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La consolation de la conjuration 

mercredi 23 octobre 2013, par Demian Kaaïn

« Et pourtant je parlerai de jugements avec toi :

pourquoi la voie des méchants réussit-elle,

pourquoi sont-ils en paix les fauteurs de trahison ?

Tu les as plantés, ils ont même pris racine, ils vont bien, ils font même du fruit :

tu es près de leur bouche,

mais loin de leurs reins. »

Jérémie, XII

1.- Ma lecture de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole avait laissée grande ouverte une question : celle de la nature des rapports de ce roman avec un autre livre, qui en est un élément essentiel : la Consolation de la philosophie de Boèce.

Une autre question pourrait être : quels rapports entre ces deux hommes, Boèce et le personnage principal de La Conjuration des imbéciles, Ignatius ? Ou encore : quels rapport entre Boèce, Ignatius et J. K. Toole ?

Il m’avait paru absolument nécessaire, la Conjuration terminée, de lire sans tarder la Consolation. Comme si j’allais y trouver une clef – si toutefois il y en avait une à chercher, de quoi, et laquelle ?

Wikipedia nous enseigne que la structure de la Conjuration est « calquée » sur celle de la Consolation, sans développer plus avant cet alléchant constat. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire au juste ? S’agit-il d’une correspondance numérique de divisions en livres et en chapitres ? Pourrait-on alors découvrir cette fameuse clef par une lecture synoptique des deux ouvrages ?

Hélas, cette première piste tourne court très vite. Le livre I de Boèce contient 13 divisions, le UN de Toole en contient III. Il faudrait donc, en termes de correspondances, chercher quelque chose ailleurs, de plus subtil, des analogies, mais inversées...

D’autres ont peut-être eu cette chance : « In the Consolation itself, Lady Philosophy instructs the narrator to reject Fortuna’s wheel and to see that fate is ultimately under the control of providence. (…) Just as Boethius’s Lady Philosophy contradicts his narrator, Confederacy’s narrative contradicts Ignatius’s views : out of the apparent chaos of fate the order of the plot arises. » (Leighton, p. 7 – cf. lien n° 2 ci-dessous).

La Consolation est le journal d’un condamné à mort qui écrit entre deux séances de torture ; La Conjuration, à la fois l’histoire d’un homme torturé par son anneau pylorique qui écrit sur des cahiers d’écolier et l’œuvre d’un auteur inconnu qui se donnera la mort à trente-deux ans en 1969 par asphyxie au gaz « parce qu’il se croyait un écrivain raté » (Bernard Saux, Le Matin, cité en quatrième de couverture de l’édition française 10-18).

Un écrivain raté dont le roman est édité en 1980 et reçoit le Prix Pulitzer post mortem. On marche sur la tête. Même la vraie vie aura démenti le destin de Toole : « out of the apparent chaos of fate the order of the plot arises », dit Leighton. De l’absence de sens apparent de la destinée, émerge la cohérence de l’intrigue, émerge aussi la réhabilitation de l’auteur. La Roue tourne. La Justice est rétablie.

Marc Fumaroli, dans une brillante préface à la Consolation (éditions Rivages Poche, 1989), constate que « Boèce a découragé les plus grands » ; « la tragédie de Boèce et son héroïsme auraient dû, faute de lui valoir les autels posthumes et la palme du martyre, inspirer poètes et dramaturges. Il n’en a rien été », écrit-il. Que le Boèce historique ne soit pas devenu un personnage littéraire à la manière d’Esther ou de Britannicus parce que sa vie était déjà un roman, soit ; mais Toole a réellement réussi le pari beaucoup plus audacieux de faire de sa Consolation un personnage de son roman à lui, la Conjuration.

C’est pour cela que je me demande si la question – qui reste apparemment posée, selon Leighton – de savoir si Toole a intégralement lu Boèce a vraiment de l’importance. Le livre de Boèce est un personnage du roman de Toole. Il se peut qu’on ne connaisse pas entièrement ses personnages ; ce n’est pas gênant, c’est peut-être même préférable. Ce qui semble plus intéressant, est de savoir à peu près dire pourquoi ce personnage existe et se trouve dans cette histoire, à ce moment-là. Quel est son rôle.

