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Histoire d’Oc 

vendredi 31 octobre 2008, par Ahmed Bengriche

En cette aube cristalline- redondance du miroitement des lointains éthérés
Des lacs fuyards bus dans l’imaginaire
( A quel silence vouer son mot
Qui marche en babouches sur le pli de l’eau
Si ce n’est ton ombre ton ombre ton ombre
)
Pourtour d’un bleu vaporeux
Craquement des pierres du bivouac
Qui traverse l’humus comme l’aborigène au sortir de l’eau
En son œil de verre porteur de mondes
Etouffés jusque là sous l’aisselle des calicots
Traversées de terres végétales de sauvagerie inculte de bruits de taureaux
Traversées de déserts
De villes chromées grattant du pied
De villes amazones croulant sous les trombes d’eau
Et qui va comme le rêve dans le rêve
Allègrement
Amassant les monceaux de mers les branchages l’avortement des saisons
Dans son silence auroral d’aubépines de ronces
Et qui retraverse encore les champs
Et encore et encore
Jusqu’à satiété
Jusqu’au trimbalement de ce piètre paysage dans le creux de la pupille
( Non ce n’est point une dévastation de gueux
Ce ne sont pas les îles à ouragan
)
Et qui ressent encore le besoin de traverser
Qui se met à voler sur les lieux-
Ils étaient cette aube où foisonnaient les rats
Le prêtre l’académique le troupier le foireux
Qui leur tressaient les jambes dans les bras
Eux la cristalline où se nouent les échos
Et les rats les rats d’égout de nuit de toute vomissure infinie
Palabrant toujours s’escrimant avec leur ombre
En cette détresse de finitude assommoir et auréoles
Nuit tangentielle nageant si bien dans ce clair-obscur
Dans cette eau rance
Travaillant si bien les argentages les fêtes foraines
( Ah ou irais-je moi après le paraphe
Montez-moi vers le canyon de Kef el Argoub
Quelque ville de H’jira ou Timacine
Cachez-moi sous la pierre de votre seuil
Videz-moi d’oubli je garderai bien les champs d’héroïne
)
Ah nuit qui fut notre parent notre sœur notre progéniture
Amalgame de troufions


Un train dans le noir qui partait
Ceci en ma mémoire crépinée
Tamisée de lucioles
Où viennent regarder des chevaux après l’étanchement de la soif
Avec des yeux lunatiques pervers
Et des ruminements lents de dents de profondes gorges
Qui voient
A travers l’eau lourde épaisse et si pressurée verte d’algues d’huiles d’olive coulées dans l’écorce de vieux arbres
Luire ces chevauchées anciennes fabriquées avec des bouts de hallali de légendes poudreuses
D’entrecoupements de contes kala raoui ya sadat
De parjures
Un monde autre tulipe
Un homme couchant aplati contre l’asphalte rieur qui donnerait l’oiseau
( Quel assaut vindicative monture
En quoi s’appuie l’élan
Qui peut hennir dans le bas matin
Ah montrez-moi mes pères mes aïeux mes enfants dont je serai l’orphelin de travers
)
Un monde autre gadget ripoliné de suie
Et il y a
Il y a tout l’harnachement qui se dépêtre qui vole en éclat
bourdataka ya salam
Rien sur le dos
Et apparaissent les épinoches comme dans un lac aux parois d’ivoire
Goût d’oxalide dans toute bouche voisine
Et tous ensemble le chant notre terre indivise
Kala raoui ya sadat
Par où le je commença au bruit du crissement parchemins qu’on déroule
Portant en eux l’écrit
L’illisible lettre d’insecte
En quelque lieu trace gerget el kihel ou grottes marines
Parchemins brûleurs de doigts de pupilles
( Mais qui donnera lecture en ce fond de matin grisâtre journée bouclée d’un ciel métallique ou cognent déjà des oiseaux
Quel vagissement
Avaient-ils sangloté dans les langes
Où sont les nourrices qu’on accula aux ergs
Quelle souris leur grignota la première incisive
)
L’étalement d’une mendicité née avec la lumière des yeux
Ou tout s’assombrit enrobé d’indigence
Ils étaient nos muets qui marchaient aidés de leurs bras de somnambules
De leur front pudique où l’archange n’avait rien encore tatoué
De leur âme inquiète à un bout de la glotte
Le je commencera par l’effacement de l’orateur
Le tout récipient arènes auditeurs qui thésaurisaient leurs lames en vue de ce jour-là
