L’Exotisme littéraire, lié à la découverte d’un Autre inconnu dans un Ailleurs nouveau, naît du désir de partager l’émotion née de ces rencontres par le moyen de l’art. Forme de rêverie émue dans un espace lointain, réalisée dans une écriture, l’exotisme a à voir avec le voyage, il irrigue l’imaginaire, se nourrit d’images, et peut déboucher sur une connaissance, au-delà des clichés plus ou moins convenus. Tel est le cas de cet exotisme qui accompagne la conquête puis la colonisation des pays de l’Indochine par les Français, et s’enrichit de près d’un siècle d’histoire commune, du milieu du XIXème siècle au milieu du XXème.
En 1934, Louis Malleret signe L’Exotisme indochinois dans la littérature française depuis 1860, un magnifique ouvrage de référence qui était devenu introuvable, et qui vient d’être réédité à L’Harmattan, dans la collection Autrement Mêmes, à la vive satisfaction de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire littéraire, et à l’histoire en général, de ces contrées et des ces sensibilités.
Louis Malleret, frais émoulu de Normale-Sup Saint-Cloud, arrivé en 1929 à sa demande au Vietnam, est historien, puis archéologue, et plus tard membre de l’École Française d’Extrême-Orient, qu’il dirigera par la suite. A son arrivée, nommé bibliothécaire de la Société des Études Indochinoises, il se prend de passion pour les voyageurs, explorateurs et découvreurs, et pour les diverses relations qu’ils fournissent. Il élabore donc une vaste synthèse de ces écrits, en combinant deux axes principaux, l’analyse d’une notion littéraire, et un parcours historique.
Le plan de l’ouvrage alterne deux parties consacrées à l’exotisme, dans sa variante indochinoise, passée et présente, et deux parties sur un Cycle européen et un Cycle asiatique, reflets de l’évolution chronologique qui accompagne, pour lui, la découverte littéraire du pays et ses habitants. Malleret couvre des champs très vastes, journaux, récits, documents, romans, poésie, théâtre (un peu), en les situant dans une époque et un parcours. Il aboutit à une définition ouverte et évolutive de son sujet qui passe de l’exotisme indochinois à l’asiatisme littéraire, comme pour montrer la métamorphose d’une notion en devenir, et qui reste à questionner.
C’est que l’exotisme offre un reflet de l’époque, et porte des enjeux esthétiques et idéologiques. Il existe en effet des exotismes, aux contours contradictoires : celui de Loti romancier, héritier de Chateaubriand et Bernardin de Saint Pierre, celui de Segalen voyageur, archéologue et poète, chantre de la jouissance du Divers, celui aussi de la littérature coloniale qui veut s’orienter vers une connaissance ethnographique. Ce qui change, à cette époque, entre ces diverses conceptions, c’est que l’Autre n’est plus seulement un autre totalement étranger et étrange, mais fait désormais partie d’un même Empire. On ne veut plus seulement le voir, on demande à savoir, à connaître.
Enjeu idéologique donc, car cet exotisme est lié à la doctrine coloniale, sans toutefois y être soumis. Dans un mouvement dialectique, il sert une propagande, et il s’en affranchit, selon les individus, les auteurs et les projets. La force et l’originalité de Malleret est bien de percevoir cet exotisme au-delà de cette sujétion : « Le problème des relations de l’Europe et de l’Asie, écrit-il, n’est qu’accessoirement politique. Avant tout il est d’ordre philosophique et moral, et comme tel dépasse le médiocre débat de la colonisation ». Traitant de plus de 250 auteurs, fouillé et nuancé, marqué aussi par les conceptions de l’époque, cet ouvrage fourmille d’informations précieuses et oubliées, et pose nombre de questions passionnantes, et toujours actuelles. Indispensable !
Louis Malleret, L’Exotisme indochinois dans la littérature française depuis 1860, T1 et T2, réédition L’Harmattan, collection Autrement Mêmes, préfaces de Henri Copin et François Doré, couverture de Marcelino Truong, index.