la pensée des sciences de Jean-Jacques Kupiec à l’œuvre de renouveler la biologie (2)... à propos de laquelle la philosophie de la transgression chez Mehdi Belhaj Kacem pourrait d’ailleurs donner un éclairage (sur le passage à l’acte d’innovation des idées tel que Kupiec en évoque lui-même ses propres conditions, dans la préface de son dernier livre). Nous avons deux grands penseurs non aristotéliciens, il y en peu car cela signifie beaucoup de courage face aux (ou dans) les institutions de l’intellect. Je les salue.

La pensée de Mehdi Belhaj Kacem n’est pas objet ni image, mais leur mise en ellipse pour extraire le mouvement de l’événement : pensée/mouvement de l’environnement global qu’il rétro-intègre (actualité et références de toute "nature"), le décadrant de ses objets par le raisonnement logique poussé jusqu’au point extrême, jusqu’à ce qu’il entreprenne une nouvelle nouvelle aventure du sens. Non l’effet de la vérité décrétée mais à l’évidence de son retournement mieux qu’une déclaration : un événement. C’est un passage à l’acte d’expérimentation vivante du temps réel de la philosophie, comme acte de vivre indissociablement solidaire avec les autres sans se soumettre. Il s’agit de l’actualisation d’une pensée active de la transgression (la pensée créatrice comme transgression de la discipline, et pensée de l’instituant en transgression comme agent de la transgression générale) qui n’est donc pas une réactualisation de la philosophie, ni même un activisme philosophique, mais une autre philosophie. Cette philosophie insurrectionnelle, tambourinante et aventureuse, qui se développe ironiquement par le discours multidirectionnel et intégrateur jusqu’à son retournement aléatoire, original, unique, exceptionnel, n’est donc pas une idéologie. Non seulement iconoclaste de toutes formes pouvant aussi bien les plagier sans valeur, le philosophe retrouve ici la valeur symbolique des raisons de poursuivre à inventer la philosophie non pour gouverner mais pour poursuivre de pouvoir donner... Alors, le mensonge pointé des origines de l’histoire (ici oublions le H majuscule) serait une nouvelle occurence, non pas une réalité imaginaire mais la vérité des réalités imaginaires contre le mensonge de l’organisation sociale, un déplacement de la quête du "mensonge au-delà de la métaphysique" qui fonda la philosophie Pataphysique.

Le chat de Chester est un personnage fantastique d’Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll [...]. Énigmatique, il a la particularité d’apparaître et de disparaître selon son désir, ne laissant derrière lui que son inquiétant sourire. (12) C’est à la fois une métaphore visuelle du mode d’existence incontrôlable de l’événement, du paradoxe de son mouvement discontinu, rendu continu par la répétition rythmique de son mode de présentation (opposition catégorielle irrémédiable entre la perception et l’abstraction, que seule la musique sérielle du nombre, en présentation aléatoire au-delà de la reproduction des catégories, peut concilier), et l’ironie qu’il soit insaisissable. Et cela comme manifestation de l’existence et du sens de la vie au-delà de l’éthique et de sa raison.

Cette philosophie qui déplace les paradigmes de la vérité et de la preuve de l’Histoire, par l’entropie du discours logique se réalisant en métaphysique (et la dévoilant comme telle), et qui les prescrit par l’événement du texte, comme un combat périphérique du sens qui affronterait l’évidement social centré par le signe de la marchandise et de la téléréalité, où la politique et la religion se confondent en croyance, ce n’est pas un début de Mehdi Belhaj Kacem mais une maturité.

