5 chants sous la Marne
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1.
Le lac, trouer la carte
Je coupe des têtes
Détachées des corps poils, plumes, écailles
Je creuse des puits, des fosses, des cuves
J’y jette les têtes dents, becs, bouches
Je les brise et les brise à nouveau, elles sont toujours vives
Les corps garrottés-lestés, les têtes flottent Je serre les corbeaux noirs sous les tuiles
Je cloue ciseaux, peignes, rasoirs aux sangliers Je crache les poissons dans les miroirs
Les fumées dans les soleils
Les genévriers dans les mains
Les pièces sur les yeux
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2.
Dehors, errer et fouiller
Je secoue mes bras à poils
Je secoue mes épaules à nageoire
Je secoue mes genoux à plumes
J’agite mes têtes
Je secoue et j’exhibe mes mains
Des fumées pour patienter
Des fumées sur l’herbe dorée
Je brûle l’os que j’ai en trop
J’ai perdu mon petit livre au fond de l’eau,
dans la gueule d’un poisson cru
Trois feuilles ont été mouillées
Taisez-vous, ne pleurez pas
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3.
L’hôtel, pleurer ses rêves
J’ouvre et je ferme mes yeux
Je tends mon cœur puissant, je le nomme
Je ne comprends rien, je ne peux rien
Je ne vois rien, je ne sais rien
Je suis plus bête qu’un veau, plus simple qu’une
génisse
Je patiente
Le brillant cornu qui rit, la pierre qui crie
Trois maisons au bout de trois perches
J’attends
Le poisson entre dans la maison, il y a le gîte
et le couvert
Trois pommes d’or cuites sur une branche,
dévorées par des sangliers ardents
Ils retournent leurs corps comme des vêtements
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4.
La gare, voir depuis le ciel
J’ai les yeux bandés, je serre les dents
Ma mâchoire écrase un cœur
L’arbre est mon chemin, sous mes pieds les
poissons grouillent
Mon manteau se noue aux branches dorées,
argentées, rouges
Je construis un feu
Je nage, je coule, croasse et grogne sept fois
Sept fois les morceaux se sont ressoudés
Sept fois le fil bariolé a été coupé
Sept fois j’ai allumé les ramures
Je porte une tête à mon côté
Je porte une tête à mon épaule
Entourée d’une falaise d’eau, la femme jette de
grosses noisettes qui flottent
En trois bonds, le corbeau apparaît sur son sein blanc
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&
5.
L’université, apprendre à chanter
Je suis la pointe des armes !
Je suis le feu brillant !
Vous qui avez mangé mon dos
Vous qui avez regardé mes petits os
Vous qui avez trouvé ma tête
La pierre hurle ici et là-bas, elle coule dans le trou
La roue embrassée jusqu’à la rivière
La roue au fond de l’eau
Voilà ce que nous cherchions :
Tu as reçu de longues défenses !
Tu as reçu les yeux noirs de Bran !
Tu as reçu l’ouïe du marais !
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© Benjamin Bondonneau - 2020