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Le Dit de Helgi 

Extrait de la Saga de Hrolfr kraki

dimanche 24 juillet 2011, par Anonyme

La Saga de Hrolfr kraki, rédigée au XVème siècle, raconte l’histoire des royaumes scandinaves originels, en des temps où hommes et bêtes, vivants et dieux, le visible et l’invisible avaient encore le même univers en partage.

Chapitre VI
Hroarr épouse Ögn fille de Nordri

Il y avait un roi qui s’appelait Nordri. Il régnait sur quelques parties de l’Angleterre. Sa fille s’appelait Ögn. Hroarr resta longtemps chez le roi Nordri pour commander sa défense territoriale et l’assister. Il y avait entre eux très grande amitié et, pour finir, Hroarr épousa Ögn et s’établit là pour régner avec le roi Nordri, son beau-père. Pour Helgi, il régnait sur le Danemark, sur leur patrimoine. Le jarl Saervill et Signy régnaient sur leur royaume. Leur fils s’appelait Hrokr. Le roi Helgi, fils de Halfdan, du Danemark, n’était pas marié. Reginn tomba malade et mourut. On estima que c’était une grande perte, car il était populaire.

Chapitre VII
La reine Olöf dupe le roi Helgi

En ce temps-là régnait sur le Saxland une reine qui s’appelait Olöf. Elle avait les façons des rois de guerre. Elle portait bouclier et broigne, elle était ceinte d’une épée et portait heaume en tête. Voici comme elle était faite : belle d’apparence, mais cruelle de caractère et arrogante. On disait qu’elle était le meilleur parti dont on eût entendu parler, en ce temps-là, dans les pays du Nord, mais elle ne voulait pourtant épouser personne. Le roi Helgi entendit parler de cette reine fière ; il estima que grand renom lui adviendrait d’épouser cette femme, qu’elle y consentît ou non.
Un jour, il se rendit là-bas avec une grande troupe de guerriers. Il débarqua là où régnait cette reine, et y arriva à l’improviste. Il envoya des hommes à la halle et ordonna de dire à la reine Olöf qu’il voulait recevoir un festin pour lui et ses hommes. Les messagers dirent cela à la reine, elle fut prise à l’improviste, il n’était pas question qu’elle rassemblât des troupes. Elle résolut de faire ce qu’il y avait de mieux : elle invita le roi Helgi à un banquet avec sa troupe.
Le roi Helgi vint donc au banquet et se plaça dans le haut-siège à côté de la reine. Ils burent tous les deux ensemble ce soir-là, rien ne manqua, et la reine Olöf ne manifesta aucun signe de déplaisir.
Le roi Helgi dit à la reine : « Il se trouve, dit-il, que je veux que nous buvions à notre mariage ce soir. Il y a suffisamment de monde ici pour cela, et nous allons tous deux partager le même lit cette nuit. »
Elle dit : « Il me semble, sire, que c’est aller trop promptement en besogne, mais je ne pense pas qu’il y ait homme plus courtois que toi, s’il fallait que je m’attache à un homme, et je ne m’attends pas à ce que tu voudrais accomplir cela de manière déshonorante. »
Le roi dit qu’elle mériterait, en raison de son orgueil et de son arrogance, « que nous cohabitions tous les deux aussi longtemps qu’il me plaira. »
Elle dit : « Nous devrions bien avoir ici davantage de nos amis, et je ne puis rien y faire, tu décideras, et tu te conduiras honorablement envers moi. »
On but ferme ce soir-là et longtemps pendant la nuit ; la reine était très joyeuse et elle ne faisait pas mine de penser autre chose que de trouver excellent ce mariage. Pour finir, on mena le roi Helgi au lit, et elle se trouvait là. Le roi avait bu si ferme qu’il tomba endormi aussitôt sur sa couche. La reine exploita cela et le piqua de l’épine du sommeil [1].
Lorsque tout le monde fut parti, la reine se leva. Elle lui rasa tous les cheveux et l’enduisit de goudron. Puis elle prit un sac de cuir et mit dedans quelques vêtements. Après cela, elle s’empara du roi et le fourra dans ce sac. Puis elle trouva de ses hommes pour le transporter à ses bateaux. Elle réveilla alors les hommes du roi et dit que leur roi était arrivé à ses bateaux et qu’il voulait mettre à la voile car un vent favorable était arrivé. Ils se levèrent d’un bond, chacun le plus vite possible, mais ils étaient ivres et savaient à peine ce qu’ils devaient faire. Ils arrivèrent aux bateaux et ne virent le roi nulle part, mais ils virent un énorme sac de cuir venu là. Ils voulurent alors s’enquérir de ce qu’il y avait dedans en attendant le roi, pensant qu’il arriverait plus tard. Quand ils eurent ouvert le sacs, ils y découvrirent leur roi honteusement abusé. Alors, l’épine du sommeil tomba, et le roi ne se réveilla pas au sortir d’un bon rêve, il était alors très mal disposé envers la reine.
D’autre part, il faut dire que la reine Olöf assemble des troupes pendant la nuit, elle ne manque pas de monde et le roi Helgi voit qu’il n’est pas loisible de la chercher. Ils entendent le son des lurs et la sonnerie des trompettes à terre. Le roi voit que le mieux serait de partir au plus vite. Le vent est favorable. Le roi cingle donc jusque dans son royaume, avec cette ignominie et ce déshonneur, il est plein de ressentiment et réfléchit souvent à la façon dont il pourra se venger de la reine.

