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Histoire et enjeux d’un mythe anthropologique : les Quimos de Madagascar à la fin du 18e siècle 

mardi 9 mars 2010, par Jean-Michel Racault

« Tous les monstres ne sont pas en Afrique », affirme un ancien dicton [1], ce qui est quand même une façon de reconnaître dans le continent noir le territoire élu de toutes les aberrations naturelles. « Autre » de cet « autre » qu’est déjà l’Afrique continentale, l’île de Madagascar telle qu’elle apparaît dans les représentations de l’Age Classique condense et même exaspère, ainsi qu’on a tenté de le montrer ailleurs [2], cette thématique de l’écart sous les deux aspects apparemment contradictoires mais en réalité complémentaires du merveilleux et du monstrueux.
Ile des monstres et des merveilles, Madagascar l’est d’abord par l’étrangeté déroutante de sa faune. Les lémuriens, primates archaïques spécifiques à la Grande Ile dont certaines espèces sont remarquables par leur bipédie et leur faciès humanoïde, sont interprétés dans les légendes malgaches comme des « esprits de la forêt » anthropomorphes associés au culte des Ancêtres et aux récits mythiques concernant les Vazimba, les premiers habitants de l’île [3]. Flacourt, présentant dans sa monumentale Histoire de la Grande Isle Madagascar (1658) un grand lémurien aujourd’hui éteint, le Mégaladapis, le décrit comme « un animal grand comme un veau de deux ans qui a la tête ronde et une face d’homme, les pieds de devant comme un singe et les pieds de derrière aussi […], le poil frisoté, la queue courte et les oreilles comme celles d’un homme » [4].
Ce statut intermédiaire entre l’animal et l’homme ou entre la Nature et la Surnature est aussi, pour en venir à notre sujet, celui des êtres fabuleux appartenant aux croyances malgaches. Aux sept classes d’esprits et de démons dont Flacourt dresse une typologie minutieuse [5] tels que les Coucoulampous, apparentés à nos fées ou lutins, les Loulouvocarts ou morts-vivants, les Angats ou spectres et fantômes, il faut ajouter encore une foule de créatures inquiétantes ou monstrueuses issues du folklore comme des « filles des eaux » assimilables à nos ondines ou mélusines, des géants, des gnomes… [6] C’est à cette dernière catégorie, qui ne relève pas de la démonologie proprement dite mais plutôt d’une tradition orale sans valeur religieuse, que Flacourt rattache la croyance, largement répandue parmi les Malgaches eux-mêmes, en l’existence, dans une région inexplorée du sud-ouest de l’île, d’une population naine qu’il considère pour sa part comme un mythe :
« Quelques-uns ont voulu faire croire qu’il y avait des géants et des Pygmées : je m’en suis informé exprès, ce sont des fables que racontent les joueurs d’Herravou [c’est-à-dire les ménestrels qui diffusent les légendes populaires] » [7].
C’est pourtant cette fable – si toutefois c’en est vraiment une – qui va brusquement changer de statut auprès des naturalistes des années 1770-1780 pour devenir une découverte scientifique majeure et un argument de premier plan invoqué par les promoteurs de la toute nouvelle « science de l’Homme ». Les Pygmées malgaches ou Quimos (forme francisée du nom vernaculaire Kimosy ou Anakimosy, qui désigne à la fois la tribu à sa province d’origine) échappent soudain au monde lointain du folklore insulaire pour entrer dans le débat public des lettrés européens, ceci par l’entremise des voyageurs ou administrateurs en relation avec la Grande Ile, bientôt relayés par les journaux puis validés par les plus hautes autorités du monde savant ; de sorte qu’une vague tradition locale étayée par des témoignages très incertains a fini par faire figure de « vérité scientifique » incontestable, ou du moins suffisamment établie pour appuyer des thèses anthropologiques [8]. A quelques nuances près le même phénomène s’est produit à la même époque autour de ces autres cas de « variétés dans l’espèce humaine » pour reprendre la formule de Buffon, que furent les prétendus géants de Patagonie ou à l’inverse les Hottentots du Cap, paradigmes d’une animalisation de l’homme [9].
Ce travail souhaiterait donc retracer l’histoire du mythe des Quimos dans les dernières décennies du 18e siècle. Ce faisant, on s’intéressera aussi aux canaux par lesquels chemine l’information scientifique et aux processus de validation que celle-ci met en œuvre. On s’interrogera enfin sur les fonctions que remplit à l’époque où il se développe le mythe anthropologique des Quimos, en particulier du point de vue de l’épistémologie biologique et des sciences de l’homme naissantes : y a-t-il continuité ou discontinuité de l’homme à l’animal ? Faut-il parler d’unité ou de pluralité du genre humain ? A quel type de déterminisme répondent ses apparentes variétés ?

1- Les origines du mythe : Maudave et la colonisation de Madagascar

Il y a plusieurs manières d’aborder l’histoire des Quimos. La plus évidente et d’une certaine façon la plus légitime consisterait sans doute à se demander ce qui est vrai dans cette tradition orale et en particulier ce qu’elle peut apporter à la connaissance des origines du peuplement de la Grande Ile, objet d’innombrables débats. Si les anthropologues ne croient plus guère aujourd’hui aux origines juives ou judéo-arabes évoquées par Flacourt [10] et mettent surtout l’accent sur les racines malayo-polynésiennes, ils n’ont pas vraiment de réponse à apporter aux traditions concernant les populations pré-malgaches ou proto-malgaches appelées Vazimba, dont on dit qu’elles étaient de petite taille, avaient la peau jaune, ne pratiquaient pas la circoncision et ne construisaient pas de tombeaux [11]. Ces caractéristiques correspondent à peu près à celles qui sont prêtées aux Quimos, lesquels, comme d’autres tribus de chasseurs-cueilleurs encore présentes aujourd’hui tels que les Mikea, auraient donc pu être les descendants de ces premiers habitants de l’île. Mais l’hypothèse parfois formulée d’une ancienne population de Bochimans ou de Pygmées à Madagascar n’a jamais été scientifiquement confirmée [12]. Quant au terme même de Pygmées utilisé par divers auteurs du 17e et 18e siècle – dont aucun d’ailleurs n’a jamais approché les individus concernés – il ne crée à l’époque aucun effet d’authenticité ethnographique, étant dépourvu de référent réel : jusqu’à la découverte tardive des Pygmées d’Afrique centrale, dans la seconde moitié du 19e siècle [13], le nom n’évoque qu’un bref passage d’Homère et quelques allusions des auteurs classiques [14], en somme il renvoie aux créatures fabuleuses de la mythologie, aux côtés des Satyres, Troglodytes, Cynocéphales, Sciapodes, Blemmyes et autres monstres du bestiaire fantastique plus ou moins récupérés par la démonologie chrétienne [15].

