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Triomphe du Carnaval 

lundi 3 septembre 2012, par Nicolas Boldych, Sébastien Haro

La lente plaine de l’hiver

Lenteur humide d’un après-midi de février, sur la route menant de Bruxelles à Gand, Ost-Vlanderen. Les villages et pâtures sont encore engourdis par le froid, de petites mares aux reflets métalliques trouent les longs tapis d’herbe fumante. Sans le vouloir les vaches, par leur immobilité repue, donnent la mesure de notre vitesse. Dans les basses plaines il n’est pas rare d’avoir le sentiment de ne pas avancer. Aaaalst.
Pourtant au loin la ville s’annonce ; sans forme précise, couleur ocre, jaunâtre, aplatie au pied d’un haut mur de nuages qui s’épaissit au fur et à mesure que l’on se rapproche de la mer.
On sent bien là une ville étape le long de la longue avenue qui mène de la capitale à la côte. De carnavalesque il n’y a pour l’instant que le ciel qui se défait par moment de sa crêpe de grisaille pour laisser courir des friselis de lumière dorée.
La Belgique va-t-elle réussir son carnaval, sa mue printanière qui fera voler en éclat la dure croûte de mélancolie qui compresse les cerveaux, endort les sens ?
Oui à en croire le ciel, depuis que la mélasse atmosphérique s’est fendue, que des échancrures de lumière se dessinent, et qu’une compote claire et lumineuse dégouline désormais franchement sur la campagne spongieuse, glacée, avide de renouveau, prête à vampiriser les premiers rayons du soleil printanier.

État de Carnaval


On ne rentre pas tout de suite dans l’état de carnaval, à Aalst, Binche, Arlon, ou ailleurs. Le corps de la ville ce dimanche reste lourd, plombé par l’attente ; l’inertie du repos dominical ne laisse rien présager de ce qui se trame dans les circonvolutions du centre, qui d’ailleurs ne doit pas être bien loin. Nous arrivons ainsi dans des lieux banals, lors d’un dimanche banal, fait d’attente, d’une lumière contrariée, qui apparaît avant d’être à nouveau étouffée par les nuages de la terre et de la mer, un dimanche souvent enténébré où l’on ne peut espérer que l’éclaircie des friteries et de la bière qui coule sans laisser de traces.
Une longue avenue incurvée aboutissant à un rond-point pavoisé, des allées de platanes, un peu boueuses, un terrain de foot désert, des clochers gothiques ou néo-gothiques fièrement dressés au cœur de la ville, du centre qui doit être quelque part par là-bas, délimité par quelques cheminées d’usine. Allons-y !
La ville-fabrique est à peine fardée, ces longues rues dépourvues de festons courent le long d’un mamelon faiblement prononcé ; derrière les grandes fenêtre des demeures des natures mortes, de porcelaine, peluches et plantes artificielles, disent le bonheur de la retraite.
Mais l’on sait que cette morosité nous prépare quelque chose ; qu’importe la banalité de brique, métal, verre, quand elle débouche sur quelques bulles légères ! Par ces rues courbes, obliques, tangentes à un centre que l’on sait être par là-bas à cause d’un clocher effilé — à cette dentelle de pierre qui accroche si bien la lumière —, on entrevoit les premiers costumes. Rien de bien spectaculaire, même si les gens qui les portent, ne vont pas toujours droit, car il y a déjà du tangage, des dérives, des démarches fantaisistes, une manière beaucoup plus directe d’arriver à son but.

L’art très sérieux du travestissement

C’est l’avantage de ne pas connaître une ville, on est toujours surpris à un moment, quand on découvre à l’improviste ce que l’on cherchait.
Quoi qu’on fasse, on arrive toujours quelque part.
Ainsi tombe-t-on bientôt sur une petite place envahie par des véhicules utilitaires surmontés de puissants hauts-parleurs qui crachent des musiques de rave ou de fêtes foraines ; alcool et électronique, érotisme de carton pâte, chimie contemporaine. Autour se trémoussent des travestis, premières tribus de folles plongées dans les préparatifs du défilé ; certaines sont prêtes à l’attaque, avec leurs crinières blondes ou brunes aux ondulations synthétiques, leur grands cils noirs recourbés, leurs robes à écailles ; d’autres finissent de se pomponner devant les miroirs, assidûment, avec ce sérieux qui est aussi, à un certain niveau, la marque du carnaval.
Aucune ne tient en place, toutes ont fait un effort de présentation qui confine presque à la vanité.
Rien n’est donné en temps de carnaval, toute forme de beauté, de perfection demande des ajustements rigoureux face à un miroir, car il s’agit de faire honneur à de très horrifiques guildes, car il s’agit de convoquer des esprits.

