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La Marseillaise de la Carotticulture 

mercredi 5 décembre 2007, par Paulin GAGNE (Montoison (Drôme), 9 juin 1808 - Paris, août 1876)

La scène se passe partout

Sommaire : PERSONNAGES PRINCIPAUX : La Carotticulture, peuples, rois, etc.
ACTION : La Carotticulture, fille de la nature et du Siècle, fait un discours dans lequel elle dit qu’elle a toujours aimé la carotte, qu’elle en a tiré des tas immenses pour régaler les peuples et les rois ; elle voit avec plaisir que le monde a du goût pour les carottes : elle ordonne de planter partout ce doux fruit qui seul peut sauver l’humanité, etc. - Les peuples et les rois applaudissent la Carroticulture, qui voit avec bonheur que le gouvernement de la carotte est celui qui s’établit le plus facilement et qui seul a l’unanimité. - Elle proclame grands Carotticulteurs ses partisans les plus dévoués. - Elle triomphe, et les peuples et les rois chantent la Carotte universelle, chant final.

La Carotticulture est la reine du monde
Et fait trôner partout la carotte féconde.

SCENE 1

La Carotticulture, peuples, rois

LA CAROTTICULTURE

Peuples et rois, je suis la Carotticulture,
Fille de la Nature et du Siècle en pâture ;
Mes parents m’ayant faite avec un chaste goût
En plantant savamment des carottes partout,
Même en suçant le lait de ma mère chérie,
J’ai toujours adoré la carotte bénie
Dont, comme vous voyez, sans peur des accidents,
Mon tendre amour s’est fait deux superbes pendants !
Je ne vous dirai pas combien de toute espèce
Mon enfance a tiré des carottes d’ivresse
Afin de régaler les peuples en combats
Qui bien souvent, hélas ! n’avaient rien sur leurs plats !
Le récit en serait beaucoup trop long à faire,
Et peut-être pourrait quelque peu vous déplaire ;
Apprenez seulement que leurs tas merveilleux
Dépassent de beaucoup les arcs les plus fameux !
Je vois avec plaisir que sans craindre la crotte,
Tout le monde ici-bas adore la carotte,
Je vois avec plaisir que dans tous les Etats,
Chez les mamans ainsi que chez les potentats,
Faisant seule la mode en baisse ou bien en hausse,
La carotte se met partout à toute sauce !
Auusi, peuples et rois, dans la conviction
Que je vais chatouiller vos goûts en action
Et que je vais doter d’un bien-être sans bornes
Tous les mortels couverts de haillons et de cornes,
J’ordonne de semer la carotte en tout lieu
Afin de charmer l’air, l’eau, la terre et le feu !
En vain dans son dépit la Pataticulture
Espérait renverser la Carotticulture
En me lançant au front avec son biscayon
Des patates que ronge un mal vénérien
Que sans doute leur ont communiqué les hommes
En empestant les champs de leurs amours de gnômes ;
D’une carotte monstre applatissant son front,
Je l’ai fait succomber sous le plus noir affront,
Et quand dans le virus meurt la pomme de terre,
La carotte en tout lieu lève sa tête altière
Sans jamais éprouver le vénérien mal,
Car chacun a pour elle un amour virginal,
Sans jamais éprouver même la maladie
Que l’on pourrait nommer, sans indécence impie...
Non, je ne pense pas que jamais on ait dit
Que la carotte ait eu le mal le plus petit ;
C’est que le pur sang circule dans les veines
De ce navet rempli des douceurs les plus saines,
Et tous les peuples qui savoureront ses sucs,
Auront de la carotte et la force et les trucs !
O peuples, couvrez donc la plaine et la montagne
De ce fruit que toujours la sagesse accompagne,
Dont la bonté guérit même le mal de dent
Et qui pousse partout ainsi que le chiendent !
Car on en voit partout jusque sur les murailles
Des maisons des manants et des rois en batailles,
Jusque dans les salons, jusque dans les bureaux
Du grand journal, surtout aux temps électoraux !
O peuples, semez donc, même par la pensée,
La carotte qui doit être la panacée
De l’univers entier que son suc doit nourrir
En couronnant d’honneur son brillant avenir.

Et qui comme dans l’art de la pisciculture,
Elle-même pourra s’enfanter sans mesure
Dans des proportions colossales d’amour
Qui de tous les progrès feront luire le jour.

TOUS

Gloire à la Carotticulture magnanime
Qui de tous les progrès guide l’arche sublime !

LA CAROTTICULTURE

Peuples, soyez bénis pour tous les grands pouvoirs
Que m’offrent promptement vos vœux et vos devoirs ;
Je le dis hautement, de vous je suis contente,
Vous n’avez pas trompé ma juste et noble attente :
Je vois que la carotte est le gouvernement
Qui s’établit toujours le plus facilement
Et reçoit avec bruit les gracieux hommages
Des peuples couronnés de tous les avantages ;
Je vois avec transport qu’à perpétuité
La carotte ici-bas à l’unanimité
Que n’avaient jamais pu conquérir nuls monarques
Quoique de la carotte ils portent tous les marques.
L’univers est sauvé ! car dans tous les métiers
Les peuples et les rois sont de vrais carottiers !
Peuples, pour couronner ma puissance suprême
Qui fait de la carotte un divin diadème,
Allons faire un banquet des carottes d’honneur
Que j’arrose moi-même avec l’eau de mon cœur !
Allons, nobles enfants de la carotte pure
Que le monde partout tire d’une main sûre,
Allons, le jour de gloire est enfin arrivé,
Et de tous les bonheurs l’étendard est levé ;
Allons faire sans peur une noce féconde,
Nous avons enfoncé tous les navets du monde !
O vous qui m’entourez des plus hautes faveurs
Je vous proclame tous grands Carotticulteurs !

Mais chantez, chers amis, d’une voix haute et fière
Le chant universel de la carotte altière,
Afin d’épouvanter notre ennemi fumant
Qui prétend sur le trône élever le froment !

Tous, chantant

LA CAROTTE UNIVERSELLE

Allons, enfants de la carotte,
Le jour de gloire est arrivé,
Contre nous du blé qui marmotte
L’étendard sanglant est levé ;
Entendez-vous dans ces campagnes
Mugir ces moissonneurs soldats,
Ils viennent jusque dans nos bras
Égorger nos carottes compagnes !

CHŒUR UNIVERSEL

Aux armes, carottiers, formez vos bataillons,
Marchons, que la carotte inonde nos sillons !

Pour broyer ces ennemis sombres
Qui veulent moissonner nos fronts,
Sachons leur tirer dans les ombres
Des carottes à pleins canons ;
Si les Russes de la bataille
Veulent nous coucher sur le sol
Pour leur faire un Sébastopol
Fuyons en lançant la mitraille !
Aux armes, etc.

Amour sacré de la carotte,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs,
Liberté chérie en compote,
Combats avec les défenseurs.
Des peuples fiers de leur victoire
Viens parfumer le pot-au-feu
Pour qu’ils puissent faire en tout lieu
Éclater la carotte en gloire.

P.-S.

La Marseillaise de la Carotticulture constitue le chant VIII, acte 39, de L’Unitéide ou la Femme Messie, Poème universel en douze chants et en soixante actes avec choeurs, Montélimar,1857.

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