Lilith, quelle lettre ! J’ai beaucoup aimé cette analyse que vous faites des désirs masculins. Elle paraît très pertinente. Je n’ai jamais lu cette histoire de Lilith dans la Bible, mais où avez-vous donc lu tout cela ? Si je devine bien votre personnalité, vous seriez plus Lilith qu’Eve, n’est-ce pas ? Quant à moi, les Lilith m’attirent davantage, mais me terrorisent, donc je me sens plus en sécurité avec les Eve. Je crois qu’en France, et dans d’autres pays sûrement, les femmes deviennent de plus en plus Lilith que Eve, et voilà pourquoi je vis seul. Cela étant, si Lilith fait peur par son insoumission, il est vrai que Eve n’a pas été de bon conseil pour Adam. Alors qui faut-il préférer, Lilith, ou Eve ? Je ne sais plus quoi en penser. Bon, à votre tour, parlez-moi de vous. Vous êtes mariée, mais n’êtes-vous pas heureuse ? Recherchez-vous un autre homme, ou simplement une amitié épistolaire ? Enfin, vraiment bravo, je vous comprends de plus en plus facilement, et je vois que vous avez une manière bien personnelle de vous exprimer, qui est très appréciable. Mars.
Nous sommes tous sensibles à la flatterie, mais une flatterie à la française va droit au coeur. Alors, mais qui était-il, cet Adam ?!
— Avez-vous des enfants ? — Marie sourit et s’assoit sur la chaise à côté du barbecue. Fernand la regarde et lui rend son sourire. Cette femme le rend somnolent, détendu. Marie l’écoute d’une manière un peu absente, et caresse lentement sa chevelure. Elle n’avait pas eu d’enfants. Pierre, son mari, n’en avait pas voulu. Donc, elle n’avait pas beaucoup résisté. Cette rage, de donner la vie l’étonne. Elle dit “rage” au sujet des femmes qui mettent des enfants au monde. Les enfants, c’est ridicule de les considérer comme une assurance sur l’avenir ! Un jour, on est seul. Pierre avait eu des goûts bizarres. Il avait été très incertain. Est-ce qu’elle a été consciente de ses aventures ? Elle a su, bien sûr ! Pierre lui a tout confessé, et en plus des amourettes. Il a été fragile et pas très viril. Le cœur de Marie s’est déchiré. La jalousie, c’était quoi, donc ? Tout simplement d’imaginer comment il la touchait, ensuite son regard avec lequel il cherchait le visage de Marie pour lui dire qu’il allait la baiser, avec amour et douceur, et de superposer cette même voix, de Pierre avec une autre. La jalousie c’était d’être répercutée dans la rivale, dans sa poitrine, dans sa peau, avoir ce mal de la fantasmer toujours belle au réveil.
Une fois Pierre était triste, car il avait rencontré une ancienne amante. Une femme hideuse. Une vraie laideur ! A l’époque, Marie avait l’air de tout comprendre. Elle a même désiré être laide. Elle rêvait ardemment plus que tout d’être laide, pour comprendre Pierre. Pierre ne pouvait pas expliquer, ne savait pas pourquoi il aimait cette laideur, mais il l’aimait, même beaucoup. Peut-être c’était ainsi à cause du corps blanc de l’amante, blanc comme un linceul. Marie frissonne d’horreur. Mais ce corps a été tellement doux et mou, comme de la crème. Pierre a consolé son amante, car elle était très solitaire, et malheureuse encore. Pierre n’était que son grand consolateur ! En revanche, elle l’a repoussé, puis l’a quitté en lui disant qu’il n’était qu’un nul comme amant. Puis elle s’est excusée, mais ses paroles, Pierre s’en souvenait toujours. Lors de cette rencontre le passé a ressurgi brutalement. Marie sourit maintenant, mais à cette époque, elle a été perdue dans la blancheur, engouffrant Pierre. Marie est de peau tannée, et mince. Elle a voulu devenir un amas de neige, où Pierre aurait dormi, en faisant des rêves à partir desquels il n’y aurait pas de réveil.
