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Se constituer en communes 

dimanche 12 juillet 2009, par Comité invisible (Date de rédaction antérieure : 15 avril 2009).

S’attacher à ce que l’on éprouve comme vrai.
Partir de là

Une rencontre, une découverte, un vaste mouvement
de grève, un tremblement de terre : tout événement
produit de la vérité, en altérant notre façon
d’être au monde. Inversement, un constat qui nous
est indifférent, qui nous laisse inchangés, qui n’engage
à rien, ne mérite pas encore le nom de vérité.
Il y a une vérité sous-jacente à chaque geste, à
chaque pratique, à chaque relation, à chaque situation.
L’habitude est de l’éluder, de gérer, ce qui produit
l’égarement caractéristique du plus grand
nombre dans cette époque. En fait, tout engage à
tout. Le sentiment de vivre dans le mensonge est
encore une vérité. Il s’agit de ne pas le lâcher, de
partir de là, même. Une vérité n’est pas une vue
sur le monde mais ce qui nous tient liés à lui de
façon irréductible. Une vérité n’est pas quelque
chose que l’on détient mais quelque chose qui nous
porte. Elle me fait et me défait, elle me constitue
et me destitue comme individu, elle m’éloigne de
beaucoup et m’apparente à ceux qui l’éprouvent. L’être isolé qui s’y attache rencontre fatalement
quelques-uns de ses semblables. En fait, tout processus
insurrectionnel part d’une vérité sur laquelle
on ne cède pas. Il s’est vu à Hambourg, dans le
cours des années 1980, qu’une poignée d’habitants
d’une maison occupée décide que dorénavant il
faudrait leur passer sur le corps pour les expulser.
Il y eut un quartier assiégé de tanks et d’hélicoptères,
des journées de bataille de rue, des manifestations
monstres – et une mairie qui, finalement,
capitula. Georges Guingouin, le « premier maquisard
de France », n’eut en 1940 pour point de
départ que la certitude de son refus de l’occupation.
Il n’était alors, pour le Parti communiste,
qu’un « fou qui vit dans les bois » ; jusqu’à ce qu’ils
soient 20000, de fous à vivre dans les bois, et à libérer
Limoges.

Ne pas reculer devant ce que toute amitié
amène de politique

On nous a fait à une idée neutre de l’amitié, comme
pure affection sans conséquence. Mais toute affinité
est affinité dans une commune vérité. Toute
rencontre est rencontre dans une commune affirmation,
fût-ce celle de la destruction. On ne se
lie pas innocemment dans une époque où tenir à
quelque chose et n’en pas démordre conduit régulièrement
au chômage, où il faut mentir pour travailler,
et travailler, ensuite, pour conserver les moyens du mensonge. Des êtres qui, partant de
la physique quantique, se jureraient d’en tirer en
tous domaines toutes les conséquences ne se lieraient
pas d’une façon moins politique que des
camarades qui mènent une lutte contre une multinationale
de l’agroalimentaire. Ils seraient amenés,
tôt ou tard, à la défection, et au combat.
Les initiateurs du mouvement ouvrier avaient
l’atelier puis l’usine pour se trouver. Ils avaient la
grève pour se compter et démasquer les jaunes. Ils
avaient le rapport salarial, qui met aux prises le
parti du Capital et le parti du Travail, pour tracer
des solidarités et des fronts à l’échelle mondiale.
Nous avons la totalité de l’espace social pour nous
trouver. Nous avons les conduites quotidiennes
d’insoumission pour nous compter et démasquer
les jaunes. Nous avons l’hostilité à cette civilisation
pour tracer des solidarités et des fronts à
l’échelle mondiale.

Ne rien attendre des organisations.
Se défier de tous les milieux existants,
et d’abord d’en devenir un

Il n’est pas rare que l’on croise, dans le cours d’une
désaffiliation conséquente, les organisations – politiques,
syndicales, humanitaires, associatives, etc.
Il arrive même que l’on y croise quelques êtres sincères
mais désespérés, ou enthousiastes mais roublards.
L’attrait des organisations tient dans leur consistance apparente – elles ont une histoire, un
siège, un nom, des moyens, un chef, une stratégie
et un discours. Elles n’en restent pas moins des
architectures vides, que peine à peupler le respect
dû à leurs origines héroïques. En toute chose
comme en chacun de leurs échelons, c’est d’abord
de leur survie en tant qu’organisations qu’elles s’occupent,
et de rien d’autre. Leurs trahisons répétées
leur ont donc le plus souvent aliéné
l’attachement de leur propre base. Et c’est pourquoi
l’on y rencontre parfois quelques êtres estimables.
Mais la promesse que contient la rencontre
ne pourra se réaliser qu’au dehors de l’organisation
et, nécessairement, contre elle.