La Philosophie consolait Boèce de la Roue de la Fortune. La Consolation de la philosophie console-t-elle Ignatius de sa Roue de Fortune (c’est-à-dire de son anneau pylorique, des humeurs de sa mère et de l’obligation de travailler) ? Il y a aussi un perroquet dans le roman. Pourquoi ? Pour relier le ciel et la terre, l’ici-bas et l’en-haut, en un envol libérateur ? Finalement, n’est-ce pas grâce à son perroquet que le talent de l’obscure mais ambitieuse danseuse Darlene sera in fine reconnu ? Qui serait la Philosophie consolatrice pour Ignatius ? Qui sera son oiseau de liberté ? Qui lèvera le voile de son talent ? Sa correspondante révolutionnaire, la compagne de route et d’idées, fidèle et exaspérante Myrna qui le tirera de son bourbier ?

Ceci n’est pas un texte universitaire, ni un texte scientifique, ni un texte critique ; toutes compétences non détenues par l’auteur de ces lignes. La méthode (ou plutôt le chaos) qui l’anime est purement empirique et les outils sont ceux d’un prisonnier : les deux livres dont il est question et les souvenirs de lecture de l’autre roman de Toole : La Bible de néon. Ici encore, ici déjà (ce premier roman a été écrit à l’âge de seize ans) un livre – Le Livre – est un personnage central. Ecrire des livres sur des livres pourrait être l’indice de l’importance que l’on donne aux livres – par définition, aux livres lus – lus car publiés, car reconnus…

Consolation et Conjuration sont des œuvres politiques incitant à la résistance, au refus de toute complicité avec les valeurs matérielles de ce monde et de toute prolifération de celles-ci, au retour à la connaissance de soi et à l’accession à la part divine de l’être, suprême liberté – ceci, du fond du cachot dans lequel nous sommes tous, de manière plus ou moins évidente.

Boèce s’envole de sa cellule en suivant la Philosophie – et aussi sa foi chrétienne. Ignatius fuit sa chambre, sa mère, et l’asile psychiatrique auquel elle le destine en s’engouffrant dans la voiture de Myrna qui l’emmène vers ailleurs : New-York. Chacun a trouvé la manière d’échapper à la mort, à l’immobile, à ce qui prend sans donner. Quid du choix de J. K. Toole en faveur de la mort ? Devrait-il être reconsidéré à la lumière de ces réflexions et de l’hypothèse d’un lien entre ces trois hommes ?

La Consolation en était-elle une pour lui, sinon pour Ignatius ? L’a-t-elle aidée à vivre, qu’il l’ait lue ou non ? Et la Philosophie ? Les Ecritures en tout cas n’en furent pas pour le David de la Bible de néon.

La présente Consolation de la Conjuration serait-elle alors celle d’une Conjuration restée trop longtemps inconnue – si longtemps que son auteur méconnu a choisi de mourir pour ne plus vivre cette souffrance ? Parce qu’il n’avait pas été consolé (à temps) par sa propre Conjuration, trop tard publiée et prestigieusement primée ?

Et si Ignatius n’était devenu ce personnage odieux que parce qu’il souffrait de voir sa pensée méprisée ? Lorsqu’on demande à sa mère ce qu’il écrit dans ses cahiers, elle répond : « Des bêtises que personne voudra jamais lire » (sic). La douleur d’Ignatius n’est-elle pas celle de Toole refusé ? Pourquoi Toole avait-il autant besoin de cette reconnaissance ? Notons que c’est grâce à l’obstination de sa propre mère que la Conjuration sera finalement éditée…

Pourquoi toute cette histoire me touche-t-elle autant ? Voilà sans doute la vraie question. Dans quels rapports se trouve l’auteur de ces lignes avec Boèce, Ignatius et J. K. Toole ?

Ce qui me rapproche le plus d’Ignatius est sans doute le sentiment fort d’une étrangeté parfois difficile à vivre en société, d’un décalage qui fait que vos phrases tombent toujours un peu à côté, trop tard ou trop tôt. Le lien avec la situation en cours existe, mais il est labyrinthique. Avec Toole, c’est plutôt la déception de l’auteur refusé. Ouvrir la boîte aux lettres et apercevoir l’enveloppe kraft sur laquelle figure votre propre adresse, de votre propre écriture : manuscrit renvoyé. Ceci est une épreuve qu’il faut savoir surmonter pour continuer à écrire, envers et contre tout, et à transmettre ce que l’on estime nécessaire. Trouver les moyens de pouvoir être lu, à défaut de l’être. Travailler pour éradiquer l’idée qu’une mère de substitution (ou mère 2) a marquée au fer rouge dans votre tête : non, je ne suis pas ou pas seulement ce manuscrit refusé enfermé dans cette boîte aux lettres noire et sombre, je n’écris pas seulement des bêtises que personne ne voudra jamais lire. Rien qu’en ouvrant la boîte, je fais de la lumière et m’envole hors du cachot dans un avion de papier.

