6000 mots
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Photographie en frontispice
de
Emmanuel Holterbach
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TROISIÈME SÉRIE — L’épine
8 poèmes
&
QUATRIÈME SÉRIE — Nature de l’eau
10 poèmes
6000 mots
2/3
6000 mots - série 1/3
6000 mots - série 3/3
Quand tu es intense le mot jaillit
quand tu dois tâtonner
vers le mot
c’est le mot
qui donne
forme et consistance
à ce dont il est né
Charles Juliet
Comme je me suis fait, je ne me referais pas. Peut-être me referais-je comme je me défais.
Antonio Porchia
— TROISIÈME SÉRIE —
L’épine
✩...
1.
SEPTEMBRE
Quelques fruits tombés
À même le sol qui les accueille, une forme nouvelle
Cet abandon de la matière pour la matière
Un état pour un autre état
La beauté vivante de la mort à l’œuvre (elle est là, toujours, à nos côtés) — n’est-il pas illusoire de croire qu’elle ne se manifeste qu’à un moment précis et donné ?
À moins que le don, à cet instant
en cette coïncidence
soit notre capacité à voir le temps — le temps qui est là
Jusqu’à s’y laisser glisser.
2.
UNE PROFONDEUR DE LA FORME
Le silence, à découvert
Apparaît un personnage, ou plutôt, une entité
Une telle présence — il ne s’agit pas de la saisir mais de la laisser simplement se manifester
N’est-ce pas là tenir la main d’une justesse, aborder le territoire de cette réalité autre
à l’ouvrage au sein de tout ouvrage ?
Un silence, ici-même incarné, désignant le fond des événements, l’évidence d’une substance
la musique du cœur des choses qui de la sorte se révèle — une profondeur de la forme. [1]
3.
LA PLUIE, LE FEU
Premiers instants
— et non pas origine —
lorsque le O du mot origine est un cercle de feu.
4.
L’IMPASSE
Suivre les lignes ; ici et là elles se détachent du grand filet — est-ce un filet, vraiment ?
S’engager sur cette voie, mais aussitôt l’ensemble se contracte, se referme
Est-ce à dire que le présent n’existe pas naturellement ? Que lui aussi, comme toute vie vivante, naît de la forge ?
Lorsque chaque pas, chaque choix est accompagné, toujours, c’est un fait
de sa face d’ombre.
5.
MIROIR
Le temps long des jeunes années s’enfuit jusque dans les pentes abruptes
Quelque chose s’assourdit, les sens fléchissent, l’horizon n’est plus un horizon mais une sorte de mur
Voici la venue du grand piège — le singe, encore lui, posté entre les branches, avec ses yeux de bête me fixe
Réalité ou cauchemar ?
La vision s’évanouit — bourrasques et rafales, vent glacial
quelques fruits pourris sur le sol
Et toutes ces feuilles, au hasard des tourbillons.
6.
L’ÉPINE
Une épine dans le pied, énorme
qui tient si bien le coup qu’elle refuse de s’infecter, reste là, vicieuse
et pour longtemps
J’ai bien compris que j’étais son terrain, en quelque sorte sa proie
Y a-t-il quelque chose à faire ? J’en en sais rien — à l’heure qu’il est, j’insiste, je me traîne et je souffre
Je fouille un monceau de détritus.
7.
UNE FAVEUR
La parole que rien n’épuise — vie des mots, sève des plantes
À l’intérieur de toutes choses circule un vent absolument clair (des forces existent et se répandent en de tels interstices)
Une faveur simple, parfois, nous est accordée : le ressentir
Depuis cette ronde
quelque chose du monde
— une exactitude —
grandit et s’élance.
&
8.
LA LEÇON
Inspiration, rigueur et relance — une place enfin laissée libre
Suivre le souffle.
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— QUATRIÈME SÉRIE —
Nature de l’eau
✩...
1.
NATURE DE L’EAU
La nature des mots, la nature de l’eau
À tel ou tel instant, au sein du flux, apprécier cette coïncidence
Une saisie
La matière existe et s’érige
elle donne ce qu’elle peut, le maximum souvent, c’est-à-dire ce qu’elle est
Puis elle retourne en ces régions étales qu’elle seule connaît
Il ne s’agit pas d’une attente ni d’un repos
Être au mouvement immobile, au beau milieu d’une dynamique
et plus que cela
Le lac intérieur
En deçà ou au-delà de l’instant
La nature des mots est-elle celle de l’eau ?
2.
GÉOMÉTRIE D’UN RENCONTRE
1.
Frondaison luxuriante, branches et ramures
le vent, la forêt
un arbre — à lui tout seul grand livre de la Terre
toutes feuilles offertes et frémissantes dès les premières lueurs du jour
Il n’y a pas de désir désirant
Seul existe l’impératif d’une existence nue.
