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Guy Debord, à propos du coup d’État de Boumedienne en Algérie et sur les émeutes de Watts à Los Angeles en 1965 

mercredi 19 octobre 2011, par Guy Debord , Internationale Situationniste

Deux textes de l’Internationale Situationniste et leurs semblables raisons de suggérer leur réédition critique confèrent aux événements actuels. Il ne s’agit pas d’une attitude rétro-manifeste mais de suggérer une évaluation critique entre le statut de la violence dans la théorie révolutionnaire des indépendantistes et des démocraties coloniales de la seconde moitié du XXe siècle et les événements post-révolutionnaires de la désobéissance civile non violente contre les oligarchies aussi bien que contre leurs dictatures militaires collatérales au XXIe.
Le premier de ces textes est Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande paru en 1966 dans l’opus 10 de l’IS et attribué à Guy Debord *, il est suivi du texte collectif auquel celui-ci réfère, Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays, qui l’a précédé, puisqu’il s’agit d’un tract collectif diffusé clandestinement à Alger après le coup d’État de Boumedienne [1] en 1965, mais qui se trouve publié dans ce même opus de l’IS l’année suivvante.
On trouvera le premier à la fois typographié numériquement et en fac-similé de ses pages dans l’IS (document pdf attaché) et le second dans le seul état du fac-similé de ses pages dans l’IS (document pdf attaché).

La première contextualisation d’actualité de ces deux textes d’archive est l’hypothèse révolutionnaire critique des émeutes dans l’analyse situationniste vue par McKenzie Wark, d’après une note qu’il a publiée en août dernier dans le blog de Verso Books, maison d’édition de son récent ouvrage, The Beach beneath the Street : The Everyday Life and Glorious Times of the Situationist International. Le titre de la note : McKenzie Wark : ’The Logic of Riots’ — sans doute l’a-t-il écrite pour répondre à l’attente d’une lecture de la théorie insurrectionnelle historique sensée éclairer le mouvement d’occupation non violent qui se développait alors en Europe — Grèce, Espagne (Madrid), Royaume Uni (Londres, où les émeutiers arrêtés quelque fut leur âge et ce qu’ils avaient fait furent radicalement sanctionnés par la justice). Où il cite cet éditorial de l’Internationale situationniste N°10 du printemps 1966 attribué à Debord, à propos des émeutes de Watts [2], et de la désobéissance non violente prônée par Luther King, et enfin la situation du communautarisme ethnique et de la classe sociale, en 1965.
À ce moment là, quand McKenzie Wark écrivit sa note, il connaissait déjà l’impact de la désobéissance civile aux USA avec Anonymous, qui s’était fait connaître contre la scientologie, contre la privation d’information du droit propriétaire, et pour son soutien dans le réseau de Wikileaks ainsi que pour sa solidarité avec les révolutionnaires tunisiens et égyptiens. Mais le mouvement de rassemblement public à visage découvert n’avait pas encore commencé aux USA, toujours sous le coup des menaces du FBI et de la justice exécutifs du Patriot Act au services des lobbies. Il fallait les circonstances de l’ouverture de la campagne électorale des prochaines présidentielles, avec un parti démocrate coincé par les républicains au Sénat, au point que le 1% ne parvint même plus à se satisfaire entre lui-même, pour que le phénomène d’expression critique déclarant sa légitimité citoyenne sous les premier et quatrième amendements de la constitution américaine osât enfin se libérer ostensiblement uni dans un populisme de gauche autogéré. C’est sans doute pourquoi cette note rappelant une position théorique de Debord m’a paru relever d’une préoccupation plus académique lorsque je l’ai découverte ces jours-ci, en tous cas au moment où elle fut écrite déconnectée de l’innovation créative de Occupy Wall Street, commencé depuis le 17 septembre, et auquel forcément McKenzie Wark s’intéresse sous un angle plus direct et personnel, comme l’indiquent ses deux derniers textes dans le même blog (traduits dans La RdR), à partir du moment il vit et enseigne dans l’énergie même des événements à New York.
L’ouvrage lui-même sur la problématique de la cohérence, dans la vie quotidienne et urbaine des situationnistes, a trouvé d’emblée sa place parmi les livres proposés à l’étalage précaire du premier bouquiniste improvisé de Zuccotti Park, fragrance du printemps latin de 1968 dans l’été indien transatlantique de 2011.

La seconde raison est française, en ce sinistre anniversaire d’octobre 1961, cinquantenaire des assassinats massifs des algériens à Paris, c’est la citation du martyre national du peuple victime de la violence coloniale de la torture et des massacres de Sétif par les militaires français en 1945 (17 000 morts et 200 000 blessés, d’après les services secrets américains), de la terreur qui dut suivre pour y répliquer, de la dureté de la guerre de libération en Algérie et des ratonnades en France jusqu’aux accords d’Évian, puis la montée du régime de Ben Bella vers une dictature socialiste et son renversement par le coup d’État militaire de Boumedienne en 1965, fatalité de la violence autoritaire liberticide dont l’Algérie n’est pas encore sortie. Rupture immédiatement relevée par l’Internationale situationniste, qui comprenait des algériens parmi ses membres, notamment Mohamed Dahou, auteur d’un article sur l’insurrection de Sétif en 1945, cité par Guy Debord, qui avait participé aux dérives et était l’un des trois éditeurs successifs de la revue Potlatch (revue sous forme de bulletins qui dura du 22 juin 1954 — N°1 — jusqu’au 5 novembre 1957 — N°15 — au titre inspiré par l’Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques de Marcel Mauss et La Part maudite de Georges Bataille), et Abdelhafid Khatib. (L. D.)

Le déclin et la chute
de l’économie spectaculaire-marchande

 [3]

[ Extrait public [4] de l’Internationale Situationniste N°10 (mars 1966) ]

Entre le 13 et le 16 août 1965, la population noire
de Los Angeles s’est soulevée. Un incident
opposant policiers (le la circulation et passants
s’est développé en deux journées d’émeutes
spontanées. Les renforts croissants des forces de l’ordre
n’ont pas été capables de reprendre le contrôle de la rue.
Vers le troisième jour, les Noirs ont pris les armes, pillant
les armureries accessibles, de sorte qu’ils ont pu tirer
même sur les hélicoptères de la police. Des milliers de
soldats et de policiers - le poids militaire d’une division
d’infanterie, appuyée par des tanks - ont dû être jetés dans
la lutte pour cerner la révolte dans le quartier de Watts ;
ensuite pour le reconquérir au prix de nombreux combats
de rue, durant plusieurs jours. Les insurgés ont procédé
au pillage généralisé des magasins, et ils y ont mis le feu.
Selon les chiffres officiels, il y aurait eu 32 morts, dont
27 Noirs, plus de 800 blessés, 3000 emprisonnés.