Vraiment il y a quelque chose qui cloche dans une ville atteinte par l’état de carnaval.
Fin février après des mois de grisaille, ces tribus de nanas poilues, très hétéroclites au demeurant (certaines ont des grâces surfaites de courtisanes, d’autres sont véritablement affreuses, d’autres enfin sont de vraies femmes à la blondeur angélique) qui baignent sous les premiers rayons de soleil printanier au rythme d’une musique souterraine, techno, nous obligent à revoir notre vision de la réalité, et de la ville.
Le mauvais goût et le malpropre seront au rendez-vous mais qu’importe le carnaval est un grand nettoyage, l’occasion d’une toilette municipale où les âmes se déchargent de tous les fantasmes accumulés durant les trop longues soirées d’hiver. Les fantasmes, fantômes, esprits réduits à du carton pâte, du synthétique, de la flanelle ou de la soie, partiront en fumée sur le bûcher du carnaval, bûcher des vanités.
Ce qu’on appelle savamment la catharsis.

Excentricité démocratique

Le carnaval ne se limite pas à la rue, à l’espace des pérégrinations publiques ; chacun en accueille l’esprit chez lui ; c’est pourquoi les fenêtres s’entrouvrent généreusement au fur et à mesure que l’on pénètre dans le centre, et qu’aux balcons apparaissent des visages enfarinés de matrones sévères ou de timides hôtesses de l’air. Le remue ménage de la rue, le ramdam post-hivernal, la grande vidange, ne laissent personne indifférent, et même si on observe la fête depuis son chez soi c’est en costume royal ; rien à voir avec les déprimants pyjamas, peignoirs, robes de chambres, et bermudas des planqués du dimanche après-midi.
Aujourd’hui personne n’est à la retraite, retraite sociale ou personnelle, tout le monde peut passer sa tête sans honte ni appréhension à la fenêtre et jouir du spectacle des masques et des costumes.

Il y a manifestement plusieurs manières de porter un costume ; il y a le costume de la jeunesse, ironique, fantaisie surajoutée qui permet de justifier quelques débordements coutumiers, mais il y a aussi les costumes de l’âge mûr porté avec une certaine pudeur, et qui n’en sont pas moins excentriques, l’excentricité étant même proportionnelle aux ans. De plus quand elle permet de balayer la poussière et les rides elle révèle soudain une jeunesse essentielle. Quant aux enfants on sent chez eux la fierté de devenir lutins, fées, de porter ces costumes qui leur donnent un droit, une puissance magique devant laquelle devront sans doute s’incliner ces adultes aux ridicules déguisements de femmes de ménages, de poivrots ou de militaires.
Les enfants se glissent partout animant les trottoirs de leurs va-et-vient de feux follets. Ce sont les esprits de lumière, dans cette fête où l’obscurité se confesse de manière grotesque.

Devant l’hôtel de vile des estrades ont été dressées où quelques spectateurs attendent patiemment en costume de ville l’arrivée du cortège. C’est que la municipalité est de l’affaire. On peut même dire qu’elle est au cœur de la fête, car aujourd’hui c’est, selon la tradition le bonhomme carnaval qui est le bourgmestre de Aalst, suite à une exceptionnelle passation de pouvoir.
Fais ce que veux.
La licence de la municipalité couvre la licence de la foule urbaine. La mairie préside sagement au mariage du rire et de la peur, de l’ordre et du désordre.

