FEU DE BOUQUETS — Non-deux
— Série 2/3 — (extraits)
45 haïkus
de
EMMANUEL PETIT
…✦…
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◇
Amour : saluer
l’inséparabilité
de la vie et mort.
◇
Ce matin plier
ranger tes vieux vêtements,
lavande soigneuse.
◇
Au loin mon souffle
jouait aux billes de feu
avec la rivière.
◇
Fiançailles à
un centimètre du bois ;
rouleaux de tendresse.
◇
Profonde tempête,
je plonge droit et me risque
dans les forces nues.
◇
Main, creuse le ciel !
ses étages et stations
tapis et églises…
◇
Le cordon nasal
joue aux vaisseaux impériaux
en lait d’étoiles.
◇
Elle vient comme un jouet
détaché de sa corde
sur la rivière.
◇
Lumière couchante
raccorde l’allée d’arbres
clairsemée du temps.
◇
Verger d’étoiles,
des allées, des distances
sans séparation.
◇
Vent pur, fenêtre
ouverte dans la grande
intime vallée.
◇
Chaque fenêtre
a sa nuit, insaisissable
touché suspendu.
◇
L’eau sait et ordonne ;
ma tête ne résistait
à être en bruine.
◇
Pins, eucalyptus
et moi, dans le réseau de
reflets de la mer.
◇
Un papillon feu
dépose son innocence
sur l’Occotilo.
◇
Millions de miroirs ;
guidé par les insectes,
Terre, Ciel d’exil.
◇
Arrivent, charnelles,
les nuances de couleurs
du puissant troupeau.
◇
Envol des oiseaux
dans l’ombre de tes rêves ;
rythme de ta peau.
◇
Nervures du chêne
élancées m’entrelacent,
vagues en valse.
◇
La chaleur décore
le torse de la falaise
toujours nourrisson.
◇
Mes bras dans la laine
millénaire et la lumière
dans cette chaleur.
◇
Un courant d’air tiède
disparaît au creux du dos,
ose le sans trace.
◇
À pas de géants
la rosée éveille encore
le nu de ma vie.
◇
Reste un pot de miel
sur la nappe de l’orage
foudroyant de paix.
◇
Force des chaos ;
éboulis sur éboulis,
foule de fouilles.
◇
Mère et Terre,
vos interstices troubles,
rivière de sang.
◇
À l’Ouest la lumière,
d’un pas, prolonge le Ciel
comme le chemin.
◇
Rassembler l’espace
telle la lande qui attend,
rosée, sa lumière.
◇
Ce matin, un seul
brin d’herbe entre deux pavés
me donna le vert.
◇
Élargir l’espace
ne gaspiller aucun manque,
aucune souffrance.
◇
S’envolent sur la
lisière infinie du cœur
les ailes blessées.
◇
J’ignore et savoure
tout ce que ce corps pense,
spontanément dit.
◇
Apaisé d’entrains,
l’expiration de l’auteur
vient changer son nom.
◇
À flanc de montagne
deux villages paupières
à demi-ouvertes.
◇
Drap blanc éclatant
droit sur l’hivernal jardin
de frissons fiévreux.
◇
Mur rouge souffle
une nuance violette ;
cathédrale du cœur.
◇
Prendre l’espace,
telle la force de l’air frais
prêt à enneiger.
◇
Ô fibres rosées
creusent ces deux veines pleines
qui résonnent.
◇
La main de la vie
tient son rôle d’éclaircie
en elle-même.
◇
Ma larme chaude
appelée par le froid vert
du fleuve, tombe.
◇
Les virginités
de la neige et des dunes
rouges se comblèrent.
◇
En solitude
bouge l’insecte-souffle
charrieur d’étoiles.
◇
Froid si intense
sur le cou du héron qui
s’envole pêcher.
◇
Relations pures
dans le jardin vers le ciel
vraiment aérien.
◇
Immédiatement
pure Présence embrasse
la déchirure
2/3
&
En suivant Feu de bouquetsun recueil de haïkus de Emmanuel Petitpar Lionel Marchetti
Quelques traces toutes récentes sur un sol souple. Est-ce là le passage d’un animal à la poursuite d’une proie ?
