ALBÂTRE — (carnet du légionnaire)
Fragments tirés d’une liasse manuscrite trouvée dans les affaires du capitaine (désert de Raz-El-Ma ; été 1991).
Le capitaine parle avec lui-même ; comme avec l’adversaire. Il écrit aussi pour ses hommes.
Sorte de journal existentiel, éminemment paradoxal, sombre, parfois éclairé, abstrait, mais avec ce soupçon d’exigence terre à terre, comme il se doit. Le tout est entrelacé de nombreux extraits de l’énigmatique suite poétique de Jean Mambrino [1] : les distiques initiatiques de – « Le mot de passe » – que le capitaine possédait donc dans son barda.
Les quelques chiffres et initiales isolées qui parsèment les poèmes restent énigmatiques.
Certains passages, illisibles, voire raturés, n’ont pas été recopiés.
☐
27 poèmes (du capitaine)accompagné de 3 dessinsdeFrédéric Malenfer
.
.
.
« Marcher vers l’intérieur
sans disparaître. »
Jean Mambrino
.
1/2 :
L’ÉPINE
17 poèmes
&
2/2 :
LA TERRE
9 poèmes
.
☐
.
L’ÉPINE
◼︎
FATIGUE – Journal du capitaine (1)
Les racines sont pleines de sable
il fait chaud, trop chaud
tout est en fuite.
L’accident.
Un espace strié, coupant, démesuré
nous enferme définitivement entre ces infects murs de pierres.
L’attente.
Je prends quelques notes (c’est le privilège du gradé, avoir une chambre à soi !)
Ici, en cet espace misérable, quelle que soit l’heure du jour
l’ironie semble solaire.
L’ombre ne s’étend plus, l’ombre
n’est qu’un point.
Et ce souffle, là-dehors – un râle
revenu depuis l’intérieur des terres.
Mon sourire, malgré tout
plus grand que tout visage
mange à même le sol
mange à même le sol.
Comprends-tu ce moment inadmissible en mots ?
[…]
Être dépassé
perdre l’expérience d’un corps vif
et plein.
[…]
Dans cette vie de changements rien ne sert d’user prétendument de sa force.
[…]
Mon paradoxe : mourir dans une armure.
[…]
J’affronte, aujourd’hui, un vent sans saveur.
Mon corps est un désert.
Je déteste autant mes hommes que je les aime.
J’affirme, ayant observé leur visage grillé, qu’ils apportent le message du Cyclope.
Je ne jouerai plus avec ces gens misérables.
Je ne suis pas un Saint.
◼︎
DISCIPLINE DE LA LUMIÈRE
1.
Sur les hauteurs, dans les dunes de Es Sabria
La signature par le nom
en présence de nuées noires.
Un animal vit ici.
Sa fureur est un signe.
Je l’écoute.
Il me regarde calmement.
Quel est ton nom ?
2.
L’horizon ; la vue perçante
Je ne sais comment te parler de cette épine
fichée dans mon avant bras.
La pensée située (je pense à celle située au-delà du désir) soulève une pierre.
Et le monde devient un port où se balancent des navires.
[…]
Le désert.
[…]
Aucun secret.
[…]
Le bord du monde.
[…]
85.
[…]
« Ton chemin
c’est toi-même. »
Jean Mambrino
3.
Les îles ; chaleur de midi
Il fouille le sol, le sable, il manipule des roches, de la caillasse.
Impossible de vivre ici.
Les stations s’enchaînent en une avancée immobile.
Pourquoi s’imaginer l’horizon à l’inverse de son poids ?
Pourquoi, à partir d’ici, mêlé aux nœuds des gréements
un corps se lâche – devient-il flaque ?
[…]
Trois de mes hommes reviennent pour le rapport, fatigués, sales ; éreintés.
[…]
L’expérience.
[…]
79.
[…]
« Quand tu cherches l’origine
elle recule. »
Jean Mambrino
[…]
Le doute.
[…]
T.
[…]
103.
[…]
Le sable.
4.
Lettre à ceux du rivage ; la nuit, sous un ciel étoilé
Tu te méfieras de cette place laissée vacante.
Est-ce un piège ?
Une passe ?
