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Paris, capitale du XIXe siècle 

jeudi 26 mai 2011, par Walter Benjamin

Paris, capitale du XIXe siècle constitue l’exposé programmatique de l’œuvre de Benjamin : le livre des passages. Tous les thèmes de ses recherches y sont présentés sous une forme concise : le flâneur, les passages, l’architecture comme concrétisation de l’idéologie d’une époque, la figure emblématique de Baudelaire, la mode, l’intérieur, etc. Le tout est une tentative d’interprétation globale du XIXe siècle et de son équivoque modernité.

Introduction

L’histoire est comme Janus, elle a deux visages : qu’elle
regarde le passé ou le présent, elle voit les mêmes choses.
Maxime Du Camp, Paris. VI, p. 315.

L’objet de ce livre est une illusion exprimée par Schopenhauer, dans cette formule que pour saisir l’essence de l’histoire il suffit de comparer Hérodote et la presse du matin. C’est là l’expression de la sensation de vertige caractéristique pour la conception que le siècle dernier se faisait de l’histoire. Elle correspond à un point de vue qui compose le cours du monde d’une série illimitée de faits figés sous forme de choses. Le résidu caractéristique de cette conception est ce qu’on a appelé « l’Histoire de la Civilisation », qui fait l’inventaire des formes de vie et des créations de l’humanité point par point. Les richesses qui se trouvent ainsi collectionnées dans l’aerarium de la civilisation apparaissent désormais comme identifiées pour toujours. Cette conception fait bon marché du fait qu’elles doivent non seulement leur exis­tence mais encore leur transmission à un effort constant de la société, un effort par où ces richesses se trouvent par surcroît étrangement altérées. Notre enquête se propose de montrer comment par suite de cette représentation chosiste de la civilisation, les formes de vie nouvelle et les nouvelles créations à base économique et technique que nous devons au siècle dernier entrent dans l’univers d’une fantasmagorie. Ces créations subissent cette « illumina­tion » non pas seulement de manière théorique, par une transposition idéolo­gique, mais bien dans l’immédiateté de la présence sensible. Elles se manifestent en tant que fantasmagories. Ainsi se présentent les « passages », première mise en œuvre de la construction en fer ; ainsi se présentent les expositions universelles, dont l’accouplement avec les industries de plaisance est significatif ; dans le même ordre de phénomènes, l’expérience du flâneur, qui s’abandonne aux fantasmagories du marché. A ces fantasmagories du marché, où les hommes n’apparaissent que sous des aspects typiques, corres­pondent celles de l’intérieur, qui se trouvent constituées par le penchant impé­rieux de l’homme à laisser dans les pièces qu’il habite l’empreinte de son existence individuelle privée. Quant à la fantasmagorie de la civilisation elle-même, elle a trouvé son champion dans Haussmann, et son expression mani­feste dans ses transformations de Paris. – Cet éclat cependant et cette splendeur dont s’entoure ainsi la société productrice de marchandises, et le sentiment illusoire de sa sécurité ne sont pas à l’abri des menaces ; l’écroule­ment du Second Empire, et la Commune de Paris le lui remettent en mémoire. A la même époque, l’adversaire le plus redouté de cette société, Blanqui, lui a révélé dans son dernier écrit les traits effrayants de cette fantasmagorie. L’hu­manité y fait figure de damnée. Tout ce qu’elle pourra espérer de neuf se dévoilera n’être qu’une réalité depuis toujours présente ; et ce nouveau sera aussi peu capable de lui fournir une solution libératrice qu’une mode nouvelle l’est de renouveler la société. La spéculation cosmique de Blanqui comporte cet enseignement que l’humanité sera en proie à une angoisse mythique tant que la fantasmagorie y occupera une place.

A. Fourier ou les passages

I

De ces palais les colonnes magiques
A l’amateur montrent de toutes parts,
Dans les objets qu’étalent leurs portiques,
Que l’industrie est rivale des arts.
Nouveaux Tableaux de Paris. Paris 1828, p. 27.

La majorité des passages sont construits à Paris dans les quinze années qui suivent 1822. La première condition pour leur développement est l’apogée du commerce des tissus. Les magasins de nouveautés, premiers établissements qui ont constamment dans la maison des dépôts de marchandises considé­rables, font leur apparition. Ce sont les précurseurs des grands magasins. C’est à cette époque que Balzac fait allusion lorsqu’il écrit : « Le grand poème de l’étalage chante ses strophes de couleurs depuis la Madeleine jusqu’à la porte Saint-Denis. » Les passages sont des noyaux pour le commerce des marchan­dises de luxe. En vue de leur aménagement l’art entre au service du commer­çant. Les contemporains ne se lassent pas de les admirer. Longtemps ils resteront une attraction pour les touristes. Un Guide illustré de Paris dit : « Ces passages, récente invention du luxe industriel, sont des couloirs au plafond vitré, aux entablements de marbre, qui courent à travers des blocs entiers d’immeubles dont les propriétaires se sont solidarisés pour ce genre de spéculation. Des deux côtés du passage, qui reçoit sa lumière d’en haut, s’alignent les magasins les plus élégants, de sorte qu’un tel passage est une ville, un monde en miniature. » C’est dans les passages qu’ont lieu les pre­miers essais d’éclairage au gaz.