Et, qui sait, ne suis-je pas moi-même irrémédiablement suivi ?
Ne pas se retourner. Continuer la marche ; laisser la peur.
Voici le mystère complet d’un mot, de quelques phrases qui réunissent, à elles seules, la force et l’évidence d’un mouvement circulaire — le cercle du sens en incandescence. Quelques mots qui réussissent, tout autant, à faire surgir le presque rien qui s’enlace à notre expérience nue. Pour ne pas dire qu’ils fondent, ici-même, à l’instant de notre rencontre, une expérience véritable.
Brindilles. Bientôt flambée. Avec en contrepartie cette superbe sensation de fraîcheur.
Le bouquet est en feu.
Les mots sont bien plus que des mots. Plus que des pierres. Plus que du vent, plus que de l’eau ou plus que de l’air.
Les mots sont en feu : en cela ils nous infligent cette blessure nécessaire qui définitivement va faire grandir notre rapport au monde (si l’on accepte, bien sûr, de se rendre disponible à cette énergie.)
Couleurs, rapports féconds, vitesse, flèches d’instants, pensées comme tombées depuis une tête, une main ; poèmes frayant déjà en solitaire, détachés, éloignés de qui leur aura permis de naître.
De l’acte accompli en juste mesure émergent des forces, des formes vives — à l’insu de l’écrivain lui-même — et le poème s’enfuit.
Dans le silence
écoute un son disparaître
et relaye-le.
L’allure ? Juste un pas
qui apparaît-disparaît
en place cosmique.
S’aider, pourquoi pas, de quelques chiffres, de quelque nombres agencés par d’autres. Importance de l’ossature, d’un canevas éprouvé par les anciens et qui continue de fructifier, d’une culture à une autre, d’un continent à un autre.
5, 7, 5.
L’épure.
Comme une épée.
Non pas pour conquérir quoi que ce soit. Mais pour trancher sciemment, vivement et surtout nettement.
Voici notre chance : celle de l’éclair scintillant qui, plutôt que de simplement nous aider à regarder le monde nous fait voir.
Avec justesse.
La musique s’infiltre naturellement entre les lignes.
Une musique qui est accordée à la respiration du monde et qu’il nous est désormais donné de saisir.
De la bouche humaine à l’oralité du monde dirait Kenneth White.
Un poisson bondit ;
voici là mon seul repère
pour la vie entière.
Car les mots ici choisis, les mots venus, travaillés, finement polis par la main artiste d’Emmanuel Petit ne sont pas que des prises. Ils sont réels, absolument palpables et ils se manifestent, désormais, depuis le filet profond du temps de l’écriture — un peu comme l’eau change d’état selon les conditions de l’atmosphère (neige, pluie et glace, liquide, torrentielle) mais sans changer de nature.
Le fleuve effleure
au bout de la longue branche
le rythme cosmique.
Même la neige
éternelle ne pourra
tenir un instant.
Phénomènes.
Manifestations.
Espace intérieur à l’instar d’une posture désignant le corps du monde.
De la sorte guidés nous voici à notre tour naturellement transformés.
Écrire avec cette simplicité engendre une relation circulaire, pleine et expansive. Primordiale. Ouverte et surtout sans cesse changeante.
Il y a quelques instants je ne connaissais pas les haïkus d’Emmanuel Petit. Il y a quelques instants rien n’existait entre eux et moi ; et voici que tout bascule. Je respire avec eux. Ils s’insinuent dans mon propre souffle et fructifient.
Les voici définitivement postés en cet instant d’équilibre.
L’instant blanc dirait Lalitâ Devî.
Lorsque tout se fait ou se défait.
Rien à soustraire, rien à rajouter.
Accordés à l’évidence.
Accordés au Cosmos — tout comme à la réalité.
Inspir et expir
pures, ne se précèdent,
ni se succèdent.
Et aussi :
Texte, suis ton blanc !
comme la Lune, comme
le fleur son vert.
L.M.