De tout fakir en instance de linge fatidique
Il n’y avait pas de puits les loups mangeaient assis astucieux Jacob qui incitait du trident
En Egypte les oiseaux picorent toujours les rêves
De sept à sept vaches onzième étoile et rêve
Ils étaient nous
Profondément nous
Nous agitaient comme l’onde d’un saule les soirs de mai
Ils consolidaient le peu de corde
Riaient des vents
Fuyant par jeu sous la pluie
Dans l’entortillement de leur bout de ficelle
Un bulletin scolaire
Leur première lettre d’amour
Leurs confidences à leur ombre qui n’y est plus déjà
Leurs sautes d’humeur
Leur silence qui pèse avec la nuit
( Ah écoutez les par delà la tombe
Ils nous emplissent notre silence de griffures de leurs ongles
Les apercevez-vous à l’aube sous l’arcade des portiques
Ils avaient l’odeur marine
Ils nous emplissent notre mémoire de visages cristallins
Ils sont là
Ils nous punissent
)
Un soir déjà nous avions vu
Des tombereaux tiraillés vers les décharges-charniers
Un ciel d’oiseaux énigmatiques braillards par tant de becs crissant
Des plis de nuit qui battaient l’horizon
Des points lumineux qui mouraient par écholocation dans un ciel nouveau
Le retournement de profils angulaires aux yeux qui les éjectaient très loin
Ils partirent silencieux en eux-mêmes
En vous-mêmes en moi
Parmi les rides de terres longtemps en jachère
Comme de jeunes parias ayant galvaudé la secte
Au matin ils turent le rêve
Ils étaient nous
Profondément nous
La où le jeu s’estompe
Où se dévoile un rien de décharge
( Ah aidez-moi mes amis mes amis
Qui êtes absents morts de peur
Lions tisserands tisserins
Par delà par de-ci la honte
Vomissures de quolibets acheteurs de linceul
Comme moi je
Qui saviez comme moi
)
Ils avaient pour unique bagage
Leurs sandales dans leurs mains
Nos propos de travers
Nos chuchotements mesquins
Nos dires de sicaires qu’ils incrustaient parmi les pores de la peau de la nuque
Nos visions quichotesques qu’ils avaient amadouées à coups de cils
Nos utopies burlesques
Un rien qui amoncelle les pleurs les flocons d’un ailleurs obstrué
En des rageurs de silence
Bruits de phoques
Gonflement de voiles pour un large immobile
Buveurs de petits poissons sous la férule des requins
( Sous quel eucalyptus siestez-vous Ahmed
A quelle ombre sentiez-vous le cisaillement de vos genoux
Dans quelle ombre douceâtre fêtiez vous vos lendemains
Les voici a vos pieds comme des catafalques sans ruban mortuaire
Velours chatouilleurs de doigts
Vos lendemains assemblage de dentelle
Où fourmille une aiguillée de rayons solaires
)
En cette absence initiée aux vœux des stèles
Des ifs morts litanies
Pourquoi grandirent -ils dans le rond solaire diriez-vous
En cette absence lavée délavée par le clapotis de l’eau
L’eau amen siccative en un sens de trouble
Ils avaient l’âge du prochain printemps
Le visage plein de boutons
Ils nageaient gonflant les voiles
Dilapidant les nuits
Faux viveurs
Niaisant les pluies
Rêvant de clairs rêves de jour
Partant toujours
Retour à l’aube la nuit entre deux canicules
Ils emmagasinaient sous le front les simouns les siroccos les ouragans
Qui les faisaient trébucher en leur fond innocent
Tard ils mettaient parfois un genou à terre
Pour haleter sur la poussière des routes qui voyaient en eux
Jaloux face à tant de force
Mais que dirait la plume bâtarde
En ce sommier de peau belliqueuse
Avec l’encre résidu des derniers varechs
Supputations de tant d’eaux océanes
Les feux larmes des îles fantômes
Qui diraient mon courbement d’échine
La moiteur des doigts gagnés par le scorbut
Tes doigts, ami, Ahmed
Le fil arachnéen qui délivre la nuit romanichelle
Dans le calme des toitures à oiseaux
Face aux brises d’une grève rompue
Avec le retardement des litanies
La nuit romancière dictant scandant les feux
Une mère nouvelle, fils de ma mère
Gantière altière couvant même sa voix
Très loin du lieu
A l’écoute- entendez-vous le battement des tympans
Aguerrie dans sa sagesse de gloutonne
Qui nous cisela si bien les courroies
Avec sa redondance gagée