La deuxième condition requise pour le développement des passages est fournie par les débuts de la construction métallique. Sous l’Empire on avait considéré cette technique comme une contribution au renouvellement de l’ar­chitecture dans le sens du classicisme grec. Le théoricien de l’architecture Boetticher, exprime le sentiment général lorsqu’il dit que : « quant aux formes d’art du nouveau système, le style hellénique » doit être mis en vigueur. Le style Empire est le style du terrorisme révolutionnaire pour qui l’État est une fin en soi. De même que Napoléon n’a pas compris la nature fonctionnelle de l’État en tant qu’instrument de pouvoir pour la bourgeoisie, de même les architectes de son époque n’ont pas compris la nature fonctionnelle du fer, par où le principe constructif acquiert la prépondérance dans l’architecture. Ces architectes construisent des supports à l’imitation de la colonne pompéienne, des usines à l’imitation des maisons d’habitation, de même que plus tard les premières gares affecteront les allures d’un chalet. La construction joue le rôle du subconscient. Néanmoins le concept de l’ingénieur, qui date des guerres de la révolution commence à s’affirmer et c’est le début des rivalités entre constructeur et décorateur, entre l’École Polytechnique et l’École des Beaux-Arts. – Pour la première fois depuis les Romains un nouveau matériau de construction artificiel, le fer, fait son apparition. Il va subir une évolution dont le rythme au cours du siècle va en s’accélérant. Elle reçoit une impulsion décisive au jour où l’on constate que la locomotive – objet des tentatives les plus diverses depuis les années 1828-29 – ne fonctionne utilement que sur des rails en fer. Le rail se révèle comme la première pièce montée en fer, précur­seur du support. On évite l’emploi du fer pour les immeubles et on l’encourage pour les passages, les halls d’exposition, les gares – toutes cons­tructions qui visent à des buts transitoires.

II

Rien d’étonnant à ce que tout intérêt de masse, la première fois qu’il monte sur l’estrade, dépasse de loin dans l’idée ou la représentation que l’on s’en fait ses véritables bornes.
Marx et Engels : La Sainte-Famille.

La plus intime impulsion donnée à l’utopie fouriériste, il faut la voir dans l’apparition des machines. Le phalanstère devait ramener les hommes à un système de rapports où la moralité n’a plus rien à faire. Néron y serait devenu un membre plus utile de la société que Fénelon. Fourier ne songe pas à se fier pour cela à la vertu, mais à un fonctionnement efficace de la société dont les forces motrices sont les passions. Par les engrenages des passions, par la combinaison complexe des passions mécanistes avec la passion cabaliste, Fourier se représente la psychologie collective comme un mécanisme d’horlogerie. L’harmonie fouriériste est le produit nécessaire de ce jeu combiné.

Fourier insinue dans le monde aux formes austères de l’Empire, l’idylle colorée du style des années trente. Il met au point un système où se mêlent les produits de sa vision colorée et de son idiosyncrasie des chiffres. Les « harmonies » de Fourier ne se réclament en aucune manière d’une mystique des nombres prise dans une tradition quelconque. Elles sont en fait directe­ment issues de ses propres décrets : élucubrations d’une imagination organi­satrice, qui était extrêmement développée chez lui. Ainsi il a prévu la signification du rendez-vous pour le citadin. La journée des habitants du phalanstère s’organise non pas de chez eux, mais dans des grandes salles semblables à des halls de la Bourse, où les rendez-vous sont ménagés par des courtiers.

Dans les passages Fourier a reconnu le canon architectonique du phalanstère. C’est ce qui accentue le caractère « empire » de son utopie, que Fourier reconnaît lui-même naïvement : « L’état sociétaire sera dès son début d’autant plus brillant qu’il a été plus longtemps différé. La Grèce à l’époque des Solon et des Périclès pouvait déjà l’entreprendre. » Les passages qui se sont trouvés primitivement servir à des fins commerciales, deviennent chez Fourier des maisons d’habitation. Le phalanstère est une ville faite de passa­ges. Dans cette « ville en passages » la construction de l’ingénieur affecte un caractère de fantasmagorie. La « ville en passages » est un songe qui flattera le regard des parisiens jusque bien avant dans la seconde moitié du siècle. En 1869 encore, les « rues galeries » de Fourier fournissent le tracé de l’utopie de Moilin Paris en l’an 2000. La ville y adopte une structure qui fait d’elle avec ses magasins et ses appartements le décor idéal pour le flâneur.