Rire et peur

Rire et peur, c’est ce mélange qui fait sans doute du carnaval une fête unique.
Ouragan, corps à corps, révolution par le rire, masque contre masque.
Sans quelques masques inquiétants, sans le réalisme "choquant " de certains déguisements — pansements et couches-culottes, varices et bedaines —, il n’y aurait pas ce grand rire qui libère tout à coup les corps, et rend léger, guilleret.
Le rire est partout dans l’état de carnaval ; il flotte dans l’air dès qu’on pénètre dans le labyrinthe du centre, et qu’on suit éberlués les insinuantes courbes des rues, conscients de rencontrer bientôt les « monstres ».
Grande dilatation de la ratte, décrispation des mandibules, disparition des rhumatismes de l’angoisse sur les visages qui retrouvent alors leur souplesse naturelle.
Et c’est un rire des plus sains car on ne se moque de personne, mis à part peut-être des Grands, ministres, Premier, édiles aux mœurs légères dont les effigies de carton-pâte vont bientôt planer au-dessus de la foule : regard hautain enfermé dans des yeux globuleux qui semblent ne plus rien voir de ce qui touche les hommes.
Mais on se moque surtout des images grotesques du vice, des monstres claudiquant qui hantent la communauté humaine, on se moque du spectre de la vieillesse et de la maladie, de l’alcoolisme et de l’avachissement, mais aussi du clinquant, du tape à l’oeil et du silicone, bref de tout ce qui déforme, défigure et menace la belle jeunesse qui ce jour-là règne partout.

Rire de ses peurs, les voir trotter de ça de là dans des costumes ridicules ; ridiculiser ses hantises, pointer du doigt les boursouflures maladives des ego, rendre comique la gangrène, voilà ce que le carnaval de Aalst apporte aux humains.
Oui il mérite d’être au patrimoine de l’humanité s’il peut provoquer ce rire.
Sans compter que ce rire n’est pas univoque, qu’il est troublé parfois par une vraie admiration qui a du mal à se dire tant elle confine au rêve ; admiration profonde, enfantine, ou mâle, face à la beauté troublante des robes de soie multicolores portés par des tribus de femmes innommées.

Et on aura une idée de quelle tempête cette fête peut provoquer dans les esprits minés par l’hiver. Quelle folie ! Une folie si bien protégée par la bénédiction collective, municipale, qu’on entendrait presque la foule s’écrier : Gaudium ! Gaudium ! Jouissance ! Jouissance !
Et on se lâche bien à Aalst, cité de femmes, ce dimanche. « Gaudium ! », il semble que ce soit même une prérogative féminine car les femmes, vraies ou fausses, sont en surnombre dans les rues de la ville : cocottes emperlousées, matrones décaties, ménagères libérés, soldates américanoïdes, abeilles et schtroumpfettes, majorettes, pin ups désinhibées, jeunettes aux déhanchements brésiliens, ou sages fées….
Le carnaval de Aalst est particulièrement féminin.
Ses chorégraphies sont fastueuses et les flamandes bien souvent solaires, légères et enjouées.

La tête du serpent

A deux heures de l’après-midi, alors que la vente de sucreries provençales, harengs saurs et fricadelles bat son plein, voilà qu’une lumière jaune citron troue le ciel de février, que les sales nuages se déchiquettent ; le ciel lui-même hésite entre différentes apparences. Quelle meilleure lumière de carnaval pourrait-on espérer… Le ciel atteint par l’état de carnaval ! Voilà pourquoi il se mettra même à neiger, pas de vrais flocons, c’est à dire plates hosties rafraîchissantes mais de minuscules boulettes de glace aux allures de confettis, aussi légères que du polystyrène.

Le défilé commence. Le serpent, à plumes, montre sa tête, et cela va durer plusieurs heures, car les esprits de l’hiver sont légions dans la populeuse Flandres ; ils sortent des sillons des champs et des usines, dont certaines continuent à fumer aux abords du centre de Aalst, ils viennent de tous les coins et recoins de la société, des écoles, hôpitaux, administrations, des commissariats et des geôles peut-être.