2.- Cette idée méritait-elle qu’on s’y arrête ? On sait que les potentialités des intuitions nocturnes ont tendance à filer entre les doigts le jour levé. Ce sera, plus tard, peut-être à un autre d’y réfléchir – si l’un de mes manuscrits ne revenait pas.

Une chose reste certaine : c’est que Jérémie, Boèce, Ignatius et Toole posent chacun à leur manière, et dans toute son acuité, le problème du mal et de l’injustice. Lequel, même s’il fait partie du monde et tourne avec la Fortune, impliquera toujours la plus grande vigilance.

D. K., 2013.

ANNEXE

Notes de lecture de La Conjuration des imbéciles (extraits)

(Les notes originales sont disponibles dans leur intégralité, avec illustrations, sur le site www.reveillematin.canalblog.com).

17 mars 2013 - La Conjuration des imbéciles

La lecture de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole faisait partie de mes résolutions pour 2013. Je l’ai commencée il y a quelques jours et elle s’avère très intéressante et divertissante à la fois.

L’histoire même de ce livre est étonnante. Après le suicide de l’auteur, persuadé d’être un écrivain raté, sa mère (une de celles qui n’abandonnent pas) réussit à faire lire le manuscrit à l’éditeur Walker Percy... « Elle finit, on ne sait comment, par débarquer un jour dans mon bureau et me tendit l’épais manuscrit », dit-il. « Il n’y avait pas moyen d’y couper. Il ne me restait qu’un seul espoir : qu’après avoir lu quelques pages, je les trouverais, en toute bonne conscience, assez mauvaises pour ne pas avoir à en lire davantage. D’habitude, c’est ainsi que cela se passe. (...) Cette fois-ci, je continuais à lire, encore et encore. Au début, avec le sentiment déprimant que ce n’était pas assez mauvais pour en rester là. Ensuite, avec un vague titillement d’intérêt. Puis, avec une excitation grandissante. Et finalement, avec une sorte d’incrédulité : il n’était pas possible que ce soit aussi bon. » Walker Percy affirme également que ce roman l’a laissé pantois « plus encore à la troisième lecture qu’à la première. » 

C’est dire que ma tâche ne fait que commencer.

Signalons déjà que la plus grande ironie du sort ou revanche sur ce sort est qu’aussitôt publié, le livre a reçu le Prix Pulitzer en 1981.

02 avril 2013
- Trouver un travail

La mère d’Ignatius Reilly doit indemniser la victime d’une manœuvre automobile malencontreuse. Elle demande à Ignatius de trouver un travail pour l’aider à rassembler la somme. Voici ce que lui répond son fils :

« Bah, je vais trouver un emploi, mais ce ne sera pas forcément ce que tu appellerais ‘une bonne place’ ». Je possède peut-être des intuitions et des connaissances, une perspicacité qui seraient utiles à n’importe quel employeur. Et cette expérience conférera peut-être une dimension nouvelle à mes écrits. Le fait d’agir au sein même du système que je critique représentera en soi un paradoxe ironique non dépourvu d’intérêt. »

Je dois dire que je comprends très bien Ignatius sur ce point.

16 avril 2013
- Des nouvelles d’Ignatius

Je n’ai pas encore terminé le roman (que je savoure), mais en voici quelques éléments marquants.

Ignatius a fini par trouver un travail. Il a commencé à répondre à une petite annonce que lui signalait sa mère, une petite annonce qui paraissait tous les jours dans le journal (du genre mauvais signe). Et là, contre toute attente, Ignatius fait forte impression au comptable des Pantalons Levy. Il arrive dans un bureau poussiéreux, dont toutes les places sont inoccupées à l’exception de celles du comptable et d’une vieille dame bizarre qui passe son temps aux toilettes, Miss Trixie. Miss Trixie appelle Ignatius Gloria et lui voue une reconnaissance éternelle parce qu’elle lui a donné de la mortadelle.