Marx a pris position en face de Carl Grün pour couvrir Fourier et mettre en valeur sa « conception colossale de l’homme ». Il considérait Fourier comme le seul homme à côté de Hegel qui ait percé à jour la médiocrité de principe du petit bourgeois. Au dépassement systématique de ce type chez Hegel correspond chez Fourier son anéantissement humoristique. Un des traits les plus remarquables de l’utopie fouriériste c’est que l’idée de l’exploitation de la nature par l’homme, si répandue à l’époque postérieure, lui est étrangère. La technique se présente bien plutôt pour Fourier comme l’étincelle qui met le feu aux poudres de la nature. Peut-être est-ce là la clé de sa représentation bizarre d’après laquelle le phalanstère se propagerait « par explosion ». La conception postérieure de l’exploitation de la nature par l’homme est le reflet de l’exploitation de fait de l’homme par les propriétaires des moyens de production. Si l’intégration de la technique dans la vie sociale a échoué, la faute en est à cette exploitation.

B. Grandville ou les expositions universelles

I

Oui, quand le monde entier, de Paris jusqu’en Chine,
O divin Saint-Simon, sera dans ta doctrine,
L’âge d’or doit renaître avec tout son éclat,
Les fleuves rouleront du thé, du chocolat ;
Les moutons tout rôtis bondiront dans la plaine,
Et les brochets au bleu nageront dans la Seine ;
Les épinards viendront au monde fricassés,
Avec des croûtons frits tout autour concassés ;
Les arbres produiront des pommes en compotes,
Et l’on moissonnera des carricks et des bottes ;
Il neigera du vin, il pleuvra des poulets,
Et du ciel les canards tomberont aux navets.
Langlé et Vanderburch : Louis-Bronze et le Saint-Simonien
(Théâtre du Palais Royal, 27 février 1832).

Les expositions universelles sont les centres de pèlerinage de la marchan­dise-fétiche. « L’Europe s’est déplacée pour voir des marchandises » dit Taine en 1855. Les expositions universelles ont eu pour précurseurs des expositions nationales de l’industrie, dont la première eut lieu en 1798 sur le Champ de Mars. Elle est née du désir « d’amuser les classes laborieuses et devient pour elles une fête de l’émancipation ». Les travailleurs formeront la première clientèle. Le cadre de l’industrie de plaisance ne s’est pas constitué encore. Ce cadre c’est la fête populaire qui le fournit. Le célèbre discours de Chaptal sur l’industrie ouvre cette exposition. – Les saint-simoniens qui projettent l’industrialisation de la planète, s’emparent de l’idée des expositions univer­selles. Chevalier, la première compétence dans ce domaine nouveau, est un élève d’Enfantin, et le rédacteur du journal saint-simonien Le Globe. Les saint-simoniens ont prévu le développement de l’industrie mondiale ; ils n’ont pas prévu la lutte des classes. C’est pourquoi, en regard de la participation à toutes les entreprises industrielles et commerciales vers le milieu du siècle, on doit reconnaître leur impuissance dans les questions qui concernent le prolé­tariat.

Les expositions universelles idéalisent la valeur d’échange des marchan­dises. Elles créent un cadre où leur valeur d’usage passe au second plan. Les expositions universelles furent une école où les foules écartées de force de la consommation se pénètrent de la valeur d’échange des marchandises jusqu’au point de s’identifier avec elle : « Il est défendu de toucher aux objets expo­sés ». Elles donnent ainsi accès à une fantasmagorie où l’homme pénètre pour se laisser distraire. A l’intérieur des divertissements, auxquels l’individu s’aban­donne dans le cadre de l’industrie de plaisance, il reste constamment un élément composant d’une masse compacte. Cette masse se complaît dans les parcs d’attractions avec leurs montagnes russes, leurs « tête-à-queue », leurs « chenilles », dans une attitude toute de réaction. Elle s’entraîne par là à cet assujettissement avec lequel la propagande tant industrielle que politique doit pouvoir compter. – L’intronisation de la marchandise et la splendeur des distractions qui l’entourent, voilà le sujet secret de l’art de Grandville. D’où la disparité entre son élément utopique et son élément cynique. Ses artifices subtils dans la représentation d’objets inanimés correspondent à ce que Marx appelle les « lubies théologiques » de la marchandise. L’expression concrète s’en trouve clairement dans la « spécialité » – une désignation de marchandise qui fait à cette époque son apparition dans l’industrie de luxe. Les expositions universelles construisent un monde fait de « spécialités ». Les fantaisies de Grandville réalisent la même chose. Elles modernisent l’univers. L’anneau de Saturne devient pour lui un balcon en fer forgé où les habitants de Saturne prennent l’air à la tombée de la nuit. De la même façon un balcon en fer forgé représenterait à l’exposition universelle l’anneau de Saturne et ceux qui s’y avancent se verraient entraînés dans une fantasmagorie où ils se sentent mués en habitants de Saturne. Le pendant littéraire de cette utopie graphique, c’est l’œuvre du savant fouriériste Toussenel. Toussenel s’occupait de la rubrique des sciences naturelles dans un journal de mode. Sa zoologie range le monde animal sous le sceptre de la mode. Il considère la femme comme le médiateur entre l’homme et les animaux. Elle est en quelque sorte le décorateur du mon­de animal, qui en échange dépose à ses pieds son plumage et ses fourru­res. « Le lion ne demande pas mieux que de se laisser rogner les ongles, pourvu que ce soit une jolie fille qui tienne les ciseaux. »

II

La mode : Monseigneur la mort ! Monseigneur la mort !
Léopardi : Dialogue entre la mode et la mort.

