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La vie rêvée de Fernando Pessoa 

jeudi 11 décembre 2008, par Elisabeth Poulet

« Le rêve est la pire des cocaïnes, parce que c’est la plus naturelle de toutes. Elle se glisse dans nos habitudes avec plus de facilité qu’aucune autre, on l’essaye sans le vouloir, comme un poison pris sans méfiance. Elle n’est pas douloureuse, elle ne cause ni pâleur ni abattement – mais l’âme qui fait usage du rêve devient incurable, car elle ne peut plus se passer de son poison, qui n’est rien d’autre qu’elle-même » [1].

Chez Pessoa, le rêve est autre chose que ce que le sommeil nous envoie et il est d’ailleurs préférable de parler de rêverie. La rêverie, distincte du rêve, se caractérise par des états de semi-vigilance qui préservent la perception lucide, en même temps qu’ils procurent un sentiment existentiel original : une impression d’autonomie complète du moi et un maintien du rapport au réel

« (…) alors que le rêveur de rêve nocturne est une ombre qui a perdu son moi, le rêveur de rêverie, s’il est un peu philosophe, peut, au centre de son moi rêveur, formuler un cogito. Autrement dit, la rêverie est une activité onirique dans laquelle une lueur de conscience subsiste. Le rêveur de rêverie est présent à sa rêverie. Même quand la rêverie donne l’impression d’une fuite hors du réel, hors du temps et du lieu, le rêveur de la rêverie sait que c’est lui qui s’absente – lui, en chair et en os, qui devient un « esprit », un fantôme du passé ou du voyage » [2].

La rêverie a un caractère proprement imaginaire et esthétique : l’alliance de la vigilance et de l’autonomie face au réel définit, hors d’une falsification marquée, la libre disposition des images du monde et du moi qui deviennent alors matière à un langage intermédiaire : la référence claire au réel est brouillée, sans qu’il y ait eu cependant un au-delà onirique des images. Par cet état intermédiaire, justement, la rêverie permet une dynamique de l’imagination qui devient puissance formante des apparences, toujours identifiables. La rêverie est constitutive du projet poétique dans la mesure où elle place toute chose et le sujet sous le signe de l’expérience de l’instant ; il faut y voir une manière de présent étale qui permet d’assembler, dans une expérience de la simultanéité, perceptions et affects, même lorsqu’ils relèvent de temps et de lieux différents ou éloignés. La rêverie fait ainsi de la création littéraire une expérience immédiate de l’unité du moi et du syncrétisme du moi et du monde, sans que l’identité du sujet soit effacée.
La rêverie pessoenne représente en effet les capacités créatrices de l’homme, et seule la rêverie est capable d’engendrer des écrits : « (…) une rêverie, à la différence du rêve, ne se raconte pas. Pour la communiquer, il faut l’écrire, l’écrire avec émotion, avec goût, en la revivant d’autant mieux qu’on la récrit » [3].
Dans la rêverie, un monde se forme, celui du rêveur, un monde qui devient le sien propre. Et ce monde rêvé lui « enseigne des possibilités d’agrandissement de [son] être dans cet univers qui est le [sien] » [4]. Car, finalement, « dans un monde qui naît de lui, l’homme peut tout devenir » [5]. Et il peut, par conséquent, se multiplier :
« (…) dans les rêveries les plus solitaires (…) nous sentons que la vie entière se double – que le passé se double, que tous les êtres se doublent en leur idéalisation, que le monde incorpore toutes les beautés de nos chimères. (…). Pour analyser toutes les potentialités psychologiques qui s’offrent au solitaire de la rêverie, il faudra donc partir de la devise : je suis seul, donc nous sommes quatre. Le rêveur solitaire fait face à des situations quadrupolaire » [6].

Quoi de plus séduisant, par conséquent, que la rêverie pour Fernando Pessoa, qui, non désireux de n’être qu’un, a créé ses nombreux hétéronymes ! On pourra le vérifier chez Alvaro de Campos, mais surtout chez Bernardo Soares. Rappelons que cet hétéronyme, qualifié de « semi-hétéronyme » par Pessoa lui-même (Soares, selon les dires de son créateur, ne serait d’ailleurs pas un véritable hétéronyme car il n’a pas su trouver une façon personnelle de s’exprimer : « En prose, il est plus difficile de ‘s’autruifier’ » [7]) est le plus proche de ce dernier :

« (…) mon semi-hétéronyme Bernardo Soares (…) apparaît chaque fois que je suis fatigué ou somnolent ce qui fait que mon raisonnement et mes défenses sont un peu flottants ; cette prose est une divagation constante. C’est un semi-hétéronyme en ce sens qu’il ne s’agit ni de ma personnalité ni d’une personnalité différente mais d’une simple mutilation de celle-ci : c’est moi, moins le raisonnement et l’affectivité » [8].

Cette tendance qui pousse le semi-hétéronyme Bernardo Soares au rêve est essentiellement provoquée par une profonde inadaptation à la vie :

« Je n’ai jamais rien fait que rêver. Cela, et cela seulement, a toujours été le sens de ma vie. Je n’ai jamais eu d’autre souci véritable que celui de ma vie intérieure. Les plus grands chagrins de mon existence se sont estompés dès lors que j’ai pu, ouvrant la fenêtre qui donne sur moi-même, m’oublier en contemplant son perpétuel mouvement.
Je n’ai jamais voulu être rien d’autre qu’un rêveur. Si l’on me parlait de vivre, j’écoutais à peine. J’ai toujours appartenu à ce qui n’est pas là où je me trouve, et à ce que je n’ai jamais pu être. Tout ce qui n’est pas moi – si vil que cela puisse être – a toujours eu de la poésie à mes yeux » [9].

Et de cette inadaptation à la vie, Pessoa-Soares fait une vertu. L’être rêvant – c’est-à-dire l’être créant – est bien supérieur à l’être agissant. D’ailleurs, Soares va jusqu’à l’affirmation paradoxale selon laquelle le rêveur serait le seul et véritable être agissant.
La fonction du rêve chez Pessoa est très proche de celle des Surréalistes. Il est d’ailleurs très frappant de constater que le rêve est « le catalyseur de toutes sortes de configurations textuelles de la réalité » [10] :

« Lorsque je dors de nombreux rêves, je sors dans la rue, les yeux grands ouverts, mais voguant encore dans leur sillage et leur certitude. Et je suis stupéfié de mon automatisme, qui fait que les autres m’ignorent. Car je traverse la vie quotidienne sans lâcher la main de ma nourrice astrale, tandis que mes pas au long des rues s’accordent et s’harmonisent aux desseins obscurs de mon imagination semi-dormante. Et cependant je marche normalement ; je ne trébuche pas, je réponds correctement ; j’existe. (…).
C’est alors, au beau milieu de la vie, que le rêve déploie ses vastes cinémas. Je descends une rue irréelle de la Ville Basse, et la réalité des vies qui n’existent pas m’enveloppe tendrement le front d’un chiffon blanc de fausses réminiscences. Je suis navigateur, sur une mer ignorée de moi-même. J’ai triomphé de tout, là où je ne suis jamais allé. Et c’est une brise nouvelle que cette somnolence dans laquelle je peux avancer, penché en avant pour cette marche sur l’impossible » [11].

Soares, par le biais de l’écriture de la rêverie, essaie d’atteindre une autre forme d’existence où l’homme serait libéré de toutes les contraintes de la vie réelle et, d’ailleurs,

« La rêverie, dans son essence même, ne nous libère-t-elle pas du réel ? Dès qu’on la considère avec simplicité, on voit bien qu’elle est le témoignage d’une fonction de l’irréel, fonction normale, fonction utile, qui garde le psychisme humain, en marge de toutes les brutalités d’un non-moi hostile, d’un non-moi étranger » [12].