Là où Françoise Sagan a pu dire que l’humour était la politesse du désespoir, on peut avancer que l’ironie est quant à elle l’élégance du nihilisme. II s’agit d’interroger le nouage étonnamment synchronisé du surgissement d’une démocratisation de la forme ironique avec l’instauration du nihilisme de masse de la marchandise de divertissement.
Nous croyons montrer que nous ne sommes pas dupes, mais c’est sans doute là que réside le noyau même de la duperie : nous consommons, en montrant sans cesse n’être pas dupes, d’horribles émissions télévisées, des marchandises ineptes, des informations débiles, une presse régressive, etc. : nous passons notre temps à ça, en feignant n’en être pas dupes, ce qui est la plus sûre manière de l’être totalement.
Présentation par l’auteur du dernier opus de son ouvrage Ironie et vérité, Medhi Belhaj Kacem, col. Antiphilosophique, édit. Nous, février 2009, Paris ; citation extraite des sites marchands.

A. G-C.


.

* Mehdi Belhaj Kacem : ses actes bibliographiques et filmographiques recensés à la page qui lui est consacrée dans Wikipedia francophone. Mehdi Belhaj Kacem : archive d’articles et d’entretiens à propos de l’auteur par Éric Loret, Mathieu Lindon, Antoine Daguin, parus dans les journaux Libération, Le Monde, et dans la revue littéraire Le matricule des anges.

(0) L’ANTISCØLASTIQUE : un site apparemment informé par Mehdi Belhaj Kacem et/ou certains de ses amis philosophes.

(1) L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire : la page technique du livre dans le site de l’éditeur ; et la page de l’auteur avec un portrait photographique récent (et pour lui écrire).

(2) Le chercheur Jean-Jacques Kupiec tire un trait sur le déterminisme génétique et les théories de l’auto-organisation ; Interview par courriel et références, Technologies, Agoravox revue en ligne, décembre 2008. On salue un éditeur commercial comme Fayard qui s’engage dans la singularité de la pensée novatrice sans la reléguer dans des collections alternatives ; ce qui fait l’exception de la grande édition française actuelle, qui rejette l’essai parce qu’il décadre les genres structurant la distribution marchande des livres, ou de l’édition spécialisée qui les rejette pour convenance éditoriale, selon ses agréments avec les académies. À peu de mois de distance il a publié à la fois L’esprit du nihilisme : Une ontologique de l’Histoire de Mehdi Belhaj Kacem, dans la collection "Ouvertures", et L’origine des individus au delà de la notion d’espèce, à la couverture illustrée de Janus aux deux visages, de Jean-Jacques Kupiec, pensée de l’hétéro organisation en biologie, dans la collection "Le temps des sciences".

(3) Le séminaire des Lucioles, 1. Le séminaire des lucioles, 2. Fragments. Conférence et réponse de George Didi-Huberman à "La maison des sciences de l’homme de Paris-Nord", à propos de la loi, sur Pasolini. (2008 ?) Un film de Lionel Soukaz.

(4) Isidore Ducasse, Poésies, 1870 ; une des rééditions contemporaines a été publiée à l’occasion du bicentenaire de la révolution française ; toujours les éditions Tristram, Auch ; (1989).

(...)

Il faut que la critique attaque la forme, jamais le

fond de vos idées, de vos phrases. Arrangez-vous.

Les sentiments sont la forme de raisonnement la

plus incomplète qui se puisse imaginer.

Toute l’eau de la mer ne suffirait pas à laver une

tache de sang intellectuelle.

(Fin de Poésies 1.)

(5) "(...) La vraie confrontation entre les "fascismes" ne peut donc pas être "chronologiquement" celle du fascisme fasciste avec le fascisme démocrate-chrétien, mais celle du fascisme fasciste avec le fascisme radicalement, totalement et imprévisiblement nouveau qui est né de ce "quelque chose" qui s’est passé il y a une dizaine d’années.(...)" Pier Paolo Pasolini, Le vide du pouvoir en Italie, Corriere della Sera, 1er février 1975. Extrait de la recension des articles dite Écrits corsaires de Pasolini, dont cette version française parue chez Flammarion, en 1976.