Chapitre VIII
Helgi se venge de la reine

La reine Olöf siège dans son royaume un moment, jamais son arrogance et sa tyrannie n’ont été plus grandes. Elle s’entoure d’une forte garde après le banquet qu’elle a offert au roi Helgi. On apprend cela par tous le pays. Tout le monde trouve sans exemple qu’elle se soit moquée d’un tel roi.
Peu de temps après, le roi Helgi dirige ses bateaux hors du pays, et dans cette expédition, il aborde en Saxland, là où la reine Olöf a sa résidence. Elle a là une grande quantité d’hommes. Il mouille ses bateaux dans une baie cachée puis dit à ses troupes qu’elles l’attendent jusqu’au troisième soleil et que, s’il ne revient pas, elles aillent leur chemin. Il emporte deux coffres plein d’or et d’argent. Il porte un mauvais costume en fait de vêtement du dessus.
Puis il va jusqu’à une forêt et y cache son argent, s’en va ensuite et se rend à proximité de la halle de la reine. Il rencontre un des esclaves de la reine et lui demande les nouvelles du pays. L’esclave dit que la paix est bonne et demande qui il est.
Le roi déclare être un vagabond, « toutefois, j’ai trouvé un grand trésor dans la forêt, et je pense judicieux de te montrer où il est ». Ils reviennent à la forêt et il lui montre le trésor, l’esclave estime que ce trésor est de grande valeur et que la chance l’a visité.
« Dans quelle mesure la reine est-elle cupide ? », dit le vagabond. L’esclave déclare qu’elle est la plus cupide des femmes.
« Alors, cela va lui plaire et elle estimera que ce trésor, que j’ai trouvé ici, lui appartient car c’est sa terre. On ne va pas faire de bonne fortune malchance et on ne va pas dissimuler ce trésor, la reine m’octroiera le lot qu’elle voudra, et c’est ce qui me conviendra le mieux. Et est-ce qu’elle voudra faire en sorte de venir chercher ce trésor ?
Je crois, dit l’esclave, si l’on s’y prend en secret.

— Voici un collier et un anneau que je veux te donner, dit l’homme, si tu l’amènes ici dans la forêt, et je veillerai à prendre une décision si tu lui déplais. »
Ils passèrent marché là-dessus.
L’escalve s’en fut à la maison, dit à la reine qu’il avait trouvé un grand trésor dans la forêt, de quoi faire le bonheur de maints hommes, et il lui demanda de venir en hâte avec lui chercher ce bien.
Elle dit : « Si ce que tu dis est vrai, cette histoire te vaudra de la chance, sinon, ce sera la mort. Toutefois, j’ai déjà fait l’expérience que tu es un homme fidèle et donc, je te fais confiance là-dessus. »
Elle montrait donc qu’elle était cupide. Elle l’accompagna, de nuit, en secret, de sorte qu’il n’y avait personne en dehors d’eux deux. Lorsqu’ils arrivèrent dans la forêt, Helgi se trouvait là et s’empara d’elle en disant que leur rencontre tombait bien pour qu’il venge son déshonneur.
La reine déclara qu’elle s’était mal conduite envers lui – « et je veux compenser tout cela vis-à-vis de toi, et épouse-moi honorablement.
Non, dit Helgi, je ne t’accorderai pas ce parti. Tu vas venir aux bateaux avec moi et rester là tout le temps qu’il me plaira car pour mon propre honneur, je ne puis supporter de ne pas tirer vengeance de toi, tant j’ai été mal traité et honteusement.
C’est à toi d’en décider pour cette fois, dit-elle. »
Le roi coucha avec la reine bien des nuits. Après cela, la reine retourna chez elle. On avait tiré vengeance d’elle comme on vient de le dire, elle était très mécontente de son lot.