Nous sommes par conséquent devant une conception libératrice de l’acte d’écrire. En effet, la vie de Soares ne se légitime qu’à travers ce qu’il écrit. Qui est Bernardo Soares ? Un aide-comptable dans une maison de commerce, un employé de bureau dont le statut social est bien loin d’être élevé. Il est un peu Pessoa, mais un Pessoa effacé, dont on aurait gommé les traits marquants, estompé les contours. C’est un homme qui ne possède qu’un semblant d’existence corporelle, de vie sociale, sentimentale. La vie de Soares se compose essentiellement de mots : le verbe devient la force motrice de l’existence et c’est en même temps un moyen d’établir un ordre intérieur. Soares se meut dans un monde fantômatique, sans réelle consistance.
Insistons bien sur un point primordial : le rêve, chez Fernando Pessoa, doit allier le vagabondage de l’imagination à un but très précis, celui « d’exprimer l’idée abstraite de l’essence de l’objet du rêve, en même temps que l’on saisit, à l’état le plus pur, la sensation qu’elle sous-tend » [13]. Prenons pour exemple un long fragment du Livre de l’intranquillité où l’on va pouvoir constater la prolifération d’images-sensations :

« Je me trouve dans un tram, et j’examine lentement, à mon habitude, tous les détails concrets des personnes qui se trouvent devant moi. Pour moi les détails sont des choses, des mots, des lettres. Cette robe que porte la jeune fille assise en face de moi, je la décompose en ses divers éléments : l’étoffe dont elle est faite et le travail qu’elle a demandé – puisque je la vois en tant que robe, et non pas comme simple étoffe ; la fine broderie qui borde le ras du cou se décompose à son tour : le galon de soie dont on l’a brodée, et le travail qu’a demandé cette broderie. Et immédiatement, comme dans un ouvrage primaire d’économie politique, se déploient sous mes yeux les usines et les activités diverses – l’usine où l’on a fabriqué le tissu ; l’usine où l’on a fabriqué le galon, d’un ton plus foncé, qui a servi à orner, de petites choses entortillées, l’endroit qui fait le tour du cou ; et je vois les ateliers dans les usines – machines, ouvriers, cousettes – , mes yeux tournés vers le dedans pénètrent dans les bureaux, je vois les directeurs chercher un peu de calme, et je surveille, dans les registres, la comptabilisation de chaque chose ; mais je ne m’arrête pas là : je vois, au-delà, la vie familiale de ceux dont la vie quotidienne s’écoule dans ces usines et dans ces bureaux… Le monde entier se déroule sous mes yeux, du seul fait que j’ai devant moi, au-dessous d’un cou brun, qui de l’autre côté supporte je ne sais quelle tête, une bordure, irrégulièrement régulière, d’un vert sombre sur le vert plus clair de la robe.
La vie sociale tout entière gît sous mon regard.
En outre, je devine les amours, les cachotteries et l’âme de tous ceux qui ont œuvré pour que la femme qui se trouve là, devant moi, dans un tram, porte, autour de son cou de mortelle, la sinueuse banalité d’un galon de soie vert sombre se détachant sur un tissu d’un vert plus clair.
J’ai le vertige. Les banquettes du tram, garnies de paille aux brins alternativement plus fins et plus robustes, m’emportent vers des régions lointaines, se multiplient en industries, ouvriers et maisons d’ouvriers, existences, réalité – tout.
Je descends du tram, épuisé, somnambulique. J’ai vécu la vie tout entière » [14].

Une véritable analyse des sensations est ici à l’œuvre. Au départ est la perception d’un détail, détachant une forme minuscule de son contexte. Et il ne faut pas méconnaître l’importance du détail, du petit, du minuscule, dans la rêverie pessoenne :

« (…) seules les sensations infimes, causées par des choses minuscules, me font vivre intensément. La cause en est peut-être mon amour du futile. Ou bien mon souci extrême du détail. Mais je crois plutôt – sans en être bien sûr, je n’analyse jamais ce genre de chose – que la raison en est que le minuscule, n’ayant rigoureusement aucune importance sur le plan social ou pratique, jouit, de ce fait, d’une absence totale de liens sordides avec la réalité. Le minuscule a pour moi la saveur de l’irréel » [15].

Ensuite, on analyse cette forme, on y distingue deux aspects différents, qui deviennent en fait deux points de départ de ce que l’on peut appeler des lignes imaginatives ; en se développant, chacune de ces lignes se multiplie en d’innombrables ramifications, sans jamais trouver une fin. Le « tout » ne désigne pas une totalité en soi mais « la limite du pouvoir qu’a cette technique de déploiement de multiplicités sensorielles, d’atteindre toute réalité, de l’analyser, de l’exprimer en l’extériorisant, en faisant passer le dedans dans le dehors » [16].
Rêver, c’est transformer la réalité, elle-même perçue grâce au croisement de plusieurs flux. Car il s’agit bien de flux dans le rêve pessoen :

« L’habitude de rêver, et uniquement rêver, m’a donné une vision intérieure d’une netteté extraordinaire. Non seulement je vois, avec un relief stupéfiant et parfois troublant, les personnages et les décors de mes rêves, mais encore je vois, avec un relief égal, mes idées abstraites, mes sentiments humains (ou ce qu’il en reste), mes impulsions secrètes, mes attitudes psychiques à l’égard de moi-même. J’affirme que mes pensées les plus abstraites, je les vois en moi-même, qu’avec une vision interne réelle, je les vois dans un espace intérieur. Et leurs méandres me deviennent ainsi visibles, dans leurs moindres détails » [17].

Mais comment construire ce flux de rêve ? La vision a le pouvoir de modifier la perception visuelle – voir, ce n’est plus seulement voir, c’est voir bien au-delà de ce qui est immédiatement perçu. Cette modification libère à la fois le regard et la pensée, imprimant ainsi un mouvement tout à fait spécifique qui n’est pas soumis au cours des images : c’est la rêverie. Autrement dit, le vagabondage de la pensée, un vagabondage qui suit des chemins particuliers : en premier lieu, « le visible conserve les mêmes formes et les mêmes objets, la différence surgissant au sein de l’identité » ; ensuite, « c’est le perçu qui chavire » [18]. Notons, dans le texte qui suit, la référence à l’extase, à l’intensité du sentir qui accompagne une telle vision :

« (…) je m’efforce toujours de modifier les choses que je vois, de façon à les rendre irréfragablement miennes – de modifier en mentant, ce moment de beauté et, dans le même ordre de beauté des lignes, de changer la ligne du profil des montagnes ; de remplacer certains arbres ou certaines fleurs par d’autres, vastement et différentissimement les mêmes ; de voir d’autres couleurs, à l’effet identique dans le soleil couchant ; rompu à cette pratique – et dans l’acte même de regarder qui fait que je vois spontanément – , je crée ainsi un mode intérieur du monde extérieur.
Cela constitue, cependant, le degré inférieur de mon travail de substitution du visible. Dans mes meilleurs moments d’abandon et de rêverie, je bâtis bien davantage.
Je fais en sorte que le paysage ait pour moi les mêmes effets que la musique, et évoque des images visuelles – curieux triomphe de l’extase [19], d’une difficulté extrême, tenant au fait que le facteur d’évocation appartient au même ordre de sensations que ce qu’il doit évoquer. Mon plus grand triomphe dans ce genre date du jour, d’une lumière et d’une atmosphère ambiguës, où je regardais la place du Cais do Sodré et où je l’ai vu nettement comme une pagode chinoise, garnie de clochettes bizarres à l’extrémité des toits, tels des chapeaux absurdes – étrange pagode chinoise peinte dans l’espace, sur l’espace-satin, je ne sais comment, au-dessous de cet espace qui subsiste dans l’abominable troisième dimension » [20].

