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Sous le capot de Frédéric Beigbeder 

lundi 2 novembre 2009, par Philippe Lançon

Frédéric Beigbeder venant d’obtenir le Prix Renaudot, nous tenons à lui rendre hommage façon Lançon.

Il y a deux sortes de complaisance. L’une consiste à se peindre à son avantage ; l’autre, à son désavantage. Si les deux sont également pénibles, il n’est pas certain que la seconde soit la plus profonde, mais c’est la plus orgueilleuse et la plus à la mode : tout le mal qu’une célébrité (ou se croyant telle) dit d’elle-même alimente son compte en bien par la modestie qu’il suppose, et qui est généralement aussi fausse qu’un assignat. Comme Frédéric Beigbeder est un homme à la mode, c’est cette solution-ci qu’il choisit pour évoquer, dans Un roman français, son histoire familiale et son enfance. Du moins, apparemment.

Il le fait à l’occasion d’une garde à vue qui le conduisit d’un commissariat parisien au dépôt du Palais de Justice, dont il découvre et subit éberlué le scandaleux état : sa dénonciation avec indignation en lettres capitales est nettement inférieure à certains articles ayant décrit, depuis belle lurette et en vain, ce lieu où une démocratie entretient son inconscient par l’irrespect humain. Beigbeder a cependant accepté de couper, sur demande de son éditeur et pour le tirage de rentrée (60 000 exemplaires), quelques extraits d’un passage que la presse avait pu lire dès juin. Il y dénonçait, sans excès de violence mais avec maladresse, le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, qui ordonna sa mise en détention. Proche de l’UMP et incarnation de la haute magistrature parisienne, cet homme de cabinet a été l’un des pivots dans le traitement des affaires politico-financières des années 80-90 (Frégates de Taïwan, MNEF), plus récemment l’affaire Clearstream. Interventionniste, réputé chiraquien, il a contribué à renforcer la puissance du parquet. Son histoire est celle d’un grand homme de réseau et de pouvoir. Elle reste à écrire et mériterait de l’être. Ce n’est pas Beigbeder qui, des pages 190 à 193 de la première version de son livre, l’a fait. Un bref communiqué de Marin l’a renvoyé à ses culottes un peu trop courtes, en rappelant qu’il s’était contenté d’appliquer la loi.

« Artistes Malades ».Dans le passage litigieux, Beigbeder affirmait (on n’est jamais trop imprudent ni trop emphatique) que c’était la page « de loin la plus dangereuse que j’ai écrite de ma vie ». Il a renoncé à cet acte héroïque. Exemple de changement : après avoir imaginé le rapport de sujétion entre les flics et le haut magistrat, il tempêtait dans ce style caricatural qui le caractérise parfois : « Je t’informe que tu es prisonnier de ce récit, dont tu es le personnage le plus abject, Jean-Claude Marin. Pour toujours, Jean, Claude et Marin symboliseront la Cruauté d’une Justice Disproportionnée envers les Artistes Malades, la jalousie du Rond de Cuir qui envie les Romanciers Epicuriens […], la Veulerie Soumise de l’Eteigneur d’Affaires qui se Rattrape sur un Petit Fêtard. […] Te voilà érigé en Symbole de la Lâcheté Froide et de la Biopolitique Aveugle. » Dans la seconde version, Marin n’est plus que « le symbole de la Biopolitique Aveugle et de la Prohibition paternaliste ».

La tirade originelle relevait sans doute de la farce. C’est en tout cas ainsi qu’Olivier Nora, PDG de Grasset, affirme l’avoir d’abord lue : « Le passage ne m’avait pas sauté aux yeux, Frédéric faisait de Marin un personnage caricatural. Mais, en relisant le livre imprimé, je me suis dit : ce n’est pas bon, la chancellerie va bouger pour outrage à magistrat et l’affaire va tout cannibaliser. Pour une fois que Frédéric ne fait pas le malin et rentre en lui-même… » Vraiment ? Voyons ça en revenant au livre.

