La Revue des Ressources
Accueil > Dossiers > Feuillets africains > « Une réalité aussi étrange que la fiction »

« Une réalité aussi étrange que la fiction » 

Déconstruction de la narration historique par deux auteurs kenyans contemporains

samedi 18 décembre 2010, par Aurélie Journo (Date de rédaction antérieure : 28 novembre 2009).

En empruntant cette citation au premier cité, nous voudrions analyser la façon dont ces deux auteurs procèdent  [1] : Parselelo Kantai et Andia Kisia.

Introduction

L’histoire et son écriture ont toujours été des lieux investis idéologiquement. La colonisation de l’Afrique s’est faite en s’appuyant sur la négation de toute histoire pré-coloniale, autour de l’idée d’un continent vierge de tout passé, vivant dans un présent éternellement recommencé. Au moment des indépendances, les écrivains africains ont cherché à réhabiliter ce passé, à le glorifier dans certains cas (Chinua Achebe, Ngugi wa Thiong’o). Les intellectuels africains, francophones comme Cheikh Anta Diop, ou anglophones, comme Bethwell Ogot, se sont battus pour que l’écriture de l’histoire africaine ne soit plus le monopole des anciennes métropoles coloniales, dans une démarche qui liait intimement écriture de l’histoire et identité. Parselelo Kantai, journaliste kenyan, souligne ainsi que Bethwell Ogot « le père de l’histoire kenyane, et l’historien africain le plus connu, a passé la plupart de sa carrière à faire exister le Kenya par l’écriture. » [2] Si pour les intellectuels et écrivains africains, l’enjeu de cette réappropriation de l’histoire était une façon de contre-carrer le discours colonial, l’histoire acquiert pour les pouvoirs indépendants une dimension politique. Les figures mythifiées des dirigeants, « Père de la nation », libérateurs du joug colonial, parsèment le discours politique, et donne naissance à une rhétorique de la libération sur laquelle doivent se construire les toutes jeunes nations, dont l’unité n’est en rien acquise.
Au Kenya, cela revêt une importance toute particulière dans la mesure où la période qui précéda l’indépendance acquise en 1963 est marquée par la révolte violente des Mau Mau, qui eut lieu entre 1952 et 1956 et fut l’occasion d’une répression sanglante par le gouvernement colonial. Cet épisode violent, qui ne peut s’expliquer uniquement en termes de lutte anti-coloniale, présente au premier président, Jomo Kenyatta, un problème de taille en termes de sa réappropriation et de son intégration à la rhétorique politique de l’époque. En effet, le caractère ethnique de cette révolte, dominée par les Kikuyu, ethnie majoritaire au Kenya, et le rôle ambigu joué par Kenyatta dans celle-ci [3], le pousse à adopter une rhétorique d’amnésie collective.
A l’indépendance, il appelle ainsi la population à « oublier le passé » et à tourner la page sur cet épisode sanglant de son histoire [4]. Plus tard, interrogé sur la révolte, il répondra « Nous ne laisserons pas des gangsters diriger le Kenya – les Mau Mau étaient une maladie, qui a été éradiquée et qu’il nous faut oublier à jamais » [5]. Une politique d’amnésie historique était ainsi lancée, destinée à ne pas envenimer les tensions ethniques et à nourrir l’idée que l’indépendance du Kenya était le fruit d’une lutte collective, nationale. Les Kikuyu sans terre qui ont pris part à la révolte se voit ainsi nier une place physique et symbolique dans l’histoire nationale, tandis que les collaborateurs kenyans de la répression britannique accèdent pour certains au pouvoir.
La révolte, symbole ambigu de révolte nationaliste est ainsi réprimée pour devenir symbole de subversion de l’idée de nation [6]. Premier récit nationaliste, au symbolisme puissant pour les Kenyans, la révolte Mau Mau est condamnée à subir l’amnésie d’un Etat qui cherche d’autres bases historiques pour fonder sa légitimité. Outil symbolique de protestation et de subversion pendant les années Moi (1978-2002), durant lesquelles les ouvrages de Ngugi wa Thiong’o (The Trial of Dedan Kimathi) et toute recherche sur les Mau Mau seront censurés, la révolte ne fait l’objet d’un réel discours politique qu’à l’avènement de la NARC, avec à sa tête le président Kibaki, en 2002.
Après 39 ans de gouvernement KANU, l’alternance politique semble également synonyme de réconciliation avec un passé douloureux et refoulé. Deux épisodes illustrent cette volonté politique : la quête du corps de Dedan Kimathi, ancien rebelle Mau Mau exécuté par les Britanniques en 1957, et la rapatriation d’un ancien général de la révolte, le général Stanley Mathenge, d’Ethiopie, en 2003, suite aux allégations d’un journaliste kenyan.
Mais ces deux tentatives de renouer avec un passé enterré depuis près de cinquante ans se concluent en farces : le corps de Dedan Kimathi ne sera jamais retrouvé, et l’homme dépêché par le gouvernement kenyan pour le cinquantième anniversaire de Madaraka Day [7] s’avère n’être nullement le fameux général, mais un paysan éthiopien, qui ne parle ni kiswahili, ni anglais, ni kikuyu et se nomme Ato Lemma Ayanu. Une statue de Dedan Kimathi fut cependant érigée en 2007, pour commémorer les cinquante ans de sa mort. Comme le souligne un écrivain ougandais, David Kaiza, « Qu’un pays post-colonial ne trouve le courage de célébrer sa vie (celle de Dedan Kimathi) que cinquante ans après et pas au moment de l’indépendance en dit long sur l’ambivalence de ce pays face à sa souveraineté et sur les choix difficiles qu’il n’a pas été en mesure de faire. » [8]
La narration de l’histoire s’avère donc une entreprise périlleuse au Kenya, une entreprise dans laquelle faits et fictions se mêlent de façon inextricable. Plus de cinquante ans après l’indépendance, les écrivains kenyans ne s’attachent plus tant à construire une discours anti-colonial et nationaliste qu’à interroger les discours étatiques qui racontent la naissance de la nation. Contrairement à leurs prédecesseurs, pour qui « nation, conscience nationale et narration allaient de paire » [9], leurs récits visent à déconstruire la narration, à mettre à jour la façon même dont les mythes et les fictions historiques viennent à naître.
Les deux textes qui nous intéressent ont tous deux été publiés dans la revue Kwani ?, fondée en 2003 par le jeune lauréat du prix Caine en 2002, Binyavanga Wainaina. Rappelons ici que l’un des objectifs affirmés de la rédaction de la revue était de publier une littérature qui soit le reflet fidèle de la condition kenyane, un miroir dans lequel la société puisse se voir sans complaisance ni stéréotypes [10]. Le premier texte, paru dans le premier numéro, s’intitule « A Likely Story  » [11], et retrace les aventures d’un professeur d’histoire qui a voué sa vie à reconstruire celle de Dedan Kimathi et revient à Nairobi après 20 années d’exil. Son auteur, Andia Kisia est une jeune auteur installée aux Etats-Unis. Le second, publié dans la deuxième édition du magazine, est intitulée « Comrade Lemma and the Jerusalem Boys’ Band  » [12]. Son auteur est un journaliste kenyan, qui fut remarqué pour ce texte au prix Caine de 2003. Le narrateur, un vieil homme qui vit dans un bidonville de Nairobi, fait le récit de la découverte de sa véritable identité, celle du chanteur du groupe éponyme de la nouvelle, avec lequel il avait composé une chanson subversive avant l’indépendance. Le nom de Lemma fait évidemment référence à l’identité de l’Ethiopien que l’Etat kenyan avait pris pour le général Stanley Mathenge.
Les deux nouvelles semblent interroger et explorer l’idée exposée par Paul Ricoeur, selon laquelle « L’histoire n’est pas moins une forme de fiction que le roman n’est une forme de représentation historique. » [13] Il s’agit pour ces deux auteurs d’exposer les rouages de la manipulation de l’histoire par le pouvoir.
Ces deux textes sont marqués par leur usage de la satire, le brouillage des repères qu’ils instaurent afin d’interroger la nature de toute construction narrative de l’histoire. Ce faisant, ils soulèvent la question de la nature de l’être kenyan, notamment dans son rapport au passé. La fiction joue donc finalement dans les textes une double fonction herméneutique : elle est d’une part ce qui permet de décrypter ce qui se fait passer pour un récit "vrai" et le renvoyer à sa nature fictionnelle ; d’autre part, elle représente le lieu de l’exploration et de l’expression de ce qu’être kenyan signifie.

