La Revue des Ressources

Rosa candida 

jeudi 28 juillet 2011, par Elisabeth Poulet

Bouleversé par la mort de sa mère et par une paternité récente, inattendue et peu assumée, le jeune Arnljotur va quitter l’Islande, son frère autiste et son père octogénaire pour une destination qui restera inconnue du lecteur, à la recherche d’une roseraie mythique.
Nouveau Candide, il laisse derrière lui les paysages de laves et part restaurer cette ancienne roseraie avec, dans ses bagages, quelques boutures de Rosa Candida, cette variété rare de rose à huit pétales que sa mère cultivait. L’Eden perdu qu’était la serre où il vivait en symbiose avec sa mère renaît sous l’aspect de ce jardin du Sud, laissé à l’abandon par des moines peu soucieux de conserver ce patrimoine floral. En travaillant la terre, en plantant des rosiers, c’est aussi le souvenir de sa mère que le jeune homme cultive, la seule femme avec laquelle il pouvait communiquer : « Quand je voulais être seul avec maman, j’allais la rejoindre dans la serre, ou au jardin et l’on pouvait parler ensemble. Elle semblait parfois avoir l’esprit ailleurs et quand je lui demandais à quoi elle pensait, elle répondait « oui, oui, ce que tu dis me plaît bien. » Et son sourire exprimait son accord et son encouragement. » C’est aussi dans cette serre qu’il mit enceinte « l’amie d’un ami », à peu près un an après la mort de sa mère et le jeune homme n’est pas loin de penser que le fantôme de sa mère a été pour quelque chose dans cette conception : « Nous devions sans doute causer de biologie végétale et avant que j’aie pu m’en rendre compte, nous étions en train de nous déshabiller. Tout le reste est demeuré flou dans ma mémoire. Il m’a semblé pourtant voir brièvement une lueur dans la nuit, étrangement près, comme s’il faisait jour au niveau de la congère. Cela a donné l’espace d’un instant une clarté aveuglante dans la serre, la lumière s’est frayé un chemin à travers les plantes et a dessiné un motif de feuilles sur le corps de mon amie. La caresse de mes mains a fait glisser les pétales de rose de son ventre et au même instant nous avons senti nettement tous les deux un courant d’air, comme un ventilateur qu’on aurait allumé. Ce n’est que bien plus tard que je me suis rappelé cette histoire de courant d’air et que je me suis mis à penser à la lueur dehors dans le noir comme à quelque chose qui n’aurait pas été tout à fait normal. »

Rosa Candida est un conte initiatique tout en délicatesse, structuré en courtes séquences, à la mesure des petits pas du jeune rouquin, peu pressé de devenir adulte. Arnljotur a l’ignorance et l’ingénuité de sa jeunesse mais il n’est jamais ridicule, souvent attendrissant, parfois énervant mais toujours attachant. Son voyage vers l’âge adulte, vers la paternité, est une succession de découvertes aux allures de conte. Si le jeune Islandais sait être méfiant, n’ignore pas que « les forêts peuvent être dangereuses », contrairement à son père, il fait « confiance aux gens ». Et, même perdu dans les profondeurs de la forêt, il philosophe sur le fait d’être Islandais : « Je me retrouve en pleine forêt, littéralement encerclé de toutes parts par les arbres, sans la moindre idée de l’endroit où je me suis fourré. Est-ce qu’un homme élevé dans les profondeurs obscures de la forêt, où il faut se frayer un chemin au travers de multiples épaisseurs d’arbres pour aller mettre une lettre à la poste, peut comprendre ce que sait que d’attendre pendant toute sa jeunesse que pousse un seul arbre ? » Audur Ava Olafsdottir joue ici avec les codes du conte fantastique et avec les peurs de ses lecteurs. Arnljotur ne devrait-il pas se méfier de cet aubergiste et de sa femme qui ont tout d’un couple d’ogres sanguinaires ? Car, enfin, on ne sert que du pâté dans ce restaurant de la forêt dont, soit dit en passant, le jeune rouquin est le seul client : « Dans le sillage du pâté de hérisson, suivent au moins trois autres hors-d’œuvre, pâté sur pâté : pâté de sanglier, pâté de canard et foie gras. » On lui sert beaucoup de vin, de la viande et on lui présente une addition ridiculement modeste. Là, on ne peut s’empêcher de penser qu’il va falloir que le jeune homme paie, d’une façon ou d’une autre… Mais le candide Islandais boit le dernier verre de liqueur offert par la maison, se brosse les dents, arrose ses plantes et se glisse « entre des draps blancs comme neige. » Que cachaient donc les aubergistes ? Vous le découvrirez au réveil d’Arnljotur…
Audur Ava Olafsdottir distille tout au long de son roman un humour discret et délicatement agissant. Des personnages secondaires, comme le moine cinéphile qui suggère à son jeune jardinier de visionner les films d’Antonioni afin de mieux comprendre les femmes, utilisant le cinéma d’art et d’essai pour répondre aux questions existentielles que lui pose le héros, ou comme le père qui, lors de savoureux échanges téléphoniques avec son fils, l’aide à résoudre ses problèmes comme des recettes de cuisine, rendent le monde moins difficile et plus intéressant.
Arrivé au terme de son road movie botanique, le jeune homme à la rose est devenu un père apaisé qui n’attend plus que le retour de la mère de son enfant.
Rosa Candida est un hymne à la vie, exempt de toute mièvrerie grâce au subtil décalage de son personnage, authentique et rafraîchissant.

P.-S.

Rosa candida, de Audur Ava Olafsdottir, traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson, Editions Zulma, Paris, 2010.

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L’index des articles liés à la programmation islandaise de l’été 2011 est accessible au mot-clé n°1324 : Ísland.

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