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Apnées 

jeudi 12 mars 2009, par Noëlle Rollet

Ressac

Ne demeure que l’apnée, alors.
L’apnée sournoise du sommeil, eau dormante qui berce la vigilance lassée d’être devenue rage, rage malsaine.

Alors de l’absence ne reste qu’une odeur mêlée, une odeur oubliée, et sans limites. Papiers de soie dédoublés, légers, toujours plus ténus. Comme les dernières vibrations d’une note haute et déchirante ; un écho qui se prolonge et qui brise en un soupir, et qui brise en souriant, et qui brise doucement, inéluctablement.

Mon ombre chère, ma chère ombre, de tes empreintes bientôt ne restent que les pluies légères, le sable envolé qui les détruit. Et mille mélancolies ton sur ton, sur le fond de mon âme, les plongent aux abîmes de l’oubli incertain.
Tu me manques comme l’enfance à demie-enfuie, narrée légendaire ; tu m’élances comme le cœur mutilé au moindre frimas.

Les opiums ne sont pas asses forts. Là même où le feu n’est plus entretenu, là où il se tourne vers d’autres aliments, un sceau d’absence m’étreint. Je puis bien vivre parmi, un morceau de moi habite désormais un espace vide, gris comme la grève pleureuse d’octobre, à l’ horizon rose enchanteur ; couleurs de larmes à éponger le sang.

Je ne voulais pas l’apaisement. Je ne voulais pas estompé ton visage lumineux, ni ses ombres portées comme plumes de chagrin, envolées sur les ailes de nos regards.
Mais dans le calme effrayant, je te retrouve sans cesse, dans les tiraillements de mon âme et les aspirations jamais vaincues.
Flamme de toi, en bûcher ou en lueur, jusqu’à la cendre fine du souvenir bien après.

Mine Grise

Les mots sont l’illusoire barrage, et dont j’abreuve l’évanescence,


contre le grand tumulte d’une dévorante absence plombée de l’insoutenable prolongation de la solitaire,
contre les ruades du vide quand se propage le caillot du sang,
contre la folie du silence qui fait éclore puis s’approfondir un cri glacé, qui se perd au-delà,

au-delà des fillettes aux cheveux empêtrés de rubans roses et aux visages gris penchées vers l’agonie des mouches,
au-delà de femmes rigides impeccables sanglées dans leur démarche de brigadiers qui parlent tout tranchant à la voix mécanique de portables abstraits,
au-delà des hommes alourdis qui parlent sans pudeur, au-delà aussi de l’arbre solitaire aspergé qui offrent son ramage décharné aux avanies d’oiseaux,
au-delà de l’irrépressible brouhaha obstiné et abruti de bolides avides, au-delà des odeurs nauséabondes qui se faufilent.

Contre les monstres qui forcent ma porte :
voilà donc les mots
atmosphère raréfiée
pensée-champ de noyade,
foire d’empoigne, denrées falsifiées,
dignité-rigidité.
Arrogant mensonge.
Mes monstres entrent à toute volée :
Mes mots n’ont point de souffle.

Dédale

Pourquoi tant de mots ?
Pour épingler ton visage en papillon dévasté, déchiré par ces pattes de mouche qui toujours manquent leur cible et ne font que dessiner en ombre chinoise une absence dévorante ?
Pour meubler d’un peu plus de vides encore les ruines en écroulement permanent, en quête d’un filon plus sûr, perdre en ces vestiges les ombres noircies en fumées qui à la fulgurance du trait se défilent ? Echec en case vaine, pion échoué sur carré de roi, coeur à l’envers au bout d’une pique, dédale de carreaux.
Car, quoi ? De ce carcan quelle flèche peut jaillir qui soit glorieuse et fatale ? Quels cadavres que l’on dépèce pour y mieux lire, dans leurs entrailles, un avenir à enfouir bien vite avant que d’y croire.
Quels mots faudrait-il dans ce labyrinthe de chair et d’âme ? Fol orgueil, je suis, je fuis le fil d’Ariane qui attache. Clouée au coeur de cette toile, celle qui la tissa, sœur si patiente, à l’ordre dévouée. Quelle bête fabuleuse à traquer par ces filets aux mailles trop lâches pour la retenir ?
Puis-je vouloir cesser de m’y perdre, d’y trouver carrefours intimes où nouer sporadiques les concrétions infimes ? Pour un instant de ciel.
Illusoire parasite qui creuse des galeries toujours plus fines de son dard diamantin. Par un déploiement d’ailes tonitruant, porter le coup gracieux qui nous arrache pour cet ailleurs à gueule d’innommable, à estomac comble de trésors.
Je n’ai dispos que le trotte-menu des mots et leurs folles collisions pour vivre.