Tyson, édition de 1699

Mais il est plus pertinent pour notre propos de nous demander pourquoi et comment la fable des Quimos cesse soudainement d’être une fable. Ceci se produit à un moment où le contexte politico-culturel réunit toutes les conditions susceptibles de favoriser une réception optimale auprès de l’opinion européenne : relance de la colonisation de Madagascar, retour de l’expédition de Bougainville, débats autour du gigantisme supposé des Patagons, controverses sur les frontières entre les espèces et la question de l’unité ou de la diversité du genre humain.
La fortune publique des Quimos s’ouvre avec la tentative de recolonisation de Madagascar à partir de l’île de France voisine conduite de septembre 1768 à février 1771 par le comte de Maudave avec le soutien du duc de Praslin [16]. Maudave se propose d’abord de relever l’ancien comptoir de Fort-Dauphin, abandonné par les Français après le massacre qui mit fin en 1674 à la première colonisation, puis dans une seconde étape de procéder à une conquête pacifique de l’ensemble du territoire :
« Je ne fais aucun doute que, si le gouvernement entre dans mes vues, j’embrasserai l’île dans la totalité d’un établissement général » [17].
Gros colon ruiné, mais aussi homme des Lumières et correspondant de Voltaire, Maudave conçoit un plan de colonisation original, fondé sur l’anti-esclavagisme, la coopération pacifique avec les Malgaches et le métissage futur des deux peuples, dont les résonances utopiques séduisent Bernardin de Saint-Pierre, recruté comme ingénieur chargé des fortifications [18], mais qui devait très vite aboutir à un échec : les Européens sont décimés par les fièvres, des expéditions militaires malencontreuses se soldent par des massacres de part et d’autre, Maudave lui-même trahit ses beaux principes en envoyant une centaine d’esclaves malgaches pour renflouer ses plantations de l’île de France, où son entreprise est mal vue par les autorités et soumise à une asphyxie budgétaire qui le contraint à l’abandon [19].
Si la personnalité de Maudave nous importe, c’est qu’il est l’auteur du premier en date des écrits sur les Quimos (« Mémoire sur un peuple singulier nommé les Quimos », 1769) et que ce texte est la source à peu près unique de tous ceux qui suivront. Une reproduction en principe littérale – mais la chose est difficile à vérifier, l’original du mémoire de Maudave n’étant plus accessible aujourd’hui – en a été faite dans le Voyage à Madagascar et aux Indes Orientales de l’abbé Rochon (1791).
Selon cette transcription, Maudave dit avoir reçu à son arrivée à Fort Dauphin, en septembre 1768, un mémoire antérieur sur le sujet dont il ne précise pas l’auteur [20] : si loin en somme que l’on remonte, c’est toujours à de l’écrit que nous avons affaire, le témoignage direct se dérobe et pas plus que ses successeurs Maudave n’a vu les Quimos, excepté un individu unique qu’on lui a donné pour tel. En revanche les témoignages indirects abondent, notamment ceux des chefs malgaches qui ont eu maille à partir avec eux dans des opérations militaires qui ont souvent mal tourné, et ils ne cachent pas leur aversion pour cette « race de singes » [21]. Le portrait physique est succinct : trois pieds cinq pouces, gros, trapus, peau claire, cheveux courts et cotonnés. D’après le chef Remouzaï, les femmes n’ont pas de poitrine et ne sont pas sujettes au flux menstruel, ce qui les situe en marge des caractéristiques biologiques habituelles de l’espèce humaine. Quant à leurs mœurs, elles sont à la fois pacifiques et belliqueuses : les Quimos offrent des vivres aux étrangers qui traversent leur territoire, mais sont des guerriers redoutables pour qui se risque à les attaquer. Leur situation géographique, à soixante lieux au nord-ouest de Fort-Dauphin, dans une vallée fermée de très hautes montagnes, offre des convergences avec la clôture spatiale propre aux localisations utopiques, ainsi dans l’Eldorado de Candide.
Bien qu’ébranlé par le scepticisme de Flacourt, qu’il cite, et déçu de l’échec de l’expédition de reconnaissance qu’il a envoyée sans parvenir à approcher la région concernée [22], Maudave a une bonne raison de ne pas tenir les Quimos pour une fable : il a acheté à un chef malgache une esclave d’une trentaine d’années capturée à l’occasion d’une guerre et qui passe pour appartenir à cette nation, dont elle présente les caractères : taille de trois pieds sept pouces, peau très claire, absence de mamelles. Il note certains traits simiens comme le développement des bras, qui atteignent l’articulation du genou, ou l’aspect des mains, qui « ressemblent assez à la patte d’un singe », caractéristiques interprétées dans certains des textes ultérieurs comme l’indice tangible d’une continuité de l’animal à l’homme. Les spécialistes du siècle dernier ont émis l’hypothèse d’un cas d’achondroplasie, pathologie dont le tableau clinique est compatible avec la description de Maudave. Ce dernier du reste, malgré cette « preuve » apparente, reste extrêmement prudent quant à l’existence des Quimos :
« L’on doit au moins suspendre son jugement, et être fort circonspect sur la foi à donner à des phénomènes qui paroissent autant s’écarter des règles générales, lorsqu’elles s’étendent sur un certain nombre d’individus [23]. »
Mais conclut-il, « une vraie race de Pigmées vivant en société est un phénomène qu’il n’est pas permis de passer sous silence » [24].

