HOMMAGE /
We teach life, Sir ! ------------------------------------------------------ We teach life, Sir ! ------------------------------------------------------ We Palestinians wake up every morning to teach the rest of the world life, Sir !
Rafeef Ziadah, We teach life, Sir ! [3]
Le nationalisme religieux politique (toutes religions et laïcité confondues car il existe aussi une croyance intégriste en la laïcité), parmi lequel celui des Frères Musulmans en tant que parti religieux qui put parvenir au pouvoir élu de l’Égypte et fut le premier contestataire du régime baasiste en Syrie, est plutôt entendu comme une généralisation de la "charia" pour gouverner selon la croyance divine, ce qui ne prédispose pas ses élus à être des démocrates « pactés » avec les droits égaux pour tous s’ils veulent satisfaire leurs électeurs (la libre pensée et les autres religions étant considérées comme incroyance). Sauf s’ils sont patriotes d’une société plurielle localisée et en font l’objet d’une performance déclarée, comme enjeu électoral et comme réalité du pouvoir.
C’est un peu la situation du Hamas qui somme toute a relativement respecté les minorités et même « l’incroyance laïque » à Gaza, n’appliquant radicalement sa charia qu’à sa propre communauté, même s’il paraît entendu que la plupart des citoyens soient musulmans et l’administration prenant en compte ce calendrier dans son cahier des charges. Il y a sûrement mieux à trouver qu’un parti religieux ou corrompu (attribution de l’Autorité palestinienne qui préexista à sa critique par l’élection du Hamas à Gaza, en 2006), pour être gouverné selon des droits pour tous. Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César, il y a aussi des chiites à Gaza, et on sait les différends sectaires entre sunnites et chiites, (et moins ceux entre sunnites et wahhabites mais davantage ceux entre les musulmans et les autres monothéisme, et notamment les catholiques romains qui les rendirent victimes des croisades)... Or ce n’est pas à Gaza que des takifiristes sont venus lyncher chez eux des chiites, comme cela se passa le 23 juin 2013 à Abu Mussalem dans le gouvernorat de Gisey, lors de la 15e nuit de Shaaban — grande fête musulmane, — avant le coup d’État de Sisi. Les Frères n’ont pas commis ces meurtres, mais leur régime n’a pas pu anticiper pour les empêcher de la part des extrémistes au sein de leur communauté sunnite élargie. Délit public de communautarisme par un gouvernement, au mieux dû au flottement d’un pacte constitutionnel inadapté à son contexte.
Ce n’est pas davantage le Hamas qui a détruit des églises et leurs congrégations chrétiennes à Gaza (orthodoxes et catholiques) mais Israël lors de bombardements ciblés de quelques lieux catholiques (les religieux avaient été informés d’évacuer les lieux). Pour ne pas revenir aux actes du G.I.A. algérien (Groupement Islamique Armé), autrefois impliqué dans l’assassinat des moines trappistes de Tibérine (et d’autres religieux chrétiens) en 1996, qui pourrait pourtant fournir un point de comparaison pertinent avec les actes amplifiés contre les chrétiens dans le même mouvement que celui contre les alaouites en Syrie depuis 2011 (« Les alaouites au cimetière, les chrétiens au Liban », fut crié dès les premières manifestations contre la répression par le Régime), pour finir par les massacre de l’été 2013 dans les villages de la montagne traditionnelle des alouites, au-dessus de Lattaquié, et récemment en Irak contre les syriaques orthodoxes de Mossul par l’E.I. (l’État Islamique), juste avant le tour des Yazédis [4].