Fantôme

Soustrait à des baisers, à des caresses
soustrait aux apaisements de pacotille,
tu n’as plus droit, fantôme que j’entête et poursuis
fantôme que j’invente et me rends folle.

Tu n’as plus droit qu’à mes larmes refoulées, jaillies en soubresauts
ou parfois, à l’humidité molle,
pour dire encore,
les frémissements de la lampe lasse du souvenir.

Fantôme que je ballotte entre exténuement et
acharnement
lugubre dépouille de moi-même.
Et la pureté que je t’arrache.

Dires

Seuls les rires hystériques sur les champs du décembre.
Dites-moi, attentifs :
« Bien, tu as tout détruit, qu’y as-tu gagné ? »
Dites-moi, ô si sages :
« Oui, tu as tout brisé, cela annule-t-il le passé ? »
Dites-moi, pleins de grâce :
« Mais ne vois-tu pas l’étoile ? »

Dites-moi, que je rie,
dites-moi, que je rie de vos astres à face de vessie
de vos rêves bien agencés
pour coller coller à une réalité, rare, oh si rare, et si ardue !
anoblie par l’effort.
Croyez !
à ce que vous créez
dont rien ne peut être sauvé
Ou l’éclatement violent de vos fabuleuses baudruches.

Dites-moi, que je rie.
Car j’ai suivi la danse,
cambré le pied.
J’y ai mis toute ma passion,
peu à peu dépossédée.
Jusqu’à ce que rien ne reste
Que ce rire qui ensanglante vos pensées.

Vos mignardises, vos valeurs ….
Je circule, rien à voir.
Tout se maîtrise et se défait.

Je danse un charivari épuisant
Y croquer puis sombrer dans l’oubli
Reposer en paix.

Cénotaphe

L’océan lourd qui bat épais contre ma tempe
effrite la terre en dérobade sous mes pas.
Coeur évidé, je fuis une ville engloutie
voleuse de grands chemins, de lotus fleuris.
Mais la rosée tremble comme sonne le glas
de souvenirs anciens dont je renie l’estampe.

Pourtant la joie parfois timide resurgit
sans mot mais alors une rivière obscure
vient en résurgence dérober ma mémoire,
enlever ma conscience et me tend son ciboire
où puiser le flot rond, les larmes de mesure :
en moi s’épanchent les reflets de l’oubli.

Ramifié, éclaté, tout mon chagrin
à travers moi s’étoile étrangement
dans d’effroyables odeurs de sapin.
Le chant de ma peine toujours j’entends.

Les spectres sont troubles en ces miroirs :
éperdue je n’y vois que l’absence.
Là, j’ignore tout de mon histoire,
là, j’abdique toutes mes naissances.

J’ai vécu délaissant la mémoire d’épuisant culte
sans cesse j’ai revu cette constellation occulte.

Partielle Humeur

A déchiqueter en longs lambeaux sanglants, une chair pourrissante.
Les prestiges marchent, les séductions agenouillent, il suffit d’y trouver le chemin faux de la sincérité, d’y traquer, avec ardeur, la proie qui croit. L’effeuillage fini, ne reste qu’à se rhabiller, si l’on n’est pas trop sanguinolent.

Auquel de mes mirages avez-vous ajouté foi au point de me faire oublier à moi-même qu’existe l’artifice seul ?
Qu’au moins mes fantômes me rendent ivre.

Les dépouilles attendries ne servent de rien.

La perfection, où vous me visez, me tue, à petit feu, rend sur mes lèvres insipide le baiser.

Et le sublime a des grâces trop empruntées pour que sa noblesse soit autre que mascarade embaumée.