[…]
Non pas que ta bouche s’ouvre sans cesse pour appeler
– bien que ce soit ton envie et ton droit –
mais construire ainsi sans fondement est un risque inutile.
À moins, et ce sera là ta finesse et ton intelligence
que celui que tu nommes le grand stratège ne se mine lui-même, par tes soins
en vue de hauteurs plus solides encore.
[…]
Un territoire.
[…]
Moi sans moi.
[…]
L’est et l’ouest
le nord ; le sud (les hautes pensées du sud).
[…]
Beaucoup s’étonneront de ta mort difficile
quand bien même tu avais su t’avancer sur un chemin essentiel.
[…]
24.
[…]
« Entre l’appel et l’appelé
l’intimité de la distance. »
Jean Mambrino
&
5.
Journal du capitaine (2)
Bien qu’avec toi la furie, comme la rage
– un jeu, toujours, aux limites –
était au centre de toutes les tensions.
Bien qu’avec toi marcher nu tête, marcher nus pieds
dans les espaces difficiles (ceux de la pensée) semblait être un idéal
tu n’as pas su allumer ces quelques brindilles entre deux pierres.
[…]
Face ad faciem.
[…]
Isolés, nous nous rendons à la beauté la plus simple
et nous découvrons qu’un je t’aime offert
est aussi riche de promesses
que l’aile amoureuse de l’éphémère déjà mangée par les flammes.
◼︎
CHEMINEMENTS
Une écharde.
Laisser l’énigme agir
sans aucunement négliger l’adversaire.
[…]
Refus des mots
pour la parole.
Tenir parole ? C’est être vivant.
Non pas pour appartenir au vivant (c’est un fait) ; en aucun cas se soumettre, ni baisser la garde.
Seule compte l’humilité.
Une façon d’apprécier le monde et ses mystères.
Celui qui façonne est façonné.
[…]
Fraîcheur acquise ou fraîcheur advenue ?
Fraîcheur !
[…]
29.
[…]
« Trouve ce nulle part
en tous les lieux. »
Jean Mambrino
◼︎
MATURITÉ
Constellation de l’Aigle, triangle d’été
Six heures de marche.
Fatigue.
Le muscle, au plus tiraillé, toujours redevient souple.
La souffrance relâche un passé de poussières croisées, pour le meilleur ou pour le pire.
Il existe un torrent.
Sous l’eau blanche et bouillonnante, de la caillasse, du fer, du sable et bien d’autres matières encore ; de la rouille, quelques éclats de verre, un liant composé.
C’est un piège de nœuds et de mailles.
Seule subsiste cette passe minuscule.
Franchir l’obstacle ou être défait.
Au-delà ? L’abstrait brillant.
[…]
On se lave, on s’asperge, on se baigne.
Les hommes sont nus.
[…]
Le jeu ; le jeu du monde.
[…]
Nuit dans le désert – le ciel est magnifique, le ciel est étoilé.
Au nord, l’Ours
et ses sept étoiles.
Ici, Jupiter
géante.
Et l’Aigle
lumineux ; Altaïr (au centre de la tête).
Une forme
parmi les formes.
[…]
« Initié. Errant.
Immobile. »
Jean Mambrino
[…]
20.
[…]
Enfin : mouvant
et en mouvement.
◼︎
IMMENSITÉ
L’essentiel étant de faire ce qui est à faire
ton désir où il faut, juste quand il le faut (fine lame à l’incise du soleil).
Et tu t’imaginais atteindre les crêtes, chargé à bloc !
Le voyageur haut est ailé.
Le voyageur est une graine.
◼︎
DANSE DU DIEU FAUVE
[…]
67.
[…]
13.
[…]
21.
[…]
« Le vrai chemin
déroute. »
Jean Mambrino
[…]
F.
[…]
Sur cette crête, fouillant la lande et les buis
j’ai vécu un amour archaïque
emportant avec moi toute une lignée d’esprits.
N’as-tu jamais, dans ton rêve
bafoué de tes mains le parterre de lianes ?
Au-dessus des forêts sont les abeilles
l’une dans l’autre, ici-même, toutes dans toutes.
La réserve de pollen.