Histoire et histoires

Les deux écrivains abordent de façons différentes la narration de leur nouvelle. Chez Parselelo Kantai, la narration se fait à la première personne, le narrateur étant le héros de la nouvelle, Comrade Lemma. Celui-ci est cependant un narrateur peu fiable, peu crédible, qui construit son mythe au fur et à mesure de la narration, parallèlement au mythe construit de lui par les autres personnages. S’il se décrit au début du récit comme le « leader, le chanteur et guitariste principal de notre groupe de quartier, Comrade Lemma and the Black Jerusalem Boys Band » [14], on apprend quelques pages plus loin que les vrais fondateurs du groupe avaient commencé par le rosser lorsqu’il avait demandé à faire partie du groupe, et que l’un des membres avaient réussi à les convaincre de lui donner une chance, avec ces paroles : « Laissons-le chanter sa chanson à la fin de notre concert ce soir, (...), la foule rira de lui et il quittera Jerusalem. Ca lui apprendra. » [15] La chanson qui le mène à la gloire est décrite comme subversive, et ajoutée à son nom de scène , elle donne naissance à toute sorte de rumeurs au sujet du narrateur : il s’agirait d’un guerrier mau-mau déguisé en musicien (p.213), un Sud-Africain aux pouvoirs maléfiques (p.213). Mais à lire les paroles de la chanson retranscrites page 211, qui n’évoquent que l’arrivée en train de provinciaux venus tenter leur chance à Nairobi, et à lire l’explication donné par le narrateur quant au choix de son surnom, on mesure tout l’écart qui existe entre la réaction présumée du public et, plus tard, du gouvernement kenyan qui censure la chanson (p.213), et la réalité. Le narrateur explique en effet avoir choisi son nom de scène de Comrade Lemma, moins en l’honneur du héros de la révolte Mau Mau que « pour éviter que ma mère Petrobia n’apprenne que son fils chantait dans les bars le samedi soir. » [16] Le texte joue donc avec la notion d’imposture : si Comrade Lemma renvoie dans le texte à un personnage historique, « l’homme au regard de braise sur la photo du journal » [17], le lecteur kenyan identifie d’emblée ce nom à l’imposteur éthiopien. De même, la création de la chanson par le narrateur, décrite comme le fruit d’une révélation quasi-mystique - « le dieu de la musique se mit à me parler à l’oreille » [18] - se révèle être le plagiat d’une autre chanson, sur le train des mines de Johannesbourg.