La mode prescrit le rite suivant lequel le fétiche qu’est la marchandise demande à être adoré ; Grandville étend son autorité sur les objets d’usage courant aussi bien que sur le cosmos. En la poussant jusqu’à ses conséquences extrêmes il en révèle la nature. Elle accouple le corps vivant au monde inor­ganique. Vis-à-vis du vivant elle défend les droits du cadavre. Le fétichisme qui est ainsi sujet au sex appeal du non-organique, est son nerf vital. Les fantaisies de Grandville correspondent à cet esprit de la mode, tel qu’Apollinaire en a tracé plus tard une image : « Toutes les matières des diffé­rents règnes de la nature peuvent maintenant entrer dans la composition d’un costume de femme. J’ai vu une robe charmante, faite de bouchons de liège ... La porcelaine, le grès et la faïence ont brusquement apparu dans l’art vesti­mentaire.. . On fait des souliers en verre de Venise et des chapeaux en cristal de Baccarat. »

C. Louis-Philippe ou l’intérieur

Je crois ... à mon âme : la Chose.
Léon Deubel : Œuvres. Paris 1929, p. 193.

Sous le règne de Louis-Philippe le particulier fait son entrée dans l’his­toire. Pour le particulier les locaux d’habitation se trouvent pour la première fois en opposition avec les locaux de travail. Ceux-là viennent constituer l’intérieur ; le bureau en est le complément. (De son côté il se distingue nettement du comptoir, qui par ses globes, ses cartes murales, ses balustrades, se présente comme une survivance de formes baroques antérieures à la pièce d’habitation.) Le particulier qui ne tient compte que des réalités dans son bureau demande à être entretenu dans ses illusions par son intérieur. Cette nécessité est d’autant plus pressante qu’il ne songe pas à greffer sur ses intérêts d’affaires une conscience claire de sa fonction sociale. Dans l’amé­nagement de son entourage privé il refoule ces deux préoccupations. De là dérivent les fantasmagories de l’intérieur ; celui-ci représente pour le parti­culier l’univers. Il y assemble les régions lointaines et les souvenirs du passé. Son salon est une loge dans le théâtre du monde.

L’intérieur est l’asile où se réfugie l’art. Le collectionneur se trouve être le véritable occupant de l’intérieur. Il fait son affaire de l’idéalisation des objets. C’est à lui qu’incombe cette tâche sisyphéenne d’ôter aux choses, parce qu’il les possède, leur caractère de marchandise. Mais il ne saurait leur conférer que la valeur qu’elles ont pour l’amateur au lieu de la valeur d’usage. Le collec­tionneur se plaît à susciter un monde non seulement lointain et défunt mais en même temps meilleur ; un monde où l’homme est aussi peu pourvu à vrai dire de ce dont il a besoin que dans le monde réel, mais où les choses sont libérées de la servitude d’être utiles.

II

La tête
Sur la table de nuit, comme une renoncule, Repose. 
Baudelaire : Une martyre.

L’intérieur n’est pas seulement l’univers du particulier, il est encore son étui. Depuis Louis-Philippe on rencontre dans le bourgeois cette tendance à se dédommager pour l’absence de trace de la vie privée dans la grande ville. Cette compensation il tente de la trouver entre les quatre murs de son appar­tement. Tout se passe comme s’il avait mis un point d’honneur à ne pas laisser se perdre les traces de ses objets d’usage et de ses accessoires. Sans se lasser il prend l’empreinte d’une foule d’objets ; pour ses pantoufles et ses montres, ses couverts et ses parapluies, il imagine des housses et des étuis. Il a une préférence marquée pour le velours et la peluche qui conservent l’empreinte de tout contact. Dans le style du Second Empire l’appartement devient une sorte d’habitacle. Les vestiges de son habitant se moulent dans l’intérieur. De là naît le roman policier qui s’enquiert de ces vestiges et suit ces pistes. La Philosophie d’ameublement et les « nouvelles-détectives » d’Edgar Poe font de lui le premier physiognomiste de l’intérieur. Les criminels dans les pre­miers romans policiers ne sont ni des gentlemen ni des apaches, mais de simples particuliers de la bourgeoisie (Le Chat Noir, Le Cœur Révélateur, William Wilson).

III

Dies Suchen nach meinem Heim... war meine Heimsuchung... Wo ist – mein Heim ? Darnach frage und suche und suchte ich, das fand ich nicht.
Nietzsche : Also sprach Zarathustra2.

La liquidation de l’intérieur eut lieu dans les derniers lustres du siècle par le « modern style », mais elle était préparée de longue date. L’art de l’intérieur était un art de genre. Le « modern style » sonne le glas du genre. Il s’élève contre l’infatuation du genre au nom d’un mal du siècle, d’une aspiration aux bras toujours ouverts. Le « modern style » fait entrer pour la première fois en ligne de compte certaines formes tectoniques. Il s’efforce en même temps de les détacher de leurs rapports fonctionnels et de les présenter comme des constantes naturelles : il s’efforce en somme de les styliser. Les nouveaux éléments de la construction en fer et en particulier la forme « support » retien­nent l’attention du « modern style ». Dans le domaine de l’ornementation il cherche à intégrer ces formes à l’art. Le béton met à sa disposition de nouvelles virtualités en architecture. Chez Van de Velde la maison se présente comme l’expression plastique de la personnalité. Le motif ornemental joue dans cette maison le rôle de la signature sous un tableau. Il se complaît à parler un langage linéaire à caractère médiumnique où la fleur, symbole de la vie végétative, s’insinue dans les lignes mêmes de la construction. (La ligne courbe du « modern style » fait son apparition dès le titre des Fleurs du Mal. Une sorte de guirlande marque le lien des Fleurs du Mal, en passant par les « âmes des fleurs » d’Odilon Redon, au « faire catleya » de Swann). – Ainsi que Fourier l’avait prévu, c’est de plus en plus dans les bureaux et les centres d’affaires qu’il faut chercher le véritable cadre de la vie du citoyen. Le cadre fictif de sa vie se constitue dans la maison privée. C’est ainsi que L’architecte Solness fait le compte du « modern style » ; l’essai de l’individu de se mesurer avec la technique en s’appuyant sur son essor intime le mène à sa perte : l’architecte Solness se tue en tombant du haut de sa tour.

D. Baudelaire ou les rues de Paris

Tout pour moi devient allégorie.
Baudelaire : Le Cygne.

Le génie de Baudelaire, qui trouve sa nourriture dans la mélancolie, est un génie allégorique. Pour la première fois chez Baudelaire, Paris devient objet de poësie lyrique. Cette poësie locale est à l’encontre de toute poësie de terroir. Le regard que le génie allégorique plonge dans la ville trahit bien plutôt le sentiment d’une profonde aliénation. C’est là le regard d’un flâneur, dont le genre de vie dissimule derrière un mirage bienfaisant la détresse des habitants futurs de nos métropoles. Le flâneur cherche un refuge dans la foule. La foule est le voile à travers lequel la ville familière se meut pour le flâneur en fantasmagorie. Cette fantasmagorie, où elle apparaît tantôt comme un paysage, tantôt comme une chambre, semble avoir inspiré par la suite le décor des grands magasins, qui mettent ainsi la flânerie même au service de leur chiffre d’affaires. Quoi qu’il en soit les grands magasins sont les derniers parages de la flânerie.

Dans la personne du flâneur l’intelligence se familiarise avec le marché. Elle s’y rend, croyant y faire un tour ; en fait c’est déjà pour trouver preneur. Dans ce stade mitoyen où elle a encore des mécènes, mais où elle commence déjà à se plier aux exigences du marché, (en l’espèce du feuilleton) elle forme la bohème. A l’indétermination de sa position économique correspond l’ambiguïté de sa fonction politique. Celle-ci se manifeste très évidemment dans les figures de conspirateurs professionnels, qui se recrutent dans la bohè­me. Blanqui est le représentant le plus remarquable de cette catégorie. Nul n’a eu au xixe siècle une autorité révolutionnaire comparable à la sienne. L’image de Blanqui passe comme un éclair dans les Litanies de Satan. Ce qui n’em­pêche que la rébellion de Baudelaire ait toujours gardé le caractère de l’homme asocial : elle est sans issue. La seule communauté sexuelle dans sa vie, il l’a réalisée avec une prostituée.

II

Nul trait ne distinguait, du même enfer venu, Ce jumeau centenaire.
Baudelaire. Les sept vieillards.