(6) "Mehdi Belhaj Kacem, je ne vois pas d’autre image pour éclairer sa façon si singulière d’entrer par effraction dans la pensée, que d’évoquer l’abordage. Par sa pratique de l’abordage textuel simultanément sauvage et rigoureux, il est pirate de tout ordre spéculatif académiquement formulable. Il est la forme "anti" de cet ordre. Par sa discipline conceptuelle intime, il sert la philosophie, mieux que personne peut-être." Extrait de la présentation tirée de la préface d’Alain Badiou pour l’ouvrage Événement et répétition (11) de Mehdi Belhaj Kacem (éd. Tristram, 2004).

(7) "(...) The pieces by Lorette Nobécourt and Mehdi Belhaj Kacem are quite simply extraordinary : visceral and highly inventive. Kacem’s "Anteform" is probably the best account of drugged-up clubbing yet written, deliriously interfacing music, chemicals, and language in an LSD-filtered philosophy of the body." Burhan Tufail, The amazon.co.uk Review sur la recension des nouveaux écrivains français : XCiTes : The Flamingo Book of Fresh French Writing, éd. Flamigo, 1999. "Il y a dans tous les livres de Mehdi Belhaj Kacem quelque chose de l’ascension du Ventoux par Pétrarque, de l’accident de cheval de Montaigne, ou de la nuit de novembre de Descartes : mettre au service d’un désir d’y voir clair la plus totale maîtrise des moyens linguistiques ; regarder du plus près comment s’agencent le corps, l’âme, la raison, le discours - et ce que signifient vraiment ces quatre mots." Michel Jourde, Art Press (1997) ; extrait des sites marchands. "Le point de chute de la bombe d’Hiroshima était défini comme le point zéro autour dequel se dessinait un cercle de 1500 mètres de rayon, la circonférence approximative d’une force aveugle où tout se diffractait : les corps n’y étaient plus que ce limon qui enduisait les toits tenant encore au-delà du cercle, ou alors ce précipité mal défini qui colorait la terre ou s’imprimait dans d’autres tessitures ; en feuilletant un numéro de Paris-Match datant de 1965 je vis une photo (devenue paraît-il célèbre) où on voyait l’ombre d’un corps désintégré qui s’était imprimé sur le mur - le corps diffracté s’éternisait en quelque sorte, mais en tant qu’ombre ; on dit que vous ne pouvez vous débarrasser de votre ombre, mais Hiroshima nous aura prouvé que votre ombre peut se débarasser de vous. " Mehdi Belhaj Kacem, 4è de couverture, L’Antéforme, éd. Tristram (1997).

(8) Dans l’ouvrage de Pierre Klossowski avec les photographies de Pierre Zucca, La monnaie vivante (éd. originale Eric Losfeld, 1970), ce philosophe oppose deux économies, "l’utilitaire" (l’économie politique de la production) et "l’ustensilaire" (ce qui est en plus, en outre — ou d’ailleurs : l’économie du don) ; re-éd. Joelle Losfeld, 1994, Paris.

(9) Une réponse de Mehdi Belhaj Kacem sur l’anti-scolastique dès 2002 à propos de sa situation philosophique : voir Entretien avec Mehdi Belhaj Kacem, Rémy Bac ; revue Ironie, Interrogation critique et ludique, N°80, novembre 2002 ; où l’on cite encore son ouvrage Théorie du Trickster (éd. Sens & Tonka, 2002), sur l’ironie, la ruse, et la feinte : "Feindre feindre peut au final connoter une signification, et ne serait-ce pas là la définition la plus exacte jamais donnée de l’ironie ? Pour l’ontologie, je veux dire celle du sujet, ou de l’objet, ou de la chose, ici tout ça est la même chose, l’être-feinte est un fait donné, compris dans la donation du singulier. La feinte de la feinte, l’ironie, n’acquiert son sens qu’au-delà de l’onto-logique, au sens de la logique de l’être-donné de chaque chose, notamment le sujet. La feinte de la feinte, principe de l’ironie, n’a lieu qu’au-delà, dans l’incorporel qu’est absolument le langage, pour continuer stoïcien. Mais dans l’ordre des corps, il n’y a que l’être-feinte, et néant du fait de la feinte de la feinte. Dans l’incorporel de la langue, et seulement là, l’épiphanie d’un possible se produit, celui de l’ironie, feindre de feindre."