Parselelo Kantai

Les autres personnages, et notamment, Marehemu George, renforcent cette idée d’imposture qui construit et structure le texte. Celui-ci n’a pas non plus de vrai nom, il porte également le nom d’un mort [19], un riche Américain décédé, qui lui a légué les vêtements qu’il revend dans le quartier. Celui-ci, lors de son discours sur le groupe, transforme également l’histoire, la mythifie. Alors que le narrateur avait expliqué que le groupe avait été dissous au moment de l’indépendance, parce qu’il dérangeait le nouveau pouvoir en place, et que le patron du bar avait donné aux membres du groupe assez d’argent pour refaire leur vie, « pour lancer la carrière d’alcoolique de Tairero, pour financer le retour de Salomon en Ouganda et me transformer en vendeur de légumes » [20], Marehemu George évoque la mort de tous les membres du groupe, qui, excepté Comrade Lemma, moururent « héroïquement, au service de la nation. » [21] La réécriture du passé s’inscrit ainsi dans le récit du narrateur qui mythifie lui-même son passé. Cet emboîtement, ces dédoublements du récit renvoient le lecteur à l’impossibilité d’atteindre la vérité historique, à la qualité illusoire même d’une telle notion.
Dans la nouvelle d’Andia Kisia, on retrouve ce même phénomène, abordé différemment. Si on y retrouve la notion d’imposture, la question de la narration historique y est envisagée d’abord dans son rapport aux éléments constitutifs de la fiction : vraisemblance, suspension consentie de l’incrédulité du lecteur, construction des personnages. Car le héros de la nouvelle est bien quelqu’un qui cherche à écrire un personnage mort, Dedan Kimathi. Or, par un processus similaire de dédoublement et de mise en abyme du récit, le narrateur n’est pas le Professeur Kimani, mais un narrateur qui cherche à son tour, un an après la mort dudit professeur, nous dit-il, à nous raconter son histoire. Le narrateur raconte ainsi l’histoire d’un homme mort qui cherchait à faire le récit d’un autre homme mort. A ce dédoublement diachronique, où la vérité d’un être historique disparu ne semble jamais pouvoir être atteinte s’ajoute un dédoublement synchronique de récits autour d’une même figure. Au début de la nouvelle, le narrateur évoque ainsi les multiples monographies rédigées à propos de Dedan Kimathi : « toutes sortes d’hommes s’étaient présentés, chacun proférant sa vérité, chacune de leur vérité aspirant à avoir le dernier mot, chacune davantage le reflet de l’homme qui l’avait écrite que celle de l’homme écrit. » [22] La vérité échappe à ceux qui veulent la saisir, et reste « une fable à moitié acceptable » [23], des récits qui engagent « la crédulité d’un peuple notoirement crédule. » [24] Dès lors, placé sous le signe de la vraisemblance, le récit historique se fait fiction probable, comme le souligne le titre même de la nouvelle : A Likely Story, c’est bien une histoire que l’on peut croire, mais qui ne partage avec la vérité que le trait de la vraisemblance. Face à la difficulté de se saisir de la figure énigmatique que représente Dedan Kimathi - « il n’arrivait pas à mettre au point l’image de l’homme. Tous les efforts qu’il mettaient à l’examen et l’étude du personnage ne parvenaient pas à l’éclairer de quelque façon que ce fût. » [25] - le Professeur Kimani semble ne pouvoir avoir recours qu’à une recette toute faite : « Un homme. Ajoutez : de l’idéalisme, le sens du sacrifice, une vision (de préférence celle d’une utopie socialiste). Retirez : les accidents du hasard, quelques imperfections hétéroclites (bien qu’humaines), et tout autre fait dérangeant. Mélangez bien. Servez. » [26] La construction de la figure héroïque, sorte de stéréotype romanesque, est ainsi mise à jour dans son artificialité et sa conventionalité, qui, rejetées par le Professeur Kimani, le conduise à son échec. Fiction et réalité se trouvent brouillées. L’ancien colonial britannique décrit dans le texte, Sir Michael, est également une figure qui apparaît régulièrement dans les ouvrages du Professeur Kimani : « il était l’un de ces trois personnages qui traversaient l’oeuvre du Professeur Kimani comme une maladie contagieuse. » [27] Dans son oeuvre, le personnage meurt presque systématiquement et c’est de cet argument que Sir Michael se sert pour demander et obtenir une mesure d’éloignement contre le Professeur Kimani. La fiction est ici mise en abyme, et l’anecdote souligne l’absurdité de la confusion opérée entre fiction et réalité.