Chapitre IX
Helgi prend Yrsa pour femme

Après cela, le roi Helgi s’en fut en expéditions guerrières et fut un homme renommé. Le temps passant, Olöf mit au monde un enfant. Elle traita cet enfant avec un total mépris. Elle avait un chien qui s’appelait Yrsa et elle appela la petite fille d’après elle. Yrsa était avenante de visage. Et lorsqu’elle eut douze hivers, on lui fit garder les troupeaux. Tout ce qu’on lui fit savoir, c’est qu’elle était fille d’un petit bondi [2] et d’une vieille, car la reine avait mené cette histoire dans un tel secret que peu de gens savaient qu’elle avait donné naissance à un enfant.
On progresse jusqu’à ce que la petite fille ait treize hivers. Il y eut alors cet événement que le roi Helgi vint dans ce pays et fut curieux d’en avoir des nouvelles. Il s’était déguisé en vagabond. Il vit dans une forêt un troupeau nombreux que gardait une jeune femme de si belle figure qu’il pensa n’en avoir jamais vu de si belle. Il demanda comment elle s’appelait et de quelle famille elle était.
Elle dit : « Je suis fille d’un petit bondi et je m’appelle Yrsa. »
« Tu n’as pas des yeux de femme du commun », dit-il, et il s’éprit aussitôt d’elle, disant qu’il conviendrait qu’un vagabond l’épouse, puisqu’elle était fille de pauvre. Elle lui demanda de ne pas faire cela, mais il la prit, l’emmena à ses bateaux et fit voile ensuite vers son royaume.
Lorsqu’elle apprit cela, la reine Olöf se comporta en fourbe. Elle fit mine de ne pas savoir ce qu’il en était, et se mit dans l’esprit que cela serait objet de deuil et de déshonneur pour le roi Helgi, et en aucun cas de renom ni de bonheur. Le roi Helgi fêta ses noces avec Yrsa et l’aima beaucoup.

Chapitre X
Helgi donne à Hroarr un excellent annea
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Le roi Helgi possédait un anneau de grand renom, les frères voulaient l’avoir tous les deux ainsi que Signy, leur sœur. Une fois, le roi Hroarr vint au royaume du roi Helgi, son frère. Ce dernier fit un magnifique banquet en son honneur.
Le roi Hroarr dit : « Tu es le plus important de nous deux, c’est pour cela que je me suis établi en Northumbrie [3] : je t’accorde volontiers une partie de ce royaume qui nous appartient à tous les deux si tu veux partager avec moi quelque bien. Je veux cet anneau qui est l’objet le plus précieux que tu aies et que toi et moi aimerions posséder. »
Helgi dit : « Il n’est rien qui ne convienne, parent, sinon que tu possèdes l’anneau. »
Ces propos les réjouirent tous les deux. Le roi Helgi remit au roi Hroarr, son frère, cet anneau. Le roi Hroarr s’en fut chez lui dans son royaume et y resta en paix.