Bien plus redoutables sont les milieux, avec leur
texture souple, leurs ragots et leurs hiérarchies
informelles. Tous les milieux sont à fuir. Chacun
d’entre eux est comme préposé à la neutralisation
d’une vérité. Les milieux littéraires sont là
pour étouffer l’évidence des écrits. Les milieux
libertaires celle de l’action directe. Les milieux
scientifiques pour retenir ce que leurs recherches
impliquent dès aujourd’hui pour le plus grand
nombre. Les milieux sportifs pour contenir dans
leurs gymnases les différentes formes de vie que
devraient engendrer les différentes formes de sport.
Sont tout particulièrement à fuir les milieux culturels
et les milieux militants. Ils sont les deux mouroirs
où viennent traditionnellement s’échouer
tous les désirs de révolution. La tâche des milieux culturels est de repérer les intensités naissantes
et de vous soustraire, en l’exposant, le sens de ce
que vous faites ; la tâche des milieux militants, de
vous ôter l’énergie de le faire. Les milieux militants
étendent leur maillage diffus sur la totalité
du territoire français, se trouvent sur le chemin de
tout devenir révolutionnaire. Ils ne sont porteurs
que du nombre de leurs échecs, et de l’amertume
qu’ils en conçoivent. Leur usure, comme l’excès
de leur impuissance, les ont rendus inaptes à saisir
les possibilités du présent. On y parle bien trop,
au reste, afin de meubler une passivité malheureuse
 ; et cela les rend peu sûrs policièrement.
Comme il est vain d’espérer d’eux quelque chose,
il est stupide d’être déçu de leur sclérose. Il suffit
de les laisser à leur crevaison.
Tous les milieux sont contre-révolutionnaires,
parce que leur unique affaire est de préserver leur
mauvais confort.

Se constituer en communes

La commune, c’est ce qui se passe quand des êtres
se trouvent, s’entendent et décident de cheminer
ensemble. La commune, c’est peut-être ce qui se
décide au moment où il serait d’usage de se séparer.
C’est la joie de la rencontre qui survit à son
étouffement de rigueur. C’est ce qui fait qu’on se
dit « nous », et que c’est un événement. Ce qui
est étrange n’est pas que des êtres qui s’accordent
forment une commune, mais qu’ils restent séparés.
Pourquoi les communes ne se multiplieraient
pas à l’infini ? Dans chaque usine, dans chaque rue,
dans chaque village, dans chaque école. Enfin le
règne des comités de base ! Mais des communes
qui accepteraient d’être ce qu’elles sont là où elles
sont. Et si possible, une multiplicité de communes
qui se substitueraient aux institutions de la société :
la famille, l’école, le syndicat, le club sportif, etc.
Des communes qui ne craindraient pas, outre leurs
activités proprement politiques, de s’organiser pour
la survie matérielle et morale de chacun de leurs
membres et de tous les paumés qui les entourent.
Des communes qui ne se définiraient pas – comme
le font généralement les collectifs – par un dedans
et un dehors, mais par la densité des liens en leur
sein. Non par les personnes qui les composent,
mais par l’esprit qui les anime.

Une commune se forme chaque fois que
quelques-uns, affranchis de la camisole individuelle,
se prennent à ne compter que sur eux-mêmes et
à mesurer leur force à la réalité. Toute grève sauvage
est une commune, toute maison occupée collectivement
sur des bases nettes est une commune,
les comités d’action de 68 étaient des communes
comme l’étaient les villages d’esclaves marrons aux
États-Unis, ou bien encore radio Alice, à Bologne,
en 1977. Toute commune veut être à elle-même
sa propre base. Elle veut dissoudre la question des
besoins. Elle veut briser, en même temps que toute
dépendance économique, toute sujétion politique,
et dégénère en milieu dès qu’elle perd le contact
avec les vérités qui la fondent. Il y a toutes sortes
de communes, qui n’attendent ni le nombre, ni les
moyens, encore moins le « bon moment » qui ne
vient jamais, pour s’organiser.

© La fabrique éditions, 2007

P.-S.

Texte extrait de "L’insurrection qui vient"

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