LA LOUVE
24 poèmesnocturnes…
« Au milieu de la paix
il est pour moi un sujet d’amertume »
Isaïe - 38, 17
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LA LOUVE
ALBA (L’AUBE ROUGE)
1. Du haut des falaises
Car ma tête est peuplée de glaciers
Je n’ai pas pris avec moi l’essentiel
pensant que sur la route
une avalanche, d’elle-même
me désignerait
Et me voici seule
adossée à cette roche chaude envahie de lichens
Je ne resterai pas longtemps parmi les Hommes
D’ici, je vois leur tanière
Je jette, alentour, un regard
je découvre une couleur plus forte que le grand ciel
C’est un tel espace, finalement, que je désire
Le suivre, l’étreindre, aborder le silence
...la terre, la mer
les abîmes, le vent, le ciel
le Soleil, la Lune ; les étoiles...
Maintenant je jouis
à l’heure du soir où tout s’écrase.
2. Découverte d’une proie
Ta peau est bleue
Sous ta peau, il n’y a personne.
3. La disparition
Dire non beaucoup trop tôt
Chasser —
Auprès d’un gouffre fondent quelques plaques de neige
L’intempérie recouvre tout
Mes premières pensées seront toujours les plus sauvages
Ma proie
entre deux crevasses, résonne
gutturale
Pauvre bête !
Des phrases à l’envers
du cri
des énigmes
des énigmes blanches
L’orage acide d’une lamentation
Dire non beaucoup trop tôt
Voici l’arrêt
voici le goût — dans ce cas, dire oui
Je suis la Reine !
Je suis la Louve !
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LE CHEMIN DIFFICILE
1.
Il n’y a rien dans ton œil
si ce n’est cette ignorance docile
fausse, abominable, extérieure
Alors j’agresse et tue
Je suis la Louve
mystère vivant
hurlant depuis les crêtes les plus hautes
En moi coule un torrent de pierres anciennes
J’entends, je vois monter en surface
visages, esprits, lueurs
annonçant quelque fleurs futures
À peine arriverai-je à me saisir de l’une d’elle
que déjà ma gueule pivote
et me lance au-delà
Usant de cette vision éphémère comme d’un axe
J’entends, je vois monter en surface un essaim — le tourbillon — il signe ma propre lenteur.
2.
Je me sais appelée en chemin difficile.
3.
Je recouvre d’un voile fécond le jardin de mes actes
— passé, présent, futur —
et je rejoins ce moment où je pourrai dire :
Je suis là et cela est en moi
Je suis la vie vivifiante.
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CHAROGNE
Un point fixe illumine
attire
une patte
dans la boue
un os, brisé
Par les flots, la couleur (salie déjà)
l’odeur enfuie —
— estuaire minuscule autour du squelette
C’est une tuerie ancienne
la vie, laissée
De là naîtra quelque chose
tout près, si loin
De là naîtra quelqu’un.
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LA FORGE — L’INSTANT
Pour mes filles
Le feu consume les souvenirs
le feu mange l’avenir (notre ennemi)
Vous vivrez
sans plus, sans souci
maîtresses de votre patience
Notre connaissance ne dit rien d’autre
Pluie glaciale
grandes courses sur les grèves
sourire d’être corps
À vous qui savez, mes filles
que vivre et mourir sont réunis en un point.
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L’INCENDIE
La lumière trouve ici sa place
sans obstacle creuse le sol
s’enfouit
et disparaît
Soleil pleine face — d’où toutes nous sommes nées.
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LES DEUX VISAGES
Tu n’as pas trouvé l’équilibre
Ton centre est un chiffon
Sous cette tresse de poils et de griffes ?
Ta nature véritable…
À cet instant
unique
c’est une béance qui apparaît
Chaos —
Le feu, ses yeux multiples
organe incompréhensible
Et te voici parmi les éclairs de la nuit.
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ÉVIDENCE DU PIÈGE
1. Un souffle noir
Cette jouissance infecte
jusqu’à tuer
jusqu’à user de ta faiblesse comme force
Nourriture nécessaire ?
