La Revue des Ressources
Accueil > Création > Nouvelles > Amours cruels

Amours cruels 

Une rupture

lundi 20 septembre 2010, par Roland Pradalier

J’en étais venu à croire au bonheur et j’appelai printemps de ma vie, les mois qui venaient de s’écouler. Mon ego planté dans la bonne terre d’une carrière qui décollait enfin, avait désormais la taille d’une montgolfière. Il pleuvait sur moi et en abondance, des bienfaits. J’étais arrosé de satisfactions. Ma santé était parfaite, aux dires du docteur Sheba, mon compte en banque arrivait à la limite de l’obésité, et tout semblait s’associer par une concordance des astres pour que je puisse me regarder dans la glace en y prenant du plaisir.}}

D’ailleurs, j’étais beau, épanoui et marié.

Pourtant, lors de ce printemps de ma vie, alors que j’avais l’illusion de contrôler les événements et d’avoir construit la maison en pierre des trois-petits-cochons, ma femme me quitta. Elle disparut, me laissant un message sans équivoque, dans un style télégraphique : Je ne veux plus jamais te revoir.

Le mot était posé en évidence sur la table de nuit, à l’endroit où d’ordinaire, je posais mes clefs en criant « bonsoir ducky ». Je le pris, et le déchirai avec humeur, sans panique, croyant à une farce stupide de ma comique de femme. Vous savez comment les femmes peuvent être des monstres d’humour à froid…

Je ne voulais pas affronter la vérité. Et je m’assis dans le salon, en imaginant que le mot ne m’était pas destiné. Je l’appelai pourtant et elle ne répondit pas. Puis ayant patienté trois heures dans un état de catalepsie bizarre, dans une sorte de salle d’attente de ma conscience, je compris enfin qu’il me fallait prendre au sérieux son message. Ce fut à ce moment, qu’elle accepta de décrocher.

L’échange fut bref, elle ne répondit à aucune question, et se contenta de répéter le message sur un ton de procès-verbal. Je ne veux plus te voir. Pas d’explications.

M’eut-elle planté une épine sous l’ongle ou ébouillanté, que je n’aurais ressenti plus violente douleur. Seule peut-être la fois où je me cassai le poignet et cinq doigts en tombant d’un escabeau après m’être électrocuté en changeant une ampoule peut suggérer l’impact du choc…

Je me laissai chuter au sol et m’allongeai sur la moquette pour pleurer, diverti par le seul spectacle des pieds d’une chaise entre mes larmes. Puis je me relevai, et me dirigeai vers la cuisine pour boire un verre d’eau. Mais mon degré de confusion était si complet, que je ne trouvai plus les verres, ni le robinet. Et m’énervant, je cognai du bras gauche contre la porte du four, ce qui me mit si fort en rage, que je l’arrachai, la brisai en miettes, la cognant sur le carrelage, en défonçant les carreaux jusqu’à ne plus sentir de force dans mon bras.

Je me demande aujourd’hui comment, moi qui suis un employé de bureau qui ne pratique aucun sport, j’ai pu trouver assez d’énergie pour déboîter une porte de métal, pourtant garantie cinq ans par le meilleur constructeur allemand d’électroménager. Et comment par déception amoureuse, j’ai pu me venger sur un four à chaleur tournante.

Détruire ne m’avait pourtant pas assouvi, j’avais envie de briser encore, de passer le poing par la fenêtre, de renverser une table ou de déchirer mes vêtements, mais le chagrin me tapa sur l’épaule pour me raisonner. Je recommençai à pleurer, et épargnai les objets innocents.

Ma femme et moi, vivions ensemble depuis cinq ans. Nous n’avions pas d’enfants et nous faisions l’amour avec de courts gémissements. Elle s’appelait Béatrice. Moi, je n’ai pas de nom. Je ne suis personne, mon appartement est vide.

Apaisé et les joues lavées, je me relevai enfin. Et je me passai de l’eau sur le visage. Riant presque de me voir si décomposé, et me souriant dans la glace avec un regard de fou.

Je me donnai quelques claques et je retournai au salon, prendre le téléphone et rappelai. Une fois, deux fois, trois fois, toute la nuit. Sans dormir. Dans un état de nerfs qui touchait à l’hystérie.

A sept heures, je m’habillai pourtant pour partir travailler. J’avais l’intention de me rendre au bureau, rasé et filant droit. Mais à peine avais-je commencé de marcher dans la rue, qu’un malaise m’arrêta, j’avais le souffle coupé, mes plus évidentes facultés se faisaient la malle avec ma *** bip de bip*** de femme et je dus m’arrêter.