Il s’agirait donc, en rêvant, de construire des lignes mélodiques communes d’abord au perçu et au rêve, et ensuite communes au rêve et aux images qu’il ne manque pas de susciter. La ligne mélodique, c’est la ligne de flux. Or, pour favoriser la naissance d’une ligne de flux, il convient d’en dérouler au moins deux en même temps. Un fil se tisse ainsi qui, soit prolonge le perçu, soit le double tout en conduisant finalement vers un seul état émotionnel :

« De là vient l’habileté que j’ai acquise à suivre plusieurs idées à la fois, à observer les choses autour de moi et, en même temps, à rêver à des sujets totalement différents ; me trouver en train de rêver un soleil couchant réel, sur un Tage bien réel, et en même temps rêver d’un matin imaginaire sur un océan Pacifique tout intérieur ; et les deux choses rêvées s’intercalent sans se mélanger, et sans réellement confondre autre chose que l’état émotif différent que chacune d’elles provoque en moi ; et c’est comme si, tout à la fois, je voyais passer la foule dans la rue et sentais simultanément l’esprit de chacun en moi-même – ce qui ne pourrait se produire que dans une unité de sensation – , en même temps que je verrais les divers corps (il me faudrait bien, eux, les voir divers) se croiser dans la rue, dans un mouvement de jambes innombrables » [21].

Cependant, le travail du rêve porte jusque dans l’intérieur de chaque flux, qu’il s’agisse du flux de perceptions, de celui d’images ou encore de celui d’idées. S’il s’agit du flux de perceptions, le rêveur les transforme en images grâce à une action, tout à fait propre à la vision, qui est l’abstraction :

« Les choses constituent le matériau de mes rêves ; c’est pourquoi j’applique une attention distraite, mais extrême, à certains détails de l’Extérieur.
Pour donner du relief à mes songes, je dois savoir comment paysages réels et personnages pris dans la vie nous apparaissent eux-mêmes avec du relief. Car la vision du rêveur diffère de la vision qu’on a des choses. Dans le rêve, la vue ne se fixe pas, comme dans la réalité, sur les aspects importants ou inimportants d’un objet donné. Il n’y a d’important que ce que voit le rêveur » [22].

C’est ce que Bernardo Soares a fait en regardant la fine broderie qui borde le ras du cou de la jeune fille du tramway, et en l’analysant : travail qui transforme l’objet perçu en en créant un autre plus vrai, plus essentiel, plus abstrait, un objet absolu. Ce processus d’abstraction est réalisé par le rêve. Cependant, le rêve, en parvenant à créer un objet plus réel que le perçu, ou encore des émotions plus réelles que les émotions ressenties, arrache l’esprit de la réalité, libérant ainsi l’imagination, faisant flotter les images – contrairement aux perceptions qui restent attachées à une logique du réel – , les rendant ainsi susceptibles de recevoir une autre logique, une autre ligne mélodique, autrement dit de pouvoir l’organiser en flux. Et c’est à partir de ce niveau de rêve que l’attention se pose de manière sélective sur le perçu ; les images se rassemblent alors en flux parce qu’en se libérant, « elles s’offrent aux forces (de désir) qui les investissent » [23] :

« C’est que le processus qui entraîne, dans une réalité plus que réelle, un aspect du monde ou un personnage de rêve, entraîne également dans le plus que réel une émotion ou une idée ; il les dépouille donc de tout leur attirail de noblesse et de pureté lorsque, comme c’est presque toujours le cas, cet attirail est faux. Il faut remarquer que mon objectivité est absolue, c’est la plus absolue de toutes. Je parviens à créer l’objet absolu, doté des qualités de l’absolu malgré son caractère concret » [24].

En même temps que le rêve « fait fluer des flux, il analyse » [25]. Et c’est d’ailleurs parce qu’il analyse qu’il peut enchaîner un élément à un autre – l’analyse procurant les sensations et les images qui se relieront les unes aux autres selon une même forme abstraite. En effet, de même qu’un poème est la résultante, dans son mouvement même, de l’analyse d’une ou de plusieurs sensations, le fux du rêve découle directement de l’analyse implicite dans l’acte de rêver. L’une et l’autre analyses sont, en fait, identiques, celle qu’opère l’écriture contenant celle du rêve – car les sensations naissent analysées ; lorsque Soares rêve en regardant le ras du cou de la fille dans le tramway, les détails (c’est-à-dire les éléments en quelque sorte primitifs sur lesquels s’appuie son rêve), « ras du cou », « étoffe », « couleur », ce sont déjà des mots et des phrases. Donc, rêver c’est analyser, puisque l’attention s’attache aux toutes petites choses dès le début, « et parce que le rêve est abstraction au double sens ‘d’extraire’et de ‘subtiliser’ » : « Il est donc tout à fait normal que, tout rêveur que je sois, je sois aussi l’analyste que je prétends être » [26].
Si l’on suit bien Pessoa, l’opposition entre le rêve et la vie serait une fausse opposition puisque rêver, c’est vivre, mais plus intensément et avec beaucoup plus de diversité que dans la vie réelle. Tout comme l’art, le rêve – antichambre de la littérature, déjà littérature puisqu’il doit y conduire – réalise tout ce qu’offre la vie, mais de façon plus riche et plus vraie. Etant un procédé visant à recréer, sur le plan artistique, une autre forme de vie, le rêve apparaît comme une expérimentation. Non pas comme une expérimentation sur la vie, mais comme une vie devenue expérimentale. Dans le même temps, la vie réelle devient une expérimentation rêvée : la vie se change en rêve et le rêve en vie.
Pour obtenir ce décollage de la réalité, il faut que le rêve exprime le mouvement, les forces et la prolixité de la vie : voilà pourquoi il doit être flux, voilà pourquoi il est voyage. Face à une prédominance aussi marquée du rêve, l’aversion de Bernardo Soares pour le voyage n’est pas surprenante : « L’idée de voyager me donne la nausée. / J’ai déjà vu tout ce que je n’avais jamais vu. / J’ai déjà vu tout ce que je n’ai pas vu encore » [27]. Sa propre imagination le fascine bien davantage que n’importe quelle impression venue du monde extérieur : « Comme tous les êtres doués d’une grande mobilité mentale, j’éprouve un amour organique et fatal pour la fixité. Je déteste les nouvelles habitudes et les endroits inconnus » [28].Voyager en rêve, c’est voyager dans la mobilité intérieure – laquelle exige la plus grande mobilité extérieure : il faut pouvoir faire naître les images et les sensations les plus aiguës à l’abri de toute agitation extérieure. Les voyages lui paraissent parfaitement inutiles et il considère le désir même de voyage comme une carence d’imagination :

« Voyager ? Pour voyager il suffit d’exister. Je vais d’un jour à l’autre comme d’une gare à l’autre, dans le train de mon corps ou de ma destinée, penché sur les rues et les places, sur les visages et les gestes, toujours semblables, toujours différents, comme, du reste, le sont les paysages.
Si j’imagine, je vois. Que fais-je de plus en voyageant ? Seule une extrême faiblesse de l’imagination peut justifier que l’on ait à se déplacer pour sentir » [29].

Toutes les pages du Livre de l’intranquillité consacrées à l’inutilité des voyages réels tournent autour d’une idée essentielle : la meilleure façon de voyager, c’est sentir ; vivre, c’est sentir, et sentir, c’est voyager dans les sensations.
Rêver, c’est aussi devenir autre. Il est des rêveries si intenses, des rêveries qui, paradoxalement, nous aident à descendre si profondément en nous qu’elles vont jusqu’à nous débarrasser de notre propre histoire :

« Le premier des paradoxes ontologiques n’est-il pas celui-ci : la rêverie en transportant le rêveur dans un autre monde fait du rêveur un autre que lui-même. Et cependant cet autre est encore lui-même, le double de lui-même. (…). La rêverie – et non pas le rêve – garde la maîtrise de ses dédoublements » [30].

Dès lors, le rêveur entre dans un processus de métamorphose :

« Maintenant, à l’apogée concis de ce rêve que j’ai, ô vous,
de vos prouesses,
Je me perds tout entier de moi-même, je ne suis plus à vous, je suis vous » [31].