(10) Sur Le Fripon divin : un mythe indien l’ouvrage collectif de Paul Radin, Carl Gustav Jung, et Kerényi, troisième édition de l’édition française publiée chez Georg en 1997, on peut lire dans Wikipédia cet extrait de la préface de Paul Radin : "Il n’est guère de mythe aussi répandu dans le monde entier que celui que l’on connaît sous le nom de "mythe du Fripon" dont nous nous occuperons ici. Il y a peu de mythes dont nous puissions affirmer avec autant d’assurance qu’ils appartiennent aux plus anciens modes d’expression de l’humanité ; peu d’autres mythes ont conservé leur contenu originel de façon aussi inchangée. [...] Il est manifeste que nous nous trouvons ici en présence d’une figure et d’un thème, ou de divers thèmes, doués d’un charme particulier et durable et qui exercent une force d’attraction peu ordinaire sur l’humanité depuis les débuts de la civilisation."

(11) Sur l’espace, le temps, le mouvement, à propos du cinéma chez Gilles Deleuze : L’Image mouvement (éd. de Minuit, 1983) et L’image temps (éd. de Minuit, 1985). On préfère reporter ici son cycle de conférences à l’université de Vincennes ; car y demeure intégralement publiée en ligne la partie des fragments regroupés sous le titre Sur Image Mouvement Image Temps, dont le discours à propos de l’ouvrage de Bergson Matière et mémoire sur la question de la durée, et d’autre part, celui sur le dualisme de l’abstraction et de la narration ou de l’illustration au cinéma (fragment de son cours sur la Multiplicité chez Bergson adjoint au cadre thématique sur le cinéma, sous le titre Bergson, propositions sur le cinéma). Mehdi Belhaj Kacem, lui-même grand lecteur de Deleuze, chercherait une réponse qui suggère d’aller lire les actes de son séminaire publié sous le titre Événement et répétition, Digest du séminaire préfacé par Alain Badiou (6) en 2004.

(12) Sur le chat de Chester dans Alice au pays des merveilles

Pour mémoire :
L’interview de Mehdi Belhaj Kacem sur Julien Coupat ancien directeur de Tiqqun et camarade opposé, publiée le 27 mai 2009 par Aude Lancelin, à la rubrique "Philosophie" du Nouvel Observateur, paru le 28 mai (comprenant un dossier de recension les étapes de cette arrestation), le jour de la libération de ce dernier :
http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20090527.BIB3486/mehdi-belhaj-kacem-defend-coupat.html


.

Abstract in English : By reading the following abstract—which I have tried to write but so much imperfectly in English, I apologize—may be that some visitors who do not read French will know a bit more on the creative process which emerges out all along from the Mehdi Belhaj Kacem’s works. A. G-C.

Title : I love Mehdi Belhaj Kacem

Strictly speaking, I love Mehdi Belhaj Kacem does not consist of a review on L’esprit du nihilisme : une Ontologique de l’Histoire, the last book from Mehdi Belhaj Kacem. It consists of a study—an essay—on the following subject : the creating process of conceptualizing the new as an overpassing practice to the act which we called ’Transgression"—currently in French : a part of the Evil from the overnormal practices or from the deviant practices but which are not Malpractice—from the Mehdi Belhaj Kacem’s thinking. That is both a social individualized "Transgression" regarding the fields of the knowledge but in the same time a contributing activity of the "general transgression" concerning the insurrectionary society moving the laws, or else the crossing of the genre of writings such as Poetry, Novel, Essay turning into the Philosophy. From individualizing the writing by integrating the experimental body of the author till getting rid of the individualization thanks to the abstracting process by exceeding the affect to make happen the thought (what does not deprive it of the emotion from the writing to the reading). This thought being the "cursed part" of the economy of writing, an energy of the body (all the sources like included information) converted by the intellect into energetic and dynamic concepts, a gift from the individual to make happening in the common sense of the silent community. On one hand it throws back the notion of universality of the truth, for a cognitive consensus of the thought such expressed, not the truth but an event demonstrating what it discovers of common with the others by this own means ; on the other hand it is not any more the organic intellectual, it is the insurrectionary intellectual in the unacceptable community.