— J’ai rêvé d’être laide, et de peau comme perle blanche. Que je sois malheureuse pour briser son cœur comme elle l’avait fait, l’amante blanche comme de la crème. J’ai été jalouse.
Pierre aimait les gros seins, qu’ils pèsent, qu’ils soient comme les soleils d’une galaxie étrangère. Les seins de Marie sont petits. Marie le déclare sans désir d’être détrompée : “Mais vous êtes si belle, et vous avez tout exactement comme il se doit”. — Marie sourit toujours. Elle fait cela souvent. Un jour, elle était rentrée du marché un peu plus tôt que d’habitude. Les seins de la jeune fille étaient énormes, une supernova avait explosé dans les draps ! Quant à Pierre, il était tout en sueur, et gourmand.
— Ses seins étaient aussi gros que ma tête, plus gros qu’une citrouille. Des pis lourds avec des veines saillantes. Je suis entrée dans la chambre à coucher et je l’ai vue s’habiller rapidement, ses seins se balançaient devant mes yeux, et je me suis mise à rire. J’ai tressailli de convulsions, j’ai pleuré avec joie, j’ai sangloté joyeusement, le rire me suffoquait, Fernand ! De mes yeux jaillissaient des larmes, et ses seins toujours se balançaient. Quel soulagement ! Je ne serai plus jamais plus jalouse, jamais plus engourdi de douleur, jamais plus oppressée. Ensuite, Pierre ne m’a plus fait de mal. C’était déjà impossible, et je n’ai plus jamais couché avec lui. Je crois que pendant ce voyage de mission, il a été prêt à mourir, et je l’ai accepté. Tout cela devait arriver.
Lilith, merci pour votre effort héroïque de m’écrire ! J’ai appris avec beaucoup d’intérêt la différence métaphorique entre les femmes, les Lilith et les Eve, et maintenant, je ne suis plus certain de préférer les Eve. Il faudrait peut-être envisager de trouver une femme qui soit les deux en même temps ! Mais cela ne doit pas exister sans doute. Aujourd’hui, j’ai eu une matinée très chargée, et le travail a usé toute mes forces. J’attendais avec impatience l’heure de regagner ma maison et de me reposer. Il faut absoulument que je fasse auparavant quelques courses, je n’ai plus rien pour préparer le dîner. Et comme je suis un ogre le soir, il me faut quelques aliments, sinon je sombre dans la dépression.
Donc, si j’ai bien compris la fin de votre précédent message, vous avez besoin d’un amour. Mais s’il vous plaît, dites-moi avec plus de précision, si c’est possible, comment vous envisagez cette recherche, puisque vous êtes toujours mariée. Je pense que votre mari ne sera pas content de votre recherche, d’une part. Et d’autre part, pourquoi êtes-vous toujours mariée, si vous n’êtes pas satisfaite de lui ? Cela fait-il longtemps que vous êtes mariée ? Est-ce que le temps a usé votre amour pour lui ?
Bon, je vous quitte pour aujourd’hui. Pour moi aussi écrire est parfois héroïque, quand je suis fatigué au point de dormir les yeux ouverts ! Mars.