Je ne pouvais faire semblant. J’étais au bord de l’évanouissement nerveux. Si les rênes de mon éducation n’avaient été aussi solides, je me serais assis sur le trottoir, en tailleur pour regarder hagard les voitures passer en chantant que la fin du monde était proche. Mais je m’interdis semblables exagérations, et sentant combien un effondrement public était déplacé, je fis des exercices de respiration, réintégrai mon corps, et rentrai m’enfermer chez moi.

Mort me dis-je. Je le suis de mon vivant, à cause d’elle, tué. Et j’allai m’installer dans le canapé pour réfléchir à un plan d’action capable de me ranimer.

J’avais honte de téléphoner au travail et crainte de tomber sur la voix de gorge de ma secrétaire avec qui j’entretenais un jeu ambigüe de séduction et de lui expliquer que ma femme m’avait quitté. Je prétextai d’une maladie inventée pour excuser mon absence.

A Walter seul qui était l’ami de mes déjeuners, chaque midi à la cantine et avec qui je partageais une amitié construite autour de notre indifférence à avaler des sandwichs triangle, j’osai confiai l’aveu de ma détresse et dire la vérité. Il se proposa de me visiter le soir, et de m’apporter du whisky, des cigares et le journal de Mickey pour qu’ensemble nous discutions et nous consolions virilement. Je refusai. Il voulut prolonger la conversation, mais je répondis : j’ai une femme à retrouver.

Mon obsession était simple, reconquérir Béatrice. Son acte ne pouvait être qu’un caprice. C’était déjà arrivé, une fois. Par tocade, elle m’avait quitté sans prévenir pour retrouver un ancien amant qui déprimait.

Peut-être était-elle repartie avec cet abominable tocard ? Et l’avait-il convaincue de m’abandonner pour vivre en Province, en lui faisant miroiter, je ne sais quel plaisir ridicule à entendre le matin chanter les oiseaux. Peut-être, était-ce un stratagème féminin pour ranimer une relation que le quotidien refroidissait ? Un monstrueux calcul pour m’inquiéter, une soudaine poussée de fièvre pour m’instiller la douleur du manque ? Et me faire sentir comment par son absence, elle avait le pouvoir de m’acculer à l’impuissance. Quant aux causes de son départ, j’avais beau réfléchir en buvant du vin, tirer des conclusions en débouchant une seconde bouteille, je n’arrivai pas à comprendre et les cacahouètes n’étaient d’aucun secours.

Une absurdité totale. Me dis-je. J’étais heureux avec elle, je lui offrais ce qu’elle désirait et n’avais jamais cessé de l’aimer. Mon goût pour elle, malgré les jours ordinaires qui ternissent l’amour n’avait pas faibli.
J’étais face à un mur de lamentations possibles. Je repensai à la journée avant son départ, me remémorai des détails, répétai jalousement chaque bribe de conversation que nous avions eue. Mais rien ne réveillait mon intuition ou ne la mettait en alarme.

Je répétais des heures les mêmes formules, à les épuiser. Comme un chien limier face à une rivière et qui ne trouve pas de trace à suivre, je butai sur un mystère que me posait celle que j’avais cru le mieux connaitre et en qui j’avais eu le plus confiance. J’appelai alors sa famille, ses parents, son frère, sa sœur, un cousin. Mais personne ne m’éclaira, quoique je crusse déceler dans la voix de son frère, la couleur du mensonge, ce qui me fit aussitôt quitter mon appartement et tambouriner à sa porte.

Je le trouvai pourtant seul, et surpris de me voir sur son paillasson, aussi étonné que moi. Il me fit entrer. Il ne fut ni rassurant ni fraternel.

Béatrice s’était enfuie ? Elle devait avoir pris une chambre d’hôtel pour tirer le loquet sur un amour clandestin. Elle reviendrait. Sans doute, était-elle à la campagne pour méditer ou sur un banc, à la pleine lune, éplorée et mendiant une solution à la crise que nous traversions.

C’était une gentille femme, très correcte qui m’avait trahie, une bonne chrétienne. M’expliquait-il. Vous êtes coupable, ne vous sentez-vous pas responsable ? Dit-il. De ce désamour. Cherchez en vous-même les causes. Trouvez en vous l’étincelle de dégoût qui la fit partir. Qu’avez-vous fait à ma sœur ? Dit-il. Et il insista sur ce ton de mépris, m’accusant sans honte de ce que je subissais. Et n’ayant aucune empathie.

Mais mon pauvre, il faut juste être patient maintenant, vous aurez des explications. Au pire, dans un mois.

Mais il n’avait pas, malgré ses raisonnements fatigants, et malgré les arguments qu’il déployait contre moi, où il se plaisait à me mettre en cause par de sèches condamnations, d’explications rationnelles. Il n’avait eu vent de rien, d’aucun signe avant-coureur par des discussions privées. Je le trouvai ce soir-là, dur et peu charitable. Et je sus qu’il ne m’avait jamais apprécié, et qu’au fond, il se réjouissait que je fusse quitté. Qu’il se protégeait derrière un rempart d’égoïsme, et que mon problème ne l’intéressait pas.