Voir l’invisible, abstraire, sentir de façon beaucoup plus intense, entrer dans une dynamique de flux, c’est tout un ; mais c’est encore plus que cela : c’est s’ouvrir à une complète métamorphose. Celui qui rêve et voit, il devient ce qu’il voit. Il épouse les contours des choses vues, s’imprègne de leur substance. La vision remplace le contact : « Plus que tout autre sens, la vision intègre le sujet et son corps dans l’espace déployé devant lui et, ainsi, favorise les transformations de « l’espace de la sensation » - espace où a lieu, précisément, le devenir-autre » [32].
On comprend mieux, à présent, les diatribes de Pessoa sur le voyage. A la rigueur, il recommanderait, à l’instar de son semi-hétéronyme, Bernardo Soares, la lecture des prospectus de voyage, capable de stimuler efficacement la puissance imaginative :

« Le seul voyageur doté d’une âme véritable que j’ai connu était un jeune employé de bureau, qui travaillait dans une maison où je me suis trouvé moi-même, voici longtemps. Ce gamin collectionnait les prospectus touristiques des villes, de pays et de compagnies de transports ; il possédait (…) des illustrations représentant paysages, costumes exotiques, bateaux et navires. Il se rendait dans les agences de voyage (…) et demandait des prospectus pour aller en Italie, des prospectus pour voyager en Inde, des prospectus indiquant les liaisons maritimes entre le Portugal et l’Australie.
Il n’était pas seulement le plus grand voyageur que j’aie connu, étant le plus authentique ; c’était aussi un des êtres les plus heureux qu’il m’ait été donné de rencontrer » [33].

Tout changement de lieu est donc parfaitement inutile. On ne peut s’empêcher ici d’avoir une pensée pour des Esseintes qui, dans A Rebours de Huysmans, remplace le bain de mer par son succédané parisien : une salle de bains au bord de la Seine ! Et est-ce si surprenant ? Non, si l’on veut bien considérer que Huysmans et Pessoa étaient, parfois presque malgré eux, des Symbolistes. Il est vrai que

« l’attitude de Fernando Pessoa envers le Symbolisme a été complexe et parfois même contradictoire. En effet, bien qu’il n’ait pas nié l’influence que le Symbolisme exerça sur lui et sur les mouvements qu’il a voulu lancer, son attitude à son égard a toujours été assez méfiante et presque dédaigneuse » [34].

Cependant Bernardo Soares est un personnage fortement marqué par le symbolisme. Il présente les caractéristiques que Pessoa a déclaré accepter du Symbolisme : la préoccupation musicale, la sensibilité analytique, l’analyse profonde des états d’âme. Mais il faut reconnaître que les émotions de Soares se sont écartées de leur orbite : elles s’entrecroisent, se succèdent, passent comme des nuages (un des thèmes récurrents de ses rêveries).
Tout comme les Symbolistes, Pessoa a été séduit par le drame statique. Pour lui, il devait essentiellement être question d’un univers totalement coupé de l’extérieur où il était seulement possible de créer des situations d’inertie. Il nous faut ici considérer deux étapes (la notion d’étapes n’impliquant nullement une évolution dans le temps mais une progression vers l’authenticité) : lors d’une première étape, les personnages de Pessoa se limitent à créer des situations d’inertie, à nous faire assister au long voyage qui est le leur (et que l’on pourrait facilement comparer à un interminable piétinement), c’est-à-dire un voyage en rond au-dedans d’eux-mêmes ; et lors d’une seconde étape, les somnambules [35] deviennent visionnaires.
Qui donc, mieux que les Veilleuses du Marin, pourrait symboliser ce qu’est le rêve pessoen ? Coupées de tout rapport avec l’espace et le temps, elles sont natives de ce pays du rêve qui est sans heure et sans lieu.
Les Veilleuses commencent par évoquer le passé : un passé inventé, fictionnel : « Parlons, si vous le voulez, d’un passé que nous n’aurions jamais vécu » [36]. Pour combattre la tristesse dans laquelle elles sont plongées, elles vont s’inventer des souvenirs. La deuxième veilleuse poursuit dans la voie d’un passé jamais vécu et capte l’attention des deux autres :

« Tout ce pays est si triste… Celui où j’ai vécu jadis l’était bien moins. L’après-midi je filais, assise à la fenêtre qui donnait sur la mer ; parfois, il y avait une île au large… Quand je ne filais pas, je regardais la mer et j’oubliais de vivre. Je ne sais si j’étais heureuse. Je ne serai plus jamais ce que peut-être je n’ai jamais été » [37].

Ce récit déclenche des souvenirs chez les autres Veilleuses, des fictions d’un passé heureux. Mais à nouveau, le silence se fait. Puis, la Deuxième Veilleuse propose de raconter un rêve qu’elle a probablement fait pendant son enfance, qui « n’est pas totalement faux, parce que, sans aucun doute, rien ne saurait être totalement faux » [38]. Voici ce qu’elle a donc rêvé au bord de la mer :

« Je rêvais d’un marin, perdu sur une île lointaine. (…). Depuis son naufrage, le marin vivait là. Comme il n’avait aucun moyen de revenir dans son pays, et comme il souffrait, chaque fois qu’il y pensait, il se mit à rêver d’une patrie qu’il n’avait jamais eue. (…). A chaque heure du jour, il construisit en songe cette fausse patrie, et il ne cessait de rêver. (…). Durant des années et des années, jour après jour, le marin bâtissait sa nouvelle patrie en un songe continu (…) bientôt il fut d’un pays qu’il avait déjà parcouru mille fois. (…). Il savait de quelle couleur étaient les crépuscules, là-bas dans certaine baie du Nord, et comme il était doux de pénétrer (…) dans un grand port du Sud où il avait connu autrefois, heureux peut-être, parmi toutes ses jeunesses, une jeunesse imaginaire… » [39].

Un jour, le marin, peut-être lassé de son rêve, voulut se souvenir de sa véritable patrie, celle d’avant le naufrage : il n’y parvint pas, il ne se souvenait plus de rien :

« S’il se souvenait d’une enfance, c’était de celle qu’il avait vécue dans sa patrie de rêve (…). Sa vie entière était devenue la vie qu’il avait rêvée. Et il vit qu’il était impossible qu’il pût y avoir une autre vie que celle-là. Car il ne se rappelait pas une seule rue, pas une seule silhouette, pas même un geste de sa mère… Et de la vie qu’il lui semblait avoir rêvée, tout était réel, tout avait existé » [40].

Le rêve s’est totalement substitué à la réalité, il est devenu sa réalité. Mais quelle est, à ce moment, la réalité des Veilleuses ? Tout de suite après le rêve du marin, la Deuxième Veilleuse, épouvantée, craint d’être allée trop loin et cherche à se réveiller à la vie : « Parlez-moi, criez pour que je me réveille, pour que je sache que je suis ici, devant vous, et qu’il y a des choses qui ne sont que des rêves… » [41]. Alors, la parole s’affaisse, retombe. Le jour approche, le récit a du mal à continuer. Le rythme du langage se brise. Les Veilleuses ne font plus corps avec leur rêve, elles se voient et s’entendent rêver, elles sont donc sur le point de se réveiller.
Et, soudain, une interrogation surgit : « Pourquoi le marin ne serait-il pas la seule chose vraie dans tout cela, et nous, et tout le reste avec nous, un simple rêve qu’il ferait, lui ? » [42]. Dès lors, leur désarroi est immense. Elles ressentent l’angoisse de se découvrir deux, et tout passe par leurs voix qu’elles ne reconnaissent plus, leurs voix qui n’arrivent plus à dire : « Un abîme s’est ouvert entre ma voix et moi », dit la Première Veilleuse, et elle poursuit : « Je m’entends crier en moi-même, mais je ne connais plus le chemin qui va de ma volonté à ma gorge (…). Comme je me sens étrange ! Il me semble que je n’ai plus ma voix… Une partie de moi s’est endormie, et observe de loin » [43]. Quant à la Deuxième Veilleuse, effarée, elle demande : « Qui suis-je en train d’être ?…Qui est en train de parler avec ma voix ? » [44]. La pièce se termine avec l’agonie de ce rêve devenu cauchemar qui tarde à cesser : « Si seulement quelqu’un pouvait crier, et nous réveiller ! » [45], supplie la Première Veilleuse.
Le Marin serait donc cette réalité qui n’existe pas, sur le plan de ce que l’on nomme le réel, mais qui « devient, une fois entrevue, la réalité-mère dont les Veilleuses se sentent tout à coup le rêve » [46]. Le poème d’Alvaro de Campos, intitulé Dactylographie, établit aussi l’opposition entre ce rêve qui nous met en rapport avec notre vraie vie, et la réalité qui existe, laquelle serait donc la fausse vie :