2 – Commerson et la cristallisation du mythe

Hypotexte de tous les écrits ultérieurs sur le sujet, le mémoire de Maudave n’était pas destiné à être publié. Ce n’est plus le cas sans doute avec celui de Commerson, qui lance véritablement les Quimos sur la scène européenne et en fait un objet de débat dans le monde savant puis bientôt dans l’opinion. Naturaliste de l’expédition de Bougainville, Commerson, s’y est illustré comme on sait en faisant voyager sous un déguisement masculin sa servante Jeanne Baré, sans tromper d’ailleurs les Tahitiens qui détectèrent immédiatement l’usurpation d’identité, et aussi en publiant dans le Mercure de France de novembre 1769 le premier compte rendu de l’escale à Tahiti, magnifique texte d’un rousseauisme lyrique qui a beaucoup plus fait pour le mythe tahitien en France que la relation publiée plus tard par Bougainville lui-même, le Supplément de Diderot en est la preuve.
On sait moins en revanche, et c’est un élément essentiel pour notre sujet, que Commerson, en suivant l’expédition dans le détroit de Magellan au cours du voyage aller, avait à la suite de beaucoup d’autre rencontré les fameux Patagons et pris une position très en pointe dans le débat qui faisait rage alors sur leur gigantisme supposé [25]. La thèse du gigantisme, qui remonte à Pigafetta, vient d’être relancée par le récit (anonyme) du voyage du Commodore Byron, publié en 1767, et par l’intense campagne de presse animée par le Docteur Maty, secrétaire de la Société Royale de Londres, avec l’appui de Carteret, lieutenant de l’expédition de Wallis, campagne relayée en France par la Lettre sur les Géants Patagons de l’abbé Coyer (1767) [26]. Même si trois expéditions en direction des Malouines entre 1765 et 1769 n’ont pas permis à Bougainville de confirmer le fait, et même si les compagnons de Wallis concèdent que ces géants qui n’excèdent jamais huit pieds ne sont peut-être pas aussi grands qu’on l’avait prétendu, les sceptiques comme La Condamine et Don Pernety font amende honorable, Cornélius de Pauw, fidèle à sa thèse de la « dégénération » des Américains, maintenant seul sa position initiale [27]. Commerson crée donc une manière de scandale en affirmant que les Patagons qu’il a observés personnellement dans le détroit de Magellan mesuraient en moyenne 5 pieds 6 à 8 pouces et qu’aucun n’excédait 6 pieds, tailles presque ordinaires en Franche-Comté, en Suisse ou en Allemagne, fort loin des témoignages fantaisistes leur attribuant 9 pieds ou plus. Ses observations sur les Quimos sont évidemment à situer, lui-même d’ailleurs le précise [28], sur la toile de fond de la querelle sur le gigantisme des Patagons.
A l’escale de l’île de France sur la route du retour, Bougainville a consenti à la demande de l’intendant Pierre Poivre à se séparer de son botaniste, qui ne lui était plus indispensable, pour confier à celui-ci l’inventaire naturaliste des Mascareignes [29].C’est dans ce cadre que le naturaliste effectue une mission de quatre mois à Madagascar à la fin de l’année 1770, s’appuyant sur l’entreprise coloniale de Maudave à Fort-Dauphin, qui n’est plus que mollement soutenue par les autorités. Son mémoire « Sur un peuple nain de Madagascar », qui sera maintes fois republié et fera l’objet de diverses exploitations éditoriales, prend initialement la forme d’une lettre adressée de l’île Bourbon le 18 avril 1771 à son ami l’astronome de Lalande, lequel la fait paraître sous deux formes différentes. La première publication, celle du Journal des Sçavans de décembre 1771, intitulée « Lettre sur un peuple nain de l’Isle de Madagascar », est en fait une présentation parfois résumée, parfois enrichie de commentaires, mais rédigée par Delalande, du texte de Commerson [30]. Ce dernier est en revanche directement reproduit en annexe à un ouvrage dont le titre trop connu peut prêter à confusion, le Supplément au voyage de M. de Bougainville ou Journal d’un voyage autour du monde fait par MM. Banks et Solander, prétendument traduit de l’anglais par M. de Fréville [31]. Aucun rapport bien entendu avec le Supplément de Diderot, et pas beaucoup non plus avec Banks et Solander, lesquels dénoncèrent cette pseudo-traduction fantaisiste. La lettre de Commerson, ou du moins la partie concernant les Quimos, sera republiée ensuite dans les Voyages de l’abbé Rochon (1791 et 1801) [32] et auparavant dans les Additions de 1777 au chapitre « variétés dans l’espèce humaine » de l’Histoire Naturelle de L’homme de Buffon [33].
Dans sa version complète, telle qu’elle a été publié par Montessus, le biographe de Commerson, la lettre sur les Quimos s’ouvre sur des considérations méthodologiques omises ailleurs [34]. Le savant exprime son enthousiasme pour Madagascar, « véritable terre de promission pour les naturalistes » où la nature semble « travailler sur d’autres modèles que ceux auxquels elle s’est asservie dans d’autres contrées. Les formes les plus insolites et les plus merveilleuses s’y rencontrent à chaque pas », et qui disqualifie les « spéculateurs de cabinet » et leurs « vains systèmes », car « toutes les lignes de démarcation qu’ils ont tracées s’évanouissent à mesure que les genres et les espèces indéterminées comparaissent » [35]. Hostile à Linné, Commerson dénonce le caractère factice et purement intellectuel des systèmes de classification, incapables de rendre compte de l’infinie diversité de la nature, ne serait-ce qu’en raison du principe de continuité entre les espèces, lequel vaut également dans le domaine de l’humain.
C’est en effet ce cadre épistémologique qui est à l’arrière-plan de la présentation des Quimos en parallèle avec celle des Patagons, mais il évoque aussi les Lapons mis à la mode par le voyage de Maupertuis : des géants ou prétendus tels d’une part, des « demi-hommes […] qui donnent dans l’excès opposé [36] » de l’autre, en somme deux cas-limites illustrant les variétés infinies du genre humain, mais celui-ci doit lui-même se concevoir comme un simple maillon de la grande chaîne des êtres :
« Ôtez-leur la parole, ou donnez-la aux singes grands et petits, ce seroit le passage insensible de l’espèce humaine à la gent quadrupède [37]. »
La réflexion rappelle les paroles que Diderot dans Le Rêve de d’Alembert prête au cardinal de Polignac s’adressant à l’orang-outang du Jardin du Roi : « Parle, et je te baptise » [38]. L’idée est la même : dans une épistémologie du continu où la transition s’effectue graduellement d’une espèce à une autre, il ne peut pas non plus exister de rupture radicale entre l’animal et l’homme.
Quant aux éléments factuels contenus dans le mémoire de Commerson, il est clair qu’ils procèdent à peu près d’une seule source, celui un peu antérieur de Maudave, complété par les notes prises par le naturaliste à Fort-Dauphin sur le journal de son hôte [39]. Commerson donne cependant à sa peinture des Quimos une tonalité primitiviste et une dimension utopique qui sont nettement moins présentes chez Maudave, soulignant à la fois, de façon assez peu cohérente, leur amour de la paix et leur vaillance guerrière, justifiée par l’attachement farouche à la liberté de ce peuple dont les mœurs pastorales rappellent par ailleurs la Bétique du Télémaque [40]. Quant à l’observation de la jeune esclave, qu’il érige de façon un peu imprudente en « preuve » de l’existence des Pygmées de Madagascar, il lui donne une conclusion pathétique en rapportant son exil à l’île Bourbon et sa mort due au chagrin d’avoir perdu de vue ses montagnes natales.
Les matériaux documentaires étant d’autant plus ténus qu’ils sont presque entièrement empruntés, il reste la réflexion biologique qu’en tire le naturaliste. Voyant dans cette nation nouvellement découverte « une nouvelle dégradation de l’espèce humaine » – entendons par là une gradation dans l’ordre descendant – « qui a son signalement caractéristique comme ses mœurs propres » [41], il en conclut que la série des espèces n’est pas close et qu’on ne peut fixer de terme à la fécondité de la nature. Celle-ci a pu « s’être habituée en quelque coin de la terre, à faire sur toute une race ce qu’elle nous paraît avoir ébauché, comme par écart, sur certains individus qui ne s’élèvent qu’à la taille des poupées ou des marionnettes, tels, par exemple, que le nain du roi de Pologne, duc de Lorraine » [42]. Ce qui revient à nier qu’il existe une différence radicale entre la variation accidentelle dans l’individu, dont le produit est ce qu’on appelle un monstre, et la variation collective héréditairement transmise, d’où il résulte une sous-espèce voire une espèce nouvelle : si la nature est capable de la première, pourquoi ne le serait-elle pas de la seconde ? On comprend mieux alors la témérité intellectuelle de Commerson concluant à l’existence des Pygmées de Madagascar à partir de l’unique cas dont il ait été le témoin oculaire, celui de la petite esclave Quimosse : c’est la marche même de la Nature qui autorise ce saut hardi du singulier au collectif. Quant aux causes de l’altération qui fait que « notre taille est à celle du Lapon, à peu près comme celle-ci est à la taille des Quimos » elle serait dans les deux cas d’ordre climatique. Explication surprenante vu la latitude de Madagascar, qui n’est pas celle de la Laponie, mais Commerson, jamais à court d’arguments, invoque les hautes montagnes où ils vivent (évaluées non sans exagération à une altitude de 1600 à 1800 toises) et les effets nanifiants de l’adaptation « alpicole » déjà constatés sur les arbres…