Si Mars savait comment je me suis embourbée, enlisée en moi, comme si j’étais dans des sables mouvants. Parfois, je mets mon pied sur un sol sûr, mais ensuite c’est comme si un lézard parcourait mes jambes, et je recommence à m’abîmer, et je vais au fond. Ensuite, tous les mots, capturés en moi se jettent vers la sortie, qu’ils aillent vers la lumière pour essayer de me sauver ! Un jour, devenue une sauvage deprimée, et follement perturbée, j’ai confessé à Adam les pensées duveteuses de la petite mésange qui sans cesse me répétait : “Je suis libre, libre, je suis libre” ! Adam s’est moqué de moi, et a dit à Eve que mon cerveau était embrouillé. Je suis en colère contre le Créateur. Après qu’il m’a faite tarée, il aurait pu me transformer ? En autre chose. Est-ce qu’Il n’a jamais entendu parler de recyclage ? Il pouvait me demander, parce que je suis devenue une experte en déchets. Toute ma vie est faite de déchets. Mais Il aurait dû aimer sa Création. Comme tous les artistes Il est égocentrique. Alors que pendant tout ce temps, Adam a choisi Eve. Comment nous nous sommes prises aux cheveux ! Je lui ai dit que Adam c’était à moi, que j’ai été son ex, la première. Elle de son côté ricanait dans ma figure, et se vantait que Adam, lui-même, était venu tout seul à elle. Si j’étais tellement bonne, pourquoi je l’ai laissé m’échapper. Que je dois savoir que les hommes ne quittaient pas leur femme pour une autre, mais pour elle-même ! Là, Eve m’a cité encore Serge Gainsbourg, comme quoi c’était lui qui aurait dit cela ! Récemment Eve va secrètement sur le Net, et m’arrose de mots de sagesse. Elle a été bien instruite encore. Que des bêtises, hein ! Je la vois, donc, comment elle se pavane avec des cristaux Swarovski et puis soupire de Paulo Coelho. Que le sexe, ah, mais le sexe, mais Coelho, il lui a tout simplement révélé la vérité, l’a éclairée. Elle appelle déjà la baise un sacrement. Seigneur, combien je la hais !
L’hôtel aux portes lourdes est vieillot et usé. Mars laisse Lilith entrer avant lui. Une tache sale sur le tapis frappe ses yeux. La chambre est rose bonbon. Le cœur de Lililth, celui d’un oiseau, bat dans sa gorge. Les mains de Mars font connaissance avec la tendresse de son dos. Il l’effleure seulement entre les cuisses, et elle est déjà dangereusement glissante et humide. Mars se couche à ses côtés, il murmure : “Ce soir, dans la nuit” !
Lilith ne respire même pas. C’est la peur.
Non, Lilith, ma vie n’est pas belle. C’est la solitude affreuse et s’il n’y avait pas l’alcool, j’aurais sauté par la fenêtre. Toi, tu es loin et ce n’est pas une semaine dans ton lit qui changera quelque chose à ma vie. J’ai mal et je souffre. Je ne dors plus et mon corps se serre de douleurs. Allez, ne pleure pas, toi femme forte. Moi, je suis déjà presque mort et ce matin j’ai lu que Michel Serrault est mort pour de bon. Finalement il était vieux. Mais c’est juste 20 ans de plus que moi. Donc il ne me reste pas tant de temps que ça. C’est merveilleux, la vie est belle, tu as raison !
Je t’embrasse comme un homme embrasse sa jument préférée. Tu es ma compagne fidèle, ma jument brune, et finalement si tu n’étais pas mariée, je t’épouserais. Mais je dis ça parce que tu es mariée ! Bisous, mon ange ! Mars.
Pourquoi j’ai été tellement apeurée dans le lit avec Mars ? Dans le Jardin je tenais Adam dans mes étreintes sans crainte aucune. Seulement comment il me regardait, après. J’ai été la réponse à tous ses désirs, car Le Dieu m’avait crée selon le moule d’Adam. Je pensais alors qu’il m’emplissait avec lui, et ainsi chassait ma solitude, et je n’avais pas eu en vue juste son arme d’amour. Non pas que je ne l’aimais pas ! Que se passait-il dans la tête d’Adam pour qu’il aille se plaindre à Dieu ? Que je sois sa terre ! Qu’il se couche sur moi ! Nous pouvions bien sur faire l’amour à sa façon. Ce n’était pas à cause de ma manière de faire l’amour qu’il avait eu peur. J’ai été incertaine, et ne pouvais pas l’épauler. Il nous fallait alors nous aider l’un l’autre. Quant à Eve, elle est née différente. Il savait toujours à quoi s’attendre d’elle, et couchée sous Adam, elle l’aidait à se remettre debout, mais sa curiosté était coupable d’avoir entraîné Adam à goutter le Fruit de l’Arbre. Maintenant il est reconaissant envers Eve, car grâce à elle il avait aussi découvert le dualisme. Beurk !