Andia Kisia

Dedan Kimathi reste un personnage défini par l’absence : impossibilité de le définir, de le circonscrire, absence de ses restes corporels, dont la recherche n’aboutit qu’à des trous vides, amnésie et sénilité de ceux qui prétendent l’avoir connu. Opposé à ce personnage défini en creux, par l’absence, le récit fait apparaître une autre figure historique, celle de Jomo Kenyatta, le premier président du Kenya. A l’arrivée du Professeur Kimani au Kenya, le narrateur va le chercher à l’aéroport Kenyatta, le conduit dans la ville par l’avenue Kenyatta, ils passent devant l’hôpital Kenyatta, et devant « plusieurs momuments mal-bâtis à la gloire de sa complaisance » [28]. Partout dans la ville, « un homme avait planté les germes de son propre souvenir », « tous les fruits du caprice d’un homme qui avait commencé à croire en son histoire. » [29] Il est intéressant de noter ici qu’en anglais le narrateur utilise le terme de story et non celui d’history, nuance que le terme français d’histoire ne parvient pas complètement à refléter. L’instigateur de l’amnésie historique de l’épisode des Mau Mau et de l’oubli de Dedan Kimathi a quant à lui assuré la postérité de son souvenir, de son mythe en l’inscrivant concrètement dans l’architecture de la ville. Comme dans l’exemple précédant, la réalité (historique ou non) semble toujours secondaire par rapport aux signes qui s’y rapporte ou la décrive. Plus loin, le narrateur compare Kenyatta et Moi, et il évoque la coexistence de leurs deux noms dans les rues, celui de Moi toujours donné aux axes moins importants, et dit « De cela, nous sommes complices. Nous autorisons l’imagination à l’emporter sur les faits. » [30]
La statue de Dedan Kimathi, inaugurée en 2003, peut alors être lue comme une tentative du nouveau gouvernement d’affirmer la présence d’un héros jusqu’ici absent. Mais le texte d’Andia Kisia nous rappelle toute l’artificialité de la démarche. Si statue il y a, elle ne parviendra jamais à combler les trous de l’oublis sur lesquels s’est construite la nation kenyane. Les recherches menées pour retrouver les ossements de Dedan Kimathi ne font apparaître que des objets sans intérêt, vieilles chaussures de l’armée, clous rouillés, tous incapables de « maintenir une nation en vie. » [31]

Brouillages

Face à cette impossibilité d’atteindre, ou de restaurer une vérité historique, les deux récits font apparaître à la fois la futilité de la démarche, et l’aspect farcesque que prend la réappropriation par un pouvoir quelconque d’une histoire réécrite pour servir ses intentions.
Si la présence du redoublement, de la démultiplication à l’infini marque la distance infranchissable qui nous sépare de la réalité du passé, elle fait également émerger la dimension farcesque et grotesque de l’écriture de l’histoire. Marx, qui évoquait la répétition de l’histoire en la figure de Napoléon III, aurait dit que ce qui la première fois a l’allure d’une tragédie, prend, une fois répétée, celle d’une farce.
Le grotesque, le ridicule et l’absurde, apparaissent dans les deux textes à maintes occasions. Les personnages décrits sont pour la plupart tournés en dérision, et le terme même de héros semble n’être qu’une construction fictionnelle, sans équivalent dans la réalité. Dans le texte de Parselelo Kantai, Comrade Lemma, le héros Mau-Mau dont la photo apparaît dans le journal est ainsi décrit : « sa tête reposant paisiblement à côté de son torse criblé de balles, dans les Ngong Hills, où, rapportait l’article, il avait été la victime d’une dispute du groupe à propos du dîner. » [32] La description du corps décapité alliée à la futilité apparente de la dispute qui lui valut la mort contribuent à brouiller les repères entre héroïsme et ridicule. Dans le texte d’Andia Kisia, c’est le personnage du Professeur Kimani qui sert à interroger la notion d’héroïsme. S’il apparaît comme celui qui résiste à la censure du gouvernement malgré ses séjours répétés en prison, le hérault d’une vérité qui dérange [33], il n’est jamais reconnu comme un héros, et loin d’éveiller l’admiration, il provoque au contraire la peur ou la fuite. Ainsi, de retour dans le bureau qu’il occupait à l’université avant son exil, il est d’abord pris pour un fou par le secrétaire avant que celui-ci le reconnaisse et prenne peur : « Brusquement, la fascination céda la place à la panique sur son visage. Il préférait de loin le « fou volubile. » » [34] Il décide donc d’appeler la police, et dans une répétition comique de l’histoire, c’est le même policier qui l’avait arrêté vingt ans auparavant qui l’arrête à nouveau. Dans les bars de la ville, les clients quittent les lieux à son apparition, et le narrateur lui-même se trouve gêné par sa présence : « Je fus saisi d’une envie soudaine d’être ailleurs, n’importe où. » [35]
Les figures héroïques sont ainsi tournées en ridicule, vouées à la mort ou à l’oubli. Nulle place n’est laissée au sublime qui se voit sans cesse réduit au grotesque, au ridicule. La célébration du héros retrouvé, dans Comrade Lemma and the Black Jerusalem Boys Band, est certes menée avec faste : présence d’un ministre, discours, musée en l’honneur du narrateur. Mais elle est sponsorisée par une marque de préservatifs, Careful Lovers, qui renvoie le narrateur à l’échec de son mariage : « Sur les murs et les fenêtres, il y avait des affiches plus petites, qui portaient toutes l’inscription « Avec Amants Prudents, l’amour dure plus longtemps » sous ma photo. Cela m’irrita car il m’est parfois arrivé de me demander si le départ de Rehema n’était pas lié à sa frustration face à la brieveté de mes performances au cours de nos unions nocturnes. » [36] Le héros, devenu un vieillard, ne parvient que difficilement à masquer son envie d’aller aux toilettes, s’endort pendant le discours en son honneur. Finalement, la fête se solde en émeute qui voit la mort de la voisine du narrateur, dont il est secrètement amoureux, Marehemu George se dit déçu de son comportement. Il lui demande « pourquoi (il a) voulu gâcher son événement après qu’il (lui) ait versé une si généreuse avance. » [37] Le héros n’apparaît que comme un comédien peu doué, une marionnette au service d’un personnage cupide.
Dans A Likely Story, l’image d’un Etat amnésique se décline dans l’image du bibliothécaire bibliophage, qui engloutit les archives tant recherchées par le Professeur Kimani. Les livres séditieux ou jugés suspects sont ainsi dévorés, sur des ordres venus d’en haut. Les images de l’ingestion et de la digestion appliquées à la lecture et au savoir sont ici prises au sens propre. Venant s’ajouter au brouillage des repères entre réalité et fiction, on assiste au brouillage provoqué par les mots eux-mêmes, qui semblent trompeurs s’ils sont manipulés par les imbéciles ou le pouvoir. Le bibliothécaire confie ainsi au narrateur qu’il a eu des difficultés à manger le chapitre dix : « Difficile à avaler, encore plus difficile à digérer, et à l’évidence plus difficile encore à croire. » [38] Le ministre, autre figure du pouvoir dans le texte, n’a rien à dire, il se réfugie dans le silence et la fuite. Lors du cocktail mondain organisé dans les jardins présidentiels, il se refuse à prendre parti dans le débat qui oppose le Professeur Kimani et Sir Micheal, reflétant à son échelle la lâcheté d’un gouvernement qui ne parvient pas à affirmer une ligne de conduite claire, mais se retrouve pris entre les revendications des Mau Mau (représentés dans le texte par le personnage du Professeur Kimani) et la complicité avec l’ancien pouvoir colonial (incarné dans le texte par Sir Michael).
Le vieillard qui se propose d’aider le professeur à retrouver un manifeste écrit par Dedan Kimathi et enterré dans la fôret est lui aussi aussi caractérisé par son incapacité à s’exprimer, sa sénilité : après des heures de marche, ils se retrouvent à leur point de départ et il leur dit « le temps est un chemin de souris abandonné, qui ne mène nulle part. » [39]

