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16 PHRASES 

(ou le précipice du doute)

lundi 2 janvier 2017, par Lionel Marchetti

16 PHRASES
(ou le précipice du doute)

« l’océan est un fauve féroce
qui marque de son odeur
son territoire liquide
 » [1]

Anise Koltz

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Photographie © Lionel Marchetti - 2010
Photographie © Lionel Marchetti - 2010

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16 PHRASES

1.

Chaque matin — une aube
un commencement.

2.

Le ciel désormais s’enflamme

Il pleut —
(la force de l’orage, cette nuit, vers quatre heures)

Violence rare

Et coïncidence.

3. LECTURE

Lorsque je t’ai rencontré, tu m’as accepté tel que j’étais
et même si ma connaissance, de loin inférieure à la tienne, te semblait dérisoire
tu as compris l’éclair intuitif qui vivait en moi

Moi qui sais, tout simplement, choisir —

Lecture de Robinson Jeffers :

L’eau est l’eau, la falaise est faite de pierre, de là viennent les chocs
et les éclairs de réalité. L’esprit
S’efface, les yeux se ferment, l’âme est un passage ;
La beauté des choses est née avant notre regard et elle se suffit à elle-même…
 [2]

4. DANS UN RÊVE

J’ai vu la peau de ton visage perdre quelque chose pour rien

Je me suis retourné
(tu n’étais plus là).

5. VASQUE D’EAU

Une truite
plus rapide que l’insecte.

6. PRÉCIPICE DU DOUTE

Et si la vie
la vraie
n’était pas encore commencée ?

Lecture de Nikolaï Kantchev :

Laisse tomber les images du passé,
regarde ce qui est là…
 [3]

7.

Un chant, la nuit, incise l’univers

Enfant, je découvrais l’infinité du ciel
ses étoiles
et, à la suite, d’autres étoiles encore

Le souffle (comment cela est-il possible ?)
de lui-même sur lui-même à l’instant se délivre

L’étendue — sa vigueur naturelle

La vie à même

L’écriture, née en de tels lieux
est un poème véritable.

8. SUR LA GRÈVE

A : - Nous sommes du monde, avec le Soleil, les astres, la Lune, la Terre, les plantes, tous les êtres vivants...

B : - Dans ta poitrine, qui décide ?

A : - J’ai confiance, depuis l’enfance, en quelque chose en moi qui sait et que j’éprouve, diversement, que je sois musicien ou poète.

9.

Quelques pierres ramassées
quelques galets
du temps
concassé

Du temps retenu

L’eau (le cycle de l’eau)

Le vent —

La voix porte au-delà

Elle touche à distance
sans se justifier

Seul le feu l’emportera.

10. MONTAGNE FROIDE

Lecture de Han Shan

À l’horizon, un autre horizon encore

L’expérience des hauteurs — difficile à partager

…suis ton karma mon vieux
jusqu’au bout

jours mois coulent
comme ruisseau
temps
étincelles de deux silex
frottés…
 [4]

11. CAUCHEMAR

Cette nuit, un tigre rôde

Il cherche mes jambes

Je m’échappe de justesse
(je grimpe à un arbre, aidé par je ne sais quelle force première)

Et je me réveille
bousculé par la terreur, en sueur, paniqué

Définitivement transpercé par son regard animal.

12. LE PIÈGE

Tomber dans le piège d’une harmonie forcée !

Quand je mange, je mange…

Si tu veux ma main, donne-moi ta main
et nous voyagerons ensemble.

13. UNE RÉPONSE

Beaucoup cachent cette envie de convertir

Trancher net cette algue

Les fleurs tombent, parfois jamais n’éclosent —

Lecture de Olav H. Hauge :

Demande au vent
quand il est à bout de souffle.
Il voyage loin
et revient souvent
avec les bonnes réponses.
 [5]

14.

Faut-il forcer le passage ?

Où ?

Comment ?

Et quand ?

Être ouvert aux leçons
tenter, sans arrière-pensées, le contact

 ?

 ?

 ?

Lecture de Ishikawa Takuboku :

Montrer aux autres une chose extraordinaire
et profitant de leur surprise
disparaître
 [6]

 ?

 ?

 ?

Perdu, sans repère
ni verticale

— les deux couteaux — [7]

Survivre, tout de même
à ce qui essouffle
et tue

De l’erreur, parfois, surgit l’espace plein.

15.

Est-ce cela le miroir naturel des choses ?

&

16.

Je continuerai ainsi
clopin-clopant
soleil pleine face
jusqu’à la fin.

P.-S.

UNE photographie — UN poème / © Lionel Marchetti - 2007 / révision 2016

Notes

[1Anise Koltz, Somnambule du jour, Poèmes choisis, éd. nrf Poésie/Gallimard, 2015, p. 167

[2Robinson Jeffers, Le dieu sauvage du monde, éd. "tête nue" Wildproject, traduit de l’anglais (américain) par Matthieu Dumont, 2015, p. 45

[3Nikolaï Kantchev, Comme un grain de sénévé, Poèmes traduits du bulgare par l’auteur, éd. Actes Sud, 1987, p. 70

[4Han Shan, Montagne froide, texte français de Martin Melkonian, éd. fourbis, 1996

[5Olav Hakonson Hauge, Nord profond, Poèmes, trad. de François Monnet, éd. Bleu autour, 2011, p. 41

[6Ishikawa Takuboku, L’Amour de moi, traduit du japonais par Tomoko Takahashi et Thierry Trubert-Ouvrard, éd. Arfuyen, 2003, p. 59

[7Jean-Yves Leloup, dans Un art de l’attention, éd. Albin Michel, 2002, p. 115, dit : "Avec un couteau, on peut commettre des crimes, trancher des liens, s’ouvrir un sentier dans la jungle, sauver une vie lors d’une opération difficile…" et aussi : "L’instrument juste entre les mains de l’homme non juste a des effets non justes."

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