Mais que vous ai-je fait ? Lui dis-je.
A moi ? Rien. Dit-il. Mais j’ai davantage confiance en elle, qu’en vous, en matière de sentiments.
Il m’aurait achevé, le bougre !
Comment osez-vous exercer sur moi une telle cruauté ? Lui dis-je.
Vous restez manger ? Dit-il.

Et je m’installai pour dîner, la serviette autour du cou, à écouter ses sermons. Je ne savais de toute manière où aller, la solitude m’effrayait et cette porte ouverte, me fut un répit, malgré les méchants conseils qui me furent assénés.

A table, il m’expliqua que l’amour était une fiction née du besoin. Que le couple était une structure bourgeoise, basée sur un faux consentement, une attelle à la misère des individus. Que l’union entre deux êtres ne pouvait pas être éternelle. Et qu’en perdurant l’amour devenait un mauvais roman, un feuilleton où le banal remplaçait l’aventure. Je lui répondis à peine.

Je le trouvai verbeux. Ma femme n’était pas une fiction. Elle m’avait quitté, et je ne souhaitais pas entendre son explication de texte. Je défendai ma monogamie contre ses préceptes de célibataire anarchiste.

J’aime ta sœur, lui dis-je. Profondément. Elle est mon unique. Si elle me quitte, la vie s’éloignera. Si je ne la vois plus, je vais devoir consulter pour dépression. Lui dis-je en tentant de l’amadouer.

Mais il planta sa fourchette dans une pomme de terre et parut juger mon cas désespéré, car il me dit : Béatrice n’est pas partie par hasard. Elle ne vous aime plus. Mettez-vous ça dans la tête. Je me levai, et sortit en claquant la porte.

Peut-être me dis-je pourtant, n’avait-t-il pas complètement tort en comparant l’amour à une fiction, car malgré la douleur, je comprenais que j’inventais pour une part la souffrance qui me perdait. Et qu’à tout prendre, je pouvais aussi bien m’endeuiller de Béatrice, que de réagir par affolement. Mais mon âme se tordait, en proie à une catastrophe naturelle. Ma pensée se cabrait. Et ce n’était pas avec le cerveau que je pouvais me calmer. Tout mon corps vibrait.

Jamais, je n’avais tant aimé Béatrice, que depuis son abandon. Son absence avait accru la passion. Même au début de notre relation, ceux de la lune de miel, l’attirance n’avait pas été si ardente. Et je comparais mon malheur présent, aux souvenirs heureux. Et il me semblait que dans la balance, la douleur actuelle écrasait la nostalgie. Déjà, voulant repenser à notre union, aux dates brillantes et douces, aux jours flottants, je comprenais qu’il ne restait que cendre et que cette dernière impression serait la seule que je garderai.

J’étais dans notre chambre, et je vérifiai pour la huitième fois, si elle avait laissé des affaires. Je me souviens que marchant dans la chambre, à la recherche d’indices, j’entendis le téléphone sonner, et que sortant mon portable, je vis inscrit son nom. Et elle s’expliqua :

— Laisse-moi parler. S’il-te-plait. Je suis amoureuse de quelqu’un que je vais sauver. Toi, tu n’as besoin de rien. Tu as eu tout ce que la vie peut offrir. Tu croyais que le don serait permanent. Tu croyais que je t’appartenais. Or, je me suis prêtée à toi. Tu m’as comblée d’argent, de vêtements, de voyages. Et, je t’ai suivi. Partout. Comme une ombre. J’étais ta doublure. Mais c’est terminé. Je ne veux plus de cette facilité. De plus, j’ai rencontré quelqu’un qui a un réel besoin de moi. Et pour qui, je suis davantage qu’une habitude et un accessoire.

Je protestai.

— Tu me sacrifies. Lui dis-je. Pour un autre. Ne parle jamais en mon nom. (Je me retins de ne pas l’insulter.) Ce que j’ai, tu me le retires. Je veux que tu reviennes.

— Non. Dit-elle. Tu mens par habitude. Tu dis m’aimer, mais c’est faux. Tu es comme un enfant avec sa mère. Je ne reviendrai pas. Tu survivras. Je vais raccrocher. Tu vas oublier. Adieu. Je vais vivre maintenant une vie responsable.

Et le pire sans doute, dans cette tragi-comédie est que malgré mes dénis, mes atermoiements Béatrice avait raison, car elle vécut avec son nouvel ami, une passion intense. Et que six mois plus tard, je me remariai avec ma secrétaire, et recevait en cadeau le poste convoité de directeur de Service, ce qui équivaut à une confortable augmentation, suivant l’indice de salaire.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter