Contents / Table des matières : — Résistance et souveraineté culturelles ↓ — Le festival : programme + infos ↓ — Deuxième action : Concours International Oscar Niemeyer ↓ —
LA RÉSISTANCE CULTURELLE COMME SOUVERAINETÉ
« Les interactions de ce monde je ne les connais pas je ne sais que les décrire les observer j’ai la capacité de sentir sous la plume crisser la chaleur ou la circulation invraisemblable imposée stupéfiante et quelquefois mortelle. Je reconnais dans des écrits passés la disparition de ce que vu, aimé, où j’ai appris à vivre, et cette insulte au peuple dont je suis me radicalise dans des positions forcément nettes. »
Christophe Huysman, Les chemins de Damas [1]
“A movement is a displacement of a point of view. The persistence of singularities is most obvious in the sensory overload. Fugue states are places where layers of recursion persist. In the most desolate locale, or in the dense visual fields of paintings hung side by side.....in these extremes, at least, the fugue state arises.”
Christina McPhee, Fugue State [2]
“Of course, for the Americans, the telling conceptual design piece at the moment is the 3D printable gun. But for us, maybe a 3D printed Guy Debord asks more pertinent questions, about where free culture is not in the twenty-first century. I got some negative commentary from the pro-situ crowd—they still exist. Debord is a bit sacred to them. I have to admit, when somebody suggested turning the design into a candy dispenser even I thought some boundary was being crossed.”
McKenzie Wark, Millennium Candies [3]
« Vers d’autres trajectoires inachevées, vestiges d’autres temps superposés, always out of joint, déconnectés dans l’immensité d’un parcours qui recommence, nouvelles lignes de fuite après quelques impasses sinueuses et indociles, tracés aux allures de gravures ou d’esquisses insolites. »
Olivier Hadouchi, Raconter et commenter un monde en ébullition [4]
Du jeudi 14 au mardi 19 novembre 2013, au Liban, aura lieu le premier opus de l’événement Tripoli International Film Festival, pensé, imaginé, et dirigé par la cinéaste et artiste Jocelyne Saab à laquelle il a été confié par l’association qui l’organise et qu’elle a co-fondée sous le terme Résistance culturelle. Entourée d’une équipe libanaise de jeunes artistes, communicants, et techniciens, formidables, dédiés à la résistance culturelle face à la résistance armée qui gronde à tous les carrefours du Proche Orient, ici elle montre que si le cinéma de création et le cinéma critiques résistent, au sens le plus large, c’est par un régime spécifique de l’image.
« Sans même parler des caméras de surveillance (banques
iconographiques de choix pour cinéastes expérimentaux), les images
sont désormais massivement produites et diffusées hors des circuits
commerciaux, par nécessité ou par choix. La disponibilité des outils
audiovisuels domestiques se conjugue avec l’extrême concentration des
médias, redoutable facteur de paupérisation du discours politique
professionnel, pour provoquer une ruée vers ce qui reste d’espace
public encore libre et accessible : internet, radios et télévisions
locales, festivals, salles de cinéma indépendantes (…). La différence
majeure et qualitative entre ces images et celles du commerce, c’est
qu’elles ne viendront pas à vous, il faut aller les chercher soi-même,
et rien ne s’avère plus édifiant qu’une telle quête. »Nicole Brenez, « Cinéma activiste », Cahiers du cinéma, juillet-août 2007. [5]
Extrait cité par Pascale Cassagnau :
Un pays supplémentaire La création contemporaine dans l’architecture des médias.
C’est pourquoi seuls des événements majeurs peuvent l’informer au-delà des cercles qui cherchent à le voir.
Jocelyne Saab a choisi principalement (mais pas seulement) le cinéma émergent du Proche Orient, de l’Asie, de l’Asie de l’est, et de l’Inde.
Olivier Hadouchi, dans ses Carnets dédiés de Criticalsecret, aux mois de mars et d’avril cette année, nous a instruits à travers le plaisir de le publier, et honorés de plusieurs de ses grands entretiens avec des cinéastes singuliers de la résistance. Résistants d’abord dans leur propre capacité de vivre au milieu du chaos ou d’en réchapper, par leur œuvre même ils symbolisent la « résistance culturelle », — nom magique de l’association qui organise ce festival, cet aphorisme en deux mots qui dit tout de son objet, c’est-à-dire rien de ce qu’il en est attendu au delà du moyen qu’il procure : donc c’est un leurre. Mais ce n’est pas un mensonge, tout au contraire la chose nommée est si parfaite et d’abord imprévisible sous son nom qu’on ne peut lui attribuer de représentation spécifique, pour qu’elle ait une chance d’exister à sa guise, rose absente de tout bouquet — le temps réel de la vie, pas l’utopie. On pourrait penser à tort la résistance culturelle conjointe de la résistance armée, parce qu’il a pu lui arriver de l’accompagner. Du moins faire un bout de chemin avec elle puis la quitter sans trahir les amis. En fait, la résistance culturelle mène son petit chemin elle-même. C’est la leçon de Mario Handler, c’est la leçon de Jocelyne Saab, les deux stars/non stars des entretiens que Olivier Hadouchi nous a offerts à découvrir.