3 – De Commerson à Buffon : les Quimos et la théorie des espèces

Ces convictions et ces affirmations sont loin d’être toutes partagées par Buffon, qui reproduit en le lestant de beaucoup de réserves le mémoire de Commerson dans ses additions de 1777 au chapitre « Variétés dans l’espèce humaine » de l’Histoire Naturelle de l’Homme. Cette publication qui correspond si l’on peut dire au sommet de la carrière scientifique des Quimos marque aussi le début de leur déclin.
Dans sa dernière version, considérablement étendue, le chapitre rassemble une foule de témoignages et d’observations anthropologiques, souvent empruntés à des voyageurs, auxquels l’auteur n’adhère pas toujours. Inséré entre un développement sur les gradations de couleur chez les populations noires et une synthèse des connaissances sur la fameuse question du gigantisme des Patagons, le mémoire « Sur les nains de Madagascar » [43], suivi d’un commentaire assez critique où Buffon prend nettement ses distances avec Commerson, s’inscrit pour lui dans une triple réflexion : sur les limites de l’espèce humaine et sur ce qui la sépare du monde animal d’abord ; sur les critères des variations à l’intérieur de l’espèce et sur les causes de ces variations ensuite ; enfin, sur la critique des sources en anthropologie et la nécessité de distinguer le factuel du fabuleux.
Commerson, on l’a vu, contestait le principe même de la taxinomie linnéenne, étendant démesurément au risque de la dissoudre la notion d’espèce, qu’il distingue mal de celle de variété : il reproche à celui qu’il appelle ironiquement « le Dioscoride du Nord » de borner les plantes à 7 à 8000 espèces alors que lui-même se targue d’en avoir à lui seul collectionné quelque 25000 ! [44] Pour lui, pas de frontière de l’homme à l’animal, mais une transition insensible à partir des formes-limites de l’humain :
« La première nuance après l’homme est celle des animaux anthropomorphes ou à figure humaine, dont il serait fort à désirer de connaître toutes les séries, parce qu’elles établissent un passage insensible de l’homme aux quadrupèdes [45]. »
D’où son intérêt pour les Quimos, dont il relève – ce qui s’accorde assez mal avec la tonalité idéalisante du portrait qui en est fait – certaines caractéristiques nettement simiennes comme la longueur excessive des membres supérieurs. Pour Buffon au contraire la séparation de l’homme et de l’animal est radicale, infranchissable :
« Il n’y a pas dans la nature d’êtres moins parfaits que l’homme et plus parfaits que l’animal par lesquels on descendrait insensiblement et par nuances de l’homme au singe [46]. »
A ses yeux, aucune transition possible entre les plus perfectionnés de ces derniers, comme les orang-outangs, et les formes d’humanité les plus dégradées, incarnées par les Lapons ou les Hottentots – auxquels Commerson serait assez tenté d’ajouter les Quimos. De ce fait l’exemple de ces derniers perd sa valeur probante, puisqu’ils sont pour Buffon, s’ils existent, une variété accidentelle à l’intérieur de l’espèce, non un passage possible vers une autre espèce.
Pour Buffon semble-t-il, leur intérêt est d’illustrer deux des critères des variations à l’intérieur de l’espèce humaine, lesquels sont la couleur, la forme, la grandeur et le « naturel », ce dernier terme regroupant le caractère et les mœurs. Il les donne pour « un peuple de nains blancs » [47], ce que Commerson nuançait en ajoutant « ou du moins plus pâle en couleur que tous les noirs connus » [48]. Quant à la taille, Buffon tend à la considérer comme un critère de spéciation décisif, au même titre que l’interfécondité, et comme un caractère éminemment stable au sein des grandes espèces, notamment chez l’homme. C’est la raison pour laquelle l’existence des géants patagons le gêne – il finira pourtant par s’y convertir [49] – car, a-t-on dit, « elle pourrait compromettre l’idée de l’unité de l’espèce humaine » [50]. Il en est un peu de même de l’infraction inverse à la norme humaine de grandeur représentée par les Pygmées malgaches ; mais sur ce point Buffon est tout prêt à adhérer à l’explication climatique par l’altitude avancée par Commerson, car « il doit y faire assez froid pour les blanchir et rapetisser leur taille à la même mesure que celle des Groenlandais et des Lapons » [51], explication qui pourrait aussi s’appliquer aux montagnes du Tucuman ou d’Ethiopie, où certaines traditions très incertaines signalent également des Pygmées. Ceux-ci devraient alors être considérés comme une variation accidentelle ne remettant pas en cause l’unité de l’espèce.
Reste à s’assurer qu’il y a bien des Pygmées à Madagascar, et sur ce point, dit Buffon, « je doute encore beaucoup de la vérité des faits allégués et de l’existence réelle d’un peuple de trois pieds et demi de taille ; cela est au moins exagéré » [52]. Ces nains ne sont-ils pas en réalité plus grands qu’on le dit, de même qu’il a fallu en rabattre beaucoup sur les douze pieds prêtés aux géants Patagons ? Buffon fait écho sans le dire à la boutade de Commerson à l’adresse des « amateurs de merveilleux », s’excusant auprès d’eux en ouverture de son mémoire d’avoir contribué à détruire le mythe des géants du détroit de Magellan et s’offrant en compensation à les dédommager au moins avec des Pygmées malgaches. Ce trait d’humour a pu quelques décennies plus tard susciter des doutes sur le sérieux de ses recherches chez un spécialiste de Madagascar comme Eugène de Froberville [53]. Buffon ne va pas jusque là. Mais sans doute est-il significatif qu’il termine l’examen des Quimos par une petite dissertation para-mythologique, rappelant que « l’opinion ou le préjugé de l’existence des Pygmées est extrêmement ancien : Homère, Hésiode et Aristote en font également mention » [54] ; ce qui revient au moins à jeter le soupçon sur un prétendu témoignage si anciennement enraciné dans le fabuleux.
Chez des savants qui ont une envergure de théoriciens comme Commerson ou Buffon, le cas des Quimos vient donc s’inscrire dans une science de l’homme et même dans une épistémologie des sciences de la Nature. Ce qui les différencie, outre le principe de cette épistémologie – elle repose sur la continuité des espèces chez l’un, sur une relative discontinuité chez l’autre –, c’est bien sûr la notoriété (Commerson, esprit brillant, est mort prématurément en 1773 sans avoir eu le temps de publier ses travaux), mais aussi le tempérament et la méthode : Commerson ne retient des faits que ce qui stimule sa réflexion sans prendre la peine de les vérifier, Buffon plus prudent les soumet à une rigoureuse critique des témoignages.

4 – Les Quimos et le Sauvage des Lumières : voyageurs et vulgarisateurs

Que devient le mythe des Quimos entre les mains des voyageurs et des vulgarisateurs des années 1780-90 ? Après Buffon, ils cessent apparemment d’être un enjeu scientifique majeur sans pour autant quitter la scène, car leur existence incertaine nourrit des polémiques à la fois idéologiques et personnelles.
C’est précisément cette question de la vérité et de la fable que posent les quelques pages consacrées aux Quimos par l’astronome Le Gentil de la Galaisière dans son Voyage dans les mers de l’Inde (1779). Envoyé par l’Académie des Sciences dans l’océan Indien pour y observer le transit de Vénus sur le disque du Soleil de 1761, qu’il manqua, il resta dans l’océan Indien jusqu’au second transit en 1769. C’est donc un excellent connaisseur de l’Inde, des Mascareignes et de Madagascar, qui réagit avec une ironie assez polémique aux imprudentes extrapolations de Commerson sans s’aventurer pour sa part dans la théorie anthropologique et la taxinomie des espèces. S’il est amené à parler des Quimos, c’est, dit-il, parce que la lettre insérée dans le Supplément de Fréville sous le nom de M. Commerson, « à si juste titre connu de toute l’Europe » [55], l’y a forcé. Evoquant ironiquement l’« enthousiasme » du naturaliste concernant Madagascar, les 25000 plantes qu’il prétend avoir recueillies pendant son voyage autour du monde, la controverse sur la taille des Patagons, « avec lesquels il a passé deux heures entières et que je n’ai pas vus » [56], Le Gentil relève malignement la brièveté de la visite du botaniste, limitée d’ailleurs aux environs de Fort-Dauphin, et s’étonne de n’avoir jamais entendu parler de Pygmées ni au Fort, ni dans les autres régions de la Grande Ile, qu’il dit avoir « visitées avec soin et sans aucun préjugé » [57], ni à l’Ile de France, où il a très souvent rencontré l’intéressé, qui chose étrange ne lui a jamais touché mot de cette découverte à sensation. Même silence, affirme t-il, de la part du comte de Mandave, avec qui il s’est souvent entretenu, et qui ne lui a jamais parlé ni des Quimos ni de la jeune esclave que Commerson utilise comme preuve de son témoignage. Du reste cette créature d’après la description « était un être de l’espèce ordinaire, et seulement contrefait par quelque cause étrangère » [58]. Mais la question de l’origine accidentelle ou non de cette « dégénération » n’est pas ce qui intéresse Le Gentil, lequel préfère régler ses comptes avec Commerson par Quimos interposés, fût-ce en s’abritant derrière Flacourt, lui « historien véridique », qui cent ans plus tôt avait déjà réfuté cette légende.
On reste dans le même registre polémique, mais dans le sens opposé, avec l’ouvrage d’un autre académicien voyageur, l’abbé Rochon, dont le Voyage à Madagascar et aux Indes Orientales (1791) reproduit intégralement les deux mémoires de Maudave et de Commerson sans y ajouter autre chose qu’un appel renouvelé à la colonisation de Madagascar, et une violente tirade contre Flacourt, coupable de n’avoir pas cru aux Quimos et de surcroît d’avoir mal parlé des Malgaches :
« Que l’on cesse enfin d’opposer à des faits [?] l’autorité de cet homme, en tout point suspect par sa haine implacable envers les Madécasses [59]. »
L’existence des Pygmées, sur le compte de qui Rochon n’a pas recueilli l’ombre d’une information nouvelle, devient une sorte de dogme sacré sur lequel il serait politiquement incorrect d’émettre le moindre doute, et l’auteur étend aux Malgaches en général de la façon la plus gratuite un « discours du bon Sauvage » assez caricatural :