La transmission de la mémoire est une entreprise vouée à l’échec. L’ingestion des documents historiques est purement physique et aboutit à leur destruction. L’Etat kenyan est décrit dans sa passivité et son incapacité à affronter son passé. Le fait que la célébration du héros retrouvé soit sponsorisée par une marque de préservatifs semble également renvoyer à cet échec de la transmission. Dans la nouvelle d’Andia Kisia, le bureau du Professeur Kimani, autrefois rempli de livres, ne comprend plus que des étagères vides, à l’exception de « trois exemplaires de la Bible en trois langues différentes, un botin vieux de cinq ans et un atlas » [40] L’homme qui les reçoit ne reconnaît pas le professeur et avoue, presque avec fierté, n’avoir jamais lu ses ouvrages. Le passé, que l’Etat a recouvert de « l’attirail de l’oubli » [41], est jugé inutile, comme le souligne la remarque d’un tenancier de bar : « Je veux dire, qui se soucie de tous ces hommes morts ?, finit-il par demander. Quel rapport ont-ils avec quoi que ce soit ? Si j’ai assez à manger et si mes enfants vont à l’école ? » [42] Le silence remplace la parole qui devrait livrer aux générations futures le souvenir. L’imposture et le mensonge de l’Etat aboutissent à la folie, à la schizophrénie et finalement à une sorte d’aliénation de tout un peuple. La tentative de l’Etat de renouer avec le passé sont décrites dans le texte lui-même comme une farce. [43] Dans Comrade Lemma and The Black Jerusalem Boys Band, le narrateur ne peut soutenir les mensonges débités par Marehemu George, ne parvient pas à endosser l’habit de l’imposteur et finit par s’écrier « Je ne suis pas Comrade Lemma, Comrade Lemma est mort. (...) la mort est facile, c’est vivre dans le silence qui est difficile, lequel choisiras-tu mon frère, en ces temps de servitude, ne deviens pas un vieil homme qui ne peut expliquer pourquoi il n’est pas mort jeune ni pourquoi ses enfants marchent dans les chaînes. » [44] Les deux nouvelles se concluent sur un échec, sur une transmission caractérisée par une dégradation. Le narrateur de Comrade Lemma and The Black Jerusalem Boys Band, qui se révèle incapable d’endosser le rôle du héros, transmet symboliquement ce statut à Martha, qui meurt piétinée par la foule, « victime des circonstances » [45], en martyr qu’il aurait dû être. De la même façon, dans le texte d’Andia Kisia, le narrateur est celui à qui le Professeur Kimani a transmis la tâche de perpétuer sa recherche sur Dedan Kimathi, mais sous une forme dégradée. Avant de quitter le Kenya, le professeur a perdu toute illusion sur la quête de vérité historique et dit au narrateur : « Ce n’est pas la vérité qui compte. C’est qu’ils y croient. Tu peux leur raconter n’importe quoi, raconte-leur ce qu’ils ont envie d’entendre. Raconte-leur une histoire vraisemblable. » [46] Dès lors, les mots du narrateur qui concluent le texte - « Peut-être que je peux lui être de quelque utilité. Peut-être que je peux raconter l’histoire. » [47] - renvoient le lecteur à ses propres attentes. Le narrateur lui a-t-il raconté l’histoire qu’il voulait entendre ? A-t-il cherché au contraire à atteindre une quelconque vérité ? Dès lors, ces deux narrateurs peu fiables renvoient les lecteurs à leur propre façon de se raconter, et les interrogent sur ce que ceux-ci sont prêts à croire. La transmission demeure problématique au-delà des textes eux-mêmes et semble se perpétuer dans le rapport des textes à leurs lecteurs.