« Nous avons tous deux vies :
La véritable, qui est celle que nous avons rêvée pendant l’enfance,
Et que nous continuons à rêver, adultes, sur fond de brume ;
La fausse [47], qui est celle que nous vivons dans la vie partagée avec d’autres,
Qui est la pratique, l’utile,
Celle dans laquelle on finit par nous mettre dans un cercueil.

Dans l’autre il n’y a pas de cercueil, pas de mort.
Il n’y a que les illustrations de l’enfance :
De grands livres colorés, pour voir, pas pour lire ;
De grandes pages de couleurs pour s’en souvenir plus tard.
Dans l’autre nous sommes nous-mêmes,
Dans l’autre nous vivons ;
Dans celle-ci nous mourons, c’est là ce que vivre veut dire.
En ce moment, aux prises avec cette nausée, je ne vis que dans l’autre… » [48].

L’impossibilité de concilier ces deux vies, la véritable et la fausse, est souvent exprimée par une situation physique : le personnage se débat comme quelqu’un qui, dans son lit, lutte contre une insomnie chronique. Dans un poème qui s’intitule justement Insomnie, nous assistons à un double malaise : celui d’être incapable de dormir insoucieusement, comme tout le monde (c’est-à-dire de vivre comme tous les autres), et celui de ne pas parvenir à rêver :

« Je ne dors pas, je n’ai aucun espoir de dormir.
(…).
Une insomnie m’attend, de la largeur des astres,
Et un bâillement vain de la taille du monde.

Je ne dors pas ; je ne peux pas lire quand je me réveille la nuit,
Je ne peux pas écrire quand je me réveille la nuit,
Je ne peux pas penser quand je me réveille la nuit –
Mon Dieu, je ne peux même pas rêver quand je me réveille la nuit ! » [49].

Cette impossibilité de conciliation prend bien d’autres formes d’incommodités physiques : outre la nausée (un des poèmes où elle s’exprime s’intitule de manière très significative : Bicarbonate de Soude [50]), elle se présente comme une fatigue extrême ou encore comme le sommeil. Et pourtant, le choix de Campos est très clair, il choisit la vraie réalité et l’appelle à grands cris, comme dans le poème qui s’intitule Hasard :

« Ah, ouvrez-moi une autre réalité !
Je veux avoir, comme Blake, la contiguïté des anges,
Avoir des visions pour repas.
Je veux trouver des fées dans la rue !
Je veux me désimaginer de ce monde fait de griffes,
De cette civilisation faite de clous » [51].

Tout au long du Livre de l’intranquillité, Bernardo Soares ne fait qu’exprimer la même chose, et il consigne dans son journal, ce que Teresa Rita Lopes nomme « l’insomnie d’exister » [52], c’est-à-dire qu’il n’est ni capable de dormir la vie, ni de s’éveiller à une autre vie :

« Jamais je ne dors : je vis et je rêve, ou plutôt, je rêve dans la vie comme dans le sommeil, qui est aussi la vie. Il n’y a pas d’interruption dans ma conscience : je sens ce qui m’entoure si je ne suis pas encore endormi, ou si je dors mal ; et je commence à rêver aussitôt que je m’endors réellement. Ainsi suis-je un perpétuel déroulement d’images, cohérentes ou incohérentes, feignant toujours d’être extérieures, les unes interposées entre les gens et la lumière si je suis éveillé, les autres interposées entre les fantômes et cette sans-lumière que l’on aperçoit, si je suis endormi. Je ne sais véritablement pas comment distinguer une chose de l’autre, et je ne saurais affirmer que je ne dors pas quand je suis éveillé, ou que je ne m’éveille pas alors même que je dors » [53].

Soares prend note (« jamais je ne dors »), mais Campos opère la dramatisation de l’écriture : il nous fait assister à l’inquiétude physiquement extériorisée de l’insomniaque qui se tourne et se retourne dans son lit sans parvenir à trouver le sommeil.
Notons que tous les principaux autres de Fernando Pessoa (à l’exception de Caeiro, maître dans l’art de ne jamais se diviser) expriment sans cesse cette angoisse de l’être qui se pense entre deux réalités : celle qui existe dans l’espace et le temps, en tant que chose extérieurement réelle, et celle qui est révélée par le rêve, en tant que chose intérieurement réelle. Lorsque Campos se tourne vers les autres, qui existent à l’extérieur de lui, - situation que le poème Bureau de Tabac dramatise – il se penche à la fenêtre pour regarder mais il reste irrémédiablement partagé :

« Aujourd’hui je suis perplexe, comme celui qui a
pensé, trouvé puis oublié.
Aujourd’hui je suis divisé entre la loyauté que je dois
Au Tabac d’en face, chose réelle au-dehors,
Et la sensation que tout est rêve, chose réelle
au-dedans » [54].

