E n 2013, j’avais animé à Gaza un atelier de théâtre autour de On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset. Cet atelier a eu lieu à l’Institut français de Gaza, dirigé par Anthony Bruno. Il concernait des étudiants des départements de français des Universités d’Al Aqsa et d’Al Azhar, dont le niveau en français est remarquable. Le département d’Al Aqsa est dirigé de main de maître par le poète, Ziad Medoukh, qui a fait de la langue française sa deuxième patrie.
J’ai été rejoint dans cette aventure par Hervé Loichemol, directeur de la Comédie de Genève qui a dirigé à son tour des ateliers de jeu à Gaza avec les étudiants francophones.
Impressionnés par le niveau des étudiants, touchés par le désir de théâtre chez les jeunes dans un territoire où il n’existe ni cinéma, ni théâtre, ni salle de spectacle, nous avons conçu le projet d’inviter des étudiants de Gaza à Genève, pour y découvrir le théâtre… la vie… !
Nous avons alors invité un groupe d’étudiants pour un séjour à Genève, mais le projet est tombé à l’eau à cause de la guerre. Cette année, nous avons relancé le projet. Adel Hakim, directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry s’est joint à nous. Deux étudiantes ont été sélectionnées à partir des textes qui m’ont été soumis : Ghada et Huda. Comme personne ne peut sortir de Gaza, sans l’autorisation de l’armée israélienne, le Comédie de Genève a déposé deux demandes, l’une par l’intermédiaire du Consulat de France, l’autre par la Suisse.
La demande française a été refusée, et la demande suisse acceptée, la veille du départ.
Il faut savoir que les palestiniens habitant la Bande de Gaza ou la Cisjordanie n’ont pas le droit de voyager depuis l’aéroport de Tel Aviv. Ils sont obligés de passer par le pont Allenby pour se rendre en Jordanie d’où ils peuvent embarquer.
Nos deux étudiantes ont reçu le visa israélien la veille de leur départ sur Genève, mais elles avaient essuyé un refus de la part des autorités jordaniennes. Sans se démonter, elles sont sorties par Erez, ont pris un taxi jusqu’à Jéricho et de là jusqu’à Allenby, où elles ont attendu sept heures avant d’avoir un laisser passer jordanien.
Elles sont arrivées à la Comédie de Genève avec deux textes très forts, écrits directement en français. Huda a proposé « La guerre vue du balcon » et Ghada « Phénix ». Les deux textes évoquent l’expérience de la guerre au quotidien, avec sa banalité, ses horreurs et même sa routine. Nos invitées ont 22 ans.
Durant deux journées, Hervé Loichemol, maître d’œuvre de cette opération, a dirigé un groupe d’étudiants Genevois pour la mise en voix de ces deux textes. Ghada et Houda qui ne sont jamais sorties de Gaza découvraient pour la première fois, une ville européenne et surtout la magie du théâtre.
Après cinq jours passés à Genève, les étudiantes ont pris le train pour Paris à l’invitation du Théâtre des Quartiers d’Ivry. Elles ont assisté à la Première de La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène par Adel Hakim, c’était la première pièce de leur vie. Pas la dernière.
Huda et Ghada sont rentrées ce soir à Gaza. Nous les attendons pour d’autres Premières…
M. K.