Il te faut méditer cela.
2.
Un peu de viande
pour calmer notre vérité carnassière
L’hiver
nous sommes des steppes
l’été
dans les forêts
à la poursuite d’autres bêtes
As-tu idée de notre fond ?
De cette eau qui est sang
de notre amour de la mort comme fleur ?
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LE CHOIX
Sans cette liberté difficile
de dire oui, de dire non
à la moindre bouchée laissée tu pourriras sur place
de toi rien ne restera
même les rapaces se détourneront.
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L’ESPRIT DES FORÊTS
1.
Sur mon dos vit une peau
me voici divisée
L’animal est vivant
Et je chute.
2.
Une forme s’enfile dans ma gueule.
3.
Se remplir
refuser toute caresse
Mes chants planeront de falaises en falaises.
4.
De ce lieu
je ne sais rien
seul cet horizon fixe me guide
De ce lieu je suis venue
malgré le vent
malgré le froid
Une phrase, seule
(sortir de ma sécheresse)
Une phrase — une seule — posée en moi.
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LA SÈVE
Dans ma gueule
la sève colore la ligne
la phrase surgit d’une crevasse
Des endroits aussi sombres
tu ne connais pas
Des friches
si vives
tu ne connais pas
Les mots sont des morts
Et je chante
Jamais je ne serai rassasiée
Quel étrange jardin !
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LE CRÂNE
En toute vasque, une âme
en toute jarre
l’espace
L’un sans l’autre ne seraient pas
Crois-tu vraiment en l’existence d’une flèche extérieure ?
Le vide —
Et où puises-tu tes forces ?
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UNE BÊTE
1. Un seul esprit
S’il y avait enfin un vide
gommant le malheur de ma nature
ou simplement cet élan
tombé de moi.
2. L’ hiver
Dans l’air se dépose un flocon
Pierre fondante, venue d’en haut
Mystère pour chacun.
3. Poème du Loup
J’ouvre ton corps
Tu es venue de la Terre
L’éclatement rouge provoque la nuit.
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LE MÂLE
Il était à la recherche d’un signe qui aurait pu emporter tout
Une femelle est venue
L’amour n’était pas là
Dans sa tête chantent des étincelles de métal
La vie en meute ? — Flambée inutile
Être dans les tournoiements
sur la plus haute des vagues
porté vers la lumière
puis, soudain
brutalement rejeté de l’habitacle.
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SOURIRE DE L’AUBE
Cela vient du dehors, se pose en moi — reste au dehors
tout en même temps
Frappe altière, à la racine des mots
hurlant son appartenance aux lointains
nature éclairante, chantant cette exigence de n’être rien, déjà perçue comme un tout
Quel est ce sourire dans notre gueule
qui fait peur
sinon les plis de la matière chantante ?
Matière lucide
dans la joie d’être ici
à hurler et à frayer dans les bois
pour se nourrir
Le corps, la chair — le ciel
À la fin, la chose est dans la chose.
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LA MEUTE
1.
Le soleil est descendu et m’a frappée
Une mélodie tourne en moi
Je suis de celles qui combattent
Avec moi, la meute !
Elles chantent :
Une conversation simple
l’échange d’envolées fécondes
plutôt que la vulgarité aveugle d’une parole aigre.
2.
C’est la saison des vents
la saison des sables
ici, en forêt
de la proie ne reste plus qu’une veine sèche sur l’os d’un corps mort
Ensemble, toutes, nous pouvons chanter
nous voici rassasiées
Avec moi, la meute, avec moi !
Elles chantent :
Dire
c’est laisser se prendre
en gueule
une poussière
trouver la source sous un rocher sec
plutôt que gravir à toute allure la grammaire
Elle hurle :
Assez !
Maintenant — mangez !