Notre modèle ?
[…]
La nuit est là.
[…]
Je retourne à ma fange et je m’asperge
comme une bête.
Est-ce cela être sauvage ?
◼︎
L’ÉTENDUE
1.
J’arrive, nu
dans une vie lumineuse
haute
et profonde.
2.
Impossible de comprendre la totalité des conflits.
Pour quoi faire !
Ma faiblesse ? Avoir cru, tout d’abord, en cette saveur innée.
Les fleurs tombent.
Après tours et détours
quoiqu’il en soit, ce qui subsiste – l’essentiel – emporte tout.
3.
D’instinct, dans la vitesse
si la fatigue s’approche, me recouvre
je chevauche le désordre et je disparaîs.
Comme poussière derrière le cavalier qui fuit.
◼︎
CARNET 9
Tailler une pierre de silex sans rien connaître de la proie.
[…]
Je cherche entre les mots une expérience.
[…]
L’éclat.
Le mouvement.
[…]
S.
[…]
Je fouille, j’observe, j’écoute (mon humour se transforme en un bâton d’encens)
et, de temps à autre, je lâche ici et là du lest.
N’est-il pas vrai qu’entre poussières et corps de pierre
se risque la place auquel chacun aspire ?
[…]
Les animaux qui vivent en nous ont aujourd’hui perdus leur or.
Seule leur sauvagerie se manifeste.
[…]
86.
[…]
« Solitaire,
tu sera visité. »
Jean Mambrino
[…]
A.
[…]
L’aile rapace, si précise ; l’éclair.
Soudain ! La proie.
Vue de haut – point unique –
œil noir
boule immédiate.
D’ici, d’où part le trait.
[…]
Une simple feuille de papier froissé.
[…]
L’image du sablier :
compte-gouttes
à rebours.
Paradoxe du sec
et de l’humide
réunis dans la chute.
[…]
103.
[…]
Comme un aigle
je fus
comme un aigle
je volais.
Mon territoire entier, dédié à la lumière
plus grand chaque jour
me donnait la nourriture nécessaire pour une folle ascension.
Comme un aigle j’étais
plus loin de moi que moi seul.
Avec le désir pour unique allié (le désir de vie).
À l’aventure, sans aventure.
◼︎
UNE RENCONTRE
Cris et chants ; avec les hommes on joue sur la plage.
L’air circule.
Ni déguisement, ni fard (disent-ils).
Pourquoi es-tu ici ?
Que viens-tu faire en ce monde ?
◼︎
CONTRADICTIONS
Dans un rêve
Tu jouira de tuer
c’est le fauve qui est en toi.
La casse, la pagaille, les cris du bas ventre.
Et surtout cette vague musculaire enroulant ton dos, jusqu’à ta main
devenue pince.
[…]
M.
[…]
88.
[…]
« La bonne aventure
est donc celle de la mort. »
Jean Mambrino
[…]
Fausse piste
Tu n’as rien dit de très clair parce que tu prétendais à quelque chose.
La parole est ailleurs que dans le simple fait de dire.
Parler pour uniquement s’exprimer est arriéré.
La parole est dans ta cuisse, dans la douleur
comme dans la marche ou la fatigue
beaucoup plus que dans tout le mal que tu te donnes à explorer les recoins exigus d’une fausse modestie.
[…]
Une parole ? C’est tout simplement respirer.
[…]
70.
[…]
« Le cœur croise sa souffrance
sans la reconnaître. »
Jean Mambrino
[…]
C.
[…]
Les anciens tueurs de ta famille (il y en avait)
restèrent sourds à l’appel des hautes mers
jamais n’abandonnèrent leur poste de ferraille
soi-disant scrutateur.
Désormais, il te faut penser ailleurs.
Finalement tout ça cohabite, tout ça fait bon ménage, se consume.
Et la flambée, c’est toi.
◼︎
PARALYSIE DU FROID
Nuit du 2 août
Ton visage entier semble être mangé.
L’animal s’accroche, il ne te ne lâche pas.
Un insecte ; la meute ?
Dans la fournaise, pour s’en sortir, seul compte l’arc en ciel des couleurs.
Le repos, si tu l’a bien compris
ouvre la plus grande des portes.