La résistance culturelle ce n’est pas l’arme de propagande ni hurler les mots d’ordre. Pourtant, le nom d’entreprendre, « Résistance Culturelle », paraît en être un. L’indescriptible, incroyable, vie en mouvement qui pense, et comment se cooptant entre plusieurs elle devient pensée de toutes les pensées en mouvement. Ce n’est pas un mot d’ordre c’est un oriflamme, un drapeau de ralliement empathique. En quoi les graphistes qui entourent Jocelyne Saab communiquent une sensibilité visuelle particulièrement significative de son projet ouvert au multiple.
Une certitude internationale : seule la résistance culturelle, parce qu’elle est une réponse pacifique quand la culture est attaquée de toutes parts par les armes et par les sociétés telles qu’elles sont devenues, partout dans le monde, peut vaincre, parce que son lieu n’est pas celui du pouvoir mais de l’existence, celui de la sérendipité, l’aléatoire contre la fatalité.
En réalité, cet aphorisme surgit en puissance d’autant plus grande que la guerre fasse la preuve de mener à une impasse, en plus des destructions humaines, sociales, et matérielles épouvantables qu’elle provoque, ne pouvant plus continuer que jusqu’à la consommation totale de son propre armement et des destructions possibles. C’est le cas actuel de la guerre en Syrie et des tentatives de l’exporter dans une des villes déchirées par l’ancienne guerre libanaise, la guerre davantage pour pouvoir se poursuivre plutôt que s’étendre. La mécanique de la guerre actuelle est simple : si la guerre ne peut plus se développer en Syrie alors il faut l’exporter pour la continuer, où tout n’est pas encore radicalement détruit.
À l’inverse de la guerre dialectique, façon de poursuivre la politique par d’autres moyens, ce qui n’est plus le cas des guerres contemporaines, la résistance culturelle demeure quand toute autre résistance, armée inclus, a été rendue impossible par les circonstances : répression totale, dernier adversaire tombé sur le champ de bataille, catastrophe naturelle ou accidentelle... Alors on ne va pas chercher la culture parce qu’elle se révèle d’elle-même, résurgence ultime, à vouloir vivre humain elle s’impose en contexte, — quand la vie émerge de son combat avec la mort, et ce n’est pas toujours s’agir d’une guerre.
Elle surgit à la conscience sous la forme d’un désir d’inventer un langage qui parle de nouvelles choses, non comme une mémoire de ce qu’il faudrait reconstruire, mais comme une chose nouvelle d’innover à produire autrement chaque instant, quand la mémoire est traumatisme. Ainsi la résistance culturelle permet-elle à la mémoire de retrouver son calme pour produire la paix et les règles de la paix (leçons tirées du choc de la destruction des pactes sociaux, de la guerre, ou des contextes circonstanciés du triomphe politique du pire ou du meilleur pour tous).
La résistance culturelle c’est décider de déserter la répétition automatique du choc, soudain avoir une lueur, pouvoir réfléchir à ce qui s’est passé juste avant et juste après le choc. Non se replier sur la tradition mais chercher l’existence dans l’ouverture, métamorphoser ce qui reste dans ce qui nous arrive plus loin, ce qui nous parvient de loin pour nous faire penser, aimer encore et innover encore de danser, — danser contre la guerre — plus bruyamment que le bruit de la guerre [6], et d’être les plus nombreux possibles à danser contre la guerre — le public des salles quand il ressent ensemble le cinéma, ou quand il va au-devant de la culture dans laquelle il se reconnaîtra peut-être, ou la mettant lui-même en ouvrage comme un appel vers autrui (le cinéma n’est-il pas la vision pour autrui, et par là substituée, d’une certaine façon par la vision d’autrui ?)