Le flâneur fait figure d’éclaireur sur le marché. En cette qualité il est en même temps l’explorateur de la foule. La foule fait naître en l’homme qui s’y abandonne une sorte d’ivresse qui s’accompagne d’illusions très particulières, de sorte qu’il se flatte, en voyant le passant emporté dans la foule, de l’avoir, d’après son extérieur, classé, reconnu dans tous les replis de son âme. Les physiologies contemporaines abondent en documents sur cette singulière conception. L’œuvre de Balzac en fournit d’excellents. Les caractères typi­ques reconnus parmi les passants tombent à tel point sous les sens que l’on ne saurait s’étonner de la curiosité incitée à se saisir au-delà d’eux de la singu­larité spéciale du sujet. Mais le cauchemar qui correspond à la perspicacité illusoire du physiognomiste dont nous avons parlé, c’est de voir ces traits distinctifs, particuliers au sujet, se révéler à leur tour n’être autre chose que les éléments constituants d’un type nouveau ; de sorte qu’en fin de compte l’individualité la mieux définie se trouverait être tel exemplaire d’un type. C’est là que se manifeste au cœur de la flânerie une fantasmagorie angois­sante. Baudelaire l’a développée avec une grande vigueur dans les Sept Vieillards. Il s’agit dans cette poësie de l’apparition sept fois réitérée d’un vieillard d’aspect repoussant. L’individu qui est ainsi présenté dans sa multiplication comme toujours le même témoigne de l’angoisse du citadin à ne plus pouvoir, malgré la mise en œuvre de ses singularités les plus excentri­ques, rompre le cercle magique du type. Baudelaire qualifie l’aspect de cette procession d’infernal. Mais le nouveau que toute sa vie il a guetté, n’est pas fait d’une autre matière que cette fantasmagorie du « toujours le même ». (La preuve qui peut être fournie que cette poësie transcrit les rêves d’un haschichin n’infirme en rien cette interprétation.)

III

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
Baudelaire : Le Voyage.

La clé de la forme allégorique chez Baudelaire est solidaire de la signifi­cation spécifique que prend la marchandise du fait de son prix. A l’avilisse­ment singulier des choses par leur signification, qui est caractéristique de l’allégorie du xviie siècle, correspond l’avilissement singulier des choses par leur prix comme marchandise. Cet avilissement que subissent les choses du fait de pouvoir être taxées comme marchandises est contrebalancé chez Baudelaire par la valeur inestimable de la nouveauté. La nouveauté représente cet absolu qui n’est plus accessible à aucune interprétation ni à aucune comparaison. Elle devient l’ultime retranchement de l’art. La dernière poésie des Fleurs du Mal : « Le Voyage ». « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! » Le dernier voyage du flâneur : la Mort. Son but : le Nou­veau. Le nouveau est une qualité indépendante de la valeur d’usage de la marchandise. Il est à l’origine de cette illusion dont la mode est l’infatigable pourvoyeuse. Que la dernière ligne de résistance de l’art coïncidât avec la ligne d’attaque la plus avancée de la marchandise, cela devait demeurer caché à Baudelaire.

Spleen et idéal – dans le titre de ce premier cycle des Fleurs du Mal le mot étranger le plus vieux de la langue française a été accouplé au plus récent. Pour Baudelaire il n’y a pas contradiction entre les deux concepts. Il reconnaît dans le spleen la dernière en date des transfigurations de l’idéal – l’idéal lui semble être la première en date des expressions du spleen. Dans ce titre où le suprêmement nouveau est présenté au lecteur comme un « suprêmement ancien », Baudelaire a donné la forme la plus vigoureuse à son concept du moderne. Sa théorie de l’art a tout entière pour axe la « beauté moderne » et le critère de la modernité lui semble être ceci, qu’elle est marquée au coin de la fatalité d’être un jour l’antiquité et qu’elle le révèle à celui qui est témoin de sa naissance. C’est là la quintessence de l’imprévu qui vaut pour Baudelaire comme une qualité inaliénable du beau. Le visage de la modernité elle-même nous foudroie d’un regard immémorial. Tel le regard de la Méduse pour les Grecs.

E. Hausssmann ou les barricades

I

J’ai le culte du Beau, du Bien, des grandes choses,
De la belle nature inspirant le grand art,
Qu’il enchante l’oreille ou charme le regard ;
J’ai l’amour du printemps en fleurs : femmes et roses !
Baron Haussmann, Confession d’un lion devenu vieux.

L’activité de Haussmann s’incorpore à l’impérialisme napoléonien, qui favorise le capitalisme de la finance. A Paris la spéculation est à son apogée. Les expropriations de Haussmann suscitent une spéculation qui frise l’escroquerie. Les sentences de la Cour de cassation qu’inspire l’opposition bourgeoise et orléaniste, augmentent les risques financiers de l’haussmannisation. Haussmann essaie de donner un appui solide à sa dictature en plaçant Paris sous un régime d’exception. En 1864 il donne carrière à sa haine contre la population instable des grandes villes dans un discours à la Chambre. Cette population va constamment en augmentant du fait de ses entreprises. La hausse des loyers chasse le prolétariat dans les faubourgs. Par là les quartiers de Paris perdent leur physionomie propre. La « ceinture rouge » se constitue. Haussmann s’est donné à lui-même le titre « d’artiste démolisseur ». Il se sentait une vocation pour l’œuvre qu’il avait entreprise ; et il souligne ce fait dans ses mémoires. Les halles centrales passent pour la construction la plus réussie de Haussmann et il y a là un symptôme intéressant. On disait de la Cité, berceau de la ville, qu’après le passage de Haussmann il n’y restait qu’une église, un hôpital, un bâtiment public et une caserne. Hugo et Mérimée donnent à entendre combien les transformations de Haussmann apparaissaient aux Parisiens comme un monument du despotisme napoléonien. Les habitants de la ville ne s’y sentent plus chez eux ; ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville. L’œuvre monumentale de Maxime Du Camp, Paris, doit son existence à cette prise de conscience. Les eaux-fortes de Meryon (vers 1850) prennent le masque mortuaire du vieux Paris.