Folie

L’échec de la transmission semble dû à la fois au transmetteur et au récepteur : incapacité des anciens à faire passer un message vrai chez Kantai, indifférence et refoulement volontaire du passé chez Kisia. Au-delà d’une déconstruction de la manipulation de l’histoire par le pouvoir, c’est à une critique de leur société que procèdent les deux nouvellistes : cynisme, fossé générationnel, pouvoir de l’argent et manque d’authenticité. Les auteurs semblent ainsi décrire cette « culture kafkaesque du déni, de la disparition et de l’oubli » [48] qu’évoque Parselelo Kantai dans son article. La figure de l’historien n’est pas épargnée dans le texte d’Andia Kisia. En effet, s’il peut apparaître au premier abord comme une l’incarnation d’un combat pour la vérité, il semble également incapable de représenter un transmetteur fiable. Au début du texte, le narrateur revient sur les pressions subies par le professeur, surveillé par les services secrets kenyans : ceux-ci donnent au professeur bon nombre de détails sur sa vie privée et sa famille pour le convaincre du sérieux de leur surveillance, et c’est à cette occasion que le professeur apprend qu’il a quatre fils et non trois. Il apparaît dès lors coupé de la réalité et du présent, car tourné tout entier vers le passé. La transmission de son nom passe avant tout par la postérité de ses oeuvres (postérité dont on a vu à quel point elle était illusoire), et non par ses enfants : « Son oeuvre portera son nom. Ils (ses enfants) ne lui servaient à rien. » [49] Il représente finalement une figure aliénée des autres, de sa famille, de son pays, dans lequel il ne parvient à trouver une place.
La notion d’aliénation, par laquelle nous entendons le fait d’être rendu comme étranger à soi-même, traverse également le texte de Parselelo Kantai. C’est la figure de Petrobia, la mère du narrateur, qui incarne le refus de le l’imposture, et qui se trouve aliénée du fait même de son authenticité. Lorsqu’elle découvre que Comrade Lemma n’est nul autre que son fils, elle entame « sa retraite dans le silence et la honte » [50]. Elle est excommuniée de son église, l’Armée de Dieu, parce qu’elle « s’est oubliée et a imité les danses tribales de son peuple de l’Ouest » [51], excommunication qui les force à quitter le quartier, Jerusalem. Il est intéressant de noter que ces deux événements, décrits à plusieurs pages d’écart dans le texte, ont lieu le même jour : le jour de l’indépendance du Kenya [52]. Le jour de la naissance symbolique de la nation se trouve ainsi associé à l’idée que l’imposture est le mode de vie et de survie national. Cette idée se trouve renforcée par la découverte faite par le narrateur que l’ancien chanteur du groupe, Humphrey, lui a volé sa chanson qu’il entend à la radio, « le premier matin de notre indépendance » [53]. Etre authentique et refuser l’imposture revient à être exclu ou à s’exclure de la société. L’expression « s’oublier » signifie finalement son contraire dans son emploi ici, puisque Petrobia oublie au contraire de jouer un rôle et se souvient de qui elle est et d’où elle vient, ce que le nouveau gouvernement ne fera pas. L’Etat indépendant « s’oublie » en se réfugiant dans l’amnésie historique afin de ne pas « s’oublier » et de continuer à jouer le rôle que lui avait assigné le pouvoir colonial. De la même manière, les célébrations du quarantième anniversaire de l’indépendance, ne sont qu’une imposture : l’histoire qu’on y raconte est largement inventée, l’ensemble est davantage le fruit d’une campagne publicitaire et se solde par une émeute. Le manque d’authenticité de la société kenyane est ainsi mis en avant, puisque de l’échec de la transmission du passé résulte une incapacité à se définir, un recours constant à l’imposture qui mène finalement les personnages à la folie ou à la mort.
Cette idée est également présente dans A Likely Story, où le narrateur rapporte un long monologue du professeur sur ce qu’est le Kenya. La définition qu’il en donne renvoie à la schizophrénie et au manque d’authenticité. Schizophrénie d’abord, car l’on retrouve la dichotomie évoquée plus haut entre héritage colonial (« le Kenya, c’est Eliot, Delamere, Grogan, Blixen. » [54]) et lutte nationaliste (« Le Kenya c’est Mary Wanjiru, James Gichuru, Koinange, Kenyatta » [55]), manque d’authenticité ensuite, car « le Kenya, c’est apprendre à faire avec. Les vêtements des autres, les idées des autres. » [56] Dès lors, c’est un pays qui se définit d’abord par ce qu’il n’est pas, et qui ne parvient pas à prendre ses responsabilités : « Etre kenyan, c’est refuser la culpabilité, plaider son innocence, et faire l’aumône. » [57] On retrouve ici l’idée exprimée par David Kaiza d’une ambivalence du pays face à sa souveraineté, à son indépendance, termes associés de fait à la responsabilité. La description du professeur renvoie bien à cette idée de dépendance et d’illusion, propre à l’enfance. La manipulation de l’histoire peut avoir lieu du fait de la crédulité d’un peuple qui vit dans le monde fictionnelle des illusions qu’il nourrit sur lui-même.