&
2.
La conscience glisse, danse, se faufile à sa juste place, en son lieu d’évidence
Elle participe de toutes choses et vibre
Un pas devant l’autre, une marche, le chemin de l’errance — est-ce bien réel ?
Géométrie d’un rencontre
Précise, ici-même
Mais surtout incandescente.
3.
ENTITÉS
1.
Nœud d’épais cordages
déposé par l’océan sur les laves froides de la grève accidentée
Cet improbable bois d’eau, énorme, lourd — une pensée pétrifiée.
&
2.
Intention océane
Hasard savant des phénomènes
L’interprète interprète-t-il ou déchiquette-t-il des cadavres ?
4.
ENTREVUE
La droite et la gauche se divisent, découvrent une faille — une passe ? —
et la faille s’ouvre, crie
Le silence qui d’ici rayonne, plus qu’une humeur est un mouvement
Mouvements d’eau, mouvements d’air, râles
Un autre lieu
Du temps sur du temps, de la matière sur la matière se métamorphosant pour accueillir le paradoxe d’une chaleur immobile
L’espace révélé, en ces instants, attise une flamme
L’expérience — à quel type d’illusion appartient-elle ? —
est-elle à chaque fois reliée à un fond identique qui lui insufflerait de quoi survivre, et revenir
ou bien cette entrevue serait-elle la coïncidence, l’instant d’un éclair
avec le flux du monde ?
5.
LES ORAGES
Le sol tremble, l’eau, sous terre, circule longuement
Pureté et boue sont ensemble à leur juste place et se distribuent, c’est ainsi, l’ensemble des phénomènes
La beauté est partout
Le ciel se déchire, il nous offre la capacité tranchante de choisir ou de ne pas choisir
La panoplie des questions, la panoplie des désirs
Pourquoi ne pas les apprécier ?
6.
TROPHÉE
Long serpent noir, avec ses deux têtes, petites, toutes deux épinglées au mur
Saveur difficile offerte au chasseur — la peur d’un tel monstre.
7.
DANS UN RÊVE
Un soupçon de réalité, étonnamment accordé à la réalité
s’équilibre finement dans l’espace du rêve — je reconnais ce visage, beaucoup plus jeune
avec ce sourire et cette bonté un peu triste mais définitivement juste
Figure d’homme (figure pailletée, fourmillante, milliers de cristaux dansants qui tous prennent la lumière et se réfléchissent les uns dans les autres)
Les souffles harmoniques [2] qui enlacent sa présence se répandent jusqu’ici
Et toute cette matière est entourée de silence.
8.
UNE FAILLE
En suivant La Bête humaine de Jean Renoir
1.
Le je (absent bientôt — et soudainement)
Les mots en-deçà des mots recouvrent les mots qui ne sont que des mots ; une vibration, une intensité
au sens d’un abandon pour une absorption de soi dans les linéaments
Le filet savamment tressé de l’égarement
Les hommes, leurs machines et ces autres accumulations soi-disant nécessaires
La bête
Jusqu’à ce rêve de lumière, illusion tout autant.
&
2.
Dans un train
poussé par une force métallique
Le fer aime le fer
Les étincelles et le bruit
Et cette bascule immense, à l’horizon
L’espace, la vitesse, la distance depuis les tournoiements
S’il existe des forces, l’une d’elle, acide, mordante, nous transforme
À l’instant du réveil, à l’instant du sommeil
Tout se défait, ploie, se courbe
Une faille
Délivrant de l’abîme soit un râle, soit un chant — le chant de l’expérience du monde. [3]
9.
LA CICATRICE AU COU
Le vent est là, il nous disperse pour le grand partage
Un tourbillon
Considérer le vent, l’accueillir à bras ouverts
Un peu de moi dans le vent, un peu de moi avec le vent
Les prairies, les forêts, les montagnes et les océans
Oui, c’est cela
faire le grand tour
à l’angle de toutes destinées
Accepter, dès lors, la diversité des formes, accepter que soufflent les grands nuages.
&
10.
L’ÎLE DU FEU
Une ligne enflammée, puis ces autres lignes, nombreuses (elles tombent à l’inverse du feu et tissent des nœuds)
Une pierre apparaît
matérialité dense, prise au torrent du temps, s’insérant dans le blanc des pensées
Depuis cette phrase qui parfois suffit
Le feu
une boule dans le bas du dos
Flèche plus que tournoyante
Impact de certitude
Et dans cette boule, fichées, d’autres lignes encore.
✴︎
Lionel Marchetti - 6000 mots
(2016/2019)
2/3
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