S’il faut rompre la ganse du monde, qu’à soi d’abord soit dévolue la rupture, que l’horreur de ce qui vous fut si doux fasse comprendre enfin la grande révolte de l’absurde.
Transcender ? Cruauté. Le paradis n’est qu’un accommodement qui dénature votre goût. Les voiles que vous tissez dissimulent un monde qui jamais ne laissera en repos.
Rien de vil ne s’abolit. Il s’endure.

Et est-ce là mon ultime vérité, cette plaie purulente ?

Fumée

Empanachée d’insatisfactions sourdes muettes
contradictoires
J’attends que l’heure passe
Et qu’avec elle quelque minime changement
advienne.

Pas la couleur du ciel
Pas le début ni la fin
Rien de grand
Ni d’apaisant.

Une porte qui claque, peut-être,
Ou qui se ferme juste
Sur un départ
sans esclandre
Un départ qui n’est pas même
Un début de fin
Ou bien ?

Comme un soupirail ouvert sur la liberté,
Sur le bleu du ciel le mouvement des passants,
Possible en foule grisante et vague.

Molle liberté qui m’engourdit
Qui m’aspire et me vide.
Un poids de moins, un poids en plus.

La trame serrée de vos jours
abrutis d’habitude
Coupe à la fois les ailes du rêve
et celles de l’ennui
Fait voir le plein
dans le règne du vide.

Raconté

Il n’y a pas même de porte, tout au plus des barrières, parapets de sécurité à l’engagement des fous ; et derrière elles, on voit déjà le paysage, qui sans heurt se poursuit, toujours aussi calme et verdoyant, de ce vert trop vert, trop simple, avant de connaître l’évidence. Connue une fois détruite, une fois avalée.
Car la fine barrière, si bien agencée en parallèles et perpendiculaires, sous ses dehors de courte ineptie, bonne pour un bétail sans question, est finalement bien là pour prévenir du danger invisible. Et celui qui, trop longtemps, poursuit au-delà son chemin, risque de finir par s’égarer en de sombres régions, même s’il a vu en chemin bien des merveilles auxquelles il ne put s’attacher, en vertu peut-être d’une propriété qui les veut conserver pures, ou simplement par incontrôlable hasard : le futur, égaré éternel, croise en ces contrées les tranquilles égarés du moment dont il ne diffère en rien.

Et à sa botte, le vert moins vert parle maintenant de terre et de bois, de crépuscule et de course à la brune. Il enroule autour de lui mille imperceptibles nuances. Peu à peu le vert plus rare devient plus cher, dans les contrastes de pierre qui dessinent cent formes douces ou aiguës.

Or voici que seul demeure le roc, désormais, dévolu aux froids plaisirs du regard qui en chair ne s’enfonce plus. Un vaste paysage s’ouvre, vertical et désolé, où le coeur meurtri frémit de peur. L’esprit s’y perd dans d’austères et implacables élucubrations, arides comme paroi, vertigineuses comme gouffre. Elles semblent s’en exhaler, et entourent de spectres le pèlerin parvenu à son terme, l’homme dur et tendu, face à l’extrémité du miroir, lorsque le reflet perd de son évidente transparence ...

*

L’imaginaire alors s’empare du passé ; il s’élève de cette caresse que défigurent de lourdes hallucinations .
Fermer les yeux, donc ? Oublier que l’enchantement alors coulait en rigoles et chantait fort et dense au coeur du concret, inaperçu évident ?

Puisqu’il faut apparemment un divorce pour saisir la différence de l’un et de l’autre.

*

Mais l’imaginaire ultime demeure, corde raide au bout du souffle.

Portrait


Arcs-en-ciel de zébrures
Noires et blanches
Projetés comme
Des effrois d’oiseaux
Contre la vitre lisse.
N’en finissent pas de glisser
Entre la stridence d’un écueil
Et un accueil de verre brisé.

Griffe qui s’acère grippe et croche
Au petit hameçon du cœur
Sans heurt d’un pleur efface la buée
Fracas qui muselle
Ouate qui hurle.

Patte trébuche
Achoppe et cogne
Le nez en sang
Donne du museau
Sur les cailloux
Chapeau pointu

Faux pas faut pas
Le cri-murmure étouffe
De s’étouffer
Le long du corps

Ecorchée douce
Echouée vive

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