Dans le cas de la doxa de la charia islamique commune à tout le peuple, les non musulmans s’ils ne sont pas extradés deviennent au mieux des citoyens de seconde zone, exactement comme les palestiniens arabes le sont à l’inverse en Israël (je ne parle pas des palestiniens retirés dans les territoires qui ne sont pas considérés comme des humains, je parle des citoyens arabes israéliens vivant encore en Israël, de ceux qui n’ont pas rallié les territoires vers un second État après Oslo et qui, pas plus que ceux vivant dans les territoires ou à Gaza, ne sont forcément des croyants) — mais ils manifestent pour leurs semblables arabes palestiniens, expatriés dans les territoires, lorsque Israël décide d’en contrôler le nombre en les tuant par tous les moyens guerriers, et de toutes parts. C’est pourquoi il faut des constitutions forteresses sur les principes de la liberté de chacun, et les mêmes droits pour tous dans le cadre de l’État public en partage (séparé ou fédéré), exécutives y compris par un parti religieux qui pourrait arriver au pouvoir et par conséquent sous réserve de cette clause particulière. Sinon tel parti ne pourrait parvenir au pouvoir par des voies constitutionnelles, pourrait-il être majoritairement élu, et dans ce cas il conviendrait plutôt qu’il restât en prières en dehors de la politique publique exécutive pour tous. Et que ces constitutions soient symboliques et immuables — sinon forcées par des coups d’État : alors contestables, sans la moindre ambiguïté avec une quelconque légitimité au titre d’une "majorité démocratique" (la grande question de droit de l’Égypte des Frères, par exemple, en l’absence d’une constitution préalable instaurant d’abord les libertés, avant qu’ils ne fussent élus, — lorsqu’ils durent être destitués mais dans ce cas par une dictature, ce qui n’est pas appréciable).
Majorité laquelle sans les droits constitutionnels communs prioritaires n’est par conséquent qu’une force d’oppression contre les minorités et l’individu indépendant, et forcément xénophobe ("alterophobe"), voire raciste. Une autre forme de dictature — par les majorités. Ce qui arrive aussi bien en Europe y compris en France, dans le cas de la dislocation des constitutions républicaines nationales au crédit d’une "démocratie" européenne en gestation faisant acte de droit.
Une démocratie — le régime de la majorité — n’est pas une figure de droit si elle n’est pas installée sur une constitution qui instaure le respect des minorités et de l’individu dans le principe des libertés pour tous, y compris la dissidence et la désobéissance civile comme antidotes de l’abus possible des chartes au pouvoir dans les cas qu’elles n’auraient pas prévus. L’alerte citoyenne ne peut être l’objet d’une succession infinie de pétitions renvoyées devant des commissions, elle doit pouvoir s’exprimer publiquement et trouver des solutions directes et même parfois innovées. L’objet de la réparation de l’injustice n’est pas l’installation d’un privilège. C’est-à-dire réparation sans le moindre privilège pour la majorité par rapport aux minorités ni d’une minorité qu’elle rendrait émergente. Sinon la démocratie serait au contraire un des pires régimes, y compris laïque menant vers des dictatures exercées par des minorités à l’égal de la majorité elle-même comme dictature.
Même problème en Syrie : une majorité minoritairement plurielle et majoritairement sunnite demande à régner selon ses propres règles : on a vu comment dans ce cas l’islam modéré est vite substitué par l’Islam radical dans une dynamique d’exclusion guerrière (le cas de la Syrie de l’ASL cautionnant les brigades extrémistes fut-ce pour des raisons pragmatiques). Même problème possible sous l’aspect institutionnel d’une démocratie de droit appauvrie par des contingences ethniques et/ou religieuses (le cas d’Israël).
Le pouvoir, les sunnites le partageaient dans les régimes socialistes baasistes, mais c’était dans le cadre laïque de ces partis (tous prenant la forme de dictatures particulières au pouvoir d’administrer, et même ceux des regrettés Nasser ou Bourguiba, dont la gloire de leurs avancées sociales incontestables fut de ce fait ternie). Pour autant, en Syrie, — nous ne reviendront pas sur l’Irak ni sur la Libye, — quoique, — car la Palestine nous invite à comprendre l’actualité de la Syrie, du Liban, et d’Israël, à la limite de la singularité égyptienne, même si la géopolitique et la géostratégie de l’Irak et de la Libye n’y sont pas étrangers. Le régime baasiste ne fut pas l’attente de la majorité citoyenne ethnique et/ou religieuse qui se considérait réprimée — juste considération vu la dictature à l’œuvre pour maintenir le régime mais : dictature ou pas. Là, on a bien vu comment le parti baasiste au pouvoir de la Syrie représenté par un autocrate fut assimilé par ses ennemis, (et quoiqu’on nous en ait dit : principalement les Frères Musulmans et avant même la répression des manifestations par Bachar al-Assad, en quête de revanche depuis leur répression par Hafez al-Assad), à un pouvoir ethnique alaouite, dans une sorte de déni et au mieux l’identification d’une alliance ethnique alaouite / chrétienne, comme si le parti baas ne comportait ni sunnites ni druzes ni kurdes, ce qui n’était pas le cas : la contestation sous-jacente et "fondamentale" c’était celle de la laïcité, en dépit des certitudes européennes sur la volonté locale d’instituer des démocraties occidentales (de toutes façons usées en tant que régime d’équité constitutionnelle et de loyauté institutionnelle des mandats dans nos pays de l’ouest). Ou alors des dictatures religieuses fatales, tels les riches alliés, le Qatar et l’Arabie saoudite. Alors que le Proche Orient doit inventer de nouvelles démocraties des droits pour tous, où nous pourrions trouver des idées utiles pour renouveler les nôtres.