L’auteur, 42 ans, s’est retrouvé là parce qu’en compagnie d’un ami baptisé le Poète, et qui n’est autre que l’écrivain Simon Liberati (qui publie son troisième roman, l’Hyper Justine, chez Flammarion), il s’est fait serrer tandis qu’il sniffait de la cocaïne sur un capot devant une boîte de nuit réputée. En hommage à Jay McInerney et Bret Easton Ellis, dit-il. La description qu’il fait de lui et de l’autre en ces circonstances est celle d’adolescents très attardés, avec qui les flics, bonne pâte, pourraient finalement être plus durs (ils le sont généralement avec d’autres) : moins à cause de la coke qu’en vertu de l’idiotie un peu cuistre qu’ils dégagent. Le dandysme n’est ici qu’un anachronisme de l’immaturité. Le Poète récite aux uniformes un passage du Mangeur d’opium. C’est peut-être vrai, mais comme c’est le texte où Baudelaire affirme que « le palimpseste de la mémoire est indestructible », on peut y voir un artifice destiné à introduire le gros du texte : comment Frédéric l’amnésique, du fond de sa geôle puis en écrivant, va retrouver la mémoire de son enfance, et, de ficelles en aiguille, immortaliser (car c’est sa prétention proustienne affichée) le destin familial.

Plages basques. C’est l’histoire de grands bourgeois et de nobles déclassés, avec châteaux, grandes villas basques, personnages excentriques et divorce des parents à la clé. Pour effriter la madeleine, l’illustre rejeton fait le coup du temps retrouvé, mais son état de départ - l’amnésie - n’est jamais crédible. Une fois oublié le toc de la construction et du présupposé, l’ensemble devient précis sur les souvenirs, plutôt bien écrit, générationnel dans son rapport aux pubs et aux produits, bardé de formules de moralistes répétitives, dans le genre pessimisme à la noix, comme si Beigbeder, ne pouvant tout à fait croire en lui-même comme écrivain, ne cessait jamais de faire le beau (ou le laid, c’est pareil), pour le public qui l’achètera.

La morale finale est pleine de vertu réactionnaire. Le quadragénaire devenu père retrouve avec les plages basques (qu’il décrit bien) les valeurs de sa classe : pudeur, silence, sacrifice, bon goût, et ce qu’il faut de guimauve « nouveau père » - autre genre à la hausse dans la sociologie romanesque. C’est dans ce cadre conformiste et, sous l’apparente autocritique, profondément autosatisfait, qu’il faut lire la « révélation » du livre : des grands-parents ont sauvé des Juifs pendant la guerre à l’insu de tout le monde. Les secrets de la famille Beigbeder sont assez enviables pour qu’il soit flatteur (sinon élégant) de les révéler. La bourgeoisie française, décidément, on ne la mérite vraiment pas.

Comme l’auteur est sympathique, sans mesquinerie, et qu’il a tout de même du style, les gens n’ayant aucun rapport déterminant à la vérité - ça fait du monde - devraient prendre sa vessie pour une lanterne. Les autres préféreront lire ou relire Un roman russe d’Emmanuel Carrère, dont Beigbeder prétend s’être inspiré, ou, mieux encore, Formation de Pierre Guyotat.

P.-S.

Frédéric Beigbeder, Un roman français, Grasset, 282 pages. (Article initialement paru dans Libération, le 20 août 2009)

2 Messages

  • Sous le capot de Frédéric Beigbeder 26 décembre 2009 12:44, par Olivier Favier

    "Le dandysme n’est ici qu’un anachronisme de l’immaturité." Très belle phrase, fort bien trouvée. Chapeau bas.

    • Sous le capot de Frédéric Beigbeder 26 décembre 2009 17:47, par Aliette G. Certhoux

      Moi par principe je suis contre tirer à boulets rouge sur le fortuné Beigbeder (une alterophobie politically correcte le frappe) peut-être parce que je suis une adolescente très très attardée (plus de 60 ans) quoique peu fortunée en dépit de mes apparences domestiques sans doute parce que je ne sniffe pas de coke et c’est dire le niveau de ma tolérance.

      Je ne vois pas pourquoi il devrait avoir honte d’être un fils de riche : parce que la France des descendants des collabos vichystes l’exige au nom des idéaux de la gauche fantôme ? Encore un bouc émissaire en quelque sorte, ça fera jamais que le troisième People cette année (enfin lui est sorti de prison tout de suite ou quasi — il sniffait il ne dealait pas : si ? — et n’a pas accepté d’être ministre de la culture, au moins ;-) Ne nous étonnons pas du prochain renforcement à droite des nouvelles élections annoncées... ça fera un peu comme les écolos aux européennes, jamais ils n’ont été aussi forts dans une assemblée européenne qui jamais auparavant n’a été aussi largement à droite et même à l’extrême droite... A bas la décadence vive l’air pur et mon biocop : Heil Hitler !

      J’ai horreur des conventions de la gauche populiste qui se moque de la gauche caviar : pour moi rien n’est pire que les deux ensemble à la marge des Sarko-zizis-tes.

      Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas crédible dans un roman, précisément simulé et se désignant comme tel, peut-être, que c’est un mauvais roman.

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