Discours d’oiseaux / 7 poèmes d’ombre
À l’orient de tout, à l’heure du soir
nous nous prosternerons vers le pur silence [1]
François Cheng
… /…
1.
Une nuit
Une nuit, je rêvais, je mourais
je rêvais que je mourais
(une nuit comme une autre)
et ta présence s’est effacée dans le mouvement des branches
Une nuit, je rêvais
je marchais à ta recherche
Les saisons
forment une boule
d’où se déverse mon ignorance.
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2.
Le vent
Le vent est là, il nous disperse pour le grand partage
Un tourbillon
Considérer le vent, l’accueillir à bras ouverts
Un peu de moi dans le vent, un peu de moi avec le vent
Les prairies, les forêts, les montagnes et les océans
Oui, c’est cela
faire le grand tour, s’embraser
À l’angle de toutes destinées
Accepter, dès lors, la diversité des formes ; accepter que nous emportent les grands nuages.
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3.
Le souffle
La droite et la gauche se divisent, découvrent une faille
— une passe ? —
et la faille s’ouvre, crie
Le silence qui sort d’ici, plus qu’une humeur est un mouvement
Mouvement d’eau, mouvements d’air
Un autre lieu
Du temps sur du temps, de la matière sur la matière se métamorphosant pour accueillir le paradoxe d’une chaleur immobile
L’espace révélé, en ces instants, attise une flamme
L’expérience — à quel type d’illusion appartient-elle — est-elle à chaque fois reliée à un fond identique qui lui insufflerait de quoi survivre
et revenir
Ou bien cette entrevue serait-elle la coïncidence, l’instant d’un éclair
avec le flux du monde ?
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4.
Le feu et le chant
Une musique de bruits crépitants
Un feu
déposé sur la tête d’un animal rare.
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5.
Le don
Discours d’oiseaux
Quelques fruits tombés
au-delà, déjà, de leur maturité
Sur le sol qui les accueille, une forme nouvelle
Cet abandon de la matière à la matière
Un état pour un autre état — la beauté vivante de la mort à l’œuvre (elle est là, toujours, à nos côtés) ; n’est-il pas illusoire de croire qu’elle ne se manifeste qu’à un moment précis et donné ?
À moins que le don, à cet instant
en cette coïncidence
et au-delà
soit notre capacité à voir le temps — le temps qui est là
Jusqu’ à s’y laisser glisser.
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6.
Ombre vivante
Une ombre (dans la vitesse, derrière les arbres, de branche en branche)
Une ombre vivante
Et qui chante !
Et qui siffle !
Oblique et nu le ciel enfin bascule
Le ciel est un désert en mouvement d’où émerge une luminosité intense
Feu glacial, plissement savant des phénomènes
L’œil écoute, seul, ce qui du monde
vu d’en haut
plus que d’être une promesse est un devenir vertical
Sans cesse renouvelé.
&
7.
Rêve d’oiseaux
À l’Ouest la lumière,
d’un pas, prolonge le Ciel
comme le chemin. [2]
Emmanuel Petit
En m’approchant de la lumière
un couple de visages s’échappe, tournoie
profite du vent pour rejoindre les hauteurs
La pensée — un pollen — se divise
et retombe
La pensée : mille visages
La pensée se rassemble
de nouveau se divise
puis disparaît.
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