Regarde ! Ce matin, les montagnes sont couvertes de neige.
[…]
101.
[…]
« L’ouverture
est ton abris. »
Jean Mambrino
[…]
103.
[…]
H.
[…]
Exercice de pensée, juste avant de mourir
Une colonne pour tes muscles
et non pas les muscles autour de ta colonne.
De la hauteur se transmet, subitement
au-delà du mimétisme d’apparence.
Méditer.
En équilibre au bord des torrents.
◼︎
LE SILENCE, LE PIÈGE
Raz-El-Ma
Je n’aime pas ce jardin sec.
Un puits, un four de pierres mal jointes, une haie de cyprès
et la fatigue de ma main qui pourrait tout trahir.
On pose les armes.
Je n’aime pas ce jardin sec
même si les hommes ont ici de quoi s’occuper.
Depuis une heure, posté, j’observe.
L’angle gris de la baraque
d’où les enfants s’arrosent en silence
vibre à lui tout seul : c’est un paradis inverse, faussement incandescent.
◼︎
JOURNAL DU CAPITAINE
Pour mes hommes
Trop d’émotions ! Trop d’attachement ! Et toutes ces pensés inutiles qui s’accumulent
prétendument cohabitent.
Danger pour l’homme libre (je parle de celui en toi qui veut changer, devenir autre).
Tu n’existais pas il y a peu.
Soudain l’essence, l’incandescence, puis la ligne.
La chair se cabre, elle lance sa hache.
Te voici seul.
◼︎
UNE DISPARITION
Le froid, la nuit, attrape définitivement notre dos.
Une contraction.
[…]
O.
[…]
Nous voulions rejoindre les rapides
nager dans l’eau glaciale
jusqu’à partager l’érosion, celle qui appartient au plus grand des mouvements.
[…]
Écouter.
Observer.
Attendre.
[…]
De l’importance du corps, de la respiration.
[…]
T.
[…]
67.
[…]
Nous voici sur la grève.
Cette frappe altière de tous les galets ; l’humeur de la Terre
pour le bas Océan.
[…]
Regarder.
Sentir.
[…]
R.
[…]
Nous croyions correspondre avec toi
étrange pensée sans tête.
Mais rien.
Rien en réponse.
Nous n’avons trouvé ici qu’une nature étrange.
Refusant tout contact.
◼︎
L’HERBE DANS L’ŒIL
Où donc es-tu ?
Pourquoi m’as-tu laissé ?
Était-ce toi qui me parla entre ce filet de pierres éboulées ?
Était-ce toi, dans la lumière changeante des jardins, lorsque enfant
je jouais sous le grand peuplier, était-ce toi ?
Était-ce toi, souffle long
avouant la raideur de ma nuque, de mon dos
ma démarche désormais alignée sur un fil sans futur ?
Le moment privilégié lui aussi peut tuer – était-ce toi ?
L’expérience
venue vivre dans ma main
se retrouve ici-même
déposée.
Dans un présent sans labeur.
◼︎
UNE VISION
Et tu apparais ici, avec ta nudité.
J’aime ton visage.
Je me glisse le long d’une ligne – présage de blancheur.
Notre rêve d’union.
◼︎
L’ADVERSAIRE
Ses anneaux entre les ronces.
Une tête ici
un morceau de corps
plus loin.
◼︎
&
2/2
.
☐
.
.
LA TERRE
« Ne demeure
que ce qui change. »
Jean Mambrino
◼︎
DES ABÎMES
1.
Premier jour ; ou celui du premier retournement
Mes enfers depuis longtemps dévastés
sont le terreau d’une étendue plus belle encore.
Je ne crois pas pouvoir vomir l’animal ni quelconque autre monstruosité.
J’en reste là.
Je souffre d’un éclair noir que fort heureusement tourmentent des lueurs.
L’eau devient dure.
Les abîmes, un à un, se partagent.
Déjà lointaine, l’affreuse accalmie se retourne ; elle lance un regard
dans toutes les directions.
&
2.
Second jour ; celui du second retournement
[…]
F.
[…]
Je sais des mots dansants qui résonnent pour le combat.
