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Les statues meurent aussi  

mardi 13 décembre 2016, par Alain Resnais, Chris Marker (Date de rédaction antérieure : 27 janvier 2012).

Les statues meurent aussi est un documentaire français réalisé par Chris Marker et Alain Resnais sorti en 1953. Il fut commandité par la revue Présence africaine. Un film de légende, interdit pendant dix ans.

De 1952 à 1953, Alain Resnais et Chris Marker tournent un film documentaire sur l’Art nègre dans un contexte où la décolonisation semble inéluctable. Il s’agit d’une commande. Les deux auteurs répondent à la demande du collectif "Présence africaine" patronné par Alioune Diop et animé notamment par des intellectuels comme Aimé Césaire, Price Mars, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright ou Jean-Paul Sartre qui veut offrir à la palabre africaine un espace de discussions où se rencontrent les figures les plus marquantes du monde noir de l’après-guerre.

Alain Resnais et Chris Marker partent d’une interrogation : "Pourquoi l’art nègre se trouve t-il au musée de l’Homme alors que l’art grec ou égyptien se trouve au Louvre ?"

Le sujet des Statues meurent aussi, c’est la mise à nu des mécanismes d’oppression et d’acculturation, l’impossible dialogue culturel dans le contexte immanent de la colonisation, le développement d’un art de bazar parce que le Blanc est acheteur, l’idée qu’il n’y a pas de rupture entre la civilisation africaine et la civilisation occidentale.

En même temps que l’Art nègre gagne ses titres de gloire, ne devient-il pas une langue morte, questionne Chris Marker ? "On achète son art au Noir et on dégrade son art" poursuit-il.

La commission de contrôle refuse au film son visa du fait notamment du discours anticolonialiste explicitement véhiculé dans le documentaire. Au bout de 10 ans, une copie tronquée du film sort toutefois sur les écrans.

« On nous avait commandé un film sur l’art nègre. Chris Marker et moi sommes partis de cette question : pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au Musée de l’Homme, alors que l’art grec ou égyptien est au Louvre ? » explique Alain Resnais.

À l’arrivée, une exploration passionnée de l’art nègre et une dénonciation virulente des méfaits du colonialisme. La question posée reste d’actualité, pour ce qui concerne le Louvre – mais aura contribué à voir naître le musée du Quai Branly.

Le film a fait l’objet d’une interdiction en France durant huit ans :

Chris Marker à propos du film :

« Les statues meurent aussi » …voici un film dont on a beaucoup parlé. Un peu trop, sans doute. Et il est probable que relâché par une censure qui le garde sous clef depuis 10 ans, il décevrait. Le « colonialisme » qu ‘il met en accusation dans sa dernière partie, qui le revendique en ces temps éclairés et décolonisateurs que nous vivons ? En fait, et même à l’époque de sa réalisation, les raisons de ce « Grandeur et décadence de l’art nègre » n’ont jamais été très claires. Elles visaient vraisemblablement plus la forme que le fond et plus précisément une certaine règle du jeu, un certain code non respecté de la « forme ». Ainsi, des fonctionnaires qui apparaissaient au hasard des bandes d’actualités utilisées dans la dernière bobine, et dont le visage était aussi inconnu des auteurs que du public, n’ont jamais pu se défaire de l’idée (étrangement flatteuse) qu’ils étaient pris personnellement à partie. Or il est bien établi que le pamphlet, genre admis et honoré en littérature, ne l’est pas au cinéma, divertissement des masses.

Chris Marker. Extrait de son ouvrage « Commentaires » paru au Seuil en 1961.

Alain Resnais à propos du film

Quant à eux, ils savaient tout ce qui se passait en Afrique et nous étions même très gentils de ne pas avoir évoqué les villages brûlés, les choses comme ça ; ils étaient tout à fait d’accord avec le sens du film, seulement (c’est là où ça devient intéressant), ces choses-là, on pouvait les dire dans une revue ou un quotidien, mais au cinéma, bien que les faits soient exacts, on n’avait pas le droit de le faire. Ils appelaient ça du "viol de foule". L’interdiction eut des conséquences très graves pour le producteur. Quant à nous - est-ce un hasard ? - ni Chris Marker ni moi ne reçûmes de propositions de travail pendant trois ans.

Alain Resnais, sur son entretien avec deux des représentants de la commission de censure

Il n’a pas paru possible à la commission de suggérer des coupures, tant dans le déroulement des images que dans le commentaire, sous peine d’encouvrir à ses yeux le reproche de se substituer aux auteurs »… C’est en s’abritant derrière ce « refus de se substituer aux auteurs » que la commission a toujours refusé de nous indiquer ce qui la gênait. Mais un jour, deux membres de la commission sont venus me voir pour me déposséder de la réalisation du film !
(…)
Ils sont venus me voir dans ma salle de montage. Ils me disaient « Vous avez fait un très beau film mais vous comprenez bien qu’on ne peut pas lui donner le visa ! Il suffirait de l’arranger, il est trop beau pour que vous le laissiez perdre… Ne croyez pas que nous soyons contre le contenu, non, non, au contraire ! Si on vous racontait tout ce qu’on sait sur l’Afrique, tout ce qui s’y passe, les villages brûlés… mais me disaient-ils, vous n’en suggérez pas le quart !… Je leur répondais : « je ne fais pas un film sur le colonialisme, ça pourrait éventuellement m’intéresser d’en faire un mais ce n’est pas le sujet de celui-ci.

Extraits de l’interview d’Alain Resnais réalisée par René Vautier dans les locaux de Slon rue Mouffetard à Paris .

Aller plus loin :

On retrouve sur ce site pour une retranscription d’une émission de France Culture, « La Nouvelle Fabrique de l’histoire » du mardi 18 juillet 2006 consacrée à ce documentaire : http://www.fabriquedesens.net/Les-statues-meurent-aussi

P.-S.

Réalisateurs : Alain Resnais et Chris Marker

Tourné en France

Format : Noir et Blanc

Durée : 30 minutes

Scénario : Chris Marker

Compositeur : Guy Bernard

Récitant : Jean Négroni

Prix Jean-Vigo en 1954

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