Chapitre XI
Hrokr tue le roi Hroarr

Il se fit que Saevill, leur beau-frère, mourut, son fils Hrokr reprit son royaume. C’était un homme cruel et fort ambiyieux.
Sa mère disait force choses de l’anneau que possédaient les frères, « il me semblerait, disait-elle, convenable que les frères se rappellent à nous par le don de quelque richesse car nous les avons soutenus pour venger notre père et ils ne nous ont rappelé cela ni en ce qui concerne ton père ni à mon égard. »
Hrokr dit : « Ce que tu dis est clair comme le jour, une pareille chose est une horreur, et l’on va se mettre en quête de ce qu’ils veulent nous faire pour satisfaire notre honneur. »
Il s’en va ensuite trouver le roi Helgi et exige de lui le tiers du royaume de Danemark ou bien l’anneau excellent car il ne savait pas que c’était Hroarr qui le possédait.
Le roi dit : « Tu parles bien inconsidérément et avec une arrogance excessive. Nous avons conquis ce royaume par vaillance, y engageant notre vie avec l’assistance de ton père et de Reginn, mon père adoptif, ainsi que d’autres excellents hommes qui ont bien voulu nous prêter assistance. Nous voulons bien, assurément, te récompenser en raison de notre parenté, si tu peux y consentir, mais ce royaume m’a coûté tellement que, pour rien au monde, je ne veux le perdre. C’est le roi Hroarr qui a pris l’anneau et je m’attends à ce que tu n’en disposes pas. »
Hrokr s’en fut de la sorte, très mécontent. Il alla trouver le roi Hroarr. Celui-ci le reçut bien et honorablement et il passa un moment chez lui.
Et un jour qu’ils cinglaient le long des côtes, et qu’ils mouillèrent dans un fjord, Hrokr dit : Il me semblerait, parent, honorable de ta part de me donner l’excellent anneau, rappelant de la sorte notre parenté. »
Le roi dit : « J’ai tant donné pour avoir cet anneau que pour rien au monde je ne veux le laisser. »
Hrokr dit : « Alors, permets-moi de voir cet anneau, je suis très curieux de savoir si c’est un trésor tel qu’on le dit. »
« C’est une petite chose, dit Hroarr, et certes, je vais te le laisser voir », et il lui remit l’anneau.
Hrokr examina l’anneau un moment et déclara que l’on n’exagérait pas quand on en parlait, - « et je n’ai pas vu de pareil trésor, et tu es tout à fait excusable d’avoir si bonne opinion de cet anneau. Le meilleur parti à prendre est que ni toi ni moi n’en jouissions, non plus que tout autre », puis il lança l’anneau dans la mer aussi loin qu’il le put.
Le roi Hroarr dit : « Tu es un homme minable. »
Puis il fit trancher le pied de Hrokr et le fit transporter ainsi à son royaume. Hrokr recouvra vite la santé, si bien que son moignon guérit.
Alors, il assembla des troupes et voulut se venger de sa honte. Il eut une grande troupe et arriva à l’improviste en Northumbrie, alors que le roi Hroarr était à un banquet avec assez peu de monde. Hrokr attaqua immédiatement, rude bataille éclata, la différence de nombre était grande. Le roi Hroarr tomba là et Hrokr se soumit le pays. Il se fit donner le titre de roi. Puis il demanda en mariage Ögn, fille du roi Nordri, que le roi Hroarr, son parent, avait épousée auparavant.
Le roi Nordri trouva qu’une grande difficulté lui était advenue car c’était un vieil homme, peu apte à la bataille ; il dit à Ögn, sa fille, où on en était, déclarant qu’il ne voulait pas se dérober à la bataille, tout âgé qu’il était, si cela n’allait pas contre les vœux de sa fille.
Elle dit avec grand chagrin : « Certes, cela va contre ma volonté ; pourtant, bien que je voie qu’il y va de ta vie, je ne veux pas le rejeter. La raison est qu’il faut un certain délai car je suis enceinte et c’est cette affaire-là qu’il faut arranger d’abord, car c’est le roi Hroarr qui a cet enfant de moi. »
On présente cette affaire à Hrokr, il veut bien accorder un délai s’il peut facilement accéder au royaume et au mariage. Hrokr estime s’être fort promu dans cette expédition en ayant abattu un roi aussi renommé et conquis un royaume.
A ce moment-là, Ögn envoya des hommes trouver le roi Helgi et leur demanda de lui dire qu’elle n’entrerait pas dans le lit de Hrokr si elle pouvait en décider elle-même et qu’on ne la contraignît pas – « pour la raison que je porte un enfant du roi Hroarr. »
Les messagers allèrent dire ce qu’on leur demandait.
Le roi Helgi dit : « C’est sagement parler de la part d’Ögn, car je vais venger Hroarr, mon frère. »
Hrokr ne se doutait de rien.