Les réactions, de tous côtés, ont revêtu cette clarté que
l’événement révolutionnaire, du fait qu’il est lui même une
clarification en actes des problèmes existants, a toujours
le privilège de conférer aux diverses nuances de pensée
de ses adversaires. Le chef de la police, William Parker, a
refusé toute médiation proposée par les grandes
organisations noires, affirmant justement que « ces
émeutiers n’ont pas de chefs ». Et certes, puisque les
Noirs n’avaient plus de chefs, c’était le moment de la
vérité dans chaque camp. Qu’attendait, d’ailleurs, au
même moment un de ces chefs en chômage, Roy Wilkins,
secrétaire général de la National Association for the
Advancement of Colored People
 ? Il déclarait que les
émeutes « devaient être réprimées en faisant usage de
toute la force nécessaire ». Et le cardinal de Los Angeles,
McIntyre, qui protestait hautement, ne protestait pas
contre la violence de la répression, comme on pourrait
croire habile de le faire à l’heure de l’aggiornamento de
l’influence romaine ; il protestait au plus urgent devant « 
une révolte préméditée contre les droits du voisin, contre
le respect de la loi et le maintien de l’ordre », il appelait
les catholiques à s’opposer au pillage, à e ces violences
sans justification apparente ». Et tous ceux qui allaient
jusqu’à voir les « justifications apparentes » de la colère
des Noirs de Los Angeles, mais non certes la justification
réelle, tous les penseurs et les « responsables » de la
gauche mondiale, de son néant, ont déploré
l’irresponsabilité et le désordre, le pillage, et surtout le fait
que son premier moment ait été le pillage des magasins
contenant l’alcool et les armes ; et les 2 000 foyers
d’incendie dénombrés, par lesquels les pétroleurs de
Watts ont éclairé leur bataille et leur fête. Qui donc a pris
la défense des insurgés de Los Angeles, dans les termes
qu’ils méritent ? Nous allons le faire. Laissons les
économistes pleurer sur les 27 millions de dollars perdus,
et les urbanistes sur un de leur plus beaux supernarkets
parti en fumée, et McIntyre sur son sherif adjoint abattu ;
laissons les sociologues se lamenter sur l’absurdité et
l’ivresse dans cette révolte. C’est le rôle d’une publication
révolutionnaire, non seulement de donner raison aux
insurgés de Los Angeles, mais de contribuer à leur donner
leurs raisons, d’expliquer théoriquement la vérité dont
l’action pratique exprime ici la recherche.

Dans l’Adresse publiée à Alger en juillet 1965 [5], après le
coup d’état de Boumedienne, les situationnistes, qui
exposaient aux Algériens et aux révolutionnaires du
monde les conditions en Algérie et dans le reste du
monde comme un tout, montraient parmi leurs exemples
le mouvement des Noirs américains qui, « s’il peut
s’affirmer avec conséquence », dévoilera les
contradictions du capitalisme le plus avancé. Cinq
semaines plus tard, cette conséquence s’est manifestée
dans la rue. La critique théorique de la société moderne,
dans ce qu’elle a de plus nouveau, et la critique en actes
de la même société existent déjà l’une et l’autre ; encore
séparées mais aussi avancées jusqu’aux mêmes réalités,
parlant de la même chose. Ces deux critiques s’expliquent
l’une par l’autre ; et chacune est sans l’autre inexplicable.
La théorie de la survie et du spectacle est éclairée et
vérifiée par ces actes qui sont incompréhensibles à la
fausse conscience américaine. Elle éclairera en retour ces
actes quelque jour.

Jusqu’ici, les manifestations des Noirs pour les « droits
civiques » avaient été maintenues par leurs chefs dans une
légalité qui tolérait les pires violences des forces de
l’ordre et des racistes, comme au mois de mars précédent
en Alabama, lors de la marche sur Montgommery ; et
même après ce scandale, une entente discrète du
gouvernement fédéral, du gouverneur Wallace et du
pasteur King avait conduit la marche de Selma, le 10
mars, à reculer devant la première sommation, dans la
dignité et la prière. L’affrontement attendu alors par la
foule des manifestants n’avait été que le spectacle d’un
affrontement possible. En même temps la non-violence
avait atteint la limite ridicule de son courage : s’exposer
aux coups de l’ennemi, et pousser ensuite la grandeur
morale jusqu’à lui épargner la nécessité d’user à nouveau
de sa force. Mais la donnée de base est que le mouvement
de droits civiques ne posait, par des moyens légaux, que
des problèmes légaux. Il est logique d’en appeler
légalement à la loi. Ce qui est irrationnel, c’est de
quémander légalement devant l’illégalité patente, comme
si elle était un non-sens qui se dissoudra en étant montré
du doigt. Il est manifeste que l’illégalité superficielle,
outrageusement visible, encore appliquée aux Noirs dans
beaucoup d’Etats américains, a ses racines dans une
contradiction économico-sociale qui n’est pas du ressort
des lois existantes ; et qu’aucune loi juridique future ne
peut même défaire, contre les lois plus fondamentales de
la société où les Noirs américains finalement osent
demander de vivre. Les Noirs américains, en vérité,
veulent la subversion totale de cette société, ou rien. Et le
problème de la subversion nécessaire apparait de lui-même
dès que les Noirs en viennent aux moyens
subversifs ; or le passage à de tels moyens surgit dans
leur vie quotidienne comme ce qui v est à la fois le plus
accidentel et le plus objectivement justifié. Ce n’est plus
la crise du statut des Noirs en Amérique ; c’est la crise du
statut de l’Amérique, posé d’abord parmi les Noirs. Il n’y a
pas eu ici de conflit racial : les Noirs n’ont pas attaqué les
Blancs qui étaient sur leur chemin, mais seulement les
policiers blancs ; et de même la communauté noire ne
s’est pas étendue aux propriétaires noirs de magasins, ni
même aux automobilistes noirs. Luther King lui-même a
dû admettre que les limites de sa spécialité étaient
franchies, en déclarant, à Paris en octobre, que « ce
n’étaient pas des émeutes de race, mais de classe ».

La révolte de Los Angeles est une révolte contre la
marchandise, contre le monde de la marchandise et du
travailleur-consommateur hiérarchiquement soumis aux
mesures de la marchandise. Les Noirs de Los Angeles,
comme les bandes de jeunes délinquants de tous les pays
avancés, mais plus radicalement parce qu’à l’échelle d’une
classe globalement sans avenir, d’une partie du prolétariat
qui ne peut croire à des chances notables de promotion et
d’intégration, prennent au mot la propagande du
capitalisme moderne, sa publicité de l’abondance. Ils
veulent tout de suite tous les objets montrés et
abstraitement disponibles, parce qu’ils veulent en faire
usage. De ce fait ils en récusent la valeur d’échange, la
réalité marchande qui en est le moule, la motivation et la
fin dernière, et qui a tout sélectionné. Par le vol et le
cadeau, ils retrouvent un usage qui, aussitôt, dément la
rationalité oppressive de la marchandise, qui fait
apparaitre ses relations et sa fabrication même comme
arbitraires et non-nécessaires. Le pillage du quartier de
Watts manifestait la réalisation la plus sommaire du
principe bâtard « A chacun selon ses faux besoins », les
besoins déterminés et produits par le système économique
que e pillage précisément rejette. Mais du fait que cette
abondance est prise au mot, rejointe dans l’immédiat, et
non plus indéfiniment poursuivie dans la course du travail
aliéné et de l’augmentation des besoins sociaux différés,
les vrais désirs s’expriment déjà dans la fête, dans
l’affirmation ludique, dans le potlatch de destruction.
L’homme qui détruit les marchandises montre sa
supériorité humaine sur les marchandises. Il ne restera pas
prisonnier des formes arbitraires qu’a revêtues l’image de
son besoin. Le passage de la consommation à la
consummation s’est réalisé dans les flammes de Watts.
Les grands frigidaires volés par des gens qui n’avaient pas
l’électricité, ou chez qui le courant était coupé, est la
meilleure image du mensonge de l’abondance devenu
vérité eu jeu. La production marchande, dès qu’elle cesse
d’être achetée, devient critiquable et modifiable dans
toutes ses mises en forme particulières. C’est seulement
quand elle est payée par l’argent, en tant que signe d’un
grade dans la survie, qu’elle est respectée comme un
fétiche admirable.

La société de l’abondance trouve sa réponse naturelle
dans le pillage, mais elle n’était aucunement abondance
naturelle et humaine, elle était abondance de
marchandises. Et le pillage, qui fait instantanément
s’effondrer la marchandise en tant que telle, montre aussi
l’ultima ratio de la marchandise : la force, la police et les
autres détachements spécialisés qui possèdent dans l’Etat
le monopole de la violence armée. Qu’est-ce qu’un
policier ? C’est le serviteur actif de la marchandise, c’est
l’homme totalement soumis à la marchandise, par l’action
duquel tel produit du travail humain reste une
marchandise dont la volonté magique est d’être payée, et
non vulgairement un frigidaire ou un fusil, chose aveugle,
passive, insensible, qui est soumise au premier venu qui
en fera usage.
Derrière l’indignité qu’il y a à dépendre du policier, les
Noirs rejettent l’indignité qu’il y a à dépendre des
marchandises. La jeunesse sans avenir marchand de
Watts a choisi une autre qualité du présent, et la vérité de
ce présent fut irrécusable au point d’entraîner toute la
population, les femmes, les enfants et jusqu’aux
sociologues présents sur ce terrain. Une jeune sociologue
noire de ce quartier, Bobbi Hollon déclarait en octobre au
Herald Tribune : « Les gens avaient honte, avant, de dire
qu’ils venaient de Watts. Ils le marmonnaient. Maintenant
ils le disent avec orgueil. Des garçons qui portaient
toujours leurs chemises ouvertes jusqu’à la taille et vous
auraient découpé en rondelles en une demi-seconde ont
rappliqué ici chaque matin à sept heures. Ils organisaient
la distribution de la nourriture. Bien sûr, il ne faut pas se
faire d’illusion, ils l’avaient pillée... Tout ce bla-bla
chrétien a été utilisé contre les Noirs pendant trop
longtemps. Ces gens pourraient piller pendant dix ans et
ne pas récupérer la moitié de l’argent qu’on leur a volé
dans ces magasins pendant toutes ces années... Moi, je
suis seulement une petite fille noire. » Bobbi Hollon, qui
a décidé de ne jamais laver le sang qui a taché ses
espadrilles pendant les émeutes, dit que « maintenant le
monde entier regarde quartier de Watts ».

Comment les hommes font-ils l’histoire, à partir des
conditions préétablies pour les dissuader d’y intervenir ?
Les Noirs de Los Angeles sont mieux payés que partout
ailleurs aux Etats-Unis, mais ils sont là encore plus
séparés qu’ailleurs de la richesse maximum qui s’étale
précisément en Californie. Hollvwood, le pôle du
spectacle mondial, est dans leur voisinage immédiat. On
leur promet qu’ils accèderont, avec de la patience, à la
prospérité américaine, mais ils voient que cette prospérité
n’est pas une sphère stable, mais une échelle sans fin. Plus
ils montent, plus ils s’éloignent du sommet, parce qu’ils
sont défavorisés au départ, parce qu’ils sont moins
qualifiés, donc plus nombreux parmi les chômeurs, et
finalement parce que la hiérarchie qui les écrase n’est pas
seulement celle du pouvoir d’achat comme fait
économique pur : elle est une infériorité essentielle que
leur imposent dans tous les aspects de la vie quotidienne
les moeurs et les préjugés d’une société où tout pouvoir
humain est aligné sur le pouvoir d’achat. De même que la
richesse humaine des Noirs américains est haïssable et
considérée comme criminelle, la richesse en argent ne
peut pas les rendre complètement acceptables dans
l’aliénation américaine : la richesse individuelle ne fera
qu’un riche nègre parce que les Noirs dans leur ensemble
doivent représenter la pauvreté d’une société de richesse
hiérarchisée. Tous les observateurs ont entendu ce cri qui
en appelait à la reconnaissance universelle du sens du
soulèvement : « C’est la révolution des Noirs, et nous
voulons que le monde le sache ! » Freedom now est le
mot de passe de toutes les révolutions de l’histoire ; mais
pour la première fois, ce n’est pas la misère, c’est au
contraire l’abondance matérielle qu’il s’agit de dominer
selon de nouvelles lois. Dominer l’abondance n’est donc
pas seulement en modifier la distribution, c’est en
redéfinir toutes les orientations superficielles et
profondes. C’est le premier pas d’une lutte immense, d’une
portée infinie.

Les Noirs ne sont pas isolés dans leur lutte parce qu’une
nouvelle conscience prolétarienne (la conscience de n’être
en rien le maître de son activité, de sa vie) commence en
Amérique dans des couches qui refusent le capitalisme
moderne, et de ce fait, leur ressemblent. La première
phase de la lutte des Noirs, justement, a été le signal d’une
contestation qui s’étend. En décembre 1964, les étudiants
de Berkeley, brimés dans leur participation au
mouvement des droits civiques, en sont venus à faire une
grève qui mettait en cause le fonctionnement de cette
« multiversité » de Californie et, à travers ceci, toute
l’organisation de la société américaine, le rôle passif qu’on
leur y destine. Aussitôt on découvre dans la jeunesse
étudiante les orgies de boisson ou de drogue et la
dissolution de la morale sexuelle que l’on reprochait aux
Noirs. Cette génération d’étudiants a depuis inventé une
première forme de lutte contre le spectacle dominant, le
teach in, et cette forme a été reprise le 20 octobre en
Grande-Bretagne, à l’université d’Edimbourg, à propos de
la crise de Rhodésie. Cette forme, évidemment primitive
et impure, c’est le moment de la discussion des
problèmes, qui refuse de se limiter dans le temps
(académiquement) ; qui ainsi cherche à être poussé
jusqu’au bout, et ce bout est naturellement l’activité
pratique. En octobre des dizaines de milliers de
manifestants paraissent dans la rue, à New York et à
Berkeley, contre la guerre au Vietnam, et ils rejoignent
les cris des émeutiers de Watts : « Sortez de notre quartier
et du Vietnam ! » Chez les Blancs qui se radicalisent, la
fameuse frontière de la légalité est franchie : on donne
des « cours » pour apprendre à frauder aux Conseils de
Révision (Le Monde, 19 octobre 1965), on brûle devant
la T.V. des papiers militaires. Dans la société de
l’abondance s’exprime le dégoût de cette abondance et de
son prix. Le spectacle est éclaboussé par l’activité
autonome d’une couche avancée qui nie ses valeurs. Le
prolétariat classique, dans la mesure même où l’on avait
pu provisoirement l’intégrer au système capitaliste, n’avait
pas intégré les Noirs (plusieurs syndicats de Los Angeles
refusèrent les Noirs jusqu’en 1959) ; et maintenant les
Noirs sont le pôle d’unification pour tout ce qui refuse la
logique de cette intégration au capitalisme, nec plus ultra
de toute intégration promise. Et le confort ne sera jamais
assez confortable pour satisfaire ceux qui cherchent ce
qui n’est pas sur le marché, ce que le marché précisément
élimine. Le niveau atteint par la technologie des plus
privilégiés devient une offense, plus facile à exprimer que
l’offense essentielle de la réification. La révolte de Los
Angeles est la première de l’histoire qui ait pu souvent se
justifier elle même en arguant du manque d’air
conditionné pendant une vague de chaleur.

Les Noirs ont en Amérique leur propre spectacle, leur
presse, leurs revues et leurs vedettes de couleur, et ainsi
ils le reconnaissent et le vomissent comme spectacle
fallacieux, comme expression de leur indignité, parce
qu’ils le voient minoritaire, simple appendice d’un
spectacle général. Ils reconnaissent que ce spectacle de
leur consommation souhaitable est une colonie de celui
des Blancs, et ils voient donc plus vite le mensonge de
tout le spectacle économico-culturel. Ils demandent, en
voulant effectivement et tout de suite participer à
l’abondance, qui est la valeur officielle de tout Américain,
la réalisation égalitaire du spectacle de la vie quotidienne
en Amérique, la mise à l’épreuve des valeurs mi-célestes
mi-terrestres de ce spectacle. Mais il est dans l’essence du
spectacle de n’être pas réalisable immédiatement ni
égalitairement même pour les Blancs (les Noirs font
justement fonction de caution spectaculaire parfaite de
cette inégalité stimulante dans la course à l’abondance).
Quand les Noirs exigent de prendre à la lettre le spectacle
capitaliste, ils rejettent déjà le spectacle même. Le
spectacle est une drogue pour esclave. Il n’entend pas être
pris au mot, mais suivi à un infime degré de retard (s’il n’y
a plus de retard, la mystification apparaît). En fait, aux
Etats-Unis, les Blancs sont aujourd’hui les esclaves de la
marchandise, et les Noirs ses négateurs. Les Noirs veulent
plus que les Blancs : voilà le coeur d’un problème
insoluble, ou soluble seulement avec la dissolution de
cette société blanche. Aussi les Blancs qui veulent sortir
de leur propre esclavage doivent rallier d’abord la révolte
noire, non comme affirmation de couleur évidemment,
mais comme refus universel de la marchandise, et
finalement de l’Etat. Le décalage économique et
psychologique des Noirs par rapport aux Blancs leur
permet de voir ce qu’est le consommateur blanc, et le
juste mépris qu’ils ont du Blanc devient mépris de tout
consommateur passif. Les Blancs qui, eux aussi, rejettent
ce rôle n’ont de chance qu’en unifiant toujours plus leur
lutte à celle des Noirs, en en trouvant eux-mêmes et en en
soutenant jusqu’au bout les raisons cohérentes. Si leur
confluence se séparait devant la radicalisation de la lutte,
un nationalisme noir se développerait, qui condamnerait
chaque côté à l’affrontement selon les plus vieux modèles
de la société dominante. Une série d’exterminations
réciproques est l’autre terme de l’alternative présente,
quand la résignation ne peut plus durer.

Les essais de nationalisme noir, séparatiste ou proafricain,
sont des rêves qui ne peuvent répondre à
l’oppression réelle. Les Noirs américains n’ont pas de
patrie. Ils sont en Amérique chez eux et aliénés, comme
les autres Américains, mais eux savent qu’ils le sont.
Ainsi, ils ne sont pas le secteur arriéré de la société
américaine, mais son secteur le plus avancé. Ils sont le
négatif en oeuvre, « le mauvais côté qui produit le
mouvement qui fait l’histoire en constituant la lutte ».
(Misère de la philosophie). Il n’y a pas d’Afrique pour
cela.
Les Noirs américains sont le produit de l’industrie
moderne au même titre que l’électronique, la publicité et
le cyclotron. Ils en portent les contradictions. Ils sont les
hommes que le paradis spectaculaire doit à la fois intégrer
et repousser, de sorte que l’antagonisme du spectacle et de
l’activité des hommes s’avoue à leur propos
complètement. Le spectacle est universel comme la
marchandise. Mais le monde de la marchandise étant
fondé sur une opposition de classes, la marchandise est
elle-même hiérarchique. L’obligation pour la
marchandise, et donc le spectacle qui informe le monde
de la marchandise, d’être à la fois universelle et
hiérarchique aboutit à une hiérarchisation universelle.
Mais du fait que cette hiérarchisation doit rester inavouée,
elle se traduit en valorisations hiérarchiques inavouables,
parce qu’irrationnelles, dans le monde de la
rationalisation sans raison. C’est cette hiérarchisation qui
crée partout les racismes : l’Angleterre travailliste en vient
à restreindre l’immigration des gens de couleur, les pays
industriellement avancés d’Europe redeviennent racistes
en important leur sous-prolétariat de la zone
méditerranéenne, en exploitant leurs colonisés à
l’intérieur. Et la Russie ne cesse pas d’être antisémite
parce qu’elle n’a pas cessé d’être une société hiérarchique
où le travail doit être vendu comme une marchandise.
Avec la marchandise, la hiérarchie se recompose toujours
sous des formes nouvelles et s’étend ; que ce soit entre le
dirigeant du mouvement ouvrier et les travailleurs, ou
bien entre possesseurs de deux modèles de voitures
artificiellement distingués.
C’est la tare originelle de la rationalité marchande, la
maladie de la raison bourgeoise, maladie héréditaire dans
la bureaucratie. Mais l’absurdité révoltante de certaines
hiérarchies, et le fait que toute la force du inonde de la
marchandise porte aveuglément et automatiquement à
leur défense, conduit à voir, dès que commence la
pratique négative, l’absurdité de toute hiérarchie.

Le monde rationnel produit par la révolution industrielle
a affranchi rationnellement les individus de leurs limites
locales et nationales, les a liés à l’échelle mondiale ; mais
sa déraison est de les séparer de nouveau, selon une
logique cachée qui s’exprime en idées folles, en
valorisations absurdes. L’étranger entoure partout
l’homme devenu étranger à son monde. Le barbare n’est
plus au bout de la Terre, il est là, constitué en barbare
précisément par sa participation obligée à la même
consommation hiérarchisée. L’humanisme qui couvre cela
est le contraire de l’homme, la négation de son activité et
de son désir ; c’est l’humanisme de la marchandise, la
bienveillance de la marchandise pour l’homme qu’elle
parasite. Pour ceux qui réduisent les hommes aux objets,
les objets paraissent avoir toutes les qualités humaines, et
les manifestations humaines réelles se changent en
inconscience animale. « Ils se sont mis à se comporter
comme une bande de singes dans un zoo », petit dire
William Parker, chef de l’humanisme de Los Angeles.

Quand « l’état d’insurrection » a été proclamé par les
autorités de Californie, les compagnies d’assurances ont
rappelé qu’elles ne couvrent pas les risques à ce niveau :
au-delà de la survie. Les Noirs américains, globalement,
ne sont pas menacés dans leur survie — du moins s’ils se
tiennent tranquilles et le capitalisme est devenu assez
concentré et imbriqué dans l’Etat pour distribuer des
« secours » aux plus pauvres. Mais du seul fait qu’ils sont
en arrière dans l’augmentation de la survie socialement
organisée, les Noirs posent les problèmes de la vie, c’est
la vie qu’ils revendiquent. Les Noirs n’ont rien à assurer
qui soit à eux ; ils ont à détruire toutes les formes de
sécurité et d’assurances privées connues jusqu’ici. Ils
apparaissent comme ce qu’ils sont en effet : les ennemis
irréconciliables, non certes de la grande majorité des
Américains, mais du mode de vie aliéné de toute la
société moderne : le pays le plus avancé industriellement
ne fait que nous montrer le chemin qui sera suivi partout,
si le système n’est pas renversé.

Certains des extrémistes du nationalisme noir, pour
démontrer qu’ils ne peuvent accepter moins qu’un Etat
séparé, ont avancé l’argument que la société américaine,
même leur reconnaissant un jour toute l’égalité civique et
économique, n’arriverait jamais, au niveau de l’individu,
jusqu’à admettre le mariage interracial. Il faut donc que ce
soit cette société américaine qui disparaisse, en Amérique
et partout dans le monde. La fin de tout préjugé racial,
comme la fin de tant d’autres préjugés liés aux inhibitions,
en matière de liberté sexuelle, sera évidemment au-delà
du « mariage » lui-même, au-delà de la famille
bourgeoise, fortement ébranlée chez les Noirs américains,
qui règne aussi bien en Russie qu’aux Etats-Unis, comme
modèle de rapport hiérarchique et de stabilité d’un
pouvoir hérité (argent ou grade socio-étatique). On dit
couramment depuis quelque temps de la jeunesse
américaine qui, après trente ans de silence, surgit comme
force de contestation, qu’elle vient de trouver sa guerre
l’Espagne dans la révolte noire. Il faut que, cette fois, ses
« bataillons Lincoln » comprennent tout le sens de la lutte
où ils s’engagent et la soutiennent complètement dans ce
qu’elle a d’universel. Les « excès » de Los Angeles ne
sont pas plus une erreur politique que la résistance armée
du P.O.U.M. à Barcelone, en mai 1937, n’a été une
trahison de la guerre anti-franquiste. Une révolte contre le
spectacle se situe au niveau de la totalité, parce que quand
bien même elle ne se produirait que dans le seul district
de Watts - elle est une protestation de l’homme contre la
vie inhumaine ; parce qu’elle commence au niveau du
seul individu réel et parce que la communauté, dont
l’individu révolté est séparé, est la vraie nature sociale de
l’homme, la nature humaine : le dépassement positif du
spectacle.

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*

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«  L’Amérique s’est aussitôt penchée sur cette nouvelle plaie. Depuis plusieurs mois, sociologues, politiciens, psychologues, économistes, experts en tous genres en ont sondé la profondeur... Ce n’est pas un « quartier » au sens propre du terme, mais une plaine désespérément étendue et monotone... « l’Amérique à un étage », toute en largeur ; ce qu’un paysage américain peut avoir de plus morne avec ses maisons à toit plat, ses boutiques qui vendent toutes la même chose, ses débitants de « hamburgers », ses stations-service, le tout dégradé par la pauvreté et la crasse... La circulation automobile y est moins dense qu’ailleurs, mais celle des piétons l’est à peine plus, tant les habitations semblent dispersées et les
distances décourageantes... Le passage des Blancs attire tous les regards, des regards dans lesquels on lit sinon la haine, du moins le sarcasme (« Encore des enquêteurs et autres sociologues qui viennent chercher des explications au lieu de nous fournir du travail », s’entend-on dire souvent... ) Quant au logement, il peut sans doute être amélioré matériellement, mais on ne voit guère comment il sera possible d’empêcher les Blancs de fuir en masse un quartier dès que des Noirs commencent à s’y installer. Ces
derniers continueront de se sentir laissés à eux-mêmes, surtout dans cette cité démesurée qu’est Los Angeles, dépourvue de centre, sans même la foule où se fondre, où les Blancs n’entrevoient leurs semblables qu’à travers le pare-brise de leurs voitures... Le pasteur Martin Luther King [6] parlant à Watts quelques jours plus tard et appelant ses frères de couleur à « se donner la main », quelqu’un cria dans la foule : « Pour brûler... » C’est un spectacle réconfortant de voir à quelque distance de Watts des quartiers
dits de « classe moyenne » où des Noirs de la nouvelle bourgeoisie tondent leur gazon devant des résidences de grand confort.
 » Michel Tatu (Le Monde, 3-11-65). [7]

P.-S.


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Logo à l’effigie de Martin Luther King. Logo de survol à l’effigie de Ahmed Ben Bella

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* Sur les auteurs du déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande, tentative de note critique, une hypothèse en quelque sorte psycho-topographique, sur Guy Debord :

En réalité ce texte aurait d’abord été diffusé aux USA dès décembre 1965, sous la forme d’un tract traduit en anglais par un membre de la section britannique de l’IS qui au même moment émigrait à New York City et qui y vit encore aujourd’hui : Donald Nicholson-Smith. Quoiqu’il fut exclu en 1967, il devint ultérieurement le principal traducteur anglophone des grands textes situationnistes dont les ouvrages signés de Vaneigem et de Debord. La société du spectacle parut en 1995 sous le titre The Society of the Spectacle chez l’éditeur Zone, soit un an après que Debord ait mis fin à ses jours, mais Nicholson-Smith y travailla certainement avant ; or on voit mal comment Debord aurait pu ne pas être informé et ne pas être d’accord, cela supposant un contrat d’éditeur pour la cession des droits par l’éditeur français (Gallimard à partir de 1992, après Buchet-Chastel et Champ Libre suivi des éditions Gérard Lebovici).

À dire vrai, si l’on suit les traces biographiques de ceux qui participèrent de près ou de loin à l’Internationale Lettriste et à l’Internationale Situationniste et qui furent bannis, il paraît que la mélancolie (nostalgie ou narcissisme) de Debord le porta souvent à retourner tester, des années ultérieurement, la possibilité de retrouvailles référentielles auprès des anciens amis qu’il avait proscrits, après leur avoir beaucoup nui ou leur avoir beaucoup pris. Parmi les créateurs qui comptèrent le plus dans l’IL et l’IS, si l’on connaît le désastre du renouveau tardif de son contact avec Chtcheglov, qui avait commencé par avoir l’instinct positif de refuser de répondre pendant plusieurs années, malgré l’hommage publié dans le N°1 de l’IS. Mais une fois interné et affaibli par les traitements psychiatriques Chtcheglov avait fini par commettre lui-même l’erreur de rechercher son exécuteur, pensant à tort que la continuité de sa pensée réinterprétée par qui ne cessait de le citer et de lui rendre hommage pourrait peut-être lui ouvrir une reconstruction de sa cohérence narcissique. Par contre on ne connaît pas d’épisode de retour auprès de Gil Wolman, qui avait lui-même beaucoup participé à exclure, banni à cause de l’intégration de son couple et de sa vie parentale avec sa vie artistique et activiste. Debord et Bernstein refusant radicalement de procréer comme beaucoup d’activistes de la gauche existentialiste, à l’époque, en outre ne supportaient pas le désordre des affects des enfants et de la famille.
Revanche de l’histoire, c’est encore Nicholson-Smith qui en 2001 traduisit La tribu (Allia, 1998) — The Tribe, (City Lights Publishers) — livre de Jean-Michel Mension aka Alexis Violet, l’une des chatoyantes victimes de la purge de l’Internationale lettriste de 1954, composé de son entretien avec Francesco Milo et Gérard Berréby (l’éditeur Allia), ouvrage sur les existentialistes, les lettristes, et les premières années de Debord à Paris. Pilier du bistrot Moineau rue du four et compagnon de fanfarlo à taux d’alcoolémie élevé, Mension avait initié à la déviance de la rue Debord venu s’encanailler pour parvenir à l’avant-garde. Celui-ci tout juste débarqué dans la capitale à la fin de 1961, après avoir admiré Traité de bave et d’éternité de Isidore Isou, projeté en marge du festival de Cannes, la même année. Mais Mension fut rayé sans pitié du mouvement en métamorphose par son ancien prosélyte devenu aguerri, au prétexte, vu ses vêtements calligraphiés de professions de foi et de mots d’ordre, qu’il fût "décoratif" (ce n’était ni la rigueur moderne signalant l’empire de l’intellect, ni son renouvellement)...

Pourquoi Debord s’attribua-t-il l’autorisation bien après la clôture de l’IS de faire rééditer ce tract en brochure aux Belles Lettres, en 1993 — après de nouvelles émeutes à Watts en 1992 (voir note 2) et au fond, cette actualisation à la lueur des nouveaux événements aurait-elle pu faire opportunément l’objet de confier en échange la traduction de La société du Spectacle à Donald Nicholson-Smith (si l’on tient compte du temps nécessaire à régler les contrats d’édition et à la mise en œuvre de la traduction puis de l’ouvrage, pour une parution américaine en 1995) ? En réalité, sur la version éventuelle d’un tract en français en 1965, on ne lit nulle part un rappel référencé d’un tel état du « déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande », supposant qu’il pût connaître une diffusion préalable à sa publication dans le dixième opus de la revue. De sorte qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’abord d’un tract de circonstance porté par l’émigrant chargé de le transmettre aux Situationnistes américains, sur le terrain même du sujet discuté. À ceci prêt qu’Il se peut que la version traduite soit plutôt celle en français publiée dans l’IS l’année suivante, car il se peut encore que Donald Nicholson-Smith plus qu’un traducteur participât à la rédaction du tract original, voir qu’il en fût un principal rédacteur.

Divers signes permettent de douter de la version déclarée : les derniers membres de l’IS furent souvent les plagiaires prosélytes du ton de Debord mi-emphatique mi-prophétique par lequel il signait incontestablement sa présence rédactionnelle dans la revue imprimée, et qui avait marqué le style collectif manifeste du situationnisme et qui fascinait ses amateurs. Ce ton suivit jusqu’à la remarquable Encyclopédie des nuisances, revue fondée en 1991 par Jaime Semprun, à l’activité éditoriale de laquelle Debord contribua par trois textes majeurs dans la ligne éditoriale (de 1985 à 1987), cette fois au même titre que chacun et plutôt moins que plus, passant de temps en temps, et de toutes façons pour la dernière fois de sa vie, mais non sans impact symbolique sur le comité de rédaction. Ce fut encore le cas d’une revue émule de l’Encyclopédie des nuisances, la revue Tiqqun, où l’emphase prophétique connut des sommets de sophistication codifiée.
De plus, en leader charismatique incontestable Debord avait tendance à l’appropriation sociétaire des actes cognitifs collectivement inspirés et réfléchis dans un autre cadre du passé récent, par exemple en ressaisissant dans l’IS des pensées glorieuses de membres exclus de l’Internationale Lettriste. Davantage, concernant les textes fondateurs, les affectant au nouveau groupe après les avoir détachés du précédent en se les appropriant en nom propre sous sa signature, Guy-Ernest Debord, dans une revue externe (la revue surréaliste de Marcel Mariën éditée en Belgique : Les lèvres nues) .
 De même concernant les actes artistiques. Tel le fameux graffiti gravé sur le mur de l’Institut en 1952, "Ne travaillez jamais", revendiqué comme l’un des prémisses publiés dans les premiers opus de l’IS, et que finalement Debord s’attribua après la clôture de l’IS, alors qu’il n’y avait probablement qu’assisté (qu’il l’ait réalisé lui-même aurait été contradictoire de son comportement manifeste dudit aphorisme), s’agissant d’une inscription gravée par Mension à l’époque où Debord ne se départissait pas de lui. Du moins Mension, alors ostensiblement oisif en dépit d’être pauvre, mais notoirement graphiste sauvage et ultra-activiste, revendiqua-t-il, lors des entretiens pour La Tribu, que ce graffiti fût de sa main (quoique sans acrimonie contre son grand imposteur car lui-même avait beaucoup volé comme petit).
Ou encore, plus gravement, la dérive psychogéographique, recyclage situationniste du comportement intégré (théorie et pratique) de la déambulation urbaine comme exploration sociale révolutionnaire, radicalement poétique, chez Chtcheglov, qui ne fut jamais situationniste, ce qui signifie clairement qu’il n’adhéra pas à la théorie situationniste de la construction des situations révolutionnaires, bien qu’il fut révolutionnaire lui-même. Il s’agissait pour Debord d’expurger la substance poétique de la fondation symbolique d’Ivan Chtcheglov, où l’événement révélant la ville prescrivait l’ordre urbain, pour livrer l’expérience à la fréquence productive des parcours et de leurs rapports (avec les amis les plus proches du poète convoqués contre l’invention singulière de leur ami et par là appelés à trahir leur partage mémorable) : l’objet de la dérive n’étant plus l’événement mais la recherche expérimentale d’une méthode reproductible de la construction des situations révolutionnaires dont le rapport donnerait lieu à la psychogéographie, comme topographie situationnelle.
Debord systématisa concrètement et rationalisa intellectuellement la dérive en projet prédictible contre l’événement (aléatoire), pour en faire l’émergence théorique de la première théorie situationniste, rapatriant ses textes signés extraits de la revue surréaliste de Marcel Mariën où il avait publié avec Wolman, mais d’abord lui, s’appropriant le droit de manipuler à l’égide de sa théorie personnelle, dans plusieurs articles de 1955 à 1956, le dispositif de la dérive, notamment le continent contrescarpe d’après Chtcheglov, en s’y donnant "position", continent où poursuivant le fantôme de son passé détruit le poète finit par être arrêté et abusivement interné sur la signature de son faux consentement par sa jeune épouse, après une colère explosive aux Cinq billards, en juin 1959.

Lorsque dans le N°1 de l’IS Debord rendit hommage à l’absence notoire de Chtcheglov en publiant son Formulaire pour un urbanisme nouveau, alors que ce dernier n’avait pas été contacté pour donner son consentement sur le transfert de ses recherches dans un groupe où sa dignité l’aurait empêché de se trouver, il n’osa pas republier avant le N°2 sa propre théorie de la dérive parue en 56 dans Les lèvres nues, car il avait auparavant exilé Chtcheglov de cette cohérence, attaquant la structure psycho-affective du poète intégral qu’était celui-ci, qui, depuis l’intensité de ses propres expériences poétiques dans la ville, l’avait initié à la dérive révolutionnaire, à l’acte même des aléas de la culture et de l’émotion dans l’aventure urbaine. Et comme si, malgré tout, une trace de Ivain dut rester pour mémoire du crime contre Chtcheglov afin de donner sens à ce qui lui succèderait — faute de quoi le situationnisme n’en aurait pas.
Alors Chtcheglov devint, (lui qui avait connu de leurs excès la perte de sa santé, puis de leur division la perte de ses proches amis comme trahissant leur partage intime, et enfin les dissociations corrélatives, au terme de la destruction de son bouclier narcissique), l’objet de la psychiatrie.

D’avant. De ses premières expériences solitaires à celles en duo avec Debord, Chtcheglov fut peut-être davantage apprécié par Michèle Bernstein que par son conjoint, à lire les quelques mots qui lui sont consacrés au passage dans Tous les chevaux du roi, qui d’ailleurs disent bien l’entreprise d’abord solitaire des expériences urbaines de Ivain. Puis il fut investi de problématiser leurs expériences communes dans un opus dédié de l’Internationale Lettriste, peut-être mué en numéro 1 de la revue Potlatch, la bien nommée. Mais en tout état du titre il ne le réalisa jamais. Bien qu’il n’en donnât pas d’explication, de fait il se déroba de réduire ses idées par la description et d’en tirer une méthode exemplaire (à juste titre de ses convictions sur l’événement révélé par la subversion des explorateurs poétiques dans la ville). La récupération révisionniste par Debord et sa mouvance alliée attribua le défaut exécutif de Chtcheglov à une incertitude de la théorie, non à son désaccord radical sur le fond, et ultérieurement à une rivalité qui en réalité n’était pas le lieu de la discorde du moins de la part de Chtcheglov — mais pour lui, la part de l’intransigeance sur la vérité symbolique de l’événement, singulier, irréductible, non reproductible. Ainsi fut-il jugé à tort que son potentiel de réalisation était défaillant, comme dans le stalinisme, où se démettre d’une responsabilité collective dans la ligne ne pouvait être considéré comme un passage à l’acte critique, dans une situation exclusive de tout échange dialectique. Il fut considéré que son manquement était du à ses "troubles du caractère", à sa cyclothymie, ou à ses toxicomanies. Ce qui le vouait de toutes façons au "trouble mental" et fatalement à la psychiatrie (piège qu’il finira par réaliser lui-même). Et cela causa au vu de toute l’organisation — réellement stalinienne sous ses faux airs de plaisanterie lettriste — les raisons "légitimes" de son exclusion. Dans le N°2 de Potlatch on peut lire de la main de Wolman la liste de « quelques exclus », dont « Ivan Chtchegloff, alias Gilles Ivain — Mythomanie, délire d’interprétation – manque de conscience révolutionnaire ». Où ses amis les plus intimes loin de protester furent intégrés dans la mouvance directe de Debord (Henri de Béarn, Patrick Straram d’abord dans des dérives sans Ivain, puis rattrapé au Canada par Debord et lui répondant par correspondance, en particulier) : comble de l’humiliation pour Chtcheglov, qui du coup voyait brisé son pacte d’amour avec ceux dont les vies intriquées dans la sienne avaient partagé les hauteurs extrêmes de l’aventure poétique. Même si pour confirmer la manipulation et le piège dans lequel il se laissa enfermer — mais était-il possible de résister à la perversité de Debord dès lors qu’on était devenu l’objet de sa perversion ? — il est aussi possible de penser qu’il pût se mettre lui-même à distance, par dépit, suivant la démission de Gaëtan Langlais (plus obscur).

On ne passe pas tout à fait au-delà des ouvrages de création que Debord co-signa avec le formidable Asger Jörn, lui faisant supplanter l’exécution et le talent de Gil Wolman, qu’il avait substitué à Chtcheglov, Wolman qu’il acheva d’enterrer en dédiant Fin de Copenhague (en 1957, année de fondation du mouvement International situationniste), à la re-fondation de l’inspiration de l’Internationale Lettriste dans le pragmatisme artistique et éditorial du Bauhaus imaginiste, et Mémoires, en quelque sorte auto-biographie de son parcours où Chtcheglov tient une place conséquente, ouvrages sur le détournement et la psychogéographie. De plus, Debord aurait récusé, pour le second ouvrage, la date d’édition en 1958, (cette année étant d’autre part celle du premier opus de l’Internationale situationniste — en juin), pour la déclarer en 1959. Comme pour être quitte de l’Internationale Lettriste, et de Ivain, dont c’était entre autre une création appliquée dans la fusion sans ses membres avec la revue de l’Internationale Situationniste, déjà lancée, et ses nouveaux génies édifiés à suivre Debord par le discours des idées qu’il avait pillées... Notamment en référence de la précession de l’IS par les fameuses publications signées dans Les lèvres nues, tels : Mode d’emploi du détournement problématisé avec Wolman (en mai 1956) — déjà cité, — dans le (N°8), où parut également en novembre de la même année dans le N°9, sous la signature de Guy-Ernest Debord Théorie de la dérive suivie de Deux compte-rendus de dérive, et surtout Position du Continent Contrescarpe, impliquant le concept dont Chtcheglov avait écrit l’introduction, (alors qu’il était déjà mis à distance dès la création de la revue Potlatch 1954-1957), et après que dans le N°6, en collaboration avec René Viénet, Raoul Vaneigem et René Riesel Debord y ait publié Introduction a une critique de la géographie urbaine, en Septembre 1955. Et ce qui connotait, à l’égide de l’événement de la naissance du groupe et de la revue de l’Internationale situationniste, l’inspiration signée des deux ouvrages réalisés avec Jörn.
Alors que Debord avait été pour faire interdire dans le cadre de l’Internationale Lettriste tout acte artistique en nom propre de ses membres à l’extérieur du mouvement, autant dire le préjudice personnel pour les exclus qui y avaient engagé leur énergie sacrificielle en nom collectif. C’est bien dans le continent Contrescarpe que Chtcheglov, revenant toujours sur les pas de son traumatisme, fut arrêté, après la publication du N°2 de l’IS, sommet du dispositif d’appropriation par Debord en réattribuant ) un autre groupe ce qu’il avait dérobé sous son nom, pour ne plus jamais être lui-même, après avoir subi les traitements de choc et les neuroleptiques que l’on sait.

 D’un crime à l’autre (mais existe-t-il l’avant-garde du pouvoir intellectuel sans crime ?), cela survenant après le moment flottant entre l’Internationale Lettriste et l’Internationale Situationniste, au moment où Debord se ressaisit d’avoir été rongé d’ennui par tant de divisions et de pertes amicales commises, au point d’en devenir dépressif et de retourner auprès de sa famille dans le sud de la France, d’où il était arrivé. C’était, après tout, qu’il avait volé le mot lettriste pour l’approprier à des idées précises sur le dogme de l’avant-garde allant contre l’hypothèse du soulèvement de la jeunesse, et du coup excluant Isidore Isou de son propre mot, dans un simulacre de son exclusion à la fondation de l’IL sous-signée par ses membres. Dépossédant Isou de son leadership libertaire créatif, radical et énergique, en s’attirant ses jeunes révoltés par une théorie de l’exclusion plagiant le pouvoir surréaliste au moment où celui-ci parvenait à sa fin, en 1952. Non seulement l’exclusion comme pouvoir, mais les sources singulièrement défrichées par Breton : Cravan, Lautréamont (les plus belles pages situationnistes sur Lautréamont sont d’ailleurs de Vaneigem, ce ne sont pas celles de Debord même si une lettre qu’il adresse à un ami de jeunesse, quand il a 17 ans, laisse entendre leur passion partagée pour Lautréamont). Mais Michèle Bernstein, qui l’avait épousé en 1952, l’année de la rupture de l’Internationale Lettriste (si l’on suit le repère donné ultérieurement par Gil Wolman sur les exclusions), mais qui jamais n’en avait fait partie, étant plus intellectuelle marxiste qu’artiste, veillait. Alors Debord dut peut-être admettre qu’il ne pourrait retrouver son désir de penser qu’à travers le crime répété de toujours renouveler ses partenaires, et par là de savoir dépasser le choc du feed-back de la culpabilité, car tel serait le prix symbolique du pouvoir révolutionnaire durablement signé, s’il revenait à la source des rencontres pour émerger en politique. Et ce fut fait pour l’éternité.

Louise Desrenards

Recension des revues in Debordiana :
- Ion (bulletin unique, 1952)
- Internationale Lettriste (4 bulletins, 1952-1954)
- Potlatch (30 bulletins, 1954-1959)
- Internationale Situationniste (12 revues, 1958-1969)

etc.

Un lien récent (septembre 2011) intéressant, qui (entre autre mais pas seulement) rassemble divers documents présentés dans La RdR les années passées, sur la dérive, les Lettristes, et Fluxus : Frayage de la dérive.

Notes

[1Qu’est-ce que le FLN (Front de Libération Nationale) algérien dont Houari Boumédiène (mort en 1978, peut-être assassiné mais alors au terme d’un traitement à Moscou) émergeait ? La violence de la répression militaire pendant la guerre coloniale, la torture, les incendies des fermes, les assassinats, n’eurent pour effet que d’accroître la violence de la résistance et de lui faire franchir le pas du terrorisme massif, (plusieurs attentats eurent lieu à Alger et à Paris) ; la répression provoque le durcissement de la guerre clandestine et sa restructuration, une lutte sans merci sépare et divise les algériens combattants autour des objectifs et des moyens de la victoire. Ainsi, après les accords d’Évian, ce seront les combattants du FLN qui seront au pouvoir, à ceci près que Ben Bella après avoir été emprisonné en France dirigera le pays dans un projet socialiste à l’exemple de Cuba, pour lequel il devra s’affranchir du militarisme pur et dur, mais pas de la dictature personnelle. Jusqu’au coup d’État de ceux qu’il a mis à l’écart, dont Boumédiène qui le renversera pour une dictature plus proche de Moscou. Boumédiène est le général ancien libérateur d’Alger, entré triomphalement dans la capitale en 1962.. Après les épisodes d’une nouvelle guerre civile, lorsqu’ une majorité électorale obtenue par le parti musulman religieux (FIS) se vit refuser son droit de participer au pouvoir — alors ses groupes armés dits MIA (dans les campagnes) et GIA (dans les villes), ou "Afghans", commencèrent à prendre la population en otage en la terrorisant par la violence. L’armée en jouera. De 1991 à 2002, l’Algérie connaîtra de nouveau des morts en nombre (entre 150,000 et 200,000 morts). Aujourd’hui les militaires sont toujours au pouvoir en Algérie, où ils exercent leur propre dictature, même si l’actuel président Bouteflika donne des signes d’apaisement.

[2Watts est un quartier sud de Los Angeles majoritairement habité par des noirs en 1965 où eurent lieu des émeutes d’une extrême violence qui durèrent cinq jours et firent plus d’une trentaine de morts, plus de mille blessés, en outre des dégâts matériels (selon wikipédia plus de 90 bâtiments détruits ou endommagés), et 4000 arrestations, après qu’une famille fut été arrêtée par la police fédérale sous prétexte de conduite erratique dans un minibus, le 11 août 1965. L’année suivante connut une flambée de violence dans les villes américaines où l’on compta plus d’une quarantaine d’émeutes, mais auparavant au moins une fois par an la situation dans les quartiers noirs d’une ou de plusieurs grandes villes des États-Unis donnait lieu à des émeutes telles qu’elles faisaient la Une des journaux jusqu’en France.
C’est après les émeutes de Watts qu’en 1966 le " Black Panther Party pour l’auto-défense " fut fondé par Huey Newton et Bobby Seale à Oakland (CA) ; l’objet était non seulement la défense armée mais d’organiser un système d’auto-organisation sociale solidaire et collective dans les ghettos noirs (communes alimentaires, création d’écoles, centres de santé), dont certaines inspireront des réformes aux USA, en particulier les cantines et les soins de santé scolaires. Une paix civile précaire arriva à Watts, due aux effets retards du mouvement des droits civiques (la marche de Washington DC en 1963 où Luther king fit le discours "I have a dream.." est historique au point que le président Obama, premier président noir des USA, la cita lors de la cérémonie de son investiture) ; progressivement les lois anti-ségrégationnistes succédaient à celle de 1956 suite au jugement de la Cour Suprême qui avait déclaré illégales les lois ségrégationnistes du Sud après l’arrestation de Rosa Parks. Rosa Parks avait refusé de céder sa place à un blanc dans un bus à Mongomery (Alabama), et pour y répondre le jeune Luther King avait appelé au boycott des bus par les noirs. Après la fin de la ségrégation dans les transports, le logement, l’école, l’université, enfin les droits politiques à leur tour seront conquis ; c’est le président Johnson fera libérer le droit de vote des noirs en 1966 après les émeutes de Watts... Mais la pauvreté resta la pauvreté chez ceux qui n’étaient pas en situation matérielle de sortir des ghettos.
Toujours à Watts, entre les années 80 et 90, les coréens installent des commerces et viennent partager d’habiter le quartier avec les noirs ; malgré la création d’un "Conseil du Quartier de Watts" inter-communautaire et autonome, aidé par des crédits publics, une nouvelle émeute violente et destructrice explose en 1992, à cause de l’acquittement de policiers responsables de la mort d’un jeune noir résident passé à tabac l’année précédente, injustice notoire car la scène criminelle ayant été filmée a témoigné de façon incontestable sur les chaînes de télévision américaines et dans les actualités télévisées mondiales ; mais l’émeute prend une tournure de guerre de classe entre les deux communautés, la noire demeurant la plus pauvre pillant et détruisant les commerces des coréens plus prospères. Après ces émeutes, une énergie culturelle se développe à travers l’invention d’une danse portée à la connaissance du public par le film Rize (2005), le "Krump" (Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise "Puissant éloge du royaume radicalement soulevé" — qui traduit la violence entre les individus mais sans qu’ils se heurtent), créée et enseignée dans un atelier local par Tommy the Clown Johnson.
Aujourd’hui, le quartier est plutôt habité par des hispaniques non moins pauvres et demeure d’une rare violence, dans la mesure où ce sont les gangs qui maintenant y règnent et s’affrontent. (Voir l’article sur le mouvement anti-ségrégationniste aux USA, Années 1950-1960 : la fin de la ségrégation aux Etats-Unis, dans le blog Histoire-Géographie Terminale S-ES-L tenu par des professeurs ; voir d’autre part l’article États Unis : Conquête du droit de vote par les noirs américains, dans le site de l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe, qui rend bien compte du rôle historique du BBP critiquant Luther King, pour parvenir à faire finaliser les droits des noirs contre les dernières ségrégations aux USA).

[3Il s’agit de la reproduction de l’extrait intégral, éditorial de l’Internationale Situationniste N°10, mis en ligne sous le titre original et présenté par Patrick dans le site iso.metric.free.fr, le 8 novembre 2005.

[4« Tous les textes publiés dans "internationale situationniste" peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, même sans indication d’origine. » (Internationale Situationniste N°2).

[5NdLaRdR : « Le texte Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays a été diffusé clandestinement en Algérie en 1965. Il a par la suite été publié en pages 43-49 de la revue Internationale situationniste n°10 (Paris, mars 1966) », op.cit infokiosques.net (où ce tract de l’IS est proposé en téléchargement pdf et que nous reproduisons en téléchargement dans La RdR.

[6NdLaRdR pour mémoire : le pasteur Martin Luther King adepte de la désobéissance civile non violente (version démocratique étendue à la masse de l’Insoumission républicaine individuelle en France), à l’origine de la marche du Mouvement des Droits Civiques sur Washington D.C. en 1963 entraîna l’abolition politique et sociale de l’ultime ségrégationnisme ethnique des populations natives ou introduites par l’esclavage aux USA, fut assassiné le 4 avril 1968 à Memphis (probablement sur ordre du FBI qui se trouvait sur place pour le surveiller depuis un hôtel voisin).

[7Nous nous autorisons à publier cette coupure du Monde du 3 novembre 1965 intégrée en encadré dans l’article original de l’IS N°10 paru en 1966, car les archives du journal Le Monde vendues en ligne s’arrêtent à l’année 1987.

1 Message

  • Votre article serait certainement plus intéressant s’il était écrit en français (il est pénible à la lecture), et s’il ne contenait pas des erreurs factuelles très importantes. C’est vrai que votre approche de Debord rompt avec l’hagiographie qui accompagne trop souvent le commentaire de sa vie comme de ses écrits, il est également à peu près certain que ce n’est pas lui qui a écrit la fameuse devise "Ne travaillez jamais" http://art-culture-revolution.blog4ever.com/blog/lire-article-713272-9534668-ne_travaillez_jamais.html. mais il me semble que le plus important ce sont les erreurs d’analyse de Debord, notamment en ce qui concerne la Guerre d’Algérie et ses conséquences. Pendant longtemps, même après la création de l’IS, il va peiné à se démarquer des idées courantes de l’extrême gauche.
    Quant à la rupture d’avec Ivan Chtechglov, si elle est marqué de beaucoup de cruauté et d’inconséquence, les témoignages montrent non seulement que la déconfiture de Chtechglov n’est pas imputable à Debord, mais qu’en outre ce dernier en ressentit une grande culpabilité.

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