Le cinéma comme forme de combat, media des témoignages, réflexion sur des sujets fictifs de situations qui ne pourraient être acceptées autrement, et comme lumière sensible du temps, est une arme pacifique extrêmement puissante quand elle cherche la vie parmi la mort ou ce qui sourit parmi un monde hostile, plutôt que prouver quelque chose. Et le cinéma de Jocelyne Saab paraît toujours à l’affut de la vie sensible dans le jour même par rapport à la mémoire du jour précédent, avec la vision du ciel incertain des lendemains annoncés pour ne pas chanter mais sur le chemin desquels chaque instant pourra chanter pourtant. Parce que la vie déroule autrement les choses qu’elles n’ont été annoncées. Ainsi se crée le renouvellement des possibilités de la vie ensemble où les prévisions et les volontés délibérées ne l’attendaient pas... Certains appellent cela des miracles.
C’est une femme visionnaire.
Nous l’avons découverte dans sa passion, son énergie, sa beauté faite de grâce et d’élégance, artiste contemporaine et cinéaste documentariste et de fiction, pendant que le public parisien dont nous étions pouvait voir son œuvre filmique à la Cinémathèque française, grâce à un hommage organisé par Nicole Brenez [7] — qui sera Présidente du festival, avec Wassyla Tamzali [8] co-Présidente, à Beyrouth.
Aujourd’hui, exprimant que le Liban culturellement doive résister à travers le monde qu’il convoque, dans le titre même du festival, l’association Résistance culturelle cite Tripoli, la ville libanaise trois fois millénaire, rappelle une information préalable de la Directrice artistique. Ville pourtant menacée de façon persistante par l’imminence d’une guerre, à cause de sa situation et de son habitat stratégiques. C’est une ville doublement symbolique de la résistance car un immense pôle urbain postmoderne entrepris par l’architecte brésilien Niemeyer en 1965 y resta inachevé [9], la construction s’interrompant dans l’emportement des armes en 1975... Les ruines de l’architecture moderne inachevée et laissée inhabitée sont des ruines autrement — pouvant revivre un jour, plutôt que d’autres endommagées par le feu des armes ayant fait tant de morts sous les décombres qu’elles sont devenues des sanctuaires, tel, pour ne pas citer un exemple au Liban, mais sans doute un des pires de la seconde guerre mondiale en Europe, la plupart des quartiers de la ville de Rotterdam détruits par le bombardement des nazis en quête de punir le gouvernement néerlandais de n’avoir pas capitulé, en abattant son port, le premier port du commerce mondial en Europe, le 14 mai 1940, ne fut pas reconstruite avant les années 1990.
C’est un comble de dire à une autre échelle que le bâtiment qui héberge depuis 2005 la Cinémathèque française où nous avons rencontré pour la première fois Jocelyne Saab, au début de l’année, à Paris, avait lui-même connu un état d’inachèvement, commande à l’architecte international Frank Gehry d’un nouveau bâtiment pour l’American Center, maître d’ouvrage qui soudain avait refusé d’en achever la construction et de s’y installer, le trouvant inhabitable, en 1993. Ce furent l’État et la ville qui finalement achetèrent ce bâtiment en suspens devenu, par l’audace de sa structure, sa situation dans un parc, sa signature et son statut inhabité, une sorte de monument ou plutôt de folie énigmatique, pour le confier à Dominique Brard afin de le réaménager, à vocation de la Cinémathèque. Ainsi l’œuvre de Gehry [10] dans le nouveau quartier de Bercy trouva-t-elle dans sa nouvelle fonction la beauté citoyenne d’une intégration sociale imprévue.
Irons-nous à Tripoli ?
Tout aura lieu. Extramuros si nécessaire.
Construire, détruire, construire, penser le monde à travers l’art filmique qui le transforme pour pouvoir le montrer, c’est aussi le défi féministe de Jocelyne Saab dans un Liban qui refuse l’éternité fatale de la guerre et résiste par la personnalité de quelques femmes à l’entropie de la misogynie communautariste.
On pense à la fluidité des genres et des espèces perméables des dieux et des déesses antiques qui poursuivent d’inspirer les mouvements de ceux et celles autour desquels nous aimons nous rassembler au-delà des représentations, parce que leur plasticité professionnelle ou relationnelle les rend opportuns où qu’ils soient sans trahir leur conscience.