« Laissons à Flacourt le stérile soin de présenter l’affligeant tableau des pratiques superstitieuses des Madécasses : ce sujet n’offre au lecteur aucune leçon utile. Faut-il être étonné qu’un être faible et sensible, assailli dès le berceau d’un grand nombre d’infirmités, s’égare pendant la courte durée de son inconcevable existence sur les causes des calamités qui l’accablent ? Faut-il être surpris que dans le délire d’une imagination troublée, le Sauvage ait recours à toutes sortes de chymeres pour se soustraire aux dangers dont il se sent menacé ? [60] »

On ne sait ce qui est le plus étonnant dans cette belle tirade en parfaite langue de bois des Lumières, de l’empilement de lecture remâchées qu’elle laisse transparaître (il y a là à la fois de la vulgate rousseauiste, du Raynal pour la condamnation de la superstition, peut-être un peu de De Brosses pour l’explication des pratiques religieuses par le fétichisme [61]), ou bien de l’oubli complet de ceux dont Rochon est censé parler – les Quimos et même les Malgaches – au profit d’une entité abstraite, le Sauvage, « homme ignorant et crédule » qu’il importe d’éclairer en lui apportant la civilisation.
Le comble de la désinvolture est atteint par le naturaliste Sonnerat, disciple de Commerson et neveu de l’intendant Pierre Poivre, qui publie en 1782 le récit de ses voyages dans l’océan Indien et le Pacifique. Des habitants de Madagascar, qui font l’objet d’un chapitre, il donne une image très vague et très conventionnelle, celle d’une humanité à l’état de nature pervertie par le contact corrupteur avec les Européens :
« Avant de nous connaître, les Madécasses vivaient dans cette heureuse ignorance du crime ou de la vertu, qui suppose l’ignorance des premiers âges […]. Auteurs de leur dépravation, nous en avons été les premières victimes ; ils apprirent de nous le meurtre et le brigandage dont ils se servirent ensuite contre leurs maîtres [62]. »
Bien qu’il ait lui aussi rencontré la petite esclave de Maudave, qu’il tient pour « un phénomène particulier », il se montre peu convaincu de l’existence des Quimos, « car si ces êtres existaient nous en aurions vu quelques-uns dans nos comptoirs » [63]. Ce qui ne l’empêche nullement de se faire l’écho à leur sujet d’extravagantes légendes : on les dit « [vivant] sous terre à peu près comme les Hottentots » et « faisant du jour la nuit et de la nuit le jour » [64], traits jamais rapportés nulle part ailleurs, qui peuvent évoquer les « Chacrelas » de Java incapables de supporter la lumière du soleil (lesquels sont en réalité des albinos) [65], à moins qu’il ne faille chercher leurs modèles dans les romans utopiques de la seconde moitié du siècle, ces caractéristiques étant également partagées par les « Hommes Volants » de Peter Wilkins (1751) de Robert Paltock et par les « Hommes de Nuit » de La Découverte australe (1781) de Rétif de la Bretonne.

Le Jocko et l’orang-outang, Buffon

On refermera cette enquête avec le livre le plus lu probablement à la fin de l’Ancien Régime, l’Histoire des deux Indes de Raynal (quarante-huit éditions recensées jusqu’à la mort de l’auteur en 1796). Cette encyclopédie de voyages qui est aussi un manifeste militant des Lumières ne consacre à Madagascar dans ses premières versions qu’un chapitre assez sommaire et aux Quimos seulement quelques lignes défavorables : on les y dit méchants et belliqueux [66]. L’édition de 1782 offre un développement plus ample et largement refondu qui synthétise les informations les plus récentes [67]. On y trouve un tableau de la géographie physique puis humaine, un résumé historique accompagné d’une critique de la politique coloniale et surtout un appel à la relance de l’action colonisatrice à partir de propositions concrètes, venues sans doute de Maudave et de Charpentier de Cossigny [68]. Quant aux Pygmées, ils sont à présent donnés pour une population déclinante limitée à 15000 âmes, de mœurs « faibles et timides », retranchée dans une vallée fertile des montagnes « sans communication avec ses voisins » [69], en somme une petite enclave utopique abritée de la violence de la société malgache et sans doute peu concernée par le grand projet qui consiste, en suivant « la voie douce de la persuasion », à « amener l’isle entiere à un but également utile aux deux nations » [70], la madécasse et la française.
Assez paradoxalement en effet, ce livre qui passe pour un brûlot anticolonialiste est en réalité, pour ce qui concerne Madagascar, un véritable manifeste colonial :
Quelle gloire ce seroit pour la France de retirer un peuple nombreux des horreurs de la barbarie ; de lui donner des mœurs honnêtes, une police exacte, des loix sages, une religion bienfaisante, des arts utiles et agréables ; de l’élever au rang des nations instruites & civilisées ! Hommes d’état, puissent les vœux de la philosophie, puissent les vœux d’un citoyen aller jusqu’à vous ! [71]
Cet appel vibrant aux colonisateurs, qui ne sera entendu qu’un bon siècle plus tard avec la conquête de Gallieni – mais la politique coloniale de la Troisième République est bien la fille des Lumières – n’a rien d’isolé. Sonnerat lui aussi estime que « si ce pays était habité par les Européens, il serait peut-être le plus beau, le plus puissant et le plus riche de la nature » [72]. Pour Rochon, c’est l’exemple de l’Europe qui sortira de la barbarie les nations sauvages telles que Madagascar :
« Il faut que la crainte, fille de l’ignorance et source inépuisable d’illusion, soit bannie de la surface de la terre ; il faut qu’elle rentre dans le néant, d’où elle n’est sortie que pour le malheur de l’espèce humaine [73]. »
Les Lumières par la colonisation – et aussi, inversement, la colonisation par les Lumières – tel est bien le programme en toile de fond des discours des voyageurs sur Madagascar à la fin du siècle. Que viennent faire les Quimos dans cette vulgate « éclairée » qu’on croirait issue parfois d’une version exotique de La Flûte Enchantée ? Désindividualisés, à peine décrits (les textes les concernant en restent à des généralités très vagues), les Pygmées ne peuvent plus comme chez Commerson ou Buffon servir d’ancrage à une grande réflexion scientifique. Ils sont seulement le vague support d’une rêverie primitiviste. Quand les Malgaches libérés de leurs superstitions, civilisés, colonisés pour tout dire, auront cessé grâce aux Européens d’être des « Sauvages » bon ou mauvais [74], il restera les habitants des montagnes inaccessibles de l’intérieur de l’île, comme des vestiges de l’état de nature perdu.