Chapitre XII
De la vengeance de Helgi, et d’Agnarr

La reine Ögn mit au monde un fils qui s’appelaAgnarr. Il fut de bonne heure grand et accompli.
Quand le roi Helgi apprit cela, il rassembla des troupes et se porta à la rencontre de Hrokr. Bataille éclata et pour finir, on s’empara de Hrokr.
Lors, le roi Helgi dit : « Tu es un misérable chef et pour cela, je ne te tuerai pas, tu auras plus grande honte à vivre dans les tourments. »
Puis il lui fit briser bras et jambes et le renvoya dans son royaume, incapable de rien.
Quand Agnarr fils de Hroarr eut douze hivers, on pensa n’avoir jamais vu pareil homme. En tous accomplissements, il surpassait les autres hommes. Il devint si grand guerrier et si renommé que l’on mentionne un peu partout dans les anciennes sagas qu’il a été le plus grand champion des temps passés et présents. Il s’enquit de l’endroit où était le fjord où Hrokr avait jeté l’anneau par-dessus bord. Nombreux étaient ceux qui l’avaient cherché avec toutes sortes d’engins, ils ne l’avaient pas trouvé.
On dit qu’Agnarr amena son bateau dans ce fjord, et dit : « Ce serait un haut fait que de chercher l’anneau si l’on savait clairement sa position. »
On lui dit alors où l’anneau avait été jeté à la mer. Agnarr se prépara et plongea dans les profondeurs, remonta sans avoir l’anneau. Il redescendit une deuxième fois et il ne l’avait pas trouvé lorsqu’il remonta.
Alors, il dit : « C’est une recherche négligente. » Il descendit une troisième fois et remonta avec l’anneau.
Il en fut magnifiquement renommé, plus renommé que son père, le roi Hroarr. Il passait les hivers dans son royaume mais il était en expéditions vikings en été ; il devint homme renommé, plus que son père.
Le roi helgi et Yrsa s’aimaient beaucoup et eurent un fils, celui qui s’appela Hrolfr, et qui devint ensuite un homme de grande dignité.

Chapitre XIII
Révélation des origines d’Yrsa

La reine Olöf apprit que Helgi et Yrsa s’aimaient beaucoup et étaient contents de leur mariage. Cela ne lui plut guère et elle alla les trouver. Lorsqu’elle parvint au pays, elle envoya un message à la reine Yrsa. Quand elles se rencontrèrent, Yrsa l’invita à venir dans sa halle avec elle. Elle déclara qu’elle ne voulait pas, qu’elle n’avait aucun honneur à revaloir au roi Helgi.
Yrsa dit : « Tu t’es comportée honteusement envers moi lorsque j’étais chez toi. Et d’ailleurs, es-tu capable de me dire quelque chose de ma famille ? Quelle est-elle ? Je soupçonne que ce n’est pas ce que l’on m’a appris, que je serais fille d’un petit bondi et d’une vieille. »
Olöf dit : « Il n’est pas exclu que je sache t’en dire quelque chose. C’était la raison principale de mon voyage ici : je voulais te le faire savoir, et es-tu contente de ton mariage ?
Oui, dit-elle, et je peux bien l’être car j’ai épousé le roi le plus excellent et le plus renommé.
Il n’est pas aussi bon d’être contente que tu le penses, dit Olöf, car c’est ton père et tu es ma fille. »
Yrsa dit : « Je crois que j’ai la pire des mères et la plus cruelle, c’est une monstruosité qui ne s’oubliera jamais.
Tu es redevable de cela à Helgi et à ma colère, mais maintenant, je veux t’inviter chez moi avec honneur et distinction et faire pour toi, en tous points, selon ce que je pourrai de mieux. »
Yrsa dit : « Je ne sais pas comment cel se fait, mais je ne puis rester ici alors que je sais cette monstruosité qui nous accable. »
Elle alla ensuite trouver le roi Helgi et lui dit à quel pénible point on en était arrivé.
Elle déclara qu’il n’était pas possible de demeurer en cet état : qu’ils séjournent ensemble désormais. Elle s’en fut avec la reine Olöf et elles restèrent en Saxland un moment. Cette affaire affecta tellement le roi helgi qu’il se mit au lit, totalement malheureux. On ne voyait pas de meilleur parti que Yrsa, mais les rois prenaient du temps pour demander sa main, la principale raison en étant qu’on ne tenait pas pour exclu que Helgi vînt la chercher et se trouvât fort mécontent si elle avait été donnée à un autre.

