Les principales œuvres de Nietzsche traduites en France viennent de l’édition allemande révisée, non seulement principalement par sa sœur pour le tirer vers l’idéologie du national socialisme (ce qu’on savait particulièrement à travers La volonté de puissance), avec l’aide de Peter Gast, ancien ami de Nietzsche, — qui a carrément censuré des passages originaux de certains textes pour édifier l’ensemble, — mais à entendre davantage : grâce à l’aide cohérente de Heidegger.
Ils sont allés loin, jusqu’à se rendre chez l’imprimeur. Notamment concernant Ecce homo, qu’ils ont mutilé en subtilisant les notes critiques que l’auteur y avait ajoutées quand son état de santé le lui permettait encore, (la publication fut posthume), et en dévoyant le sens, colorant ainsi l’ensemble de l’œuvre.
Or c’est d’après cette lecture en français et sa référence en allemand que la plupart de nos grands philosophes post-modernes seraient repartis pour le commenter, depuis les commentaires de Heidegger, sans avoir éprouvé la pensée nietzschéenne en allemand à la lueur des archives de l’auteur. Et le pire de tout serait l’ultime analyse qu’en aurait faite Foucault, notamment à la fin de Les mots et les choses, statuant ainsi définitivement, jusqu’à nouvel ordre, sur la pensée d’un tel génie. En particulier concernant la « mort de l’homme » qui découlerait de la « mort de Dieu ».
Celui qui le remarque, c’est Romain Sarnel, qui pas à pas depuis 1999 s’est lancé dans la re-traduction des œuvres de Nietzsche.
Car, dit-il, « du fait que la falsification nationale socialiste d’Elizabeth Förster Nietzsche et de Martin Heidegger porte sur le langage et donc sur la pensée », une redécouverte de Nietzsche d’après une nouvelle traduction est nécessaire pour avoir accès à son œuvre dans tout son sens et sa beauté.
« Ce qui rapproche la pensée nationale socialiste, la pensée marxiste léniniste, et la pensée structuraliste, c’est que ce sont, toutes les trois, des pensées du Même. Or, Nietzsche est un penseur de la métamorphose, au niveau de l’action, un penseur de la métaphore, au niveau de la connaissance, et un penseur de la métonymie, au niveau du langage. » explique Sarnel.
Ce qui est émergent dans la proposition de Sarnel c’est qu’il ne travaille pas sur l’Histoire mais sur le concept ; ce n’est pas un travail idéologique d’opinion sur la purification d’un philosophe, mais une question de principe vital — collectif — sur l’intelligence du sens critique dans la société actuelle. Telle l’innovation de son dernier essai, tout juste paru, qualifié en couverture d’« essai graphique », avec des dessins de Naema Bellart.
À lire la série des trois entretiens de Romain Sarnel à l’initiative de Guy Darol, qui se présentent en fait sous l’aspect de trois monologues ponctués par des questions fondamentales du journaliste, pour la revue « Salon littéraire », on éprouve l’impatience de découvrir cet ouvrage Comprendre Nietzsche, qui vient de paraître sans conformisme dans la collection Guide graphique chez Max Milo, avant de suivre assidûment le travail de fourmi mené par ce philosophe français. Tout pour nous séduire (dans le sens de l’attraction de l’altérité).
Mais encore on se dit qu’il ne pourrait y avoir de contresens entre la lecture et le sens de l’œuvre de Nietzsche ainsi proposée, et le défi relevé par Baudrillard dans les métamorphoses de sa propre pensée.
Un grand salut à Guy Darol.