*

La fortune des Quimos dans les années 1770-1790 tient à la fois au triomphe de l’idéologie des Lumières et à la conjonction accidentelle d’une série de facteurs qui placent les Pygmées malgaches sous les feux de l’actualité. Mais cette conjonction se défait dans les années mêmes du reflux des Lumières. La colonisation de Madagascar, relancée par Benyowski après l’échec de Maudave, est abandonnée définitivement à la mort de l’aventurier polono-hongrois en 1786 ; la nouvelle épistémologie biologique, fondée sur l’antagonisme des fixistes et des transformistes qui aboutira à la controverse de mars 1830 entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, se tourne vers d’autres exemples ; les Quimos, qui formaient avec les géants patagons un couple antithétique figurant les deux limites de l’espèce humaine ou ses gradations inférieures et supérieures sur l’échelle des êtres, sont comme ébranlés dans leur fonction démonstrative par le discrédit croissant qui frappera après Bougainville la thèse du gigantisme des Patagons, le piquant de l’affaire étant que c’est un même personnage, Commerson, qui a créé une légende et a détruit l’autre.
La question des Pygmées malgaches n’étant plus désormais qu’une curiosité d’histoire locale ou un objet d’étude mineur pour une ethnographie coloniale un peu démodée, reste cependant, pour en revenir au problème du vrai et du fabuleux d’où nous sommes partis, à répondre in fine à une interrogation naïve : ces Quimos, existent-ils ? Ont-ils jamais existé ? Sur les deux points, la réponse des spécialistes les plus autorisés est clairement non, du moins nous le pensions, jusqu’à ce que le hasard nous mette sous les yeux une publication fort savante parue dans le Bulletin de Madagascar de février 1967 sous la plume d’un anthropologue de renom, Jean Poirier, qui dirigea le volume de l’Encyclopédie de la Pléiade consacré à l’ethnologie [75]. Bien que l’étude ne porte pas spécifiquement sur les Quimos, mais sur les origines du peuplement de Madagascar, ceux-ci sont évoqués au passage, nullement comme un mythe, mais bien comme une réalité précisément cartographiée et validée par diverses missions ethnographiques de l’Université de Tananarive. Ce qui conduit à s’interroger sur le statut bien incertain de ce qu’on appelle une vérité scientifique, et peut-être à conclure qu’il est plus difficile de cerner la vérité elle-même que les « effets de vérité » qui en créent l’illusion.

P.-S.

Une version abrégée de cet article a été publiée dans C. Gallouët, D. Diop, M. Bocquillon et G. Lahouati (eds.), L’Afrique du siècle des Lumières : savoirs et représentations, Voltaire foundation, Oxford, 2009.

Notes

[1Il ouvre la comédie de Cyrano de Bergerac Le Pédant joué (AI, Sc. 1).

[2Nous nous permettons de renvoyer à notre article « Madagascar dans les littératures de voyages de la seconde moitié du XVIIe siècle », in Alia Baccar Bournaz (éd.), l’Afrique au XVIIe siècle, mythes et réalités, Actes du VIIe colloque du Centre International de Rencontres sur le XVIIe siècle, Tübingen, Gunter Narr Verlag, coll. « Biblio 17 » n°149, 2003, p. 203-218.

[3Voir sur ce point Claire Harpet, Le Lémurien : du sacré et de la malédiction à Madagascar, Paris, L’Harmattan, 2000. L’auteur signale notamment le culte de l’indri ou babakoto chez les Betsileo, le statut d’« ancêtre » attribué à ce lémurien par les Betsimisaraka, la légende des bibi-olona, ou animaux-hommes, dans les récits de la côte ouest de l’île, etc.

[4Etienne de Flacourt, Histoire de la Grande Isle Madagascar [1658 et 1661 pour la seconde édition augmentée], édition critique de Claude Allibert, Paris, INALCO-Karthala, 1995, p. 221. Sur l’identification proposée, voir note 20, p. 529. Toutes les références à Flacourt renvoient à cette édition.

[5Voir dans Flacourt le chapitre « Religion et croyance de la création du monde, des anges et des diables », op. cit., p. 150-154.

[6La bibliographie dans ce domaine est immense. Voir par exemple Charles Renel, Le Folklore de Madagascar, Paris, 1910 ; Jacques Faublée, Les esprits de la vie à Madagascar, Paris, PUF, 1954 ; Louis Molet, La conception malgache du monde, du surnaturel et de l’homme en Imerina, Paris, L’Harmattan, 1979.

[7Flacourt, op. cit., p. 99.

[8Nous remercions vivement notre collègue Nivoelisoa Galibert, qui avec sa générosité coutumière nous a fait bénéficier de son inépuisable savoir concernant les sources bibliographiques de l’histoire de Madagascar. Nous avons également tiré parti de sa Chronobibliographie analytique de la littérature de voyage imprimée en français sur l’océan Indien (Madagascar, Réunion, Maurice) des origines à 1896, Paris, Champion, 2000.
Le territoire des Kimosy engloberait la vallée de la Menarahaka et la chaîne de l’Ivohibory, située entre les villes actuelles d’Ihosy et d’Ivohibe. Divers articles ont été consacrés aux Quimos, notamment celui de J.-Cl. Hébert, « A propos des Kimosy ou le mythe des Pygmées malgaches », Bulletin de Madagascar, 1973, que nous n’avons pu malheureusement consulter. Le mythe des Quimos en France au XVIIIe siècle a donné lieu à quelques brèves mais suggestives remarques de Michèle Duchet (Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Maspero, 1971, p. 53 et p. 117). Elles ont été le point de départ de cette étude. On trouvera aussi de précieuses indications relatives à la réception des mythes anthropologiques dans la France des Lumières in François Moureau, Le Théâtre des voyages, une scénographie de l’Age Classique, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, coll. « Imago Mundi », 2005 (sur les Patagons, voir « L’Abbé et les géants patagons ou "l’idée folle" de Gabriel François Coyer », p. 369-378 ; sur le mythe tahitien et – ponctuellement – sur les Quimos, voir « Presse et opinion publique : le rendez-vous manqué de Bougainville », p. 465-495).

[9Sur les géants patagons voir, outre les références supra, Dr. R. Verneau, Les Anciens Patagons. Contribution à l’étude des races précolombiennes en Amérique du Sud, Monaco, Imprimerie de Monaco, 1903, et surtout Jacqueline Duvernay-Bolens, Les géants patagons. Voyage aux origines de l’homme, Paris, Michalon, 1995. Sur les Hottentots, voir la somme de François-Xavier Fauvelle-Aymar, L’invention du Hottentot. Histoire du regard occidental sur les Khoisan (XVe-XIXe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.

[10Voir notamment les chapitres I à XVI du premier livre de l’ouvrage de Flacourt.

[11Les spécialistes sont partagés quant à la nature purement mythique ou peut-être aux origines partiellement réelles des traditions relatives aux Vazimba. Voir par exemple Louis Molet, « L’origine des Malgaches », in J. Poirier et S. Rajona (éds.), Civilisation malgache, Tananarive, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Madagascar, 1964, p. 43-52. Philippe Beaujard (Prince et paysans. Les Tanala de l’Ikongo. Un espace social du sud-est de Madagascar, Paris, L’Harmattan, 1983, p. 35-37), rapportant les traditions du pays Betsiléo relatives aux Kimosy, précise que ces derniers y sont considérés comme des « pré-Vazimba » ; ces deux races naines que la mémoire orale dote de caractéristiques voisines se seraient succédé historiquement. Bien que l’auteur évoque l’hypothèse d’une interférence avec les gnomes du folklore Tanala nommés Kimoly, il conclut prudemment que « la constance de traditions concernant la présence ancienne d’aborigènes de petite taille et de peau très noire [?] sur de vastes zones de Madagascar constitue un fait non négligeable, d’un point de vue mythologique, sinon historique » (op. cit., p. 38).

[12A l’origine de ce qu’il appelle « l’hypothèse d’un peuplement pygmée », Hubert Deschamps voit d’une part les légendes malgaches relatives à des nains fabuleux, d’autre part les écrits français du XVIIIe siècle sur les Quimos. « Or on n’a jamais vu les premiers, pas plus que les lutins et les farfadets en France ; quant aux Kimosi, il existe une tribu de ce nom près d’Ivohibe, mais ils ne semblent pas différer des autres Malgaches, même par la taille » (Histoire de Madagascar, Paris, Berger-Levrault, 1972, p. 26).

[13En 1865 pour la découverte des Obongo par Paul du Chaillu, explorateur américain, en 1870 pour celle des Pygmées Akka par le naturaliste allemand Schweinfurth (voir Noël Ballif, Les Pygmées de la Grande Forêt, Paris, L’Harmattan, 1992).

[14Iliade, III, v. 3-7. Aristote les localise en Haute-Egypte dans son Histoire des Animaux. Prolongeant une indication d’Homère, Pline les dépeint menant des guerres incessantes contre les grues et les situe de façon très confuse soit en Thrace, soit en Carie (Asie Mineure), soit près des sources du Nil, soit encore en Inde. C’est cette dernière localisation qui a été retenue dans la bizarre utopie pygmée de l’helléniste anglais Josuah Barnes intitulée Gerania (1675). Une Dissertation sur les Pygmées de l’abbé Banier (publiée dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, V, 1729) confirme la survivance de cette légende antique dans la culture classique.

