Billets d’humeur fantasque
« Vous êtes prisonniers d’un système de civilisation qui vous pousse plus ou moins à détruire le monde pour survivre. » Daniel Quinn
On confond écologie et environnement. Cette confusion, dont même l’écologisme est coutumier, est loin de n’être que sémantique. Se préoccuper du décor en ignorant l’importance des interdépendances régulatrices est le péché anthropocentriste par excellence. Il se paiera cher, les chèques environnementalistes étant toujours escomptés sur un avenir qui doit tout à l’écologie. C’est au détriment du tout que nous construisons notre petit jardin ornemental, c’est au détriment des biocénoses que nous remembrons et gavons d’intrants nos champs, c’est au détriment de la forêt naturelle que nous alignons des arbres sur un sol toiletté. La gestion policière, voilà l’attitude ennemie de la nature. La cécité écologique de l’homme civilisé achève en ces temps de fossiliser le vivant. Polluons-dépolluons, saccageons-protégeons, épuisons-régénérons, déboisons-reboisons, lâchons-régulons… : interventionnistes parce qu’environnementalistes. On ne reconstruit pas les écosystèmes, on ne négocie pas avec la nature. Ce que savaient implicitement les peuples premiers. Il faut rendre la Terre à la Terre.
Naturaliste observateur et descripteur depuis l’enfance, j’ai passé l’essentiel de ma vie le nez dans le microcosme, ébloui, à en cerner toute la beauté et quelques mystères. Quand je me suis relevé, il n’y avait plus rien autour de moi, des bulldozers et des tronçonneuses avaient anéanti en quelques minutes ce que la genèse avait mis des lustres à construire. Je compris alors qu’il fallait s’insurger pour défendre une maison du Quaternaire dont nous n’étions que colocataires, dont on retirait chaque jour une brique. La tâche est insurmontable pour bien des raisons, notamment parce que la finitude du monde n’est pas admise, parce que décroissance, ou dénatalité sont encore des gros mots, parce que nous n’avons jamais disposé du moindre ministère du futur. L’écologie profonde et le biocentrisme dérangent l’inertie et le ronron de ceux qui confondent la protection de Gaïa avec le département jardinage d’un bazar de bricolage.
Tous les signaux sont au rouge. Le pic forestier est déjà derrière nous, des déplétions successives sont annoncées, dont celle des énergies fossiles. La succession tourne court et notre incapacité à transmettre à nos enfants le legs d’une terre accueillante est parfaitement honteux. Cet horizon d’une vie invivable ne semble même pas nous permettre de relativiser la crise systémique servie sur plateau d’ultralibéralisme, ni susciter le moindre regret pour cette politique de la terre brûlée. Qui vivra verra, ou plutôt ne verra pas.
Il y a, entre la Terre-mère et chacun de nous, comme un cordon ombilical sacré. Et les terriens qui l’ont coupé sont des mutants. Après eux le déluge.
Michel Tarrier