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Perspectives sur le colonialisme à travers L’Enracinement de Simone Weil 

lundi 19 janvier 2015, par J.P. Little

(1)« Le problème d’une doctrine ou d’une foi pour l’inspiration du peuple français en France, dans sa résistance actuelle et dans la construction future, ne peut pas se séparer du problème de la colonisation (2). » Par cette constatation, tirée de l’essai « À propos de la question coloniale dans ses rapports avec le destin du peuple français », écrit à Londres en 1943 et donc contemporain de la rédaction de L’Enracinement, Simone Weil fait un rapport très clair entre enracinement – la recherche d’une solution à l’effondrement de la France devant les forces allemandes – et le problème de la colonisation.
Je me propose ici d’examiner comment elle est arrivée à lier enracinement, thème de son essai majeur du même nom, et colonisation qui, au moment de la rédaction de L’Enracinement, semble faire partie intégrante de ce thème.
Prenons d’abord le volet colonisation de notre diptyque. En 1943, année de la rédaction de L’Enracinement, ce thème l’habite déjà depuis longtemps, fournissant l’une des constantes de sa pensée. Daniel Boitier a sans doute raison de dire que, autant on observe des ruptures, des renversements de position dans la pensée politique de Simone Weil prise dans son ensemble, autant on constate « une stricte continuité sur ce paradigme du colonialisme. De la Simone Weil militante à la Simone Weil des années 40, se maintient cette vigilance politique contre le colonialisme (3) », mûrie pourtant par l’angoisse des années qui ont précédé la déclaration de guerre en 1939, et se manifestant dans tout un faisceau d’articles entre 1936 et 1938.
Le déclic remonte pourtant plus loin, à la publication en 1930 dans Le Petit Parisien d’une enquête sur l’Indochine par le journaliste Louis Roubaud. S’il se trouvait en Indochine à cette époque, c’est que des événements sanglants étaient en train de s’y passer : les nationalistes indochinois essayèrent de provoquer une mutinerie par les troupes indigènes contre les officiers et sous-officiers français qui s’y trouvaient stationnés. Cette tentative fut sauvagement réprimée, et Roubaud rend compte des exécutions qui ont suivi, saisissant l’occasion d’exposer les conditions de vie des Indochinois et les rapports entre ceux-ci et leurs maîtres coloniaux français. La lecture de cette enquête bouleversa Simone Weil, comme elle raconte dans un projet d’article qui a pour titre « Lettre aux Indochinois », écrit pendant l’hiver 1936-37. Elle associe cette lecture à l’Exposition coloniale de 1931, confondant peut-être dans son esprit la lecture de la série d’articles dans le journal avec l’annonce par Roubaud en février 1931 du livre qui allait en sortir (4). Quoi qu’il en soit, l’effet de sa lecture a eu un effet dévastateur sur la jeune philosophe, comme elle raconte dans cette « Lettre aux Indochinois », évoquant « la douleur » et « la honte » qu’elle a éprouvées devant les faits exposés par Roubaud :

« Je n’oublierai jamais. C’était au moment de l’Exposition coloniale. La sanglante affaire de Yen-Bay, suivie d’une sanglante répression, avait rappelé aux Français qu’il y avait une Indochine. Le Petit Parisien publiait en première page une enquête courageuse et documentée de Louis Roubaud. Je l’achetai tous les matins ; en déjeunant à la hâte, je dévorais l’article de Louis Roubaud. J’y voyais comment on recrutait les coolies, comment on les frappait, comment il arrivait à des contremaîtres blancs d’estropier ou de tuer à coups de pied des ouvriers annamites, devant leurs camarades trop terrorisés pour intervenir. Des larmes de honte m’étouffaient, je ne pouvais plus manger. » (Œuvres complètes [5], II 3, p. 121)

Soit dit en passant, la violence de sa réaction explique peut-être sa confusion des dates évoquée à l’instant : le contraste entre les faits racontés par Roubaud, et la grandeur éblouissante de la puissance coloniale mise en évidence par l’Exposition était flagrant, l’abîme entre le mythe soutenu par la République et la réalité qu’elle vient de découvrir trop béant. Elle sentait très vivement la contradiction entre les principes fondateurs de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité auxquelles les Français aspiraient chez eux, et les conditions imposées aux peuples colonisés, par le fait même de la colonisation. N’y a-t-il pas contradiction en parlant de la « République coloniale » ? Question posée par les auteurs du livre du même titre, quand ils maintiennent que « La République est le lieu d’expression du peuple souverain. Ses habitants sont des citoyens. La colonie est le lieu d’expression de la force, de l’arbitraire. Ses habitants sont des sujets »(6). N’y a-t-il donc pas contresens ? C’est une contradiction qui a angoissé Simone Weil tout au long de sa réflexion sur le fait colonial.