[…]
L’étendue me touche, elle respire sous le ciel.
Beauté du face à face.
Cette énergie si particulière.
[…]
66.
[…]
169.
[…]
« Tu brûles
sans être consumé. »
Jean Mambrino
[…]
E.
[…]
Mes enfers
vous êtes dans l’autre siècle
avec l’autre siècle
comme des papillons
piqués.
◼︎
LA MAIN DE VERRE
Comment dompter ma conduite animale ?
La pensée pour la pensée immobilise ; elle se refuse et refuse tout.
Les mots glissent les uns sur les autres.
Parfois même ils se brisent
comme du verre.
Ces autres s’enfuient
jusqu’à rejoindre – quelle chance ! – la multitude
les rivières
et
l’océan.
◼︎
NUIT NOIRE
Dans un rêve ; ou le rêve de l’araignée
Ta voix disparaît sous ta voix.
Surgie du sol, une flamme (elle semble être à l’origine de ce chant d’un millier de têtes).
Ici, l’air se tend en une sorte de musicalité noire.
[…]
S.
[…]
Ton visage s’érotise.
Ton visage est un sourire.
[…]
De l’eau et du feu.
[…]
Le Temps.
[…]
K.
[…]
14.
[…]
« Le temps martèle les visages
afin que sorte le regard. »
Jean Mambrino
[…]
117.
[…]
3.
[…]
Enfin tu lèves la tête, avec, dans tes mains
cet étrange morceau de roche volcanique
qu’ensemble, l’on observe.
[…]
V.
[…]
Entrelacs.
[…]
Un cocon.
[…]
Voici cette phrase : l’horizon se tord, se distord
il se dresse
à l’aplomb silencieux d’une nuit noire.
Devenue piège.
◼︎
GÉHENNE
1.
La plage en débâcle
d’une main rêvée
occupe l’entier de l’océan
broie des galets, des cadavres.
Toutes les nuits un peuple s’active et luit
– d’étranges lucioles –
toutes les nuits le combat perdure, jamais ne s’achève
c’est la règle.
Là-haut, la digue malmène les eaux.
Là-haut prend pied une terrible armature.
[…]
H.
[…]
« Adossé contre l’éclat
regarde l’ombre. »
Jean Mambrino
[…]
Y.
[…]
27.
[…]
&
2.
J’ai vu une fourmilière briser définitivement la stabilité de tout un monde de brindilles.
J’ai observé cette chevelure tissée de mots minuscules
se détacher de mon propre crâne, tatoué.
J’ai vu de nombreuses rivières d’eau sale
et pourrissant.
J’ai vu un étrange animal
la peau piquée de vers
dresser vers moi sa tête et implorer.
[…]
77.
[…]
L.
[…]
Beaucoup plus loin, beaucoup plus tard
un homme sans ossature tentait de se dégager de son aimant suceur
révélant par là-même son être de laideur.
[…]
R.
[…]
207.
[…]
Ce matin, j’avoue ma fatigue
les ruines de mon corps se court-circuitent
me voici couché dans la pierraille.
De ma bouche éclôt cette simple phrase :
« — Qu’est donc l’inconnu [2] ? »
◼︎
AUTRE RÊVE
Sous la peau de l’intérieur de mon crâne naît une image.
[…]
89.
[…]
C.
[…]
Une cigarette ; j’inspire le feu lui-même
profondément.
[…]
Les graviers, le sable
entre ombre et lumière – un monde de couleurs.
Les profondeurs de ce lac asséché m’attirent.
Les hommes se reposent.
Rien d’autre à dire.
[…]
Exercice de pensée (juste avant de mourir)
Une main est une main
un corps est un corps ; son travail ? Être corps
et vivre arrimé au sol.
Il y a plus, bien sûr.
Le corps est une fleur solaire
sa dépense : totalité
un don
l’assurance d’une stabilité
d’un échange fécond.
[…]
111.
[…]
La colère.
[…]
Quelques notes prises au réveil
Dans cette chambre pendouille un essaim.
Une musique se fait entendre.
La musique est une ligne au-dessus des forces et des formes
et cette ligne, tout à coup, se perd.
C’était le piège.
Tous sont morts.
