Cesare Battisti n’a pas le droit d’être écrivain
France Inter, 25 mars 2012, Le masque et la plume.
Je décide d’écouter l’émission où l’on parlera du livre de mon ami Cesare Battisti, titré Face au mur.
Je n’aurai pas du, docteur. Je suis allergique aux critiques littéraires comme d’autres au pollen de cyprès, je me paie des éruptions cutanées, voire des œdèmes, asthme et autres anxiétés.
Ca n’a pas raté.
Les excellents professionnels s’en sont donné à cœur joie sur le thème « il ne dit pas toute la vérité ».
Le bouquin n’est pas bon, selon ces messieurs dames, car il fait de la littérature, au lieu de nous servir de croustillantes chroniques d’une vie de course poursuite incessante.
Le livre serait « décevant » car il « joue le pathos sous le bandeau de Fred Vargas », qui souligne le courage d’écrire même dans des circonstances si complexes et douloureuses.
Ce pathos, j’ai envie de dire aux professionnels en question (qui m’épingleraient sur le champ car je ne dis pas toute la vérité sur mes rapports avec l’Auteur), est le fil conducteur d’un récit qui révèle la maturité de l’écrivain en même temps qu’il dresse magistralement la fatigue d’un personnage pourchassé depuis trente ans, confus et confondu « à son âme », comme aurait dit Flaubert.
L’homme, sa vanité et sa vérité restent sagement en retrait.
Comme dans la meilleure littérature. Et tant pis pour ces voyeurs imbéciles qui crient leur insatisfaction car ils n’ont pas été abreuvés de révélations sensationnelles.
On n’aurait jamais l’idée de demander à Houellebecq, à Vian ou à Rolin si leurs livres disent « la vérité ».
Mais Cesare Battisti est d’une autre race, il sent trop le souffre pour ne pas le soumettre à l’inquisition. « Combien de fois as-tu péché, mon fils ? » On peut te pardonner, si tu nous racontes tout, dans le détail.
Ecrivain alors qu’on est condamné et recherché par les polices du monde entier ? Impossible. Faut que tu meures, d’abord. D’ici là, tais-toi ou fais de l’autofiction, péché véniel, pardonnable et très à la mode.
« Qu’il fasse du tricot, au lieu d’écrire ! » s’est exclamé l’un des critiques, sans doute excédé par le mystère d’une belle écriture née dans la fange populaire et non dans son salon parisien.
« Il prétend romancer une histoire réelle ! » s’est indigné un autre savant. C’est un comble, ça ! Aucun autre écrivain ne l’a jamais fait avant lui…
« Je crois qu’il n’était pas un grand terroriste et qu’il n’est pas un grand écrivain ». Voilà une dernière sentence, très sérieusement passée sur les ondes, où l’on établit un lien inédit entre vigueur criminelle et valeur littéraire.
Je l’avoue. A un moment donné, il m’a fallu éteindre le poste, car mes anciennes tendances criminelles avaient refait surface risquant de me transformer en grand écrivain…
(26 mars 2012)
L’ouvrage dans le site de l’éditeur Flammarion (suivre le lien) ; dans le menu horizontal un onglet est proposé pour trouver la librairie urbaine la plus proche de notre domicile où il est accessible.
L’ouvrage accessible en ligne dans la librairie Decitre :
Face au mur ; Cesare Battisti ; éd. Flammarion, essais, mars 2012.
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Face au mur ; Cesare Battisti ; éd. Flammarion, essais, mars 2012.