Soares, quant à lui, ne parvient pas davantage à distinguer « la réalité qui existe et le rêve, c’est-à-dire la réalité qui n’existe pas » [55], et de fait, il est incapable de choisir. Toujours ce même déchirement entre le dehors et le dedans, apanage des personnages pessoens.
Tout comme l’auteur de l’Ode maritime, les Veilleuses, elles, choisissent la vraie vie. Le cercueil qui impose sa présence pendant toute la durée de la pièce fonctionne en fait comme un point de départ, un quai d’où les Veilleuses partent pour le grand voyage de leur vie intérieure. Le cercueil représente aussi la fontière entre la fausse vie et la vraie vie. Mais, si elles ont réussi à franchir clandestinement la frontière pour sortir de la fausse vie, il apparaît que l’accès à la vraie vie leur reste fermé. Elles errent donc dans un no man’s land. D’ailleurs, la situation des Veilleuses n’est pas clairement définie : elles ne sont ni de plain-pied avec le réel, ni totalement abandonnées au rêve. Elles planent entre deux silences : celui qui correspond au jour, à « l’inconscience de la vie » [56], force de gravité qui finit par avoir raison des rêves, et celui qui représente la force opposée, celle qui leur délie la voix de l’âme, la même qui, au début de la pièce, happe la flamme des bougies en dépit de l’absence de vent. Elles se défendent également de ces deux attractions comme si elles représentaient deux monstres prêts à les dévorer, et ne trouvent un semblant de paix et d’équilibre que le temps d’un rêve.
Toute la pièce est construite sur un système d’oppositions qui met en pleine lumière le problème central : l’opposition entre la vie quotidienne et la vie rêvée, entre la réalité prosaïque et la réalité fantasmée. « Le seul mal, c’est de vivre… Que nos tuniques n’aillent pas même frôler la vie » [57], dit la Deuxième Veilleuse, pour poursuivre un peu plus loin : « Seul le rêve est éternel et beau » [58]. Ce système d’oppositions qui soutient tout l’édifice du Marin est basé sur les possibilités offertes par la structure même de chaque élément utilisé.
L’espace intérieur est quasiment nul de par sa neutralité : « Une salle, située sans nul doute dans un vieux château », ( le « sans nul doute » accentuant encore un peu plus le sentiment d’irréalité), mais il s’ouvre vers l’extérieur : « A droite, presque en face de soi quand on imagine cette salle, une seule fenêtre, haute et étroite, d’où l’on aperçoit seulement, entre deux montagnes au loin, un étroit bras de mer » [59], et c’est là son principal intérêt puisqu’il donne accès à la mer, cette eau matricielle, féconde, qui permet l’apparition du marin et son naufrage, et qui permet par conséquent au rêve de déployer ses voiles.
La succession des jours et des nuits correspond au combat de la vie quotidienne et du rêve, combat entre la vraie vie et la mort, entre la vie réelle et la vie idéalisée. Si le silence est une menace, il permet aussi le discours rédempteur du rêve. La parole, elle, peut se présenter sous un aspect menaçant, quand elle se fait discours de la vie de tous les jours, ou sous un aspect rédempteur, quand elle se transforme en discours du rêve. Ainsi, chaque élément est porteur d’une tension interne, inhérente à sa nature, et tous contribuent à former un réseau tensionnel qui maintient la pièce en un permanent éveil dramatique.
Notons aussi que la pièce cherche « à créer ce temps nul de ce qui n’arrive nulle part » [60] : « Nulle heure n’a sonné encore », dit la Première Veilleuse pour débuter la pièce. A quoi la Deuxième Veilleuse répond : « On n’aurait pu l’entendre. Il n’y a pas d’horloge près d’ici » [61]. Dans le Marin, l’heure ne sonne jamais, pas même symboliquement. L’absence d’horloge, loin d’angoisser les Veilleuses, les réjouit profondément. Et ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition (ignorer l’heure, n’avoir aucune conscience du temps qui passe) que les Veilleuses peuvent libérer la voix de leur âme. Ainsi, quand la Troisième Veilleuse s’interroge : « Pourquoi n’y a-t-il pas d’horloge dans cette pièce ? », la Deuxième Veilleuse lui répond : « Je ne sais pas… Mais ainsi tout est plus lointain, plus mystérieux… La nuit s’appartient mieux encore… Qui sait si nous pourrions parler ainsi, en sachant l’heure ? » [62]. En quelque sorte, elles se réjouissent de leur situation. Leur isolement, leur éloignement, est voulu. Garder leurs distances par rapport à la vie semble bien être le souci permanent des Veilleuses : « Le seul mal, c’est de vivre… Que nos tuniques n’aillent pas même frôler la vie » [63].
Tout ce système permet en fait le déroulement du drame en dehors de toute action physique autre que l’acte de parler, car c’est le mot qui, à lui seul, permet le développement des grandes oppositions du texte sur lequel repose la pièce, en créant un monde idéal et idéalisé – le rêve – qui est un des pôles de l’opposition entre le rêve et la vie quotidienne. Les Veilleuses n’agissent jamais, elles constituent une sorte de chœur et ne font que « commenter, qu’annoncer, que redouter une action qui leur est, comme à nous, cachée et qui, par leur intermédiaire seulement, nous arrive. Elles sont (…) les coryphées d’une action occulte » [64]. Il faut bien préciser ici que la langue, pour les Veilleuses, n’a aucune valeur référentielle. Elles ne cherchent pas à être renseignées sur quoi que ce soit. D’ailleurs, même les questions qu’elles se posent les unes aux autres n’attendent pas de réponse : « Non, non, ne dites rien… Je ne vous pose pas cette question pour que vous me répondiez, mais seulement pour parler, pour ne pas me laisser aller à penser » [65]. La seule raison pour laquelle les Veilleuses parlent serait donc, comme nous venons de le citer, pour ne pas penser ?
En fait, il existe d’autres raisons plus complexes. Tout à fait conscientes de l’inutilité de leurs paroles, oscillant entre le besoin de parler et le manque d’intérêt pour le faire, hésitant à poursuivre les récits qu’elles commencent, elles ont surtout à cœur de masquer le silence. La Première Veilleuse affirme : « Malgré tout, parlez… Ce que nous disons, ce que nous ne disons pas, cela a si peu d’importance… Nous veillons les heures qui passent. Notre office est aussi inutile que la Vie » [66]. Veiller la vie, bercer le silence pour l’endormir, pour qu’il ne soit pas menaçant. Mais il faut distinguer deux sortes de silence :

« (…) celui qui, devenu insupportable, règne dans les parages où les Veilleuses s’aventurent pour fuir la vie, et l’autre, celui de la vie, du bourdonnement tranquille, apaisant, des insectes familiers. Nous avons vu que les Veilleuses oscillent entre ces deux rôles : d’une part l’inconnu – l’ascèse, le rêve – et de l’autre, la tentation de céder au ‘ jour réel ‘ qui ‘console’ » [67].

Les Veilleuses ne parlent jamais de quoi que ce soit de concret, car rien de concret ne se passe. Ce n’est pas le sens de leurs paroles qui compte, mais leur son, leur rythme : « la musique de votre voix, que j’écoutais plus encore que vos paroles » [68]. Conscientes de l’inutilité de parler : « Tout cela, ce ne sont que des mots. Il est si triste de parler ! C’est une manière si fausse d’oublier ! » [69], bégayant au milieu des mots, une des Veilleuses propose même de substituer le chant à la parole : « Pourquoi donc parler ? Il vaut mieux chanter (…). Le chant, la nuit, est comme une personne joyeuse et sans crainte, qui entre soudain dans notre chambre et la réchauffe en nous réconfortant » [70].
Mais le principal rôle du langage, pour les Veilleuses, est celui de la création d’une fiction. Leurs paroles ne sont que des inventions, elles ne font que feindre et le savent parfaitement, aucune n’est dupe. Il existe même une sorte d’émulation naturelle entre elles, ainsi, dans ce passage :

« PREMIERE VEILLEUSE : - Je vois un navire par la fenêtre, au loin ; c’est peut-être celui que vous avez vu…
DEUXIEME VEILLEUSE : - Non, ma sœur ; celui que vous voyez là est sans doute en quête de quelque port. Celui que j’ai vu ne pouvait chercher aucun port au monde.
PREMIERE VEILLEUSE : - Pourquoi m’avoir répondu ? Peut-être… Je n’avais vu aucun navire par la fenêtre… Je désirais en voir un, et je vous en ai parlé pour ne pas éprouver de regret… » [71].

Ce mensonge, la Veilleuse le raconte tout d’abord à elle-même, mais elle a besoin des autres pour l’aider à poursuivre sa fiction. Ce manque de conviction qu’éprouve le personnage vient de ce qu’il se dédouble en celui qui rêve et l’autre, c’est-à-dire celui qui se voit rêver. « Un abîme s’est ouvert entre ma voix et moi », affirme la Première Veilleuse qui poursuit un peu plus loin : « Comme je me sens étrange !Il me semble que je n’ai plus ma voix… Une partie de moi s’est endormie, et observe de loin » [72]. Cette « partie » du personnage de la Veilleuse qui « observe de loin » est tentée de détruire ce que fait l’autre [73].
On peut se demander s’il ne s’agit pas pour elles d’un jeu que chacune jouerait avec et pour les autres, mais aussi pour elle-même. Vers la fin du drame, la Deuxième Veilleuse, après avoir demandé : « Qui est en train de parler avec ma voix ?… Ah, écoutez », finit par avouer : « Rien. Je n’ai rien entendu… J’ai fait semblant d’entendre quelque chose, pour vous faire croire que vous l’aviez entendu aussi ; ainsi j’aurai pu croire, à mon tour, qu’il y avait quelque chose à entendre… » [74].
A un moment donné, le récit de la Deuxième Veilleuse l’emporte sur celui des autres qui finissent par se taire pour mieux l’écouter. Cependant, il ne s’agit pas d’un récit isolé puisqu’il est vigoureusement soutenu par les autres : « Continuez, quand bien même vous ne sauriez pourquoi… » ; « Le rêve, comment continue-t-il ? », « Qu’est-il arrivé après cela ? » [75]. Mais lorsque le rêve s’achève, elles se retrouvent solitaires, désemparées :

« Elles cherchent alors non plus à créer un rêve mais à le fuir : les répliques ne s’organisent plus autour d’un noyau – le rêve de la Deuxième Veilleuse – mais nous donnent l’impression de se débattre, chacune de son côté, tout en menant une lutte commune. Les répliques ne sont plus étanches, indépendantes les unes des autres comme celles des soliloques (…). Il s’agit de monologues en chaîne, isolés comme des cris mais réagissant à un même stimulant et s’influençant mutuellement » [76].