Ignatius alias Gloria se donne pour première mission de signaler son domaine et sa fonction (conservateur en chef des archives des Pantalons Levy) par un écriteau qu’il confectionne lui-même, assez longuement. Le classement lui prend moins de temps (méthode dite du tri vertical). Visitant les ateliers et discutant avec les ouvriers, il a l’idée de monter une « Croisade pour la dignité des Maures » (nous sommes à la Nouvelle-Orléans) qui tourne au fiasco. Renvoi, non sans avoir laissé ça et là quelques cartouches à explosion retardée dont je vous parlerai plus tard. Le départ de Gloria, sa « meilleure amie », laisse Miss Trixie dans un état de désarroi effrayant.

Ce premier emploi, au passage, donne l’inspiration à Ignatius pour commencer un « Journal du jeune travailleur » à haute teneur politique. Il entend par là donner une leçon à une activiste de ses amies, Myrna, dont les missives l’exhortent à quitter le foyer maternel et sa chambre pour vivre une vie de citoyen engagé, digne de ce nom. 

Errant dans les rues à la recherche d’un autre emploi, Ignatius est attiré par une odeur de nourriture (rappelons qu’Ignatius est obèse et se nourrit essentiellement de sucre lents ou rapides) qui s’avère être celle des saucisses chimiques (eh oui ! déjà) de la marque Paradise, une entreprise de hot-dogs. Le patron finit par l’embaucher comme vendeur ambulant. Le problème, c’est qu’Ignatius, au lieu de vendre ses hot-dogs, les mange quasiment tous. 

Il ne rapporte donc déduction faite de sa consommation que quelques piécettes à la maison.

Pis, cela le fait grossir encore et n’arrange pas ses problèmes gastriques (qui sont son mode d’être voire sa raison de vivre). Désespérée, sa mère essaye de se faire une raison et quelques amis, tout en restant accro à l’alcool dont elle cache les bouteilles dans le four.

02 mai 2013
 Consolation de la philosophie

« Crois-tu que j’ai un ennui ? beugla Ignatius [à sa mère]. Les seuls ennuis de ces malheureux c’est de n’avoir point le goût des voitures neuves et de la laque en atomiseur. C’est pour cela qu’on les enferme ! Ils inspirent de la terreur aux autres membres de la société. Tous les asiles de ce pays, jusqu’au dernier, sont pleins de gens qui ne supportent pas la lanoline, la cellophane, le plastique, la télévision et les circonscriptions, de pauvres gens dont c’est le seul crime. »

 

John Kennedy Toole maîtrise son art à la perfection. Ce qui bien sûr interroge sur les raisons de son insuccès, bien que la réponse à ceci soit l’épigraphe du roman (« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui », J. Swift). Peut-être préférerons-nous dire que son royaume n’était pas de ce monde, qu’il était destiné à être méconnu, voire incompris du lectorat ambiant. Il paraît, d’ailleurs, que le film tiré du roman a connu le même flop que le livre.

Cette histoire, tissée de multiples fils, fait penser à un standard des débuts du téléphone qui permettait de connecter des fiches dans des prises pour établir les communications. Ces fils, nombreux, sont ceux d’un tapis persan savamment tissé dont le motif se découvre peu à peu, au fil des pages – ou des feuilles : car finalement, c’est grâce à un effeuillage que tout se résout. La clef de voûte semble bien être cette scène du bar des Folles Nuits de la rue Bourbon, à la Nouvelle-Orléans. Un effeuillage dans le style du Vieux Sud effectué par un perroquet sur la personne de Scarlett O’Horreur – ladite Scarlett (c’est un pseudonyme) n’étant autre que le modèle d’images pornographiques dont le trafic gangrène la ville et sur la piste duquel se trouve l’agent de police Mancuso… Images porno sur lesquelles figure le livre de chevet d’Ignatius, le même Ignatius étant la proie initiale de Mancuso dans la scène d’ouverture. La boucle – ou plutôt une des boucles du récit – est bouclée.

Arrêtons-nous un instant sur la description savoureuse de l’une de ces images dans le goût de l’époque, dont un stock aurait pu trouver refuge dans le réservoir à petits pains de la saucisse à roulettes de notre vendeur ambulant : « Une femme nue était assise sur le bord d’un bureau, à côté d’un globe terrestre. Avec un bâton de craie, elle semblait pratiquer une forme de masturbation qui intrigua Ignatius. Son visage était caché par un gros volume (…). Ignatius plissa les yeux et déchiffra les caractères inscrits sur la couverture du bouquin : Anicius Manlius Severinus Boethius – Boèce – La Consolation de la philosophie ». Ce qui, précisément, le décidera à rechercher le modèle et l’amènera aux Folles Nuits.