Le choc qu’elle a reçu en lisant les articles de Roubaud s’explique facilement. À cette époque elle n’avait pas eu l’occasion de beaucoup entrer dans le monde des pratiques coloniales. Est-ce qu’elle connaissait déjà les écrits de Gide (Voyage au Congo [1927] et Retour au Tchad [1928]) ? Elle n’a fait la connaissance de Daniel Guérin, syndicaliste révolutionnaire et anticolonialiste, animateur du Cri du peuple, qu’au Puy-en-Velay en 1931-32. Déjà en tant qu’étudiante elle lisait L’Humanité qui publiait fréquemment des textes anticolonialistes, y compris des textes du journaliste Albert Londres, autre source pour Simone Weil d’information sur les colonies. Elle a dû être au courant du tract « Ne visitez pas l’Exposition coloniale » signé André Breton, Paul Éluard, Aragon, René Char, et d’autres noms moins connus du public, mais de tels écrivains, surréalistes et communistes de surcroît, n’avaient rien pour la séduire (7). Son information au sujet du colonialisme a dû être acquise au hasard de ses lectures, et il lui a fallu le reportage de Roubaud pour que le sujet lui entre dans la chair. Comme dans d’autres domaines, elle a dû souvent se sentir très seule. Son intransigeance, son sens de l’absolu, sa façon de trancher nettement devant tout sujet de discussion, ont dû souvent rendre difficile pour elle la collaboration avec autrui.
Les voies politique et syndicaliste l’ayant déçue, l’opposition au colonialisme devient donc très tôt une activité de choix. La « Lettre aux Indochinois », évoquée plus haut, et les autres articles qui l’ont suivie, semblent répondre à une remarque qu’elle fait dans une lettre écrite en 1934 à ses amis Urbain et Albertine Thévenon (dont elle a fait la connaissance par l’intermédiaire de Daniel Guérin, d’ailleurs). Dans cette lettre elle parle de sa « résolution de [se] retirer une fois pour toutes dans [sa] tour d’ivoire, et de n’en sortir que pour deux choses : lutte contre l’oppression coloniale, lutte contre les manœuvres de défense passive » (VSW, II, p. 9 – référence peut-être au pacifisme qu’elle maintenait encore à cette époque)(8).

Penchons-nous de plus près sur le texte de Roubaud, pour voir en plus de détail ce que Simone Weil y a trouvé. Qu’est-ce qui la frappe en premier lieu ? D’abord, et parce que c’est ce qu’il y a de plus évident, presque de plus banal : la cruauté quotidienne des pratiques d’un grand nombre de Blancs envers les Annamites. Je cite quelques exemples tirés d’un grand nombre mis en valeur par Roubaud : d’abord, l’évocation de la vie des ouvrières dans une usine où on travaille le coton, et en particulier celle de la petite Thi Va, fille de dix-sept ans. (Viet Nam, p. 105-106). Harcelée par le gros contremaître français, comme toutes les autres ouvrières, elle vit dans la peur d’une faute, qui sera punie par une injure, une gifle ou une amende, « et souvent l’injure, la gifle, l’amende combinées… ». Un jour un vol est découvert, et la voleuse (« la petite Haï, gamine de quinze ans ») arrêtée, attachée a un poteau. « Elle avait les mains liées autour du poteau », raconte Roubaud, « et paraissait beaucoup souffrir. » À l’arrivée du contremaître, tout le monde s’enfuit, chacune ayant peur « d’être soupçonnée de compassion ». « Celle qui courut le plus vite et le plus loin, » continue Roubaud, « fut Thi Va. Ce fut elle aussi qui se fit le plus remarquer et qui se désigna à la colère du contremaître. » Elle s’accroupit, essayant de se rendre invisible, mais le contremaître saute sur elle et, de ses lourds souliers, lui frappe le ventre. Quand elle reste immobile, il redouble les coups au hasard, jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse. Il la fait transporter chez elle, d’où son frère l’emmène au commissariat, puis à l’hôpital. « Le lendemain et les jours suivants, » nous raconte Roubaud, « la jeune fille, atrocement blessée au ventre, gémissait de douleur. Mlle Thi Va était estropiée pour la vie » (Viet Nam, p. 105-106). 

On s’imagine bien l’effet qu’a eu ce récit de la vie des travailleuses indochinoises sur la sensibilité de Simone Weil, encore à quatre ans de sa propre entrée en usine. Il n’est pas impossible que cette lecture ait été déterminante dans son projet de connaître la vie d’usine dans son propre pays.

« Autre scène : un chantier près du petit village de Dong. En pleine journée, il n’y avait plus d’eau dans les touques. Les travailleurs avaient soif. Quelques-uns obtinrent l’autorisation d’aller boire ; trois femmes non autorisées les suivirent vers le ruisseau.
Le surveillant les rattrapa avant qu’elles aient eu le temps de se désaltérer. Thi Tuong, vingt et un ans, Thi Nguyen, trente ans, enceinte de six mois, Thi Nhan, trente-six ans, mère de trois enfants, durent retirer leur caïcan et se coucher par terre. Le surveillant, avec une canne en rotin entourée de fil télégraphique, frappa dix coups pour chacune. » (Viet Nam, p. 111)

Ce ne sont là que deux exemples d’une brutalité quotidienne dont Roubaud a recueilli le témoignage. Il fait remarquer que ces assauts étaient rarement poursuivis, l’Européen ayant tous les droits. Quand ils l’étaient, le coupable était condamné à payer une amende dérisoire, ou, plus rare encore, encourait une peine de prison, normalement avec sursis.