Poupons, indiens, en transes, tels sont les Gilles. Cette tribu, hommes, femmes, enfants, qui se manifeste une fois l’an. Leur arrivée est comme celle de nouveaux-nés, du nouveau monde – leur costume n’ont-ils pas été inspirés par ceux des Incas méchamment plumés par quelques hidalgos assoiffés d’or ? Incarnation d’une puissance à la fois solaire et chtonienne, le Gilles symbolise l’exubérance du renouveau printanier, la danse de la vie dans ce quelle a de beau, et de forcené.
Les Gilles sont des forcenés, dans un état second, obéissant aux rythmes giratoires des jours et des saisons, en accéléré. Les rubans solaires, les maillots, luxueuses langes aux couleurs de la royauté belge, les plumes d’autruche qui les grandissent d’un bon mètre, les rubans de flanelle qui couvrent leurs oreilles comme pour les rendre sourds au vacarme qu’ils soulèvent, et ces sabots de bois qui résonnent sur la terre, chassent résolument les mauvais esprits.
Royal et loufoque est le Gilles, peut être comme la Belgique tout entière qui ce jour-là révèle sa véritable puissance, celle de son armée carnavalesque, celle de son rire.

Et ce n’est que la première tribu car d’autres approchent et se succèdent, le serpent déroule lentement les anneaux chatoyant de son corps qui finira au soir par étreindre tout l’espace du centre ville, par le presser comme un citron dont il voudrait faire sortir une pulpe assez rare au sortir de l’hiver.
La pulpe de joie.
Il y a les personnages de péplum en costume de carton pâte, des mégères apprivoisées par des chaises longues, les anges lubriques sur leur perchoir acrobatique, des majorettes venues d’un continent inconnu, des polichinelles en chapeau de Napoléon. Créatures d’un empire des songes où le soleil ne se couche pas.
Et bien plus encore.

Mécanique de l’ouragan

Tous sont rigoureusement les mêmes, marchant sur des pas de danse scrupuleusement respectés, en longues files animées par un mouvement de tangage comparable à celui des barque allant sur les flots de la mer du nord, par temps d’orage. Pas du tout titubants ces athlètes du carnaval, mais au contraire lucides, appliqués, allant imperturbablement de l’avant, en toute excentricité, parmi la foule des regards accrochés à un rêve.

A chaque arrivée d’une nouvelle tribu c’est une révélation, un univers inconnu qui s’ouvre puis se referme bientôt comme s’il cela n’avait jamais existé, car l’état de carnaval n’existerait pas s’il n’était pas éphémère, si une nouvelle illusion ne chassait bientôt l’ancienne, si le rêve, l’euphorie, la transe n’étaient soutenus par un rythme qui ne faisait que se renforcer au fur et à mesure que le cortège progresse.
Seuls les spectateurs, les seconds rôles et les petites mains restent là, bien réels, bien saouls, parfois doctes et élégants, parfois simiesques ou porcins, mais maîtrisant toujours leurs mimiques, leur rôles, les gestes et expressions du spectre qu’ils ont pour mission d’incarner.
On peut s’attacher en particulier aux Walkyries qui servent la bière ; robes à fleur des grognasses de jadis, poitrine de mousse qui pendent lourdement, perruques de filasse qu’aucun peigne ne pourrait dompter, et on se retrouve à nouveau nez-à-nez avec la folie sérieuse des travestis ; on retrouve l’organisation, l’ordre dans le désordre.
Terriblement absorbés par leur tâche sont aussi les conducteurs des tracteurs qui tirent les chars, avec des visages graves exprimant la laborieuse patience du paysan qui trace son sillon. Lourde responsabilité car ce sont eux qui permettent aux illusions de s’enchaîner à la bonne vitesse, au corps du serpent de se dérouler lentement jusqu’à la place centrale où les sages édiles attendent l’arrivée des troupes.
Cela demande une certaine concentration car on est là au milieu d’un ouragan où les places, les rôles doivent être parfaitement respectés, comme dans toute société, aussi éphémère soit-elle.
Le carnaval est une mécanique globale. Une fois que les vannes sont ouvertes et que le flot d’excentricité et d’exubérance peut se déverser cela se fait selon un rythme rigoureux. Tout le monde est dépassé, pris dans un ouragan global, mais si tel est le résultat — l’ordre dans le désordre, c’est à cause d’une organisation qui a force de se répéter est devenue naturelle.

Anticipation de la fin

Le carnaval est le rare moment où la mécanique urbaine rejoint la puissance de la nature. Ces deux puissances se rencontrent, se comprennent et se renforcent mutuellement. Ainsi, alors même que les rayons du soleil de février commencent à faiblir on ne voit toujours pas la fin du cortège parti du nord-ouest de Aalst ; le carnaval n’obéit pas aux cycles habituels du jour et de la nuit, il est à lui-même son propre maître.