Process from an open masterwork—since his first book Cancer (published by Tristram in 1994) untill the last one—just out : L’esprit du nihilisme : une ontologique de l’Histoire (published by Fayard the last month). I think that his target can be the proper revolution as moving the subject. The appropriate subject of the great work of philosophy from Mehdi practice to the act, being at the same time the performance of an irreproachable philosophic speech and a "Transgression" consisting of the reversal of the ethics : "(...) It is not the Law which is the condition of the "Transgression", but the opposite. The "Transgression" is the condition of possibility of any legislation : not only "moral", political and civic, but furthermore technical and cultural." Furthermore he says, may be, "if the tragedy has been able to take sense in the modernity of the human without god(s), so the meaning can be that the proper body of the modern theater of this History, after the Myth, is not the religion but the politics itself as the appropriate faith" ?

Anyway, in his abtract summarizing his last book, he certainly says, "(...) in it the withdrawal of which, for thirty years, is the true name of the "nihilism" and the " return of the Religious " : the politics." See better by yourself... [ return to the headers ]

P.-S.


Mehdi Belhaj Kacem, Jean-Jacques Kupiec :

J’ai eu la joie de les découvrir presque en même temps, lorsqu’ils furent réunis dans un même cadre de conférences, en 1999. Je suis allée les voir après les avoir entendus, sans l’ombre d’un doute surla gravité de leur originalité prédictible, parmi le potentiel des non aristotéliciens (ou mieux encore, de l’altérité) qui planait en tous domaines du fabuleux colloque international Plasticité, signe des temps, organisé au Fresnoy par et sur un concept de la philosophe Catherine Malabou, avec le concours du directeur des études du Studio National, le cinéaste Érik Bullot, en octobre (actes dans une édition magnifique parue en 2000 aux éditions Léo Scheer, sous le titre Plasticité).

Paru en France, en novembre 2008, l’ouvrage L’origine des individus de Jean-Jacques Kupiec est déjà publié depuis un mois chez World Scientific, sous le titre The Origin of Individuals ; aujourd’hui, ce sont encore des américains qui nous renvoient au dernier livre de Mehdi Belhaj Kacem en français, et notamment via McKenzie Wark, Alex Galloway qui s’intéresse particulièrement à Mehdi Belhaj Kacem ; ils relèvent la publication de son dernier ouvrage en français, alors que l’auteur ne parle pas vraiment l’anglais. Espérons que l’ouvrage ne tardera pas à être traduit dans la longueur, désormais, grâce à ces universitaires étrangers avancés et engagés, amateurs de la pensée essayiste française quel que soit le domaine approché, littéraire, philosophique, ou scientifique — et les essayistes français leur retournant une attention réciproque sur leurs travaux.

Avant même que les ouvrages de Mehdi Belhaj Kacem ne soient traduits en anglais, il tient sa page dédiée dans Wikipedia anglophone... Et nous ? Que faisons-nous pour défendre nos penseurs vifs après l’émergence ? Je veux dire après la mode de l’émergence comme nouvelle académie en France ?... Remerciements à l’Étranger, qui nous dit toujours qui nous sommes avant que nous ne l’imitions en ce qu’il nous renvoie parfois de nous-mêmes.

Remerciements particuliers : Paris-Philo, Le site du Cazals (Université de Philosophie de Paris VIII) http://www.paris-philo.com/ pour l’inauguration de la clé d’index Mehdi Belhaj Kacem à propos de cet article.

Première version du texte publiée le 9 avril 2009

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter