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La forêt - sur une photographie de Rocco Rorandelli 

jeudi 13 janvier 2011, par Alexandra Bougé

© Rocco Rorandelli, TerraProject & PictureTank

Sur le chemin de la forêt, elle s’enfonçait de plus en plus jusqu’à ne plus voir la route. La terre était molle et elle s’y enfonçait à chaque pas. Elle avançait en essayant sa dea la o parte les tiges qui s’élevaient devant elle. Elle calculait son chemin au mètre près et en changeait fréquemment car il lui arrivait de devoir contourner des arbres ou des agglomérations de chablis. Elle construisait pas à pas sa route taillée dans la forêt. En contournant un tufis, elle tomba sur un enfant. À quelques mètres de lui elle entendit ses cris, mais pensa qu’il s’agissait d’animaux de la forêt. Elle demeura surprise, interloquée, l’effleura car elle n’en croyait pas ses yeux, recula et son cri lui traversa le ventre où la peur naissait. Le petit devait certainement avoir faim, elle posa sa layette derrière son dos, qu’elle attacha avec des cingles et tenta de retourner en se dépêchant au bord de l’autoroute. Le chemin paraissait tracé. Mais la nuit obturait la visibilité. Par à coups, elle le croyait mort car elle ne l’entendait plus et s’arrêta une seconde en baissant la tête et sa respiration régulière lui parvenait aux oreilles. Elle gravissait à grands pas la verdure, sa peau était blême, griffée et rougie. Ses pauses constituaient à peine une minute, l’enfant se remettait à crier et elle avançait. La grosseur des troncs perçait l’espace sombre et ne lui permettait pas de voir la distance qu’il restait à parcourir. Quand des peurs remontaient dans son corps, elle vomissait quelques gouttes de liquide transparent. Des oiseaux ululaient et des cris qu’elle ne reconnaissait pas se faisaient entendre au loin. Il était dix heures du soir. En six heures, elle traversait la forêt. D’après ses calculs, elle ne devait pas tarder à rejoindre la route. Elle s’enfonçait dans la nuit noire en pensant à sauver l’enfant. Enterrée sous des plantes et des troncs, elle n’y voyait rien devant. Un éclair perça brusquement l’air devant elle.
Les lumières clignotaient. Le trafic était lâche. L’enfant ne semblait peser plus rien. Une voiture la prit immédiatement. À l’hôpital, on la rassura que l’enfant n’avait rien. À y regarder de plus près, elle eut l’impression qu’ils se connaissaient déjà et l’échange de regards avait scellé leur rencontre.



— sa dea la o parte : en roumain se prononce “ sa déa la o pareté ” : écarta de son chemin

— un tufis : en roumain se prononce “ oune toufiche “ : un buisson

P.-S.

Photographie : © Rocco Rorandelli, TerraProject & PictureTank

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