Chapitre XIV
Le roi Adils épouse Yrsa

Il y avait un roi appelé Adils, puissant et cupide. Il gouvernait le Sviariki et siégeait dans la forteresse d’Uppsalir. Il entendit parler de cette femme, Yrsa, et équipa ensuite ses bateaux. Il alla trouver Olöf et Yrsa. Olöf prépara un banquet en l’honneur du roi Adils et le reçut avec courtoisie et toutes sortes de raffinements. Il demanda de prendre pour épouse la reine Yrsa.
Olöf répond : « Tu as dû entendre parler de l’état de ses affaires, mais nous ne ferons pas opposition à son mariage. »
On présente donc l’affaire à Yrsa. Elle dit ne pas trouver bon de changer – « car tu es un roi impopulaire. »
Cela se fit pourtant, qu’elle s’y soit opposée ou non, et Adils s’en fut avec elle, le roi Helgi ne fut pas mis au courant car Adils estimait être le plus important d’eux deux. Le roi Helgi ne fut au courant de cela qu’une fois qu’ils furent arrivés en Svithjod. Le roi Adils célébra magnifiquement leurs noces.
Et alors, le roi helgi apprit cela, il s’en trouva deux fois plus mal qu’avant. Il dormait tout seul dans une dépendance. Olöf sort maintenant de la saga. Les choses se poursuivent de la sorte un moment.

Chapitre XV
Une femme-elfe rend visite à Helgi

Une veille de Jol [4], on mentionne qu’alors que le roi Helgi était dans son lit et qu’il faisait très mauvais temps dehors, quelqu’un vint au portail et frappa assez faiblement. Il lui vint à l’esprit qu’il n’était pas digne d’un roi de laisser dehors un être misérable et qu’il devait le secourir. Il alla donc ouvrir les portes.
Il vit que c’était quelque chose de pauvre et dépenaillé. Cette chose dit : « Tu as bien fait, roi », puis entra dans la dépendance.
Le roi dit : « Mets sur toi de la paille et une peau d’ours pour ne pas avoir froid. »
La chose dit : « Donne-moi ton lit, roi, je veux coucher à côté de toi car il y va de ma vie. »
Le roi dit : « Tu me répugnes, mais s’il en est comme tu le dis, couche ici le long de la poutre de mon lit, tout habillée, je ne te ferai pas de mal. »
C’est ce qu’elle fit. Le roi se détourna d’elle. Une lumière brûlait dans la pièce. Un moment ayant passé, il jeta un coup d’œil sur elle par-dessus son épaule. Il vit alors que reposait là une femme si belle qu’il ne pensait pas en avoir jamais vu de plus avenante. Elle portait une robe de soie. Il se tourna rapidement vers elle, fort gentiment.
Elle dit : « Maintenant, je veux m’en aller, tu m’as délivrée d’une grande détresse car ceci était une malédiction jetée par ma belle-mère. J’ai rendu visite à bien des rois mais aucun ne m’a acceptée à cause de mes disgrâces. Je ne veux pas rester davantage ici.
Non, dit le roi, il n’est pas question que tu t’en ailles si vite ? Nous n’allons pas nous quitter ainsi. On va arranger une noce en hâte car tu me plais bien.
Qu’il en soit comme vous voudrez, sire », dit-elle, et ils dormirent ensemble cette nuit-là.
Le lendemain matin, elle prit la parole : « Tu as satisfait ton désir avec moi, mais tu sauras que nous aurons un enfant. Fais comme je le dis, roi, viens voir notre enfant l’hiver prochain à cette époque dans ton hangar à bateaux, si tu ne le fais pas, tu le paieras. » Après cela, elle s’en alla.
Le roi Helgi se trouvait alors un peu plus heureux qu’avant. Le temps passa et il ne prêta aucune attention à l’avertissement de la femme. Trois hivers après, il se passa ceci : trois hommes chevauchèrent vers la même maison où dormait le roi. C’était vers minuit. Ils portaient une petite fille qu’ils déposèrent près de la maison.
La femme qui portait l’enfant prit la parole : « Tu sauras, roi, dit-elle, que tes parents vont payer le fait que tu n’as prêté aucune attention à ce que je t’offrais. Tu bénéficies de ce que tu m’as délivrée de la malédiction, et sache que cette petite fille s’appelle Skuld. C’est notre fille. »
Après cela, ces gens s’en allèrent. C’était une femme-elfe. Jamais ensuite le roi ne la revit. Skuld grandit chez le roi, elle fut bientôt féroce de tempérament.
On dit qu’un jour, le roi Helgi se prépara à quitter le pays dans l’intention d’oublier ses chagrins. Hrolfr, son fils, resta. Le roi guerroya en maints lieux et accomplit force exploits.