—O—

Comment ces choses-là ont-elles pu arriver ? Comment des Français qui, chez eux, n’auraient jamais songé à se livrer à une telle conduite, ont-ils fini par trouver normal qu’on traite ainsi d’autres êtres humains ? Pour trouver une réponse à cette question, il faut se tourner de nouveau vers L’Enracinement, l’autre volet de notre diptyque, et l’analyse qu’y fait Simone Weil du fait colonial. C’est ici que l’on trouvera les grands principes qu’elle élabora dans les dernières années, voire les derniers mois de sa vie, qui font que, pour elle, la colonisation est toujours un mal, et que sa critique ne se repose pas tout simplement sur une réflexe d’horreur devant la brutalité, physique ou morale.

D’abord il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles elle a rédigé son texte. La mission que lui ont confiée les Forces Françaises Libres de Londres était d’élaborer des pensées sur les causes de la défaite, et faire des suggestions pour la reconstruction de la France une fois la guerre terminée. Et, comme chacun le sait, l’enracinement finit par occuper une place beaucoup moins grande dans son essai que le déracinement, qui devient pour elle la cause fondamentale de la défaite. Si la France s’est écroulée de façon si catastrophique devant l’avancée des forces allemandes, c’est parce qu’elle était profondément déracinée. Comme elle le dit :

« L’effondrement subit de la France, qui a surpris tout le monde partout, a simplement montré à quel point le pays était déraciné. Un arbre dont les racines sont presque entièrement rongées tombe au premier choc » (9).

Il est paradoxal que cette nation qui n’a pas pu tenir tête à l’invasion allemande est la même qui, après avoir soumis par la force les régions à l’intérieur de ce que nous appelons maintenant la France, s’est étendue un peu partout dans le monde, et par la conquête a créé un puissant empire. Ce n’est peut-être pas anodin que l’apogée de la puissance coloniale de la France, signalée par l’Exposition coloniale de 1931, ait eu lieu à peine une trentaine d’années avant que l’empire colonial ne se dissolve presque entièrement. Jusqu’au moment de l’Exposition, on peut dire que la France, dans son aventure coloniale, a exporté le déracinement dont elle souffrait, et ce faisant, elle a déraciné tous les peuples qu’elle a croisés sur son chemin. C’est que la France avait la version active de la maladie du déracinement ; selon Simone Weil,

« Des êtres vraiment déracinés n’ont guère que deux comportements possibles ; ou ils tombent dans une inertie de l’âme presque équivalente à la mort […] ou ils se jettent dans une activité tendant toujours à déraciner, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont encore ou ne le sont qu’en partie. » (E, p. 146)

Les Romains, cette « poignée de fugitifs qui se sont agglomérés artificiellement en une cité » avaient eux aussi la version active de la maladie, puisqu’« ils ont privé les populations méditerranéennes de leur vie propre, de leur patrie, de leur tradition, de leur passé, à un degré tel que la postérité les a pris, sur leur propre parole, pour les fondateurs de la civilisation sur ces territoires » (E, p. 147).

Et, bien sûr, la soif de conquête de l’Allemagne nazie rentrait dans le même moule. Bernanos, d’ailleurs, disait de l’hitlérisme que « c’est la Rome païenne qui revient » (E, p. 249), et Simone Weil elle-même a fait une analyse très serrée de ce rapprochement dans l’essai « Quelques réflexions sur les origines de l’hitlérisme », dont la deuxième partie est consacrée à « Hitler et la politique extérieure de la Rome antique », et la troisième à « Hitler et le régime intérieur de l’Empire romain » (OC II 3, 181-198 et 199-219)(10).
Pour Simone Weil, c’est un principe de base que : « Qui est déraciné, déracine. Qui est enraciné ne déracine pas » (E, p. 147). Si on accepte ce principe, il est inévitable que le déracinement soit la conséquence de ce mouvement d’expansion, quand il s’accomplit par la force. « Il y a déracinement toutes les fois qu’il y a conquête militaire, et en ce sens la conquête est presque toujours un mal » (E, p. 143), constatation qu’on peut associer sans doute à son ancien pacifisme : elle ne voyait que trop bien que la confrontation entre l’Allemagne nazie et les autres pays d’Europe, bien que ce soit l’Allemagne l’agresseur, ne pouvait produire que les pires horreurs du déracinement. « Les conquêtes », écrit-elle encore, « ne sont pas de la vie, elles sont de la mort au moment même où elles se produisent » (E, p. 149). Bien entendu, on fait d’un cadavre ce qu’on veut, parce que le cadavre n’oppose aucune résistance.