L’hésitation éprouvée par chaque Veilleuse entre le besoin de parler et celui de le faire cache encore une autre hésitation : au cours de leur existence, les Veilleuses se débattent entre l’envie de fuir le réel et la tentation de capituler face à lui, de se rendre à « l’inconscience de la vie » [77]. Le jour représente la mort des rêves mais il offre la paix que procure l’inconscience.
Ajoutons encore que, dans ce système oppositionnel, c’est à partir des éléments présents dès le début de la pièce que s’opère le passage d’une sphère à une autre, de la sphère du réel à celle du rêve. Ce ne sont donc pas les constituants qui changent mais seulement leur agencement. Déjà, la Deuxième Veilleuse disait : « C’est ailleurs seulement que la mer est belle. Celle que nous pouvons voir éveille toujours le regret de celle que nous ne verrons jamais » [78]. De la même façon, ce ne sont pas les mots qui changent, mais seulement leur utilisation. Ainsi, tout en cherchant dans les choses l’idéal d’un infini, Fernando Pessoa finit par être fidèle, malgré lui, à une affirmation de Paul Valéry (qui date de 1917, soit trois ans après la publication du Marin), selon laquelle le symbolisme serait l’art de « reconnaître le procédé de formation du langage ; et appliquant au langage formé, une seconde fois en quelque sorte, au carré, son procédé de formation même comme procédé d’expression, faire un langage dans le langage » [79].
Considérons à présent de manière plus précise le rêve du Marin. La Deuxième Veilleuse évoque un passé où elle vivait « parmi les rochers et d’où [elle] apercevai[t] la mer », un passé où elle était « jeune et barbare » [80]. Un jour, elle rêvait, au bord de la mer, qu’elle apercevait une voile ; elle rêvait aussi du marin qui, ayant fait naufrage, arrivait dans une île déserte. Ce que l’on remarque tout d’abord, c’est l’enchaînement des rêves : le marin est le produit du rêve de la Deuxième Veilleuse ; à son tour, il se met à rêver, d’une patrie nouvelle ; et puis, ce sont les Veilleuses elles-mêmes qui se demandent si elles ne seraient pas le produit du rêve du marin (« Pourquoi le marin ne serait-il pas la seule chose vraie dans tout cela, et nous, et tout le reste avec nous, un simple rêve qu’il ferait, lui ? » [81]), faisant corps avec cette matière fuyante et pourtant si réelle du rêve.
On peut noter que le récit de ce rêve est un discours essentiellement descriptif :

« (…) des palmiers se dressaient, figés, et de lents oiseaux passaient auprès d’eux…(…) il ne cessait de rêver, le jour, à l’ombre réduite des palmiers qui se découpait, ourlée de pointes, sur le sol sablonneux et chaud, ou la nuit, étendu de dos sur la plage, sans même voir les étoiles » [82].

Nous sommes donc dans un récit descriptif qui est surtout un discours d’images. Ceci ne doit en aucun cas nous étonner puisque l’image est le propre du rêve et il est tout à fait normal que le discours verbal qui présente ce rêve soit constitué par des images dans lesquelles l’aspect visuel est frappant. Pessoa disait d’ailleurs que le poète du rêve est, généralement, un visuel, un visuel esthétique. Mais le mot, naturellement, continue à régner en maître. Dans la discussion sur l’utilisation des images par les poètes baroques et par les Surréalistes, la défense de celle-ci se fonde sur son extraordinaire pouvoir de révélation. L’image servirait « à exprimer des vérités secrètes et à révéler la fonction dernière des objets de la nature, fonction qu’elle dévoile, que les hommes ignoreraient sans elle » [83]. Elle permettrait encore

« non pas d’établir mais de rétablir les rapports entre les objets et de partir ainsi à la conquête d’un monde inconnu mais pas inconnaissable, de cogner à la porte d’un Absolu considéré, en dernière analyse, comme mystérieux mais aussi comme familier et non pas radicalement autre » [84].

Dans ce drame où le rêve tient le rôle principal autant d’un point de vue thématique que dramaturgique, l’utilisation d’un discours verbal avec une forte présence de l’image n’est pas étonnant. Pourtant, on peut être frappé par la relation toute particulière entre le discours de la pièce, pour ce qui concerne les dialogues et le récit sur le marin : en effet, il existe une tension entre verbe et image, même si la parole reste omniprésente. On peut ici penser, toutes proportions gardées, au problème de la rhétorique et du langage au XVIIème siècle tel que le présente Marc Fumaroli :

« Si la rhétorique se donne tant de peine pour construire un discours pour définir les figures, c’est parce qu’elle est à la fois un acte de foi dans le langage, et une reconnaissance de ses limites cognitives. Dans la perspective rhétorique, il y a donc place pour une révélation propre à l’image. L’image peut faire franchir un seuil de plus vers la chose à connaître » [85].

Or, c’est exactement comme si, dans le Marin, quelque chose pouvait être révélé par les images dont la formulation verbale serait une approche, même si ladite approche touche à un degré de perfection tout à fait remarquable.
Le Marin ne s’appuie sur aucun événement réel. Il ne se déroule aucune action dans cette pièce, les Veilleuses ne font aucun geste, parce que « chaque geste interrompt un rêve » [86]. Tout n’est qu’aventure intérieure et tragédie intime. Dans ce drame statique, Pessoa ne s’est pas contenté d’échanger le réel contre des symboles, il a voulu créer un nouveau réel, un autre réel, uniquement par le pouvoir de la parole. Ce sont les Veilleuses qui créent leur personnage, le marin, et une fois créé par la parole, elles le détruisent. C’est la parole qui seule est capable de créer son propre objet, sa seule réalité. La Deuxième Veilleuse annonce son rêve par ces mots : « Ce rêve, je vais vous le dire. Il n’est pas totalement faux, parce que, sans aucun doute, rien ne saurait être totalement faux. Cela a dû se passer ainsi… Un jour où… » [87]. Ainsi, rien de ce que l’on raconte ne peut être totalement faux car, par le seul fait de l’avoir dit, d’avoir prononcé les mots, on a donné une existence à ce qui, peut-être, n’existe pas dans la vie réelle. C’est ce que dit la Troisième Veilleuse en avouant sa peur « d’aller, comme par une forêt obscure, à travers le mystère de la parole » :

« Cela me fait horreur, de penser que dans quelques instants, je vous aurais dit ce que maintenant je vais vous dire. Mes paroles, à peine prononcées, appartiendront au passé et se tiendront hors de moi, je ne sais où, rigides et fatidiques » [88].

Cette idée est d’ailleurs reprise un peu plus loin par la même Veilleuse :

« Vous racontiez, et cela m’absorbait au point que j’entendais le sens et le son de vos paroles séparément. Et il me semblait que vous-même, et votre voix, et le sens de vos phrases, étiez trois êtres différents, comme trois personnes capables de parler et de marcher » [89],

et confirmé par la Deuxième Veilleuse : « Ce sont bien trois êtres différents, avec leur vie propre et bien réelle » [90]. C’est bien pour cette raison que cette dernière craignait que son rêve puisse irriter les dieux : « J’ai une crainte monstrueuse que Dieu n’ait interdit mon rêve… Il est sans doute plus réel que Dieu ne le permet » [91]. Car rien n’existe, pour Pessoa, en dehors du pouvoir de la parole créatrice. Même les personnages parlent pour être sûr d’exister tout en sachant qu’ils n’existent pas réellement. Grâce au rêve, le créateur supplante le Créateur :

« Le stade le plus élevé du rêve est atteint lorsque, ayant créé un tableau et des personnages, nous les vivons tous à la fois – nous sommes toutes ces âmes de façon conjointe et interactive. Il en résulte un degré incroyable de dépersonnalisation de l’esprit, poudreusement réduit en cendres, et il est difficile, je l’avoue, d’échapper à un épuisement total de l’être… Mais quel triomphe !