Chapitre XVI
Adils trahit le roi Helgi

Le roi Adils siège à Uppsalir. Il avait douze berserkir [5] qui défendaient son pays contre tous les dangers et périls. Le roi Helgi prépara son expédition pour Uppsalir afin d’enlever Yrsa. Il débarqua. Le roi Adils apprenant que le roi Helgi est arrivé au pays, il demande à la reine Yrsa comment elle veut l’accueillir.
Elle dit : « Vois toi-même, mais tu sais déjà qu’il n’est pas d’homme pour qui j’aie plus d’obligation que lui. »
Le roi Adils trouva convenable de l’inviter à un banquet, il n’avait pas l’intention de faire cela avec feintise. Le roi helgi accepta, alla au banquet avec cent vingt hommes, le plus grand nombre restant aux bateaux. Le roi Adils le reçut à bras ouverts. La reine Yrsa avait l’intention de réconcilier les rois et elle fit tout ce qu’il convenait envers le roi Helgi.
Celui-ci se réjouit tellement de voir la reine qu’il laissa de côté tout le reste. Il voulait lui parler tout le temps dont il disposerait et ils siégèrent au banquet.
Il se fit que les berserkir du roi Adils arrivèrent au pays. Dès qu’ils furent arrivés, le roi Adils alla les trouver de façon que personne ne fût au courant. Il leur ordonna de se rendre dans la forêt qui sépare la forteresse des bateaux du roi Helgi et de se porter à l’attaque de celui-ci lorsqu’il irait à ses bateaux. « Je vais vous envoyer des renforts qui arriveront derrière eux, de sorte qu’ils soient pris au piège parce que je veux maintenant faire en sorte que le roi Helgi ne puisse se dérober, car je comprends qu’il est épris de la reine au point que je ne veux pas me risquer à ce qu’il entreprendra. »
Le roi Helgi est donc au banquet et on lui cache soigneusement cette trahison, de même qu’à la reine. Celle-ci dit au roi Adils qu’elle veut qu’il fasse au roi Helgi de magnifiques présents, or et bijoux. Il le promet mais en fait, se les destine à lui-même. Le roi Helgi s’en va, le roi Adils l’accompagne en chemin ainsi que la reine, les rois et la reine se quittent en termes assez convenables.
Pas longtemps après que le roi Adils eut fait demi-tour, le roi Helgi et les siens s’aperçurent qu’il y aurait des hostilités et bataille éclata aussitôt. Le roi Helgi se porta bravement de l’avant et combattit vaillamment, mais en raison de la force supérieure qui se trouvait en face, le roi Helgi tomba avec grand renom, ayant reçu de grandes blessures et nombreuses, une partie des troupes du roi Adils était arrivé par-derrière, si bien qu’ils étaient pris entre le marteau et l’enclume. La reine Yrsa ne fut avertie qu’une fois que le roi helgi fut tombé et la bataille, terminée. Tomba là avec Helgi toute la troupe qui était montée à terre, le reste échappa en s’enfuyant jusqu’au Danemark. Et l’on achève ici le Dit du roi Helgi.