[15Sur cette anthropologie fantastique, dont la puissance d’attraction repose sur la frontière incertaine entre l’humanité et l’animalité, voir Frank Tinland, L’Homme sauvage. Homo ferus et homo sylvestris, de l’animal à l’homme, Paris, Payot, 1968. Il n’est pas sans intérêt pour notre sujet que le terme Pygmée soit fréquemment utilisé à la fin de l’Age classique pour désigner diverses espèces de singes (les chimpanzés notamment) et apparaisse, selon l’expression de F. Tinland, comme « l’approche ultime de l’humanité par l’animalité » (op. cit., p. 107). Voir notamment l’analyse par F. Tinland (op. cit., p. 104-119) de l’ouvrage classique d’E. Tyson (1699) dont le titre mérite d’être reproduit intégralement : Orang-outang sive Homo Sylvestris or the anatomy of a Pygmie compared with that of a Monkey, an Ape and a Man, suivi de A philological Essay concerning the Pygmies, the Cynocephali, the Satyrs and Sphinges of the Ancients, wherein it will appear that they are all either Apes or Monkeys and not Men, as formerly pretended. Tyson présente le Pygmée comme « un anneau intermédiaire [link] entre le singe et l’homme » (cité par Tinland, op. cit., p. 106).

[16Voir H. Pouget de Saint-André, La colonisation de Madagascar sous Louis XV d’après la correspondance inédite du comte de Maudave, Paris, Challamel, 1886, et B. Foury, « Maudave et la colonisation de Madagascar », Revue d’Histoire des Colonies, t. XLII, 1955 (3e et 4e trimestres), p. 343-404 et t. XLIII, 1956 (1er trimestre), p. 14-81.

[17Journal de Maudave du 3 novembre 1768, cité par Pouget de Saint-André, op. cit., p. 88.

[18Brouillé avec Maudave, le futur auteur de Paul et Virginie, excipant de son brevet qui l’affectait officiellement à l’île de France, choisit d’y rester au lieu de suivre son chef à Madagascar. L’affaire est évoquée par Maudave dans une lettre au duc de Praslin du 5 août 1768 (voir op. cit., p. 32).

[19L’exposé le plus détaillé est celui de B. Foury (art. cité).

[20Il s’agissait probablement d’un officier de la Compagnie des Indes nommé de Valgny, qui fut chef de traite à l’île Sainte-Marie, à Foullepointe et à Fort-Dauphin. Ses papiers, mêlés à ceux de Commerson, comportent un fort intéressant roman épistolaire à clés sur le modèle des Lettres persanes intitulé Lettres Madagascaroises que le Journal de Maudave – lequel y est pris à partie – qualifie fort injustement de « barbouillage ». Diverses sources signalent que de Valgny s’était intéressé aux Quimos et mentionnent un mémoire sur ce sujet qu’on n’a pu retrouver.

[21Nous citons le mémoire de Maudave d’après la transcription de l’abbé Rochon, in Voyage à Madagascar et aux Indes orientales, Paris, Prault, 1791. Le texte de Maudave – Rochon utilise cette graphie – y occupe les p. 134 à 142 (citation p. 138).

[22Organisée dans un but purement scientifique, l’expédition d’avril 1769 échoua par l’incurie de l’officier placé à sa tête (voir B. Foury, art. cité, 2e partie, p. 45-46 et p. 72-73).

[23Cité par Rochon, op. cit., p. 140.

[24Cité par Rochon, op. cit., p. 142.

[25Sur ce débat, qui culmine dans les années 1766-1772, voir l’ouvrage cité de Janine Duvernay-Bolens.

[26Sur cet ouvrage et son contexte, voir François Moureau, « L’abbé et les géants patagons ou "l’idée folle" de Gabriel-François Coyer », in Le théâtre des voyages …, op. cit., p. 369-378.

[27Sur tous ces points, voir Jacqueline Duvernay-Bolens, op. cit., p. 203-204.

[28Dans sa lettre à de Lalande du 18 avril 1771 contenant le mémoire sur les Quimos, Commerson rappelle qu’il a contribué à détruire le mythe des géants patagons et s’en excuse ironiquement auprès des « amateurs de merveilleux ».

[29« M. l’Intendant (de concert avec M. de Bougainville) pour complaire aux vues du Ministère qui m’étaient en même temps notifiées, ne m’avaient laissé ni paix ni trêve que je n’eusse consenti à désarmer ici pour y défricher l’histoire naturelle de cette partie du monde » (lettre de Commerson à son frère de l’île de France, 16 janvier 1770, in Dr F.-B. de Montessus, Martyrologe et biographie de Commerson, Chalon-sur-Saône, L. Marceau, 1889, p. 124). Si Commerson quitta avec soulagement L’Etoile (où il avait suivi l’expédition de Bougainville) et l’atmosphère empoisonnée qui régnait à bord, l’ordre signé par Bougainville le 15 novembre 1768 (reproduit par Montessus, p. 116) lui imposa une prolongation de sa mission qu’il ne souhaitait pas (et qui lui fut fatale).

[30Journal des Sçavans pour l’année 1771, décembre, II, Paris, Lacombe, 1771, p. 851-855 (« Lettre sur un peuple nain de l’Isle de Madagascar adressée à Messieurs les Auteurs du Journal des Scavans, par M. de Lalande, de l’Académie Royale des Sciences »). Dans la conclusion, de Lalande prend ses distances avec son ami Commerson sur la question des Patagons, dont le gigantisme lui paraît pour sa part prouvé (« Il me paraît donc incontestable qu’il y a des hommes de sept pieds comme il y en a de trois pieds et demi, les uns en Amérique, les autres en Afrique », p. 855).

[31L’édition originale (Paris, Saillant et Nyon, 1772) a été suivie l’année suivante d’une seconde édition augmentée (Supplément au voyage de M. de Bougainville ou Journal d’un voyage autour du monde, fait par MM. Banks et Solander, Anglois, en 1768, 1769, 1770, 1771. Traduit de l’Anglois par M. de Fréville. Nouvelle édition augmentée. Neuchâtel, Imprimerie de la Société Typographique, 1773, 254 p.). Précédée d’un bref avertissement de l’éditeur, la « Lettre de M. Commerson à M. de Lalande » occupe les p. 170 à 190. Comme le texte de Diderot (écrit dans sa première version à l’automne de 1772 mais publié seulement en 1796, sans qu’il soit possible de préciser si la similitude des titres est ou non accidentelle), cet ouvrage atteste indirectement le retentissement de l’expédition de Bougainville. D’après Eric Vibart (1767-1797, la mémoire des siècles. Tahiti, naissance d’un paradis au siècle des Lumières, Bruxelles, Editions Complexe, 1987, p. 201), il s’agit d’une traduction d’un ouvrage anglais faussement attribué à Banks et Solander dont l’auteur probable serait un marin de l’équipage de Cook nommé James Magra ou Matra.
La version Fréville de la Lettre de Commerson à de Lalande inclut une longue note de l’éditeur qui cite le Voyage en Laponie de Maupertuis et relativise la petite taille des Lapons, qu’on ne peut assimiler à des Pygmées.

[32Voyage à Madagascar et aux Indes Orientales, op. cit. Le mémoire de Commerson occupe les p. 127 à 134 dans l’édition de 1791.

[33Buffon, De l’Homme, présentation et notes de Michèle Duchet, Paris, Maspero, 1971 (p. 353-357 pour le mémoire « Sur les nains de Madagascar »).

[34Dr. F.-B. de Montessus, op. cit., p. 138-146. C’est à cette version complète que renvoient nos citations ci-après. La lettre à de Lalande a été également publiée par Paul-Antoine Cap, Philibert Commerson, naturaliste voyageur, Paris, Masson, 1861, p. 173-183.