C’est ainsi qu’elle met sur le compte de l’expansion coloniale de l’Europe, le déracinement du reste du globe. Elle nomme en particulier les « pays d’Orient, où depuis quelques siècles, mais surtout depuis cinquante ans, les Blancs ont porté la maladie du déracinement », le Japon, l’Indochine, l’Inde, la Chine (« très mystérieuse », selon Simone Weil), et la Russie (« qui l’est bien autant »). Le continent américain, fondé sur l’immigration, est tout aussi déraciné, selon elle, ce dont il faut se méfier, étant donnée, ajoute-t-elle avec prévoyance, « l’influence qu’il va probablement exercer » (E, p. 149).

On l’aura compris, le déracinement est fondamentalement la perte du passé, et « la perte du passé équivaut à la perte du surnaturel »(11). C’est le même mal chez soi qu’on répand partout par la conquête. « L’amour du passé, » pourtant, écrit-elle, « n’a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire, » et « l’opposition entre l’avenir et le passé est absurde » (E, p. 150). L’avenir n’a rien, ne nous donne rien ; pour la créer nous n’avons d’autre source, nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. Voilà pourquoi « de tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé » (E, p. 150). Nous reviendrons à ces « besoins de l’âme », dont le fondement est « cette réalité située hors du monde […] l’unique fondement du bien » (E, p. 96), et qui s’exprime par l’obligation (par opposition aux droits, que Simone Weil considère d’être de second ordre) envers l’être humain. Cette obligation elle-même n’est réelle que si elle se manifeste par l’intermédiaire des besoins terrestres de l’homme. Certains sont physiques, faciles à énumérer, et la conscience humaine n’a jamais varié sur ce point : ne pas laisser des êtres humains mourir de faim, de froid, ne pas les laisser souffrir d’un mal auquel on peut remédier, etc. D’autres, les « besoins de l’âme », sont plus difficiles à cerner, mais sont tout aussi vitaux que les besoins physiques.

Ce passé donc, le plus important des « besoins de l’âme », qu’il importe de conserver, est, pourrait-on dire, le côté concret de la notion plus abstraite de patrie, à laquelle il serait utile de nous tourner maintenant.

En dehors de la notion d’enracinement elle-même, la patrie est peut-être le concept le plus fondamental du grand essai de Simone Weil. Comme le dit Patrice Rolland dans son Avant-propos à l’édition complète : « Dans la France libre, comme presque partout ailleurs, la question de la patrie, en ce temps de guerre et d’occupation, est omniprésente »(12). Le texte est une méditation sur ce pour quoi on se bat, c’est-à-dire la mère patrie, rassemblement de toutes les valeurs et les pratiques qui traversent les âges pour unir une population, l’incitant, sous l’attaque, à la défendre jusqu’au sacrifice suprême si nécessaire. Mais Simone Weil maintient que la notion même de patrie a été faussée, corrompue par des idées de grandeur qu’elle appelle « cornéliennes », mais qui viennent plus immédiatement de la défaite de 1871 et du massacre de la Commune. Le vrai patriotisme est le contraire de la force ; la vraie patrie, comme toute chose qui a une valeur spirituelle, est fragile et peut être détruite, tout comme la civilisation cathare a été détruite par la Croisade contre les Albigeois. (On entend dire parfois, presque en boutade, que pour Simone Weil, le fait d’avoir disparu est la preuve même de la valeur spirituelle d’un peuple.) L’attitude qu’il convient d’avoir envers une telle civilisation est ainsi celle de la compassion (E, p. 250, 251). On songe à sa tragédie Venise sauvée quand elle écrit :

« La compassion pour la fragilité est toujours liée à l’amour pour la véritable beauté, parce que nous sentons vivement que les choses vraiment belles devraient être assurées d’une existence éternelle et ne le sont pas. » (E, p. 251)

Pour revenir à la situation de la France : selon Simone Weil, l’humiliation de la défaite de 1871 orientait la pensée de la jeunesse bourgeoise vers la conception la plus médiocre de la grandeur nationale, qui repose sur la force. D’après les débats de l’époque, il est clair que la perception était largement répandue, quoique non universellement partagée, que la France se devait d’être colonisateur, puisque toutes les autres puissances européennes avaient la même ambition, et s’y refuser serait une politique d’abdication. Comme le maintenait Jules Ferry à l’Assemblée nationale le 28 juillet 1885 :

« Puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut que [le pays] en prenne son parti, autrement il arrivera […] ce qui est advenu à d’autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd’hui, quelque puissantes, quelque grandes qu’elles aient été, descendues au troisième ou au quatrième rang » (13).