Mère pratique aux doigts d’airain
( Où serais-tu sauvé, fils de ma mère
En ce labyrinthe qui mène à l’eau
Quel tribut de guerre fils de ma, Yacine
Voire les murs suintant de froidure
En quelle tour qu’elle-même battit très haut
Qui nous touchait les pupilles d’une nouvelle lumière
Cherchiez-vous un auvent sous quelque terrasse
)
La nuit qui va heurtée de rêves de projets pour nous
Déjà debout sur son tremplin
Qui nous attend grandement dans sa tenue d’apparat
Avec sa voix lénitive
Nous les fils légitimes, fils de ma mère
Qui roulions de par ce dédale arachnéen
La nuit romanesque qui fulmine contre mon nom
Mon nom de noirceur de péchés
Qui lâcha- moi complice
Vous
Et tous les autres tartares qui se maintenaient par delà les soupiraux
Mondes stationnaires ce jour-là comme la nuit
La nuit maternelle ou nous avions bu enfants des laits exquis
En son giron de femme historique peignée si peu.
Tout écrit appose la croix pour l’arrêt de son signataire
Avec ma nuit
Mes sicaires
Leur ordonnance, moi, fils de ma mère
Leur pourriture première qui sait si bien son alphabet
Ruminant des horizons d’éclat
Déterreur, roturier, tripier, en plein gonflement de charnier
( Ah je sens l’odeur des houris
Qui m’envahissent les larmes des yeux
Un tantinet de sainteté m’enroba le poing
Ils étaient comment dit une voix
Transparence transparence
Ils étaient le vrai vent
Presque sans ombre
Cognant de front les citadelles
Ils partaient par toutes les portes de la ville
Transparence
)
Pourtant un rien embellit la ville
Fallait-il tant de broussaille de mélèze
Des horizons clapotant leurs mouchoirs au bas des pierres
Tactique de guerre mot ordure sur toute bouche dévoreuse
Gens de cette terre indivise honte sur vous et sur toute postérité macabre
Et l’autre
L’autre en sa gloire de chérubins
Gagné par la gloriole des capitaines au long cours
Qui sombrent avec les vaisseaux
Fusillant l’équipage
Avec sa voix d’ange
Avec ses mots contraires
Son œil pourtant clair qui voile le jeu des requins
Qui fut là par un coup du ciel
Par un coup de poker
Sauveur anathème guide fuyard
Il s’emportait sur les carreaux de verre
Dressant de fausses potences
S’en allant par delà les baraquements plein des péchés de chats
Il ne rodait pas en leader
En fit des tas
( Ah quelle mort pour nous
Quels vers
En quelle argile dolomitique de quel âge
La froidure
Mais nous ne sommes déjà plus
Nous ne rôdons plus
Ce chiffon de peau qui nous trimbale
En notre terre pervertie
Nous sommes ces épouvantails habillés d’oiseaux-ils nous picorent les yeux)
En ce jour de rupture
Ou seuls tracent le ciel les oiseaux
Vont-ils dans quelque pays
Seraient-ils les derniers prodiges
Ils sont oiseaux comme nous autres oiseaux
Qui marchons sur un sol gluant plein d’âmes râlant
Nous allons notre chemin de misère
Notre automne bourbeux
Le visage buriné par le manque de courage
Hélant le pavé des rues et les fenêtres closes
Les vieilles femmes cachant les cailloux et les quolibets sous le châle
A pavaner en ruelles tachées de sang
Vous les autres
Et tout semeur de florilèges
Dans le calme imbu de terreur
Astrologues altiers qui reveniez d’un terrain de coursiers
Vivant par le remuement des planètes
L’écrasement des rhizomes
Vous voici les voici les enfants de la glèbe
Chair de notre chair qui avait envahi les canons
Dans le ruissellement des larmes de crocos qui relancent les fleuves
Voici notre vision chimérique puisée en Samarie
Sur de loqueteux bambins qui bravent le dernier sang des parents
Ribambelle d’enfants acculée au bastingage
En cette année de sécheresse sauterelles et quelque inondation
Ah vous êtiez fiers
Vous les autres
Et les couchis de fleuve bâtisseurs de glissoire
Qu’on dépêcha depuis les pays tartares
Qui étaient là bien avant le carnage
Vivant leur rêve carminé de sang
( Une vieille qui n’a plus ses dents
Demanda où sont les enfants
T’en fais pas répondirent les imbéciles de pères
On en refera
A croire
Qu’il suffit de fermer les persiennes
Et d’écouter un tango
)


Les prairies.