◼︎
AUTOUR D’UN FEU
[…]
117.
[…]
La simple croisée d’une ombre suffirait donc à transformer tout ton être ?
Quelle est ta tenue, ta vigilance ?
[…]
Les rêves de la fournaise
où la pagaille fornique avec la pagaille ; les rêves
de boue et de chair – ta force, ta faiblesse.
[…]
Une figure se démultiplie, grandit
souriante pour l’instant.
Piège ouvert et chantant.
[…]
14.
[…]
Entre les flammes, la venue d’un mot.
[…]
67.
[…]
« La vision des choses cachées
est un aveuglement. »
Jean Mambrino
[…]
L’harmonie des couleurs ne veut pas uniquement dire foison
mais abondance, tuerie délicieuse.
En écrivant, les phrases du monde meurent sur les berges.
Sera-t-il nécessaire ce retour de flammes
pour approcher la visée haute ?
[…]
173.
[…]
Au sol, dans les graviers, une écharde.
Laisser l’énigme agir, par elle-même
sans aucunement négliger l’adversaire.
[…]
Le cercle.
[…]
Retour au mot
doué de vie
sans trop de vie alentour
surajoutée.
Ta vision, dès lors, devient sensible.
Horizon blanc
faille sans fin.
Où l’on s’engouffre.
◼︎
LES JARDINS
1.
Les jardins, tout ces chemins
qui serpentent.
Les jardins, l’oasis, la fraîcheur.
Une simple motte de terre ; sable, eau et poussière.
Palmeraie.
Le vent se lève, il dessine le temps.
C’est ainsi ! Pourquoi ceci, pourquoi cela ?
L’impossible existe.
&
2.
Les grèves de l’abstraction
Ce que j’ai vu
je n’en parle pas.
Ici, sens et idées se touchent.
La vie est complexe.
◼︎
EAUX ET RIVIÈRES
1.
Tu finiras par disparaître sur le dos d’un animal malade, fatigué et malfaisant
persuadé
à tort selon moi
que quelques mots simplement agencés ne suffisent pas à déclencher l’orage.
La méthode de chacun est singulière.
Ne pas posséder la syntaxe
n’est pas
ne pas posséder la vision.
Les mots fanent et tombent, comme des fleurs.
Pourquoi laisser s’enfuir leur parfum ?
2.
[…]
T.
[…]
77.
[…]
O.
[…]
Nous irons passer la nuit, tout là haut
à attendre longuement la venue des orages.
Tu observeras les à-pics et la glace verticale.
Le grand ciel, étoilé.
Altaïr ; l’Aigle et le Triangle de l’été.
[…]
Enfin, le chant d’une corneille solitaire accompagnera notre descente.
Dans le givre et le froid.
Pieds froissés, corps fatigué.
[…]
13.
[…]
7.
[…]
« À la fin de l’instant l’éternité —
pour que s’ouvre l’instant. »
Jean Mambrino
&
3.
Ici, dis-tu
nous sommes au centre.
Saluons, dans ce partage
la beauté du monde et ses mystères.
◼︎
AUTOBIOGRAPHIE 39
1.
D’une impossibilité ; à vrai dire : un tunnel de lacunes
sans cesse grandissant.
Le ver descend lentement jusqu’en en bas de ta colonne.
C’est ta lignée, il te faut faire avec !
Qu’il est dur le grand saut
la venue sur le lisse, l’espace ; enfin : l’ouvert.
[…]
17.
[…]
« Le fond perdu
est ton trésor. »
Jean Mambrino
[…]
V.
[…]
2.
Des vagues immenses – elles se cabrent, gonflent.
Matière glaciale
à l’affût de tes faiblesses.
Elles empêchent le départ de l’animal.
Des vagues qui annoncent, pourtant
sans cesse
l’exigence des profondeurs.
Le rythme premier ? Une battue naturelle.
Socle nourricier pour les grands fonds.
Mais ta bouche reste pâteuse, sans parole, ta bouche reste bègue.
Quelque soit la discipline la frontière se repousse.
Une question se présente, une seule.
&
3.
Où est-il l’espace dégagé
celui, difficile
qu’ils nomment la lumière ?
☐