[35Op. cit., p. 138-139

[36Op. cit., p. 142

[37Ibid.

[38Le Rêve de d’Alembert, in Œuvres philosophiques, édition P. Vernière, Paris, Garnier, 1964, p. 385.

[39« Mémoires pour servir à l’histoire naturelle et politique de la grande Isle de Madagascar », cahier de 95 feuilles (cote MS 888 de la Bibliothèque du Muséum d’Histoire Naturelle) comportant aussi, reliés tête-bêche, des extraits recopiés des Lettres Madagascaroises de De Valgny. Le passage relatif aux Quimos, p. 27, recoupe sur un mode plus sommaire les indications fournies par le Mémoire de Maudave. Il est également question des Quimos dans un autre manuscrit du fonds Commerson du Muséum d’Histoire Naturelle (MS 887, partie II) intitulé « Extrait de quelques journaux sur l’isle de Madagascar » (32 pages et un post-scriptum de 4 pages) dont on ne sait trop s’il est directement recopié de Maudave ou s’il est la synthèse établie par Commerson des informations recueillies. Concernant les Quimos (p. 24-26), l’auteur fait part d’une tradition orale relative à la bataille qui aurait opposé les Pygmées aux habitants du pays de Manantane et regrette de n’avoir pu se rendre sur place afin de fouiller les mondrains (tumulus) où sont prétendument ensevelis les assaillants afin d’en rapporter des ossements, donc des preuves. Flacourt (op. cit., p. 99) se faisait déjà l’écho d’une tradition similaire, reprise par Commerson dans la version définitive de son mémoire.

[40C’est du moins l’impression qui résulte de leurs mœurs frugales (fruits, légumes, racines, riz, élevage) et de leur existence autarcique, sans commerce ni contacts avec leurs voisins.

[41Op. cit., p. 144.

[42Op. cit., p. 145.

[43Buffon, De l’Homme, éd. citée, p. 353-358.

[44Montessus, op. cit., p. 139.

[45Cette formule de Commerson citée par Michèle Duchet (Anthropologie et histoire…, op. cit., p. 116) ne provient pas de son mémoire sur les Quimos mais d’un manuscrit de l’Arsenal (MS 6600) ; toutefois l’idée exprimée est bien identique aux thèses du Mémoire.

[46Buffon, cité par Michèle Duchet, in op. cit., p. 249.

[47De l’Homme, éd. citée, p. 353.

[48Op. cit., p. 354.

[49Sur l’évolution de la pensée de Buffon à cet égard, voir J. Duvernay-Bolens, op. cit., p. 250-251.

[50J. Duvernay-Bolens, op. cit., p. 245.

[51Buffon, De l’Homme, éd. citée, p. 358.

[52Buffon, De l’Homme, éd. citée, p. 357.

[53Dans sa « Notice historique et géographique sur Madagascar » servant de préface au Voyage à Madagascar et aux îles Comores (1823 à 1830) de B-F. Leguével de Lacombe (Paris, Louis Desessart, 1840), Froberville se demande si la lettre de Commerson sur les Quimos n’est pas une « plaisanterie spirituelle » comme le fut à la fin du XVIIe siècle un autre texte sur les nains et les prodiges de Madagascar (« Lettre envoyée de San Jacob en l’Isle de Madagascar à M. l’abbé de Marins par M. l’abbé de Choisy », 1685). La cible de cette lettre badine décrivant une prétendue société de nains, les Tarisbos (peut-être inspirés de Flacourt) serait l’abbé de Saint-Martin, célèbre pour sa vanité et ses disgrâces physiques.

[54De l’Homme, éd. citée, p. 358.

[55Guillaume-Joseph-Hyacinthe-Jean-Baptiste Le Gentil de la Galaisière, Voyage dans les mers de l’Inde, fait par ordre du Roi, à l’occasion du passage de Vénus sur le disque du soleil, le 6 juin 1761, et le 3 du même mois 1769. Paris, Imprimerie Royale, 1779 (t. I) et 1781 (t. II), t. II, p. 499-509 (citation p. 503).

[56Op. cit., ibid.

[57Op. cit., p. 507.

[58Ibid.

[59Alexis Rochon, Voyage à Madagascar et aux Indes Orientales, éd. citée, p. 141-142.

[60Rochon, op. cit., p. 144.

[61Comme De Brosses dans son traité Du culte des dieux fétiches (1760), Rochon explique par l’impuissance d’un être démuni et la terreur du primitif devant les calamités de la Nature les superstitions du Madécasse qui, « se trompant sur la nature du culte qu’il doit à la divinité […] inventera dans son délire toutes sortes de pratiques absurdes, puériles et souvent sanguinaires » (op. cit., p. 145), comme l’exposition des nourrissons nés un jour néfaste.

[62Pierre Sonnerat, Voyage aux Indes Orientales et à la Chine, fait par ordre de Louis XVI, depuis 1774 jusqu’à 1781 [1782], nouvelle édition revue par M. Sonnini, Paris, Dentu, 1806, 4 vol. Dans cette édition augmentée, Madagascar fait l’objet du chapitre VI du tome III, p. 154-210 (citation p. 155).

[63Op. cit., III, p. 158.

[64Ibid.

[65Décrits par divers voyageurs, notamment François Leguat, les Chacrelas de Java (du malais Kakurlacko) comme les « Hommes Nocturnes » de Maupertuis passèrent pour une variété de l’espèce humaine jusqu’à Buffon, qui établit la nature accidentelle et individuelle de leur particularité. Linné leur fit une place dans le Systema Naturae en tant que variété de la seconde espèce du genre Homo, celle des Troglodytes (distincte de l’Homo Sapiens) aux côtés de l’Homo nocturnus, de l’Homo Sylvestris et de l’Orang-outang. Voir Franck Tinland, L’Homme sauvage. Homo ferus et Homo sylvestris, de l’animal à l’homme, Paris, Payot, 1968, p. 89.

[66L’édition consultée est celle de 1774 (La Haye, Gosse fils), où le développement sur Madagascar occupe les pages 12 à 22 du tome II (livre IV, chap. III). Les remarques sur les Kimos (le texte utilise cette graphie) se trouvent aux p. 14-15.

[67Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Genève, Pellet, 1782. Sur Madagascar, voir tome II, livre IV, p. 185-198 (p. 188-189 pour les Quimos). Le texte reproduit celui de l’édition « définitive » de 1780.

[68Pour cette source de Raynal, voir Claude Wanquet, « Joseph-François Charpentier de Cossigny et le projet d’une colonisation "éclairée" de Madagascar à la fin du XVIIIe siècle », in Guy Jacob (éd.), Regards sur Madagascar et la révolution française, Actes du colloque d’Antananarivo, Madagascar, CNAPMD Editions, 1990, p. 71-85.

[69Histoire des deux Indes, éd. citée, t. II, p. 188.

[70Histoire des deux Indes, éd. citée, t. II, p. 193.

[71Histoire des deux Indes, éd. citée, t. II, p. 197

[72Sonnerat, op. cit., p. 171

[73Rochon, op. cit., p. 149.

[74Malgré ses préventions contre les Malgaches que lui reproche Rochon, Flacourt pour sa part évite de leur appliquer le qualificatif réducteur de « Sauvages », bien conscient d’avoir affaire à un peuple héritier d’une civilisation ancienne, voire de plusieurs, dont résulte une société d’une infinie complexité. De ce point de vue, l’idéologie primitiviste des Lumières correspond certainement, par rapport à l’acuité ethnographique des textes du XVIIe siècle à une régression dans la conscience réelle de l’altérité en dépit de la sympathie de principe affichée à l’égard des Malgaches et d’ailleurs souvent démentie par des jugements ponctuels fort sévères.

[75Jean Poirier, « Madagascar avant l’histoire, II. La formation du peuple malgache : les proto-malgaches », Bulletin de Madagascar, février 1967, n°249, p. 170-192 (carte p. 177).

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