Il s`en allait.
De prairie en prairie.
Prairie saupoudrée de pivoine. De feuilles de roseaux asséchées. Prairies jonchées de
feuilles de cerises. D`ou viennent-elles ! Du bout du monde. Quel est le bout du
monde...
Il allait de prairie en prairie.
Les prairies venaient à lui. Et les vallées. Et les montagnes. Humbles. Elles
montaient, accoudées au lit des fleuves, timidement, silencieuses. Elles s`étalaient à ses pieds. A l`infini. Quand le pas scandait, quand le pas s`oubliait elles se dessinaient sur un fond de ciel passablement bleu à coups de jaune, rouge, mauve.
Il marchait encore et encore marchait.
N`avez-vous point compris qu`il a les yeux écrasés et sa main est dans la main du serviteur ?
Il lui dit. Il lui parle. Déjà la prairie. Déjà la montagne. Déjà le creux de l`oued. La vallée. Un sentier. Un monticule. Un verger. Un corbeau vient de passer un brin d`herbe sur les yeux de son compère. Est-ce le même, demande-t-il ! Non dit le serviteur. L`aveugle demande si sur le chemin il y a des enfants. Et le serviteur sans parler affirme qu`il est encore trop tôt ...
L`aveugle demande si on est toujours dans un cadre de prairie.
Et le serviteur répond qu`on n`a pas dépassé le cadre de prairie.
L`aveugle demande si on peut trouver encore des enfants.
Et le serviteur affirme, silencieusement, que cela est possible.
Il lui demande de le mener là où sont les enfants.
De prairie en prairie.
Puis le serviteur, par deux fois déclare qu`il peut parler. Ils l`écoutent.
Il demande comment sont-ils.
Je ne peux pas dire, je ne veux pas me tromper, dit le serviteur.
Parle dit gravement l`aveugle. Puis presque d`une voix atone : de prairie en prairie ; je sens une odeur de prairie ; ce bruit d`essaim d`insectes...
Oui dit le serviteur, nous sommes en plein dans la prairie et ils viennent à toi. Légers dans leurs voiles de papillons. Comme le pèlerin. L`oiseau dans les matinales. L`insecte. Ils voltigent tout autour de toi. Ils sont heureux. Ils t`écoutent.
Alors lui se met à bruisser des lèvres, du nez, des paupières, des pommettes. De prairie en prairie.
Puis le serviteur demande s`il a terminé.
Et lui : m`ont-ils écouté ?
Ils t`écoutent dit le serviteur.
M`ont-ils compris ?
Ils te comprennent aisément dit le serviteur.
Continuons à marcher, ajoute-t-il.
Continue à leur parler.
Une autre prairie. Un mur de bois. Le zézaiement atteint son paroxysme. Puis le bruit qui s`éloigne. Qui revient. Un coude de rivière. Je ne sens plus l`odeur des déserts.
Nous sommes toujours dans la prairie, dit le serviteur qui ajoute : ai-je à te frotter les yeux d`herbes.
Non dit l`aveugle
Puis des prairies. Des vallées qui font coucher les blés abandonnés. Des Seybouses traînant de l`humus et quelques galets.
Puisque c`est un aveugle en marche. Puisque c`est un aveugle qui monologue. Où
sont les enfants, vient-il de répéter. Le reste de la ménagerie ne m`intéresse pas. Charançon, chique, termite, tsé-tsé, hippodrome, grand duc, paon, lièvre, hippocampe, marouette, raton laveur, serpent corail, cobra...
Maintenant il faut fuir avec les oiseaux, les papillons, tout droit, par jeu, dans la prairie, dans le cœur de la prairie, dans le bruit de la prairie ...

6-10 Octobre 1988 à Oued Nissa
Region de H’jira - Tougourt

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