Non seulement penser son propre cinéma mais penser son cinéma parmi le cinéma des autres cinéastes et les rassembler pour leur gloire, avec le même courage héroïque, et la même grâce poétique dans l’art de convoquer les talents par le sien propre. Cette magie du cinéma, est à la fois séduction et ancrée dans un pragmatisme que seuls les cinéastes qui se sont confrontés au grand reportage, ou à des tournages de films de fiction dans des pays aussi déchirés que ceux où Jocelyne Saab a tourné ou réalisé, ou encore des cinéastes que de trop grandes ambitions ont précipité vers leur propre destruction mais qu purent en réchapper pour poursuivre de filmer ce qu’ils avaient dans la tête, aussi bien que les cinéastes martyrisés soudain revenus pour voir et montrer sous un autre éclairage parfois le bonheur parfois la misère, après les bombes, entre deux dictatures, sous l’œil du vautour ou du Grand Frère, oubliés des bureaucraties écrasantes, dépourvus de l’argent de l’échange, au-delà des souffrances ou des déceptions.
Sous les chemtrails partout c’est la guerre.
L’ironie critique du cinéma est antho-ontologique : ce n’est pas tant de crier des mots d’ordre de la résistance que d’en signer le geste, non pour soi mais pour prouver aux autres que le fait est bien là, qu’il existe et que d’autres signes pourront exister, c’est un encouragement : un don. Manifester l’existence du monde comme une dynamique singulière, tandis que des pouvoirs s’acharnent à le faire disparaître, c’est tout au contraire, et par nature, le révéler. C’est donc l’empêcher de disparaître, c’est-à-dire à les gêner, à les empêcher en quelque sorte sans le vouloir dans leurs desseins. Un événement de la résistance culturelle c’est un rassemblement. Un rassemblement du cinéma dans le cadre de la résistance culturelle, c’est quand il se trouve, se choisit, se coopte, en assumant sa discipline sans corporatisme. La résistance culturelle, c’est quand le cinéma s’échappe à lui-même, quand il devient plus fort que lui. C’est la souveraineté culturelle, l’ombre d’Athena.
Olivier Hadouchi, Jocelyne Saab, traduits par Christina McPhee :
#OlivierHadouchi Conversations avec la cinéaste Jocelyne Saab / Several conversations with filmmaker Jocelyn Saab.
LE FESTIVAL, PROGRAMME, ETC.
Pour télécharger le programme sans quitter cette page pointer sur une icône et faire un clic droit sur la souris afin de voir apparaître le menu dans lequel vous pourrez commander « téléchargez le fichier lié ».
On remarquera que le festival cinématographique proprement dit se déroulant du 14 au 19 novembre s’étend en amont au 9 et au 10 pour des événements au salon du livre de Beyrouth et pour des événements universitaires les jours suivants jusqu’à l’ouverture.
La note d’intention de la Directrice artistique (où elle explique ses choix).
L’Interview à propos des films programmés (suivre le lien).
Il est possible d’accéder à la page Facebook de l’événement en suivant les boutons du menu dans cette intégration du Teaser.
– Tout le matériel graphique mis en partage dans le facebook public de l’événement reproduit ici est téléchargeable à sa source, pour permettre de communiquer le festival avec ses liens dans les blogs et sites de ceux qui veulent le partager. ↑
SECOND ACTION :
OSCAR NIEMEYER INTERNATIONAL COMPETITION
Deuxième action : Concours International Oscar Niemeyer
Le Liban compte deux monuments inachevés : Baalbek, qui remonte à l’époque romaine, et la Cité Niemeyer construite par le célèbre architecte brésilien Oscar Niemeyer dans les années 70, qui fut interrompue par la guerre civile libanaise.
Une compétition internationale de films sera lancée sur la base du complexe architectural construit par Niemeyer et qui porte toujours le nom de « Parc des expositions de Tripoli Rachid Karami » [12]...
Le concours sera annoncé lors de la cérémonie d’ouverture du Festival, et sur internet. Il offrira à chaque candidat la possibilité de faire un film qui devrait capturer l’esprit de la ville construite à Tripoli dans le contexte de l’architecture mondiale par Oscar Niemeyer. La durée de chaque film peut être d’une minute à une heure et vingt minutes. Le format est ouvert : documentaire, fiction, animation, création photographique, vidéo-art , installation, etc...
Les films gagnants seront présentés sur internet et projetés dans les lieux-mêmes de la ville de Niemeyer à Tripoli, au cours de la deuxième édition du Festival International du Film de Tripoli [ en 2014 ].
Read it in English :
http://culturalresistance.org/oscar-niemeyer-international-competition/.
Voir quelques images de la Cité Niemeyer qui accompagnent un article à lire (en anglais) « The Rashid Karami International Fair by Oscar Niemeyer », dans le site the velvet rocket (Mai 2011). [ éventuellement la traduction sera faite ultérieurement ] ↑