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Cérémonies / KAO OKYO Les visages de Tokyo 

mercredi 3 juillet 2013, par Loïc Lautard, Stéphanie Hochet (Date de rédaction antérieure : 16 septembre 2013).

Cérémonies.

On était arrivé à la fin d’une civilisation. Une parmi d’autres. Celle de nos parents s’était éteinte avec le vacarme mondial d’un conflit auquel ils n’avaient pas cru. Durant des mois, la terre avait tremblé à cause des hommes. Injure aux dieux. Injure aux ancêtres. Injure à la nature. Nous étions les descendants de ceux qui avaient insulté la loi du non agir. Nous devions retourner à la source de la pensée de nos aïeux.

Nous avons essayé. Le châtiment divin s’était abattu sur nous et nous privait de cette ressource. Plus personne ne parvenait à entrer en méditation. L’apaisement nous était devenu étranger. La grosse machine capitaliste profitait de nos veilles pour tourner, s’alimenter interminablement. Le monstre nous dévorait chaque jour. Nous courrions à notre perte. C’est alors que les meilleurs d’entre nous découvrirent un stratagème.

Ils étaient les membres les plus importants du système. Les seigneurs du soleil levant. Deux d’entre eux donnèrent l’exemple. L’un d’eux s’appelait Taira, l’autre Hojo. Ils indiquèrent au pays comment s’opposer au monstre d’acier et d’argent en retrouvant la règle des ancêtres. Chaque matin, on les vit choisir une rue fréquentée et se livrer aux nouveaux rites. « Rappelez-vous d’éteindre le désir et prenez conscience de l’illusion de l’être » déclamaient-ils avant la cérémonie. Puis ils sortaient de leur boîtier ces petits cylindres de papier qu’ils allumaient et aspiraient. Venait ensuite le liquide de feu. Toujours dans le même ordre. Au nom des dieux, au nom des ancêtres.

Stéphanie Hochet

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KAO OKYO . Les visages de Tokyo.

Ils s’appellent Hayato, Tomohisa, Akira, Mineto,Teppei…les prénoms japonais traduisent toujours une pensée poétique positive, et pourtant l univers auquel certains de ces hommes appartiennent est hermétique à toute évasion spirituelle.

Salarymen, est un terme anglais, crée par les japonais pour désigner le salarié nippon voué corps et âme à son entreprise.
Les salarymen n’ont pas une position très importante dans la hiérarchie de la société. Ils sont de simples employés ultra-assidus, comptables, informaticiens, ingénieurs...ils travaillent environ de 10 à 11 heures par jour, 6 jours sur 7 pour arrondir les fins de mois, et ne possèdent officiellement qu’une petite quinzaine de jours de vacances par an.
Ils portent souvent un costume et une chemise blanche, cela leur permet de ne pas se démarquer. Leurs lieux de travail sont les grands quartiers d ‘affaires de Tokyo : Roppongi, Tokyo, Shimbashi, Yarakucho, Shinagawa, Ueno et Shinjuku. Un rythme dense, sous une pression hiérarchique et sociale importante.

Ils voient très peu leur famille, car leurs soirées sont aussi très souvent occupées. Elles deviennent l’exutoire indispensable au rythme quotidien qu’on leur impose. Ils sortent entre collègues, après leurs journées, et se retrouvent pour boire et dîner, puis, boire encore, boire encore et encore. Ils finiront par oublier la pression et rire de leur propre situation professionnelle, qui devient au fil des années l’anti-modèle de la jeunesse japonaise.

Oublier de prendre le dernier train pour rejoindre la famille, les enfants.
Oublier tout, oublier qu’ils sont les employés modèles de ce mécanisme de masse, oublier, pour s’écrouler sur le bitûme, où il leur est enfin donné le droit d’ exprimer leur fatigue sous l’œil et le rictus moqueur des autres tokyoïtes.

« Je travaille 10 heures par jour, comme informaticien dans une grande société. Il y a beaucoup de pression sociale. La vie est dure ici. Regarde, ici c’est Shinjuku, l’un des grands quartiers d ‘affaires de Tokyo, je travaille ici (...) Il est 4:00 du matin (...) je travaille demain à 10:00, ma femme est à la maison et j’habite à une heure de Tokyo. J’attends le premier train. Je dors trois heures par nuit. Ahha j’ai mal à la tête, je suis « cassé ». Je suis allé boire des verres avec mes collègues, j’ai raté le dernier train. Je m appelle Hayato, je suis un salaryman. »

Loïc Lautard

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