Le magazine cherche à réaffirmer ses premières références laïques de gauche mais dans le climat actuel des préjugés religieux ces caricatures ne sont pas opportunes.
{} {} {} {} D epuis Voltaire et plus particulièrement depuis la fondation de la république laïque, en 1905, la France a considéré les religions comme des systèmes de croyance pouvant être librement critiqués et ridiculisés. La tradition enracinée de railler des religions et les institutions cléricales explique le succès de publications au long cours comme Le Canard Enchaîné, (journal satirique fondé en 1915) et Charlie Hebdo, (fondé en 1969).
Charlie Hebdo fut lancé par un groupe de « non-conformistes » qui dirigeait déjà le mensuel Hara Kiri — avec la précision en sous-titre : « bête et méchant ».
Au commencement, Charlie Hebdo mettait en vedette des caricatures, des reportages, des polémiques et des blagues. Il était profondément irrévérencieux et avait une tendance appuyée de gauche anarchiste.
Longtemps avant l’avènement du politiquement correct il avait aussi une inclination à la débauche : le magazine amusait d’exposer des femmes nues d’une façon qui aujourd’hui les ferait considérer comme des plaisanteries sexistes.
En Novembre 1970, après la mort de Charles de Gaulle dans sa ville natale de Colombey-les-deux-Églises, Charlie Hebdo publia une de ses premières de couvertures les plus méchantes et réputée la plus hilarante de l’histoire de la Presse française.
Parodiant les médias populaires qui avaient déploré la perte « du grand homme d’État », l’hebdomadaire déclina laconiquement à la Une : « Bal tragique à Colombey : un mort » [1]. Ce fut trop pour le Ministre de l’Intérieur, toujours gaulliste à l’époque [2], et il fit interdire la publication [3].
Charlie Hebdo avait alors l’équipe des dessinateurs et des écrivains la plus spirituelle et plus drôle de toutes. Ils n’avaient aucun tabou et ciblaient des gens pompeux et réactionnaires.
Ils aimaient particulièrement faire souffrir les riches, les célébrités, les ecclésiastiques, les militaires et les politiciens. Dans le climat de la lutte des classes des années 1970, en France, Charlie Hebdo offrit à toute une génération de jeunes, (souvent ils chipaient le magazine à l’étalage des marchands de journaux), une prise mémorable sur les questions d’actualité.
En 1981, « Charlie » — ainsi le surnommait-t-on, — cessa d’être publié en raison de la chute de son lectorat. Quand il fut relancé en 1992, le monde avait radicalement changé. Peu de membres de l’équipage historique étaient encore présents.
Philippe Val, le nouveau directeur, était un chansonnier de cabaret qui s’était fait un nom dans les années 80, à chanter et à blaguer devant des spectateurs de gauche.
Val changea le style de la publication. N’hésitant pas à licencier les membres du personnel qui s’opposaient à ses vues, il fut souvent décrit comme un homme « dictatorial ». Sous sa direction, la ligne éditoriale de Charlie Hebdo devint confuse. Val s’impliqua dans des conflits de grande envergure avec ce qu’il appelait « les gauchistes impénitents ».
Il fut un fervent partisan de la loi de 2004, qui interdit le port du foulard dans les écoles publiques, et « Charlie » devint plus anti-islamique qu’anti-clérical. En 2009, Val fut nommé directeur de France Inter, une station de la radio publique, par Nicolas Sarkozy.
Le jeune comédien anarchiste à l’esprit rebelle de Charlie Hebdo mourut officiellement ce jour-là.
Depuis le départ de Val, Charlie Hebdo tente de retrouver le sens de l’irrévérence qui semblait perdu. Le nouveau directeur, Stéphane Charbonnier, connu sous le nom de Charb, veut aller de l’avant et repositionner fermement à gauche la ligne éditoriale de l’hebdomadaire. Il est peu probable qu’il parvienne à gérer la restauration de la gloire passée de la publication.
Bien sûr, les gens doivent avoir le droit de se moquer de l’islam et des autres religions. Toutefois, dans le climat actuel des préjugés raciaux et religieux en Europe : en quoi ces caricatures pourraient-elles être opportunes ? Charlie Hebdo mène un combat d’arrière-garde.
Philippe Marlière est professeur en politique française à l’University College de Londres.
– Source de l’article original du 19 septembre 2012 dans The Guardian :
http://www.guardian.co.uk/world/2012/sep/19/analysis-charlie-hebdo-cartoons
– Le site du journal Charlie Hebdo actuel pour mémoire :
http://www.charliehebdo.fr/