C’est là le seul, l’ultime ascétisme. Il n’abrite aucune foi, aucun Dieu.
Dieu, c’est moi » [92].

L’homme de la rêverie est de toute part dans son monde, dans un dedans qui n’a pas de dehors, il l’habite entièrement. Le monde ne lui fait plus face. Le moi ne s’oppose plus au monde : « Dans la rêverie, il n’y a plus de non-moi. Dans la rêverie, le non n’a plus de fonction : tout est accueil » [93]. Mais la rêverie pessoenne n’a de sens que si elle est écrite. Seule la mise en mots permet d’accéder au plus important degré de dépersonnalisation et de se sentir, enfin, multiple. Il n’est donc pas d’acte plus grand que la rêverie et la vie n’est plus alors qu’une pâle copie.

Notes

[1SOARES Bernardo, Fragment n° 173, Le Livre de l’intranquillité, Autobiographie sans événements, op. cit., p. 194.

[2BACHELARD Gaston, La Poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1960, p. 129.

[3Ibid., p. 7.

[4Ibid., p.8.

[5BOUSQUET Joé, cité sans référence par Gaston PUEL dans un article de la revue Le temps et les hommes, Mars 1958, p. 62.

[6BACHELARD Gaston, La Poétique de la rêverie, op. cit., pp. 69-70.

[7PESSOA Fernando, De la préface aus « Fictions de l’interlude », Appendice au Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 560.

[8PESSOA Fernando, Lettre à Adolfo Casais Monteiro, in Sur les hétéronymes, op. cit., pp. 29-30.

[9SOARES Bernardo, Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 121.

[10SIAFLEKIS Zacharias I., Le livre de l’intranquillité : logique générique et acte communicationnel, in Colloque de Cerisy, op. cit., p. 225.

[11SOARES Bernardo, Fragment n° 110, Le livre de l’intranquillité, op. cit., p. 138.

[12BACHELARD Gaston, La Poétique de la rêverie, op. cit., p. 12.

[13GIL José, Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations, op. cit., p. 138.

[14SOARES Bernardo, Fragment n° 298, Le livre de l’intranquillité, op. cit., pp. 300-301.

[15PESSOA Fernando, Millimètres (sensations de choses infimes), Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 517.

[16GIL José, Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations, op. cit., p. 139.

[17SOARES Bernardo, Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 522.

[18GIL José, Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations, op. cit., p. 141.

[19C’est nous qui soulignons.

[20PESSOA Fernando, La divine jalousie, Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., pp. 501-502.

[21PESSOA Fernando, Voie lactée, Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 525.

[22Ibid., p. 523.

[23GIL José, Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations, op. cit., p. 143.

[24PESSOA Fernando, Voix lactée, Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 524.

[25GIL José, Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations, op. cit., p. 143.

[26SOARES Bernardo, Voix lactée, Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 523.

[27Ibid., Fragment n° 122, p. 146.

[28Ibid., Fragment n° 121, p. 146.

[29Ibid., Fragment n° 451, p. 428.

[30BACHELARD Gaston, La Poétique de la rêverie, op. cit., p. 68.

[31CAMPOS Alvaro de, Ode Maritime, in Les grandes odes, in OC de Fernando PESSOA, op. cit., pp. 228-229.

[32GIL José, Fernando Pessoa ou la métaphysique des sensations, op. cit., p. 146.

[33SOARES Bernardo, Fragment n° 452, Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 429.

[34LOPES Maria Teresa Rita, Fernando PESSOA et le drame symboliste : Héritage et création, Paris, Fondation Calouste GULBENKIAN, Centre culturel Portuguais, 1985, 2ème édition, p. 141.

[35Il s’agit d’une référence directe au « drame somnambulique » que Maeterlinck a voulu créer au début de sa carrière.

[36PESSOA Fernando, Le Marin, in Œuvres de Fernando Pessoa, Tome II, publiées sous la direction de Robert Bréchon et Eduardo Prado Coelho, Paris, Christian Bourgois Editeur, 1988, p. 190.

[37Idem.

[38Idem.

[39Ibid., pp. 196-197.

[40Ibid., p. 199.

[41Idem.

[42Ibid., p. 202.

[43Ibid., pp. 203- 204.

[44Ibid., p. 204.

[45Ibid., p. 203.

[46LOPES Teresa Rita, Du drame statique au voyage extatique, Présentation du Marin, de Fernando PESSOA, op. cit., p.180.

[47C’est nous qui soulignons.

[48DE CAMPOS Alvaro, Dactylographie, in Derniers poèmes, OC de Fernando PESSOA, op. cit., p. 445.

[49Ibid., Insomnie, in Derniers poèmes, op. cit., p. 402

[50Ibid., Bicarbonate de Soude, in Derniers poèmes, op. cit., p. 420.

[51Ibid., p. 405.

[52LOPES Teresa Rita, Fernando Pessoa, Le théâtre de l’être, Paris, Littérature, Editions de la Différence, 1985, p. 13.

[53SOARES Bernardo, Fragment n° 342, Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 337.

[54CAMPOS Alvaro de, Bureau de Tabac, Le Muy, Editions Unes, 1993 pour la traduction française, p. 16.

[55SOARES Bernardo, Fragment n° 378, Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 365.

[56PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 204.

[57Ibid., p. 191.

[58Ibid., p. 200.

[59Ibid., p. 189.

[60LOPES Teresa Rita, Du drame statique au voyage extatique, Présentation du Marin, de Fernando PESSOA, op. cit., p. 178.

[61PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 189.

[62Ibid., p. 191.

[63Ibid., p. 191.

[64LOPES Maria Teresa Rita, Fernando PESSOA et le drame symboliste : Héritage et création, op. cit., p.195.

[65PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 202.

[66Ibid., p. 198.

[67LOPES Maria Teresa Rita, Fernando PESSOA et le drame symboliste : Héritage et création, op. cit., p. 205.

[68PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 200.

[69Ibid., p. 190.

[70Ibid., p. 194.

[71PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 196.

[72Ibid., pp. 203-204.

[73Nous pouvons ici comparer ce dédoublement du personnage avec celui des personnages de Pirandello qui, tout à la fois jouent, et se voient en train de jouer.

[74PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 204.

[75Ibid., pp. 198-199.

[76LOPES Maria Teresa Rita, Fernando PESSOA et le drame symboliste : Héritage et création, op. cit., p. 221.

[77PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 204.

[78Ibid., p. 190.

[79VALERY Paul, Cahiers, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Tome II, 1974, p. 1173.

[80PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 193.

[81Ibid., p. 202.

[82Ibid., p. 196.

[83VARGA Kibédi, Les constantes du poème : analyse du langage poétique, Picard, Paris, 1977, p. 214.

[84Idem.

[85FUMAROLI Marc, L’Ecole du silence, Entretien avec Jacqueline Lichtenstein et Jean-François Groulier, Paris, Art Press, 1993, p. 41.

[86PESSOA Fernando, Le Marin, op. cit., p. 191.

[87Ibid., p. 195.

[88Ibid., pp. 193-194.

[89Ibid., p. 203.

[90Idem.

[91Ibid., p. 200.

[92PESSOA Fernando, De l’art de bien rêver, Grands textes, in Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 500.

[93BACHELARD Gaston, La Poétique de la rêverie, op. cit., p. 144.

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