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POUSSIÈRE & BLESSURE
M’anéantir serait trouver l’essence rare au sein d’un corps
Regarde le sable poli sous les ruisseaux
cet infini réseau de lignes, ces feuilles
l’envolée si nombreuse des insectes
la vie, alentour
Donner tout — l’entier de soi-même
à la vision de l’entier
Ma tenue ? Abandonnée pour une autre tenue
face à face
Mes entrailles pourrissent, où suis-je ?
Qu’est-ce qui fait mal ?
Je suis femelle
étrange animal, c’est vrai
mais bientôt autre lorsque je serai morte.
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L’INQUIÉTUDE
Ce qui, hors de toi
est en toi
tout à la fois
du dehors te soutient
Être là, transpercée
par ce renoncement qui est la pleine prise de possession de soi
lorsque ceci :
toi-même renonçant à toi
encore plus toi-même que toi —
— ici joue la présence pure
dans ce lieu vide
où tu es tout.
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L’AMANT, L’AMANTE
Derrière toutes ces chairs mortes
derrière os et poussières
s’érige un vide
L’existence nue d’une inconnue.
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UN ASTRE
Au sein de l’abandon et des brûlis — trop de choix
quoi choisir, désormais, à brûler ?
Et qui pour entretenir le feu ?
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LA LUMIÈRE
1.
Le versant nord
lourd de givre
s’effondre avec la nuit
Notre échine, fatiguée
appelle l’été, le vent et le soleil.
2.
Chaque matin
je chante
face à la lumière qui nous fît naître
Elle transporte
au sein d’elle-même
un souffle vide
grand et frais
Chaque matin, avec mes filles
nous nageons
dans l’eau glaciale et translucide des torrents.
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POÈME DU LOUP
La grande erreur
Il souffre — sa nudité, pour l’instant, n’est qu’un corps écorché
Il attend la venue de ce qu’il ne saurait nommer
Il espère, patiemment
inutilement
exigeant de cette douleur un peu de sel pour rehausser ses sensations
et surtout
son idée du monde.
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UNE PIERRE BLANCHE
La Louve
À l’instant
je suis éternelle.
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LA FORÊT FLAMBE
Une route perdue
tant en esprit que dans la fouille du paysage
ouvre la voie à ces quelques traces à demi effacées
Il ne restera rien de toi
Pour cela
— pour ce don —
est-il encore possible de tresser une corde d’herbes ?
Ici, dans la lumière de l’hiver
le miel est jaune
le miel est fauve
et nous mourrons bientôt de froid sous cette incandescence.
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&
ENVOI
Corps de couleurs
Le vent
dans mon corps
circule en rond
Huit pétales se rejoignent par le centre
huit pétales
pour autant de couleurs
Du mauve je comprends l’écoulement torrentiel
ce lieu entier, replié autour d’un muscle
Du blanc je sais toute l’ossature
de même que le sperme éclatant
du mâle —
— viscosité fauve
cherchant le dedans
pour croître avec un autre dedans ;
viscosité
attirée par l’œuf de mes entrailles
Du jaune je sais les humeurs
nécessaires à la purification des poussières envahissantes
ainsi que l’urine, les poils, les griffes
ou tout autre résidu
Vert est mon regard
bâtisseur de formes, de tempêtes
contemplant l’être aimé
venu à moi sur cette ligne de lumière
Ensemble
sur cette sente
nous partons
ensemble nous peuplons les forêts
Du bleu je trouve ma descendance solaire
d’où je suis née
Ses effluves sont pour moi
Ses éruptions, pour moi
Entre lui et moi : la bonne distance
Ici je consomme
là, je serai consommée
Du noir existe un point
axe peut-être
je ne crois pas
stylet, en tout cas
depuis le volcan de mes crocs
Une force, en dessous, attire
une force vertigineuse
plus grande que le visage
Du noir existe un point d’où tout s’enfuit
Vers l’incandescence
Du rouge
je ne sais rien
Du gris je sais l’aurore en hiver
étendue complexe
où discerner l’instant, hélas, n’est plus possible
puisque le gris, diffus, mange le gris
m’affole et me perd
Un orage, un tourbillon — éclairs multiples
C’est ici
dans cet espace difficile
que je vis.
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