Bonsoir, Lilith. Ne t’inquiète pas pour moi. Je suis déjà mieux, mais il pleut et il fait froid. Je pars samedi à Toulouse. Tu sais, c’est dans le sud de la France. C’est loin de chez moi. Cela fait sept cents kilomètres, mais mes enfants sont très heureux qu’on fasse ce voyage. Je vais voir ma famille. Je t’ai raconté que ma mère est Française, alors que mon père est Allemand. Cela fait bien longtemps que je ne les ai pas vus. Ils sont déjà vieux. Un jour, j’apprendrai qu’ils s’en sont allés. Je pense que je n’en aurais pas tant de peine. Quand on vit loin et separés, c’est ainsi, on perd notre passé, peu à peu. Comment vas-tu Lilith ? Es-tu bien ? Décris-moi comment tu sembles ! Je crois que je ne veux pas de grandes choses de toi. Je ne veux que voir ta photo. Cela me fera plaisir, ainsi nos conversations deviendront moins anonymes. Je t’écris à mon retour. Tu me manques déjà. Fernand.
“Comment je pourrais te donner peu, si ensuite tu exiges tout”. — C’est Adam qui me dit cela. Quoi de mal alors, si j’avais demandé à Adam de m’en donner un peu. Il doit en avoir à donner. Nous en avons tous. On peut considérer un quidam qui soit comme un sac de farine éventré, mais dedans il y aurait toujours un coeur d’enfant. Le voici Fernand, sa femme Anne, l’avait-elle aspiré jusqu’à la moelle des os ? Mais, non ! Il y en a encore dans le sac, n’est-ce pas, Fernand ? Bien évidemment, je ne lui pas écrit cela, car rien ne fait plus de mal qu’un mot gentil. Il a bien assez de cette masturbatrice d’Anne qui se moque de lui. Je pense alors que si Adam n’a rien à me donner, du moins qu’il se couche à mes côtés, et qu’il se taise. Je me contenterais de cela. Mais Eve épie, prête l’oreille. Tout avait été pour elle, parce que c’était elle qui était faite d’une de ses côtes. A cette place-là, il était resté un vide à Adam, alors c’est uniquement avec elle qu’il ne sentait plus ce creux en lui. Elle s’est bien débrouillée, la salope ! Elle maîtrise jusque à la perfection la technique de la manipulation. Je me demande comment elle fait, d’où lui vient ce talent ? Eh bien, elle a mangé le Fruit, et tout ce raffinement, elle le doit au Serpent. Adam ne peut pas résiter à Eve, car ses mains sont encore pleines des rondeurs de son cul, bien que j’ai cru qu’il avait été fin et plus exigeant. Pendant tout ce temps Eve tient ses propos moralistes, et casse les oreilles d’Adam avec des tas de bêtises comme celles-ci : si on donne, on peut alors obtenir la récompense ; si on veut étendre, il faut d’abord amoindir ; si on regarde l’arbre, ce ne sera pas possible de voir la forêt. Elle se fait zen-bouddhiste. Un seul bémol, sa philosophie s’arrête là. Il n’est jamais venu à l’esprit d’Adam de demander, mais pourquoi alors, ou qu’est-ce qu’il y a après, ou bien, mais comment, ou quelque chose comme cela. Il hoche juste la tête, et dit qu’il comprend, parce que Eve ouvre ses yeux gourmands, et le regarde, et ses seins pèsent dans l’esprit d’Adam. Il s’en fiche pas mal si elle le roule. Il est au-dessus, elle, au-dessous, et la volonté de Dieu est exécutée.