La Revue des Ressources

De la disparition 

lundi 5 novembre 2012, par Robin Hunzinger

Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari fait partie de ces livres encensés par la critique. Je ne raconterai pas ici l’histoire, qui me paraît dans un genre romanesque proche de la série noire, sans doute une raison pour laquelle plutôt que des romans à l’accès moins séduisant il captive davantage la critique, donc autant ne pas en dévoiler les ressorts. Mais, j’en retiens un personnage, Marcel Antonnetti et l’histoire de sa photo qui fait écho au "cycle immuable de la naissance et de la mort". "Et comme témoignage des origines - comme témoignage de la fin, il y aurait cette photo, prise pendant l’été 1918, que Marcel Antonetti s’est obstiné à regarder en vain toute sa vie pour y déchiffrer l’énigme de l’absence."

Là, on entre dans la littérature et les questions universelles. Ce monde des disparus dont la photographie est le symbole est sans doute l’un des plus beaux thèmes de ce livre.

Des disparus, il y en a aussi dans La réparation de Colombe Schneck : "C’est l’histoire (Paris, années 2000) d’une mère qui, un peu par hasard, appelle sa fille « Salomé ». Un prénom qui lui semble confusément familier. C’est l’histoire d’une petite fille qui fait toutes les nuits des cauchemars. C’est l’histoire d’une autre fillette (Lituanie, 1943) qui n’a pas survécu à la guerre. C’est l’histoire du ghetto de Kovno, des juifs d’Europe de l’Est, c’est l’histoire d’une famille, celle de Colombe Schneck, entre drames et reconstruction." Il y a un lien entre les deux et pour cela l’auteure doit enquêter afin de comprendre ce qui s’est passé dans le ghetto de Kovno en 1943. Mais lorsqu’elle comprend ce qui s’est passé, au lieu de creuser la réponse et le bouleversement de sa révélation, elle évacue en quelques pages. Dommage. On aurait préféré moins de pages sur ses pulls "cacharel", et plus de profondeur dans ce livre.

Si l’histoire vous intéresse, il existe un autre livre, très beau qui traite presque de la même question, Les disparus de Daniel Mendelsohn. Dans la famille Mendelsohn, il y a un trou : en 1941, son grand-oncle, sa femme et leurs quatre filles ont disparu dans l’est de la Pologne. Comment sont-ils morts ? Nul ne le sait. L’auteur s’interroge. Et finit par enquêter. Voilà le résumé de l’éditeur : "Qu’est-il arrivé à Shmiel Jäger, à son épouse Ester et à leurs quatre superbes filles ? Pour leurs parents émigrés en Amérique, ils sont morts au tout début de l’occupation de la Galicie par les Allemands, dénoncés par leur bonne polonaise. Né en 1960 Daniel Mendelsohn, petit neveu de Shmiel, a toujours douté de cette version officielle, et, dès son enfance, s’est mis en quête de la vérité. Ce livre est à la fois le résultat d’ une vie d’enquête, et le récit de cette enquête elle-même. Un récit volontairement tortueux : tout est dit quand l’auteur compare la narration classiquement chronologique de la bible à celle de l’Iliade, fourmillante d’histoires dans l’histoire. Daniel Mendelsohn ne se contente pas de compiler les témoignages pour retracer le destin de ses Disparus. Il livre aussi les circonstances dans lesquels ils ont été recueillis, les histoires des témoins, et la façon dont il a retrouvé leurs traces. Celles-ci l’ont conduit en Australie, en Israël, au Danemark, et bien sûr à Bolechow, cité galicienne dont est originaire sa famille et où Shmiel, seul, était resté. Au fil de ses recherches, la véritable histoire des Disparus se fait jour. " Je ne vous en dirai pas plus. En plus, l’enquête n’est pas qu’historique. Il y a quelque chose de proustien dans ce livre, et Joyce Carol Oates a bien raison de dire que son roman s’apparente en certaines pages à ceux de Proust. Ici on voit, sous nos yeux, grâce aux détails accumulés par l’auteur, le passé ressusciter.

" La nuit, je pense à ces choses. Je suis satisfait de ce que je sais, mais à présent je pense beaucoup à tout ce que j’aurais pu savoir, qui aurait été bien plus que tout ce que je peux apprendre maintenant, qui a disparu à jamais maintenant. Ce que je sais à présent, c’est ceci : il y a tant de choses que vous ne voyez pas vraiment, préoccupé comme vous l’êtes de vivre tout simplement ; tant de choses que vous ne remarquez pas, jusqu’au moment où soudain, pour une raison quelconque - vous ressemblez à quelqu’un qui est mort depuis longtemps ; vous décidez tout à coup qu’il est important de faire savoir à vos enfants d’où ils viennent - , vous avez besoin de l’information que les gens que vous connaissiez autrefois devaient toujours vous donner, si seulement vous l’aviez demandée. Mais au moment où vous pensiez le faire, il est trop tard. "

Daniel Mendelsohn a su redonner une histoire et un visage a ceux qui n’en avaient plus, un tombeau à ceux qui en étaient dépossédés. C’est tout simplement magnifique. Attention chef d’oeuvre.

Pour terminer la semaine, j’ai relu Les émigrants de Sebald qui nous raconte les trajectoires de quatre déracinés. Là, aussi, parcelle par parcelle, l’auteur nous restitue ces vies, les fait sortir de l’ombre, leur construit un tombeau. Et que c’est beau que de voir la vie de ces émigrants sortir ainsi de l’ombre, avec cet étrange cortège de mélancolie, de mal du pays et de dépression profonde. Mêlant enquête, narration, retranscription de confidences, photographies et journaux intimes, il donne forme à un monde en train de disparaître. Un livre de reconquête du passé, déchirant. A relire absolument.

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