C’est par de tels arguments, selon Simone Weil, que la France est arrivée à abdiquer toute vocation morale et spirituelle dans ses rapports avec d’autres peuples. À partir de ce moment, « la France ne se sentait plus capable d’une vocation plus haute que celle de conquérir. Ainsi la France devint une nation comme les autres, ne songeant plus qu’à tailler dans le monde sa part de chair jaune et noire, et à se procurer en Europe l’hégémonie » (E, p. 269).
Et voilà que Simone Weil enchaîne sans solution de continuité colonisation et conflit en Europe. Pour comprendre davantage dans le détail sa conception de « patrie » en ce qui concerne les colonies, il serait utile de retourner au texte de Roubaud pour voir ce qu’elle a pu trouver pour l’aider dans l’élaboration de sa pensée à ce sujet. D’abord – et Roubaud le proclame tout au début de son reportage (Viet Nam, p. 3) – la signification du nom « Viet Nam », « Patrie du Sud », à un moment où ce que nous appelons « le Vietnam » aujourd’hui n’existait pas encore. C’est le cri entendu par Roubaud dans la bouche de chacun des treize condamnés après les attentats de 1930 quand ils montaient sur l’échafaud. Hautement significatif, donc.

« Dans les heures qui ont précédé la guillotine, Nguyen Thai Hoc, surnommé « le grand Professeur », fondateur et président du parti nationaliste annamite, qui fut exécuté le dernier, cite les vers de l’auteur de la Marseillaise, Rouget de l’Isle :
Mourir pour sa patrie,
C’est le sort le plus beau,
Le plus digne d’envie. » (Viet Nam, p. 100)

Pour ironique qu’elle soit, cette citation démontre très clairement comment les Annamites veulent que leur patrie soit en tous points pareille à la patrie colonisatrice. Et pour cette patrie ils sont prêts à souffrir : dans le journal nationaliste, Hon Nuoc (L’Âme nationale) adressée à tous les patriotes, on peut lire que dans les prisons croupissent des détenus politiques, coupables seulement « d’avoir trop aimé leur patrie » (Viet Nam, p. 41). Un autre exemple très parlant se trouve dans le parallèle que fait l’auteur d’un article dans un journal clandestin entre Jeanne d’Arc et « les deux sœurs Trung », figures légendaires annamites qui avaient sauvé leur pays contre les Chinois. Leurs exploits sont célébrés dans leur village, mais « les Annamites qui aiment vraiment leur patrie prendront les mesures nécessaires pour que la fête des sœurs Trung devienne une fête nationale comme celle de Jeanne d’Arc » (Viet Nam, p. 39).

Ces quelques exemples démontrent de façon incontestable que la notion qu’avaient les Annamites de la patrie est en parallèle directe avec l’idée que fait Simone Weil de ce que devrait être la patrie. On pourrait hasarder que peu de philosophes ont saisi aussi instinctivement à cette époque cette notion de ce que l’on pourrait appeler « patrie décentrée » : elle avait une telle capacité de penser la patrie de l’autre que l’on peut être sûr que quand elle pensait aux Polynésiens, elle pensait en Polynésienne. Elle arrive à se vider de sa perspective personnelle pour se mettre dans la peau de l’autre. Elle comprenait parfaitement que « [chaque] collectivité est unique et, si elle est détruite, n’est pas remplacée. Un sac de blé peut toujours être substitué à un autre sac de blé. La nourriture qu’une collectivité fournit à l’âme de ceux qui en sont membres n’a pas d’équivalent dans l’univers entier » (E, 115). La patrie est « un certain milieu vital, mais il y en a d’autres. Il a été produit par un certain enchevêtrement de causes où se sont mélangés le bien et le mal, le juste et l’injuste, et de ce fait il n’est pas le meilleur possible. [Mais] ce milieu existe, et tel qu’il est doit être préservé comme un trésor à cause du bien qu’il contient » (E, p. 243).

On peut sans doute lire dans cette capacité de se décentrer une autre façon d’abolir le « je », la volonté d’abandonner sa position « naturelle » au centre du monde. Appliquant cette idée à sa pensée sur les colonies, elle se trouve en opposition directe avec la perception des idéologues du colonialisme qui acceptaient très bien que la patrie d’un Espagnol, d’un Norvégien, d’un Suisse ne soit pas la France, mais soutenait quand même que la patrie d’un Sénégalais, d’un Algérien, soit nécessairement la France – voire « La Plus Grande France », c’est-à-dire la France plus ses territoires d’outre-mer. Elle s’oppose aussi également à tout patriotisme étroit à la Maurice Barrès ; chez Simone Weil tout est ouverture vers l’autre, vers l’universel.

—O—

Je reprends ici les « besoins de l’âme », élément essentiel de la notion d’enracinement, et vitaux à la vie morale et spirituelle de l’homme sur terre. Ils sont nécessairement limités, puisque comme la nourriture, le fait de les avoir apporte le rassasiement. Et comme les besoins physiques, ils s’ordonnent par couples de contraires. À travers le texte de Louis Roubaud j’espère montrer comment nombre de ces besoins sont nécessairement bafoués dans une situation coloniale. Prenons quelques-uns de ces besoins, pas nécessairement dans l’ordre où Simone Weil les énumère.