Chapitre XVII
De la reine Yrsa

Le roi Adils se vanta de sa victoire et estima s’être fort promu pour avoir vaincu un roi aussi excellent et largement renommé que l’était Helgi.
La reine Yrsa dit : « Il n’est pas si facile de se vanter tellement, bien que tu aies trahi l’homme envers lequel j’avais le plus d’obligations et que j’aimais le plus., et pour cette raison même, je ne serai jamais loyale envers toi si tu t’en prends aux parents du roi Helgi. Tes berserkir, je vais les faire périr dès que je le pourrai, s’il y a certains hommes qui sont assez braves pour vouloir faire cela tant pour moi que pour prouver leur propre bravoure. »
Le roi Adils lui demanda de ne pas le menacer non plus que ses berserkir – « car cela ne te servira à rien. Je veux compenser la mort de ton père par de magnifiques présents, de grandes richesses et des objets de grand prix si tu veux bien les accepter ».
Cela apaisa la reine qui accepta du roi ces compensations. Pourtant, elle fut ensuite de caractère désagréable et souvent, elle guettait l’occasion de faire aux berserkir du mal et des déshonneurs. On ne trouva jamais que la reine était vraiment heureuse ou de bonne humeur depuis que le roi Helgi était mort, il y avait plus de désaccords dans la halle que précédemment, et la reine ne voulait pas supporter le roi Adils si elle devait en décider.
Le roi Adils estimait être devenu grandement renommé, et quiconque était avec lui ou faisait partie de ses champions se tenait pour le plus important des hommes. Le roi siège maintenant un moment dans son royaume, pensant que personne ne lèverait le bouclier contre lui et les berserkir. Le roi Adils était un très grand sacrificateur et plein de sorcellerie.


Annoté et traduit du vieil islandais par Régis Boyer.
Avec l’aimable autorisation des Editions Anacharsis (2008).

P.-S.

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L’index des articles liés à la programmation islandaise de l’été 2011 est accessible au mot-clé n°1324 : Ísland.

Notes

[1Voici une opération magique, assez souvent attestée dans les sagas légendaires. On piquait une épine dite de sommeil dans l’oreille de quelqu’un ; la victime tombait dans un sommeil magique dont elle ne pouvait se réveiller tant que l’épine n’était pas tombée.

[2Ce terme désigne un paysan-pêcheur-propriétaire libre, véritable cheville ouvrière de la société nordique ancienne. On pourrait aussi bien rendre par : « paysan », « fermier », mais les connotations sociales seraient perdues.

[3La Northumbrie est une province qui se situe dans le nord de l’Angleterre, au-dessus du Canal calédonien. Vieux norois Nothumberland.

[4Jol est la grande fête du solstice d’hiver – elle deviendra notre Noël ensuite -, sans doute la date la plus importante du calendriers des anciens Scandinaves parce qu’on y célébrait la fertilité-fécondité dont on attendait le retour après les rudes mois d’hiver. Ces festivités duraient une bonne quinzaine de jours et donnaient lieu à toutes sortes de réjouissances, banquets, prestations de serments, joutes, etc. Les créatures surnaturelles ne dédaignaient pas de se manifester à cette occasion. C’est le moderne Jul.

[5Les berserkir (sing. Berserkr) ou « guerriers-fauves », étaient des champions qui devaient leur nom – dont l’étymologie est discutée – ou bien au fait qu’ils combattaient sans protection (sur berr : « nu », et serkr, « chemise »), ou bien qu’ils portaient une cotte de peau d’ours (berr- peut dériver de bjôrn, « l’ours »), seconde hypothèse qui paraît préférable, surtout dans l’optique de la présente saga, étant donné qu’un poème scaldique célèbre établit une sorte de parallèle entre berserkir et ulfhednar, « pelisses de loups ». Quoi qu’il en soit, le motif s’applique à des personnages qui, dans des circonstances érotiques, magiques, guerrières ou poétiques, entraient en fureur et se rendaient alors capables de prestations inouïes. Les berserkir figurent dans toutes sortes de contextes, pour obtenir la possession d’une femme, battre un rival en duel, s’approprier une terre, etc. Le héros d’une saga qui se respecte se doit de les découdre car ils sont souvent passablement grotesques. Que le motif ait eu des rapports avec la magie, cela semble très probable.

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