La conscience politique d’Ignatius se caractérise par une volonté de soulever des communautés (les Noirs, les homosexuels) dont il n’est pas membre mais auxquelles il veut donner des causes malgré elles. Son interrogation idéaliste demeure tout à fait actuelle aux temps troublés de notre société, quand certaines catégories de citoyens en considèrent d’autres comme pas tout à fait égales (ou certaines plus égales que d’autres) : « La Croisade pour la dignité des Maures, la première et brillante attaque que j’avais lancée contre les difficultés et problèmes de notre temps », écrit Ignatius, « aurait pu constituer un coup grandiose et assez décisif, si elle n’avait échoué du fait de la vision étriquée et petite-bourgeoise des gens plutôt simples qui constituaient mon avant-garde. Mais cette fois-ci, je vais travailler avec des gens qui ont répudié la philosophie insipide des classes moyennes, des gens qui se sont montrés capables de prendre et d’assumer des positions controversées, de défendre leur cause malgré toute son impopularité et les dangers qu’elle présente pour la bonne conscience béate des membres de la classe moyenne ».

Ce dernier projet se révélera hélas lui aussi une illusion, donnant une nouvelle fois raison à Swift.

Et voici ce qu’il pense du design à tout prix dont notre société de consommation est encore particulièrement friande : « Les deux ou trois sièges semblaient avoir été choisis pour la bizarrerie de leur dessin et de leur conception, car ils eussent été bien en peine de fournir à quiconque une assise confortable – c’était plutôt des idées de meubles, garnies de coussins infimes suffisant à peine à asseoir une poupée. Dans une telle pièce, l’homme n’était censé ni s’asseoir, ni même se détendre, on lui demandait de prendre la pose, de se transformer en un élément humain du mobilier pour compléter le décor au mieux de ses capacités ».

L’on mesurera toute la modernité de cette œuvre – voire son intemporalité – si l’on se souvient qu’elle a été écrite au début des années soixante. Certains critiques trouvent le personnage odieux. C’est sans doute le cas. Il y a toutefois chez lui quelque chose dont les révolutionnaires se sentent proches.

Dans sa course de hamster à l’intérieur de la roue de Fortune, Ignatius est poursuivi par la lettre d’insultes qu’il avait écrite au nom des Pantalons Levy en imitant la signature du directeur. Cette lettre elle-même éclatera en un enchaînement de causes et d’effets et sera finalement l’outil d’un happy end freudien : Gus Levy tue le père en transformant l’usine héréditaire des Pantalons Levy en Bermudas Levy et Ignatius, grâce à sa vieille opposante, coupe le cordon avec Irène, sa mère, échappant de quelques minutes aux infirmiers de l’asile qu’elle avait charitablement commandités pour venir le chercher : 

« — Ignatius, t’es là, dans cette poubelle ? demanda Myrna de sa voix un peu blanche, directe, vaguement hostile.

Elle heurta de nouveau au volet, plissant les yeux derrière ses lunettes à monture noire. Myrna n’était point astigmate ; les verres n’étaient nullement correcteurs, elle portait des lunettes pour manifester le sérieux de son entreprise intellectuelle, pour prouver l’intensité de son engagement. Ses boucles d’oreilles pendantes reflétaient la lumière des réverbères comme quelques tintinnabulantes pendeloques chinoises ».

C’est donc en suivant sa vieille amie d’université Myrna Minkoff (sachant que, depuis le début, il n’a eu de cesse d’orienter sa propre action pour lui « donner des leçons »), qu’Ignatius s’extirpe de sa chambre-matrice. Personnellement c’est à cet instant que j’ai eu la certitude qu’il aimait Myrna, justement parce qu’il ne pouvait parler d’elle qu’en la qualifiant de « péronnelle ». 

Signalons, enfin, qu’Ignatius porte une montre Mickey Mouse [Cette montre sera cassée à la fin du livre. Brisure du Temps.]

© www.reveillematin.canalblog.com


Liens cités

n° 1- Wikipedia

http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Conjuration_des_imb%C3%A9ciles

n° 2- LEIGHTON, H. Vernon

Evidence of Influences on John Kennedy Toole’s “A Confederacy of Dunces”, Including Geoffrey Chaucer. Version 2.0. 1July 2011.

http://www.winona.edu/library/staff/vl/toole/leighton_toole_chaucer.html

Du même : http://leighton-toole-research.blogspot.fr/

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