En premier lieu on peut citer l’égalité. Simone Weil s’explique :

« Elle consiste dans la reconnaissance publique, générale, effective, exprimée réellement par les institutions et les mœurs, que la même quantité de respect et d’égards est due à tout être humain, parce que le respect est dû à l’être humain comme tel et n’a pas de degrés. » (E, p. 122)

Ce qui fait que les différences inévitables entre les hommes ne doivent jamais conduire à une différence de respect.

Cette doctrine n’est guère différente de ce qu’apprennent les jeunes intellectuels du Tonkin, de l’Annam et de la Cochinchine à l’école de Whampoa de Canton, où ils étudient la doctrine de Sun Yat Sen, d’après le reportage de Roubaud, si ce n’est qu’ils parlent de « droits », terme dont Simone Weil se méfie, comme on le sait. Les jeunes révolutionnaires commentent les « trois Min » : selon le premier, « Minchou », l’égalité des races, on apprend :

« qu’il n’est point de race inférieure aux autres et que les hommes, jaunes ou noires, ont les mêmes droits que les hommes blancs. Il est donc inadmissible que les Annamites soient les esclaves des Français. » (Viet Nam, p. 54)

Une nuance de couleur locale entre dans la critique des révolutionnaires quand ils maintiennent que les Français « nous traitent comme des buffles », c’est-à-dire des bêtes de somme, une espèce entièrement différente et corvéable à merci (Viet Nam, p. 41).

Selon Roubaud, et contrairement à ce que veulent faire croire les Français, l’École de Whampoa « ne forme […] pas des communistes, mais des patriotes républicains » (Viet Nam, p. 54).

L’homme a besoin d’égalité, donc, mais aussi de hiérarchie. Attention pourtant : Simone Weil ne parle pas du tout du genre d’hiérarchie qui se trouve installée dans les colonies, ou le maître est le supérieur qui s’impose à son inférieur, rapport qui reste au niveau des rapports de force. Non : la hiérarchie selon Simone Weil
« 
[e]st constituée par une certaine vénération, un certain dévouement, à l’égard des supérieurs, considérés non dans leurs personnes […] mais comme des symboles. Et ce dont ils sont les symboles, c’est ce domaine qui se trouve au-dessus de tout homme et dont l’expression en ce monde est constituée par les obligations de chaque homme envers ses semblables. » (p. 125)

Les exemples chez Roubaud de manquement à ces obligations, et donc à ce sens de la hiérarchie, parsèment son texte d’un bout à l’autre : les cas de franche brutalité de l’Européen envers l’Annamite sont trop nombreux pour être détaillés, et nous en avons déjà évoqués quelques-uns. L’incapacité du pouvoir colonial de considérer les besoins les plus élémentaires des Annamites est illustrée par la famine dans le Tonkin évoqué par Roubaud. Quand son enquête l’a conduit là-bas, dans le Sud du pays, il raconte ce qu’il y trouve :

« Quelques squelettes vivants m’ont tendu la main, au passage des fleuves, sur le ponton du bac.
Je leur demandais :
— Pourquoi toi beaucoup maigre ?
Ils me répondaient :
— Moi pas manger. » (Viet Nam, p. 119)

Pendant ce même parcours, quand, au grand étonnement du journaliste, une jeune femme lui offre son bébé, il ne saisit pas tout de suite qu’elle veut le vendre contre une somme pour pouvoir nourrir les autres membres de sa famille (Viet Nam, p. 120).

Comment dans ces circonstances les Annamites peuvent-ils considérer les Français comme des symboles de cette « réalité située hors du monde » (E, p. 96) ? Quand le principal des conjurés, Nguyen Thaï Hoc, « le Grand Professeur », paraît devant ces juges, il refuse de répondre aux charges, disant simplement : « Je comparais devant la force, non devant la justice » (Viet Nam, p. 91).

Encore un couple de besoins de l’âme : l’honneur et le châtiment. Selon Simone Weil,

« L’honneur a rapport à un être humain considéré, non pas simplement comme tel, mais dans son entourage social. Ce besoin est pleinement satisfait si chacune des collectivités dont un être humain est membre lui offre une part à une tradition enfermée dans son passé et publiquement reconnu au dehors. » (E, p. 125)

Mais « [t]oute oppression crée une famine à l’égard du besoin d’honneur car les traditions de grandeur possédées par les opprimés ne sont pas reconnues, faute de prestige social. C’est toujours là l’effet de la conquête » (E, p. 125). Nous avons déjà évoqué Jeanne d’Arc dans le contexte du reportage de Roubaud : Simone Weil l’évoque également, peut-être en se souvenant de sa lecture de Roubaud : « Actuellement », dit-elle, « nous parlons de [Jeanne d’Arc] aux Annamites, aux Arabes ; mais ils savent que chez nous on n’entend pas parler de leurs héros, de leurs saints ; ainsi l’état où nous les maintenons est une atteinte à l’honneur » (E, p. 125). Elle associe les indigènes coloniaux aux prostituées, aux repris de justice, aux policiers, au sous-prolétariat d’immigrés qui constituent, selon elle, des catégories d’êtres humains qui souffrent d’un manque de considération totale (E, p. 125-126).