Conclusion : un miroir tendu aux lecteurs

Fidèles aux objectifs de la revue, les deux auteurs dressent un portrait sans concession de leur pays, n’épargant ni gouvernement, ni citoyens, dupes complices de leur duperie. Le deux textes incitent les lecteurs à s’interroger sur ce qu’ils sont prêts à croire en leur racontant des histoires qui sont à peine vraisemblables, du fait du caractère peu fiable de leurs narrateurs. Les deux textes se situent à un point d’intersection entre présent et passé. Dans A Likely Story, la narration oscille sans cesse entre deux époques de la vie du Professeur Kimani – celle qui précéda son exil et celle qui suivit son retour au pays, vingt ans plus tard – jusqu’à parfois brouiller la distinction. Dans Comrade Lemma And The Black Jerusalem Boys Band, le récit de la journée est entrecoupé de retours en arrière du narrateur qui se souvient de sa jeunesse, de façon parfois confuse. Ils ressemblent en ce sens à des miroirs qui reflètent tantôt le passé tantôt le présent, et créent ainsi un espace dédoublé, qui permet de faire naître une réflexion chez le lecteur. La fiction semble devenir un outil herméneutique, qui permet d’interroger et de mettre à jour à la fois les mécanismes de la construction de l’histoire, et de la crédulité de ceux à qui on la raconte. A bien des égards, les deux textes revêtent un aspect prophétique : Andia Kisia a écrit la nouvelle en 2002, avant même que Mwai Kibaki soit élu et que le nouveau gouvernement entame son entreprise de réhabilitation du passé , mais sa projection semble correspondre en maints points à ce qui s’est passé par la suite. La célébration d’une fiction construite de toutes pièces (la vie de Comrade Lemma) qui tourne au drame peut aujourd’hui être lue comme une mise en garde contre la déformation du passé et le refus de regarder la vérité en face. « Le retour à la normale » proclamé lors de la constitution du gouvernement de coalition en février 2008, après la vague de violences qui ravagea le Kenya à l’issue des élections présidentielles de décembre 2007, est une fiction qui ne peut manquer de finir en drame. Dans un article publié à l’occasion de la sortie du numéro 5 de la revue Kwani ? [58], Parselelo Kantai revient sur le terme de « violence post-électorale », terme pratique qui permet de faire des violences un épisode exceptionnel, une aberration de l’histoire kenyane, et donc de ne pas affronter les racines profondes du problème. Il met à nouveau en garde un public kenyan, qui « se nourrit d’euphémismes » [59] contre les expressions construites par le gouvernement pour faire croire à ses citoyens les fiction parfois dangereuses qu’il invente.


Voir sur le site les deux nouvelles sur lesquelles cet article s’appuie : A likely story / Une histoire probable et Comrade Lemma and the Black Jerusalem Boys Band.

P.-S.

première publication le 28 novembre 2009.

Notes

[1« Fact proved as strange as fiction », Parselelo Kantai, l’un des deux auteurs en question dans son article « Death of the Kenyan Dream », The East African, Nairobi, 31 juillet 2006.

[2« Ogot, the father of Kenyan history and Africa’s most celebrated historian, has spent most of his career
writing Kenya into being. », « Death of the Kenyan Dream », The East African, Nairobi, 31 juillet 2006, p.1.

[3Voir Odhiambo, Atieno et John Lonsdale (dirs.), Mau Mau and Nationhood, Oxford : James Currey, 2003 ; Keith Kyle, The Politics of the Independence of Kenya, New York : St. Martins Press, 1999.

[4Discours de Kenyatta au Kenyatta Day speech en 1964 : “Let us agree that we shall never refer to the past.”, dans Jomo Kenyatta, Suffering without Bitterness : the founding of the Kenyan nation, Nairobi, East African Publishing House, 1968.

[5« We shall not allow hooligans to rule Kenya- Mau Mau was a disease, which was eradicated and must never be remembered again. », cité dans Odhiambo, Atieno et Lonsdale, 2003, p.4.

[6Ainsi, la secte Mungiki, secte Kikuyu, puise ses pratiques et une certaine partie de son discours de la tradition des Mau Mau.

[7Madaraka Day, 1er juin 2003, cinquante ans après l’autonomie politique du Kenya.

[8« That a post-colonial country got the courage to celebrate his life only five decades later and not at independence says a lot about the country’s ambivalence about its sovereignty and about the difficult choices it failed to make. », David Kaiza, « Benediction in Oyugus », pp.80-137, in Kwani ? 5, Kwani Trust : Nairobi, 2009, p.120.

[9“nation, national consciousness, and narration would walk hand in hand”, James Ogude, « The Nation and Narration : “The Truths of the Nation” and the changing images of Mau Mau in Kenyan literature », dans Odhiambo, Atieno et Lonsdale, 2003 p.169.

[10« What Kwani ? does is offer a mirror », Billy Kahora, rédacteur en chef de Kwani ?, dans une interview avec IPS, publiée sur le site kwani.org, le 18 mars 2009.

[11Andia Kisia, « A Likely Story », pp.70-85, Kwani ? 1, Kwani Trust : Nairobi, 2003. LS dans les notes à venir.

[12Parselelo Kantai, « Comrade Lemma and the Jerusalem Boys’ Band », pp.210-223, Kwani ? 2, Kwani Trust : Nairobi, 2004. CL dans les notes à venir.

[13Paul Ricoeur, Temps et Récit, Editions du Seuil, 1985.