Le véritable but des travaux de Haussmann c’était de s’assurer contre l’éventualité d’une guerre civile. Il voulait rendre impossible à tout jamais la construction de barricades dans les rues de Paris. Poursuivant le même but Louis-Philippe avait déjà introduit les pavés de bois. Néanmoins les barricades avaient joué un rôle considérable dans la révolution de Février. Engels s’occupa des problèmes de tactique dans les combats de barricades. Haussmann cherche à les prévenir de deux façons. La largeur des rues en rendra la construction impossible et de nouvelles voies relieront en ligne droite les casernes aux quartiers ouvriers. Les contemporains ont baptisé son entreprise : « l’embellissement stratégique ».

II

Das Blüthenreich der Dekorationen,
Der Reiz der Landsehaft, der Architektur
Und aller Szenerie-Effekt beruhen
Auf dem Gesetz der Perspektive nur.
Franz Böhle : Theater-Katechismus.
München, p. 74.

L’idéal d’urbaniste de Haussmann, c’étaient les perspectives sur lesquelles s’ouvrent de longues enfilades de rues. Cet idéal correspond à la tendance courante au xixe siècle à anoblir les nécessités techniques par de pseudo-fins artistiques. Les temples du pouvoir spirituel et séculier de la bourgeoisie de­vaient trouver leur apothéose dans le cadre des enfilades de rues. On dissi­mulait ces perspectives avant l’inauguration par une toile que l’on soulevait comme on dévoile un monument et la vue s’ouvrait alors sur une église, une gare, une statue équestre ou quelqu’autre symbole de civilisation. Dans l’haussmannisation de Paris la fantasmagorie s’est faite pierre. Comme elle est destinée à une sorte de pérennité, elle laisse entrevoir en même temps son caractère ténu. L’avenue de l’Opéra qui selon l’expression malicieuse de l’époque, ouvre la perspective de la loge de la concierge de l’Hôtel du Louvre, fait voir de combien peu se contentait la mégalomanie du préfet.

III

Fais voir, en déjouant la ruse,
Ô République à ces pervers
Ta grande face de Méduse
Au milieu de rouges éclairs.
Pierre Dupont. Chant des Ouvriers.

La barricade est ressuscitée par la Commune. Elle est plus forte et mieux conçue que jamais. Elle barre les grands boulevards, s’élève souvent à hauteur du premier étage et recèle des tranchées qu’elle abrite. De même que le Manifeste communiste clôt l’ère des conspirateurs professionnels, de même la Commune met un terme à la fantasmagorie qui domine les premières aspira­tions du prolétariat. Grâce à elle l’illusion que la tâche de la révolution prolétarienne serait d’achever l’œuvre de 89 en étroite collaboration avec la bourgeoisie, se dissipe. Cette chimère avait marqué la période 1831-1871, depuis les émeutes de Lyon jusqu’à la Commune. La bourgeoisie n’a jamais partagé cette erreur. Sa lutte contre les droits sociaux du prolétariat est aussi vieille que la grande révolution. Elle coïncide avec le mouvement philanthro­pique qui l’occulte et qui a eu son plein épanouissement sous Napoléon III. Sous son gouvernement a pris naissance l’œuvre monumentale de ce mouvement : le livre de Le Play, Ouvriers Européens.

A côté de la position ouverte de la philanthropie la bourgeoisie a de tout temps assumé la position couverte de la lutte des classes. Dès 1831 elle recon­naît dans le Journal des Débats : « Tout manufacturier vit dans sa manufac­ture comme les propriétaires des plantations parmi leurs esclaves. » S’il a été fatal pour les émeutes ouvrières anciennes, que nulle théorie de la révolution ne leur ait montré le chemin, c’est aussi d’autre part la condition nécessaire de la force immédiate et de l’enthousiasme avec lequel elles s’attaquent à la réalisation d’une société nouvelle. Cet enthousiasme qui atteint son paroxys­me dans la Commune, a gagné parfois à la cause ouvrière les meilleurs éléments de la bourgeoisie, mais a amené finalement les ouvriers à succomber à ses éléments les plus vils. Rimbaud et Courbet se sont rangés du côté de la Commune. L’incendie de Paris est le digne achèvement de l’œuvre de destruc­tion du Baron Haussmann.