L’un des révolutionnaires, en parlant à Roubaud, critique l’enseignement offert par les Français aux Annamites, puisqu’il « ne tient pas assez compte de notre culture traditionnelle et tend à faire de nos compatriotes des hommes dénationalisés, des déracinés sur leur propre sol » (Viet Nam, p. 147).

Faisant opposition à l’honneur, le châtiment aussi fait partie des besoins de l’âme pour Simone Weil. « Par le crime », écrit Simone Weil », un homme se met lui-même hors du réseau d’obligations éternelles qui lie chaque être humain à tous les autres. Il ne peut y être réintégré que par le châtiment, pleinement s’il y a consentement de sa part, sinon imparfaitement » (E, p. 126). Mais, nous l’avons vu d’après les nombreuses exemples donnés par Roubaud, le colonisé est déjà mis hors du réseau de ces obligations par sa situation même de colonisé. Et pourtant il vit dans la peur de châtiments, qu’il reçoit de la part de ses maîtres, pour une maladresse, une peccadille, ou tout simplement parce que le maître est de mauvaise humeur ce jour-là. Parmi les besoins de l’âme on pourrait inclure ici le besoin d’obéissance, que Simone Weil définit comme « le consentement, non pas à l’égard de chacun des ordres reçus, mais un consentement accordé une fois pour toutes, sous la seule réserve, le cas échéant, des exigences de la conscience » (E, p. 120). Il est clair que l’indigène ne peut pas accorder ce consentement à des ordres qu’il ne comprend pas, où le caractéristique le plus marqué est l’arbitraire et où celui qui donne les ordres les impose par la force et la crainte. « Ceux qui soumettent des masses humaines par la contrainte et la cruauté » écrit Simone Weil, « les privent à la fois de deux nourritures vitales, liberté et obéissance » (E, p. 121).

Terminons notre analyse des besoins de l’âme par le premier, le besoin d’ordre. Bien saisir l’application concrète dans le monde terrestre de ce besoin d’ordre est tâche délicate, mais Simone Weil semble l’associer à la perception de l’unité de l’ensemble, ressentie dans la contemplation de l’univers ou d’une œuvre d’art de premier ordre (E, p. 118). Il est clair que dans une situation coloniale, quand l’ordre du colonisateur est imposé à l’ordre indigène, il y a tous les jours manquement à ce besoin. Prenons l’exemple du travail, phénomène pour lequel Simone Weil avait le plus grand respect ; avec le travail consenti on entre en contact avec l’ordre du monde en même temps qu’on reconnaît les besoins de tous les autres êtres humains sans exception. Mais l’indigène sait qu’il donne son effort exclusivement pour son maître. Selon l’enquête de Roubaud, il serait plus apte de parler d’esclavage que de travail librement consenti pour une rémunération adéquate. Pour les Français, une rupture de contrat se paie d’un dédit et l’insolvabilité est sanctionnée par une saisie immobilière. « Il n’en va pas ainsi pour l’ouvrier annamite » et il perd toute liberté d’action quand il s’engage. « L’ouvrier annamite a signé […] un contrat d’esclavage » (Viet Nam, p. 112-113). Le paysan est toujours endetté envers son employeur, et travaillera pendant toute sa vie sans pouvoir se libérer (Viet Nam, p. 118). Ce système féodal existait bien avant l’arrivée des Français, bien entendu ; mais dans l’intérêt de la justice, la France aurait dû y mettre fin. Le travail forcé est interdit par la convention de Genève en 1930, mais la France ne signe pas les accords à ce sujet (14).

Griefs au sujet du travail ; puis revendications plus politiques sur la vie civique, totalement absente sous le régime colonial. On revient aux « Trois Min » de Sun Yat Sen, cités plus haut : C’est Roubaud qui résume :

« Le deuxième Min souligne qu’il ne suffit pas de réaliser l’indépendance nationale ; il faut encore donner au peuple la vie politique, instituer un régime démocratique ayant pour bases le suffrage universel, la liberté de la presse et, en général, toutes les libertés qui ont cours en France depuis la proclamation des Droits de l’homme et du citoyen. » (Viet Nam, p. 54)

Nous reconnaissons aisément les critiques de Simone Weil à l’égard du système colonial. Nous avons commencé par passer rapidement en revue les abus du système, la violence systématique et impunie contre l’indigène. Mais vers la fin de sa vie, remédier à ces abus ne la satisfait plus, ou plutôt, elle semble se rendre compte que ces abus font partie du système, et c’est le système même, fondé sur l’inégalité et l’injustice, qui doit changer. Il y a donc des questions plus fondamentales, des questions de principe, auxquelles il faut répondre.