Je dirai que cette question des majorités souveraines exemptes du respect des droits égaux à l’égard de leur différence, c’est ce que nous donne à comprendre le Proche Orient, au carrefour de la critique des colonialismes que nous pensions à tort révolus, et des régimes d’indépendance qui suivirent et dont nous sommes bien obligés de constater qu’ils sont révolus, au contraire. La question de la légitimité démocratique des majorités ethniques ou religieuses est le problème de tout le Proche Orient, Israël compris. Elle pose aussi bien la question des majorités électorales seraient-elles souvent exemptes de communautarisme dans nos pays.
Dans cette région du monde où l’on ressent la naissance d’une part énorme de nos cultures écrites et critiques, il y a tant de croyance et de croyances traditionnelles qui ont été bafouées que le droit laïque ne peut nullement ressembler au nôtre pour correspondre aux populations natives. La laïcité dans ces pays ne peut reposer qu’a priori (et pas remise à la décision a posteriori après une élection) sur le respect de l’autre par chaque communauté à l’égard de sa voisine, et chacun de ses membres à l’égard de sa propre dissidence, et même des étrangers.
Pensons plutôt aux multitudes spinozistes et à la Magna Carta (pour gérer la superposition des communautés fédérées par une constitution et un État élu) qu’au centralisme jacobin.
Je ne suis pas adepte de Negri et de Hardt, mais s’il existe encore une pertinence actuelle des hypothèses de Negri et de Hardt sur les multitudes après Empire, au moment où ils intégrèrent Machiavel et référèrent à la Magna Carta, c’est bien à propos de la parataxe dans le dispositif des sociétés au Proche Orient, et d’une mise en abîme critique des démocraties occidentales par ces pays... C’est ce que j’ai ressenti par exemple au Liban, pour moi c’était de la science fiction, cette juxtaposition sociale des couches communautaires, composant de fait une paix forcément informelle mais relativement équitable : force était d’admettre que ça tenait (avant le désastre syrien, du moins).
Enfin, c’est mon point de vue.
Il y avait alors de jolies choses par exemple des amoureux musulmans (dont les jeunes femmes étaient voilées) qui allaient se blottir l’un contre l’autre, dans l’espace symbolique des chrétiens en haut du Mont Liban. Comme dans un refuge sous les arbres avec vaste vue sur la mer, au pied de la Vierge du Liban dominant la baie de Jounieh, cette statue monumentale qu’auparavant je considérais d’en bas comme une marque identitaire écrasante (car je ne suis ni croyante ni fétichiste) : en fait le signe d’une zone franche, où personne ne venait les empêcher d’exister à leur façon, certes pudique mais altière...
C’est peut-être de m’être intéressée à la dérive chez les situationnistes primitifs, et à l’urbanisme unitaire, et de l’avoir éprouvée moi-même lors d’expériences de redécouverte de ma propre ville, qui m’a amenée à percevoir immédiatement ce décalage social, détourné, dans ce lieu de visite élevé...
Plus que Roméo et Juliette, j’ai revu les amoureux éternels dans le village de mon enfance après la guerre, ils ne pouvaient pas se marier pour une raison quelconque mais ils pouvaient librement se blottir l’un contre l’autre silencieusement durant des heures, sur le banc du vieux pont de pierre traversant la Loire... et cette liberté réservée, rendant discrètement intime l’espace public, me fascinait. C’était comme un secret, un trésor.
C’est cela que chaque communauté peut apporter à l’autre : une zone franche délocalisée du territoire communautaire assigné, entre réalité de l’instant et utopie — cosmique.
– Levée du blocus et fin de l’apartheid, sans condition.
– Pour la libre circulation des personnes et des biens en Palestine, tout simplement.
– Souveraineté de la citoyenneté palestinienne dans le cadre d’un second État autonome, ou d’une fédération binationale, ou fusion dans un seul État démocratique pour tous.
– Retrait de l’occupation.
– Libération des prisonniers politiques et des enfants kidnappés.