Conclusion

Hommes du XIXe siècle, l’heure de nos apparitions est fixée à jamais, et nous ramène toujours les mêmes.
Auguste Blanqui
L’Éternité par les astres. Paris 1872, p. 74-75.

Pendant la Commune Blanqui était tenu prisonnier au fort du Taureau. C’est là qu’il écrivit son éternité par les Astres. Ce livre parachève la cons­tellation des fantasmagories du siècle par une dernière fantasmagorie, à caractère cosmique, qui implicitement comprend la critique la plus acerbe de toutes les autres. Les réflexions ingénues d’un autodidacte, qui forment la partie principale de cet écrit, ouvrent la voie à une spéculation qui inflige à l’élan révolutionnaire de l’auteur un cruel démenti. La conception de l’univers que Blanqui développe dans ce livre et dont il emprunte les données aux sciences naturelles mécanistes, s’avère être une vision d’enfer. C’est de plus le complément de cette société dont Blanqui vers la fin de sa vie a été obligé de reconnaître le triomphe sur lui-même. Ce que fait l’ironie de cet échafaudage, ironie cachée sans doute à l’auteur lui-même, c’est que le réquisitoire effrayant qu’il prononce contre la société, affecte la forme d’une soumission sans réserve aux résultats. Cet écrit présente l’idée du retour éternel des cho­ses dix ans avant Zarathoustra ; de façon à peine moins pathétique, et avec une extrême puissance d’hallucination. Elle n’a rien de triomphant, laisse bien plutôt un sentiment d’oppression. Blanqui s’y préoccupe de tracer une image du progrès qui, – antiquité immémoriale se pavanant dans un apparat de nou­veauté dernière – se révèle comme étant la fantasmagorie de l’histoire elle-même. Voici le passage essentiel :

« L’univers tout entier est composé de systèmes stellaires. Pour les créer, la nature n’a que cent corps simples à sa disposition. Malgré le parti prodi­gieux qu’elle sait tirer de ces ressources et le chiffre incalculable de combinai­sons qu’elles permettent à sa fécondité, le résultat est nécessairement un nombre fini, comme celui des éléments eux-mêmes, et pour remplir l’étendue, la nature doit répéter à l’infini chacune de ses combinaisons originales ou types. Tout astre, quel qu’il soit, existe donc en nombre infini dans le temps et dans l’espace, non pas seulement sous l’un de ses aspects, mais tel qu’il se trouve à chacune des secondes de sa durée, depuis la naissance jusqu’à la mort... La terre est l’un de ces astres. Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence. Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes sembla­bles. Ainsi de chacun... Le nombre de nos sosies est infini dans le temps et dans l’espace. En conscience, on ne peut guère exiger davantage. Ces sosies sont en chair et en os, voire en pantalon et paletot, en crinoline et en chignon. Ce ne sont point là des fantômes, c’est de l’actualité éternisée. Voici néan­moins un grand défaut : il n’y a pas progrès... Ce que nous appelons le progrès est claquemuré sur chaque terre, et s’évanouit avec elle. Toujours et partout, dans le camp terrestre, le même drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante, infatuée de sa grandeur, se croyant l’univers et vivant dans sa prison comme dans une immensité, pour sombrer bientôt avec le globe qui a porté dans le plus profond dédain, le fardeau de son orgueil. Même monotonie, même immobilisme dans les astres étrangers. L’univers se répète sans fin et piaffe sur place. L’éternité joue imperturbablement dans l’infini les mêmes représentations. »

Cette résignation sans espoir, c’est le dernier mot du grand révolution­naire. Le siècle n’a pas su répondre aux nouvelles virtualités techniques par un ordre social nouveau. C’est pourquoi le dernier mot est resté aux truchements égarants de l’ancien et du nouveau, qui sont au cœur de ces fantasmagories. Le monde dominé par ses fantasmagories, c’est – pour nous servir de l’expres­sion de Baudelaire – la modernité. La vision de Blanqui fait entrer dans la modernité – dont les sept vieillards apparaissent comme les hérauts – l’univers tout entier. Finalement la nouveauté lui apparaît comme l’attribut de ce qui appartient au ban de la damnation. De même façon dans un vaudeville quelque peu antérieur : Ciel et Enfer les punitions de l’enfer font figure de dernière nouveauté de tout temps, de « peines éternelles et toujours nou­velles ». Les hommes du xixe siècle auxquels Blanqui s’adresse comme à des apparitions sont issus de cette région.

P.-S.

Edition électronique réalisée à partir du texte de Walter Benjamin, “ Paris, capitale du XIXe siècle ”, « exposé » de 1939 – écrit directement en français par W. Benjamin – in Das Passagen-Werk (le livre des Passages), Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1982, pages 60 à 77. Une édition numérique réalisée par Daniel Banda, bénévole, professeur de philosophie en Seine-Saint-Denis et chargé de cours d’esthétique à Paris-I Sorbonne.

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