La plus urgente est sans doute celle qu’elle pose dans sa critique de la notion de patriotisme, à la page 248 de l’Enracinement :

« Dans l’ensemble, un Français a-t-il lieu d’être heureux que la France ait un Empire, et d’y penser, d’en parler, avec joie, avec fierté, et sur le ton d’un propriétaire légitime ?
Oui, si ce Français est patriote à la manière de Richelieu, de Louis XIV ou de Maurras. Non, si l’inspiration chrétienne, si la pensée de 1789 sont indissolublement mélangées à la substance même de son patriotisme. »

Nous revoici donc de nouveau devant cette notion essentielle de patrie : la bonne compréhension de cette notion permet à tous les citoyens de s’enraciner, de répondre à « l’exigence de bien absolu habitant au centre du cœur » (E, p. 97) ; la mauvaise part à la conquête et, ce faisant, prive toutes les nations où elle s’installe par la force, de leur propre patrie.

Et elle poursuit :

« Toute autre nation avait à la rigueur le droit de se tailler un Empire, mais non pas la France… Quand on assume, comme a fait la France en 1789, la fonction de penser pour l’univers, de définir pour lui la justice, on ne devient pas propriétaire de chair humaine. » (E, p. 248)

Remettant la question dans le contexte angoissant de l’époque, elle suggère qu’« il est possible que la France ait à choisir entre l’attachement à son Empire et le besoin d’avoir une âme » (E, p. 249). Il me semble que le choix que fait Simone Weil est clair… et que sa leçon reste hautement valable pour notre époque.

Saint-Geniès de Malgoires,
12.12.2014


NOTES :

(1) Version légèrement remaniée et augmentée d’une communication donnée dans le cadre du colloque annuel de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil à Paris, du 31 octobre au 2 novembre 2014. Elle fait suite à notre ouvrage Simone Weil on Colonialism : An Ethic of the Other, Lanham, Boulder, New York, London : Rowman & Littlefield, 2003.
(2) « À propos de la question coloniale dans ses rapports avec le destin du peuple français », Simone Weil, Écrits historiques et politiques, Paris : Gallimard, coll. « Espoir », p. 364. Désormais EHP.
(3) Daniel Boitier, « J’allais à l’exposition coloniale ; j’y trouvais une foule béate, inconsciente, admirative », Cahiers Simone Weil, XXXVII-1, mars 2014, p. 14.
(4) Cette confusion apparente, notée par Simone Pétrement dans sa Vie de Simone Weil (2 tomes, Paris : Fayard, 1973 ; désormais VSW), est reprise et explicitée par Boitier, art. cit., p. 16-17.
(5) Publication en cours chez Gallimard : désormais OC.
(6) Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale : essai sur une utopie, Paris : Albin Michel, 2003, p. 11.
(7) Le texte de ce pamphlet est reproduit dans Louis Roubaud, Viet Nam : la tragédie indochinois, suivis d’autres écrits sur le colonialisme. Présentation d’Emmanuelle Radar. Paris : L’Harmattan, coll. Autrement Mêmes, 2010, p. 116. C’est cette réédition, abrégée Viet Nam, qui me sert de référence dans les extraits qui suivent. Sur l’Exposition coloniale, voir aussi Catherine Hodeir et Michel Pierre, L’Exposition coloniale, Bruxelles : Éditions Complexe, 1991.
(8) Suggestion que m’a faite Robert Chenavier dans un courriel datant de 2002.
(9) Simone Weil, L’Enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Œuvres complètes, V-2, Écrits de New York et de Londres (1943), Paris : Gallimard, 2013, p. 148. Désormais E.
(10) Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme ([1950] Paris : Présence africaine, 1955), expose l’hypocrisie du « très chrétien bourgeois du XXe siècle », pour qui le véritable crime d’Hitler n’est pas tant le crime contre l’homme, ni l’humiliation de l’homme en soi, mais « le crime contre l’homme blanc, […] l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique ». http://www.socialgerie. net/spip.php ?breve718, ch. 2.
(11) « À propos de la question coloniale », EHP, p. 375.
(12) Patrice Rolland, « Avant-propos I », E, p. 22.
(13) Jules Ferry, Discours prononcé à la Chambre des députés, le 28 juillet 1885. Cité dans 1885 : le tournant colonial de la République : Jules Ferry contre Georges Clémenceau, et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale, introduction de Gilles Manceron, Paris : La Découverte, 2006, p. 67. Voir aussi des extraits de ces textes sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/ferry1885.asp.
Au XXe siècle, Albert Sarraut, député radical-socialiste, gouverneur général de l’Indochine à deux reprises, rend concrète la pensée de Jules Ferry, soutenant que l’avenir de l’Europe était intimement lié au sort des empires. Voir Albert Sarraut, Grandeur et servitude coloniales [1931], présentation de Nicola Cooper, coll. Autrement Mêmes, Paris : L’Harmattan, 2012.
(14) Voir Viet Nam, p. 112, n. 1.

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