[14« the leader, lead vocalist and lead guitarist of our neighbourhood group, Comrade Lemma and the Black Jerusalem Boys Band », CL, p.209

[15« « Let him sing his song at the end of our show tonight », Humphrey said. « The crowd will laugh him out of Jerusalem. That will teach him. », CL, p.212

[16« to prevent my mother Petrobia from hearing that her son was a barroom singer on Saturday nights. », p.213

[17« the man with the burning eyes in the newspaper photograph. », CL, p.213

[18« The god of music began speaking in my ear », CL, p.211

[19Marehemu est d’ailleurs le terme swahili qui désigne un mort, et que l’on pourrait traduire par « feu ».

[20« Mr. Ben (...) paid us enough money to launch Tarerero’s career as a drunk, finance Solomon’s trip back to Uganda, and transform me into a vegetable dealer. », CL,p.213

[21« all the other members of the Black Jerusalem Boys Band died heroically in the service of the nation. », CL, pp.221-222

[22« all manner of men had presented themselves, each proffering his truth, each truth aspiring to be the last word, each a reflection more of the man who had made it than of the man being made. », LS, p.72

[23« a halfway palatable fable », LS, p.72

[24« the credulity of a famously credulous people », LS, p.72

[25« The man would not come into focus. No amount of scrutiny and study seemed to shed the slightest light on the matter. », LS, p.75-76.

[26« A man. Add : idealism, self-sacrifice, vision (preferably of a socialist utopia). Remove : accidents of chance, miscellaneous imperfections (though human) and any other inconvenient facts. Blend thoroughly. Serve as required. », LS, p.75.

[27« Sir Michael was one of three stock characters that ran like an infectious disease through Prof. Kimani’s oeuvre. », LS, p.79

[28« several other badly-built monuments to self-indulgence », LS, p.76

[29« one man had planted the seeds of his own remembrance. » ; « All the folly of a man who had begun to believe in the story of himself. », LS, p.76

[30« In this we are accessories. We allow the fantasy to outweigh facts. », LS, p.77

[31« sustain a nation », LS, p.84

[32« his head resting peacefully beside his bullet-riddled torso in the Ngong Hills, the victim, said the report, of a group dispute over dinner. », LS, p.211.

[33« De sa cellule solitaire continuait à s’échapper le flot régulier du moins hygénique de notre linge sale », « From his solitary cell, there continued to issue a steady stream of the most unsanitary of our dirty laundry », LS, p.84

[34« Abruptly, panic replaced the fascination on his face. He much prefered the ’voluble madman’ », LS, p.73.

[35« I was seized by a sudden urge to be somewhere, anywhere else. », LS, p.77

[36« There were smaller posters on the walls and windows, all with ’Careful Lovers Last Longest’ emblazoned beneath my photograph. Thus irritated me because I have sometimes suspected that Rehema of my active years left out of frustration at my brevity during our nocturnal unions. », CL, p.220

[37« why did I want to wreck his event after he had paid me such a large advance. », CL, p.222

[38« Hard to take in and even harder to digest and showing every indication of being even harder to believe. », LS, p.80

[39« Time is a disused panya route, leading nowhere. », LS, p.81. « panya » est un terme swahili signifiant souris.

[40« three copies of the bible in three different languages, a phone book five years out of date and an atlas. », LS, p.73

[41« the paraphernalia of forgetfulness », LS, p.77

[42« I mean, who cares about so many dead men ? » he asked at last. « What has that got to do with anything ? Whether I have something to eat, or my children go to school ? » », LS, p.84.

[43LS, p.84, l’événement est nommé par deux fois « une farce ».

[44« I am not Comrade Lemma, Comrade Lemma is dead (...) death is easy, it is living in silece that is difficult, which one will you choose my brother, in these days of bondage, don’t be an old man who can’t explain why he didn’t die young or why his children walk in chains. », CL, p.222.

[45« a victim of circumstances », CL, p.223.

[46« It’s not the truth that matters, it’s only that they believe it. You can tell them anything, tell them what they want to hear. Tell them a likely story. », LS, p.85.

[47« Maybe I can be of some small service to him. Maybe I can tell the story. », LS, p.85.

[48« A (...) Kafkaesque culture of denial, disappearing and forgetting », Parselelo Kantai, « Death of the Kenyan Dream », The East African, Nairobi, 31 juillet 2006.

[49« His work would carry on his name. He had no use for them. », LS, p.75

[50« her retreat into silence and shame. », CL, p.214

[51« for forgetting herself and simulating the tribal dancing of her people from the west », CL, p.211

[52« the evening of our nation’s independence day », CL, p.211 et « on the day of our country’s independence », CL, p.214.

[53« on that first morning as an independent nation, putting on the radio to hear " And now the song the nation is dancing to, Joka, by Humphrey W., the man of the moment..." », CL, p.221.

[54« Kenya is Eliot, Delamere, Grogan, Blixen », LS, p.85.

[55« Kenya is Mary Wanjiru, James Gichuru, Koinange, Kenyatta », LS, p.85

[56« Kenya is learning to make do. Other people’s clothes, other people’s ideas. », LS, p.85

[57« To be Kenyan is to refuse culpability, to plead one’s innocence and to plead for alms. », LS, p.85

[58Parselelo Kantai, « Writers in search of a nation », The East African, 27 février 2009.

[59« runs on euphemisms », Ibidem

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter