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Hadopi : “Lettre ouverte aux spectateurs citoyens” 

lundi 9 août 2010, par Rédaction (Date de rédaction antérieure : 3 avril 2009).

Voici la tribune par laquelle le mouvement de contestation du monde du cinéma contre la loi Hadopi s’est initié. Elle constitue un premier pas dans la lutte pour un système plus juste et prenant en compte les intérêts de tous : la bataille commence à peine.

Artistes et producteurs engagés, nous nous sommes dévoués tout au long de notre carrière à la promotion d’un cinéma différent, un cinéma ouvert et exigeant.

Vous avez fait vivre nos œuvres, les portant, les reconnaissant ou les rejetant. Tout au long de notre carrière, nous avons poursuivi la même ambition  : diffuser notre travail et le partager avec vous. Tout au long de notre carrière, mille obstacles se sont présentés à nous, qu’ils aient été techniques, matériels ou économiques.

Aujourd’hui, nous avons la chance de vivre une révolution numérique qui nous permettra, dans un futur très proche, de lever nombre de ces obstacles et d’ouvrir notre cinéma à toutes et à tous.

Aujourd’hui, certains craignent cette révolution et craignent pour leur monopole. La loi Création et Internet répond à une angoisse légitime, que nous partageons  : celle de voir les œuvres dévalorisées et dégradées par leur diffusion piratée sur Internet.

Pourtant, cette loi, qui prétend se poser en défenseur de la création, ne fait qu’instaurer un mécanisme de sanctions à la constitutionnalité douteuse et au fonctionnement fumeux.

Fruit d’un lobbying massif, fondée sur la présomption de culpabilité, la loi Création et Internet crée l’Hadopi, une haute autorité contrôlée par l’exécutif et qui pourra, sans qu’aucune preuve fiable ne soit apportée et sans qu’aucun recours gracieux ne soit possible, couper durant une durée extensible à l’infini la connexion Internet d’un usager.

Pis, et contrairement à ce qui a été écrit ici et là, aucune disposition législative ne prévoit que cette procédure se substitue aux pour suites pénales et civiles, faisant de la double peine une réalité envisageable.

Alors que le Parlement européen vient, pour la troisième fois en quelques mois et à la quasi-unanimité, de qualifier l’accès à Internet de droit fondamental, alors qu’aux Etats-Unis le modèle de riposte « graduée » se fissure et que le reste du monde met l’accent sur la poursuite de ceux qui font commerce du piratage, le gouvernement français s’obstine à voir dans les utilisateurs, dans les spectateurs, des enfants immatures à l’origine de tous les maux de l’industrie cinématographique.

Démagogique, techniquement inappli cable, bêtement ignorante des nouveaux procédés de téléchargement et purement répressive, cette loi est aussi un rendez-vous manqué. Ne prévoyant aucune forme de rétribution nouvelle pour les ayants droit, la loi Création et Internet ne s’adresse ni au cinéma dans sa diversité, ni aux spectateurs. Ne constituant qu’une ultime et vaine tentative d’éradiquer le piratage par la sanction, sans se soucier de créer une offre de téléchargement légale, abordable et ouverte sur Internet, elle ne répond à aucun des défis aujourd’hui posés par les nouvelles technologies, alors même qu’une réaction créative et forte de l’industrie cinématographique et des autorités de tutelle dans leur ensemble s’imposait.

Nous ne nous reconnaissons pas dans cette démarche, et appelons à un changement des mentalités. Craindre Internet est une erreur que nous ne nous pouvons plus nous permettre de faire. Il est temps d’accepter et de nous adapter à ce « nouveau monde » où l’accès à la culture perd son caractère discriminatoire et cesser de vouloir en faire une société virtuelle de surveillance où tout un chacun se sentirait traqué.

Que ce soit par un système de licence globale ou par le développement d’une plateforme unifiée de téléchargement des œuvres à prix accessibles et sans DRM, il faut dès aujourd’hui des réponses posi tives à ce nouveau défi, et se montrer à la hauteur des attentes des spectateurs. L’heure est à la réinvention et à l’émerveillement, et non pas à l’instauration d’un énième dispositif répressif.

Conscients de la nécessité qu’éprouvent les ayants droit, dont nous sommes, à trouver de nouveaux modes de rétribution et d’en finir avec le piratage.

Confrontés à un dispositif essentiellement conservateur, liberticide et démagogique qui ne s’attaque à aucun des enjeux réels de la révolution numérique et ignore volontairement les intérêts du cinéma d’auteur. Et en réaction aux nombreuses tribunes rédigées par des institutions et des lobbies s’exprimant au nom d’une profession qu’ils ne représentent que partiellement.

Nous, cinéastes, producteurs et acteurs, marquons avec cette adresse notre refus du dispositif Hadopi et de la loi création et Internet.

Nous appelons tous les amoureux du cinéma et des libertés, de la création et de la diversité à faire entendre leur voix auprès de leurs représentants afin d’abandonner tant qu’il est encore temps le dispositif Hadopi et de mettre en place un système plus juste, équilibré et prenant en compte les intérêts de tous.

P.-S.

Par Chantal Akerman, Christophe Honoré, Jean-Pierre Limosin, Zina Modiano, Gaël Morel, Victoria Abril, Catherine Deneuve, Louis Garrel, Yann Gonzalez, Clotilde Hesme, Chiara Mastroianni, Agathe Berman et Paulo Branco.

Signataires :
Victoria Abril (actrice)
Chantal Akerman (réalisatrice)
Agathe Berman (productrice)
Paulo Branco (producteur)
Catherine Deneuve (actrice)
Louis Garrel (acteur)
Yann Gonzalez (comédien)
Clotilde Hesme (actrice)
Christophe Honoré (réalisateur)
Jean-Pierre Limosin (acteur)
Chiara Mastroianni (actrice)
Zina Modiano (réalisatrice)
Gael Morel (réalisateur)
Jeanne Balibar (actrice)
Eva Truffaut (artiste cinéaste, ayant-droit de François Truffaut)
Brigitte Rouan (réalisateur)
Françoise Romand (réalisateur)
Laurence Ferreira Barbosa (réalisateur)
Santiago Amigorena (réalisateur)
Jean Douchet (réalisateur)
Luc Wouters (réalisateur)
Gisčle Rapp-Meichler (réalisateur)
Aliette Guibert-Certhoux (réalisateur)
Nadia El Fani (réalisateur)
Mario Barroso (réalisateur)
Robin Hunzinger (réalisateur)
Fabrice Ziolkowski (réalisateur)
Jacquie Bablet (réalisateur)
Olivier Seror (réalisateur)
Sylvain Monod (producteur, réalisateur)
Jean Sainati (ex délégué de l’ALPA général de 88 à 2002)
Pierre Cattan (producteur)
Gilles Sandoz (producteur
Pascal Verroust (producteur)
Jean des Forêts (producteur)
Ivonne Cotorruelo (producteur)
Nathalie Chéron (producteur)
Timothy Duquesne (auteur)
Agnès de Cayeux (auteur)
Antoine Moreau (auteur)

Première publication : 2 mai 2009

6 Messages

  • Hadopi : “Lettre ouverte aux spectateurs citoyens” 4 mai 2009 03:27, par Aliette Guibert-Certhoux

    Je sais toujours pas par quel miracle je me suis retrouvée réalisatrice et Yann Gonzales comédien :) moi j’avais dit éditrice multimedia... l’important c’est d’y être ;-)

    • J’éprouve un mélange et de rage et de tristesse envers les artistes défenseurs de la loi HADOPI, un grand merci en tout cas à tous les signataires de cette lettre ouverte, qui font preuve de bon sens et d’humanisme

  • Merci, enfin des gens qui ouvre les yeux, je n’y croyai plus...

    • Hadopi : “Lettre ouverte aux spectateurs citoyens” 6 mai 2009 11:22, par Guillaume B.

      Effectivement, il était temps que plus d’artistes s’expriment sur le sujet !

      Merci de remettre enfin les choses à leur place.

      Mais malgré ce geste, les médias instrumentés ne parlent que de la lettre à Martine.

  • merci
    enfin des artistes non mafieux
    on y croyait plus

  • En accord avec cette pétition, voici une réponse aux papis de la lettre ouverte du monde. Chers papis vous avaient cessé de faire de la résistance, vous avez rendu les armes et oublié vos idéaux. Devons-nous boycotter vos spectacles, vos créations et vos chansons, mettre au pilori vos œuvres pour l’outrage que vous faites à votre public ?
    Internet est un média au même titre que la télévision et la radio. A ce titre sont accès doit être aussi libre. Regardez Monsieur Cabrel, cela ne l’a pas empêché de vendre plus d’un million de son dernier album. Grégoire aurait-il percé sans les internautes qui l’ont produit et ont acheté plus de 400 000 exemplaires de son œuvre.
    Cessons cette hypocrisie, Madame et Messieurs, revenez à une plus saine attitude. Madame GRECO, relisez les textes de vos dernières chansons et mettez-vous à leur diapason !

    Voir en ligne : Hello les papis..

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