Aucune décélération, toujours défilent de nouvelles tribus, par exemple celles des nains sarkozystes ou des evzones grecs en banqueroute — qui font sourire jaune d’ailleurs. Ils ont fait leur apparition au bout de la longue rue qui mène à la place centrale, au moment où l’atmosphère venait de se refroidir, où l’on se demandait si l’hiver était bien fini, où on s’est dit que l’heure tournait encore malgré tout, au moment où on a senti à la réalité nous donner un léger coup de coude, pour nous réveiller.
Plongés ainsi dans le rythme du carnaval on finirait par oublier le temps, les mois, les saisons. On l’oublierait si n’étaient les impératifs domestiques et la nécessité du retour, dans la lenteur de la plaine.
On pense un moment que le rythme va se ralentir mais au contraire il s’accélère, ou du moins reste à la même vitesse, et on est loin de voir apparaître les derniers chars.
Alors on doit faire un effort sur soi-même et anticiper la fin, le crépuscule, en remontant le défilé à contre courant et à contre-cœur, jouant des coudes au besoin. On s’apprête à sortir en catimini par la petite porte des rues de second ordre, ce qui est un peu tricher, ou du moins ne pas respecter le rythme des apparitions : s’accélère alors le défilé des illusions jusqu’à ce qu’on se soit définitivement extirpé du phénomène du carnaval, de l’état de carnaval, de l’ouragan qui doit perdurer jusqu’à son plus complet épuisement, sa consommation, sans doute tard dans la nuit.

Carnaval européen ?

Retour au parking, au stade de foot plus que jamais désert, à l’allée des platanes, au ring, aux carrefours et bretelles d’autoroutes. Alors que les vaches ont été happées par l’obscurité de ce qui reste malgré tout l’hiver.
De nouveau le monde plat, la montre, les signes de circulation, les clignotants, les priorités et les directions, alors que le cerveau est encore chamboulé par des visions venues d’on ne sait où.
Agréable gueule de bois.
Il est difficile après coup de dire ce que l’on a vu, de mettre des mots sur ce défilé qui n’a lieu qu’une fois, et dont on continue à imaginer la fin.
Je me souviens néanmoins encore des nains bleus blancs rouges, des lapons en bonnet, des vents traînant de longs troncs de plastique, des faux congolais qui agitant la bannière flamande rappellent ainsi que le lion est africain — , les plus horrifiques sans doute.
Longtemps le défilé continue dans l’esprit, spirale de lumière et de couleurs, où tout s‘accélère à nouveau. Et il est plus que jamais impossible de mettre des noms sur ces costumes qu’on ne reverra plus.
Le rythme a disparu, la musique qui doit battre son plein est déjà loin quelque part dans la plaine à ras de mer, entre Bruxelles et la côte…
Retour vers la capitale que l’on trouve soudain assez froide et technocratique, la capitale européenne qui pas une minute ne s’est douté de ce qui se passait, ici à Aalst. A quelques dizaines de kilomètres.
Quel dommage ! Quel manque de communication ! Quelle déperdition de joie !
Alors on se prend à songer à un Carnaval européen, un grand Maelstrom de peuples et de tribus : imaginez tous ensemble, les uns après les autres, défiler les tribus d’Europe, modernes et primitives, toute l’histoire de notre petit continent évoquée en quelques heures, sur des rythmes grecs, thraces, italiotes, luso-africains, ibériques ou provençaux. Quelle vision horrifique !
En tous cas cela mettrait un peu de sel, de piment dans la terne vie de l’ « European district », oui cela mettrait du baume au cœur de quelques fonctionnaires qui troqueraient joyeusement leur costard et leur tailleurs pour de fantastiques costumes nationaux, éméchés du coup pour la bonne cause, celle du carnaval.
A Bruxelles de s’inventer un carnaval, européen, qui serait aussitôt inscrit, soyons en sûrs, sur la liste du patrimoine immatériel de l’Humanité, un carnaval qui serait, à l’image de celui de Aalst, un vrai triomphe, et bien plus encore.

Photographies : Sébastien Haro.

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