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La bière d’une époque et autres essais (tạp văn) 

Huit essais traduits du vietnamien par Emmanuel Poisson

mercredi 11 juillet 2018, par Nguyễn Việt Hà
















La bière d’une époque

Naguère, pour sublimer une passion, l’alcool de riz était l’unique breuvage des hommes respectables au Viêt Nam. Jamais ni nulle part dans le Dai Viêt des Ly, Trân, Lê et Nguyên, les gentilshommes aisés, lorsqu’ils prenaient de l’embonpoint, s’en allaient seoir dans une auberge pour y savourer une bière . L’alcool relève de l’élément Bois dont l’Orient est la terre d’élection alors que l’élément Métal prend sa source dans le ciel de l’Occident. Dans l’histoire de l’expansion occidentale, les Français, lorsqu’ils pénétrèrent au Viêt Nam, avaient naturellement dans leurs hétéroclites bagages « civilisateurs » où l’or côtoyait le plomb, un tonneau de bière pression.

Jusqu’aux années 60 du XXe siècle, nombre de représentants du sexe fort à Hanoi, lorsqu’ils buvaient de la bière avec scrupule, ne pouvaient s’empêcher de la couper avec du sirop, car, en véritables experts, ils estimaient que ce breuvage n’était qu’un moyen de se désaltérer. Par la suite, en vertu d’une tendance irrépressible, la terre est peu à peu devenue plate (pour reprendre l’expression crue du journaliste américain Thomas Friedman). La manière de manger et de boire des hommes vietnamiens est alors devenue vulgaire en un temps bref et a graduellement perdu de sa spécificité locale. La bière est montée avec fracas sur le podium même si elle n’occupe encore que la seconde marche. Lorsqu’elles voient un homme au visage empourpré, titubant et vacillant, les femmes en une phrase suintant la morale, lâchent tout à trac « C’est sans conteste un buveur de bière et d’alcool ». Las ! L’humanité serait-elle parvenue à la phase de dégénérescence et d’extinction de la loi du Bouddha qui verrait la bière placée au même niveau que l’alcool ?

Bien sûr, si l’on examine avec calme et objectivité la situation, la bière présente bien des avantages. Son caractère, certes superficiel, est doux, peu prononcé et frais. Il n’est pas de meilleure boisson pour se détendre et se désintoxiquer lors d’une pause dans un colloque de critique littéraire et pour se désaltérer après une dispute avec sa maîtresse. Si, à contrecœur, il faut comparer les deux, alors la bière est à la fois naturelle et spontanée à l’instar de Thuy Vân : « Visage rond comme la pleine lune, sourcils comme vers à soie déployés (Kiêu 20) » alors que l’alcool est souffrance et misère à l’image de Thuy Kiêu : « Elle tressaillait en elle-même, pour elle-même déchirée de pitié (Kiêu 1234) ». C’est sans doute ainsi. Nul n’a jamais vu quelqu’un d’aussi triste qu’un homme assis buvant seul une bière avec avidité.

D’un point de vue physionomique, la bière est plus facile à deviner que l’alcool. Elle est en général bue dans de grands verres, et le contact entre la bière et la bouche du consommateur est le plus délicat à négocier. D’après la Physionognomie de l’homme habillé de lin , la bouche est appelée « mandarin chargé des recettes et relève de l’élément Eau. Elle est la porte d’entrée du cœur et le poste frontière du vrai et du faux. Si par la bouche se produit un malaise, alors le cœur s’arrête, la bouche restera ouverte pendant trois jours ce qui provoquera fatalement la mort ». L’on en déduira que si par la bouche coule la bière alors le cœur fonctionne, si par la bouche on avale un grand verre en l’espace de trois minutes, les forces redoublent et la parole devient vive et leste.

À l’époque où l’économie était subventionnée, prendre pour femme une commerçante en riz ou autres produits alimentaires était le choix le plus estimable, mais épouser une marchande de bière était l’option la plus honorable. La brasserie rassemblait les hommes éminents, les poissons s’y disputaient l’appât, la foule la boisson. L’affluence était incessante, même celle d’un live show des Fleur Bleue, Rose Pourpre ou Beauté Ensorcelée aujourd’hui n’aurait pu l’égaler. Commander une bière sans avoir à faire la queue est déjà inhabituel, mais se faire servir une bière sans l’accompagner est aberrant. Dans l’ensemble de la brasserie, il n’est pas une table qui n’ait entre quelques verres de bières épars une sombre marée de nouilles sautées au bœuf (chaque verre est doublé d’un plat). Et c’est déjà une chance. Certains jours, le riz au gras, le bouilli aux tripes, ou le steak de buffle ont disparu dès le matin.

Les fêtards professionnels de Hanoi sont trois ou quatre jeunes aux cheveux longs, le visage allongé soufflant avec ostentation la fumée sur une table légèrement humide, couverte d’une dizaine de verres de bière pression flanqués d’une arrogante assiette de cacahuètes drapée dans sa solitude. Dieu soit loué, cette table laisse transparaître une atmosphère tout à la fois orgueilleuse et effrayante. Les richards corrompus et illettrés d’aujourd’hui, attablés devant leur homard ou leur tortue dans un hôtel cinq étoiles, ne pourront jamais les égaler.

Le premier amour de l’auteur de ce texte était une jeune serveuse. Silencieuse, l’échoppe sommaire et sordide se rêvait brasserie. J’étais semblable à ces hommes purs dont le premier amour s’exprime en vers. Le temps ne les a pas effacés de ma mémoire.

Petite vendeuse de bière, Petite vendeuse de bière,
Ton image voile mes yeux de larmes
Ma flamme est comparable à la bière que tu sers
Je ne vois que l’écume, je ne vois plus la bière
Tu avais la main un tantinet fraudeuse quand tu servais. Qu’es-tu donc devenue ?

L’amitié qui transcende l’âge

Une amitié qui transcende l’âge est une chance exceptionnelle et même une faveur accordée par la providence à nous les hommes qui accédons à la maturité.

Dans ce cas, l’ami présente une différence d’âge avec nous, il est bien sûr plus vieux, en général de dix ou douze ans, au visage froissé, grand lecteur, fume la cigarette comme la pipe, boit comme un troupier, est orgueilleux, infortuné, mais spirituel, léger et drôle. Quoique d’un certain âge, marié à plusieurs reprises, il vit célibataire, avec parfois sa vieille mère. S’il nous considère comme son ami, nous pouvons lui rendre visite à toute heure, sans raison aucune. Ni l’heure tardive, ni le temps pluvieux ne le dissuade de nous accueillir. Sereins, à l’aise, nous restons dîner et passer la nuit. Il ne sait pas ce qu’être dérangé veut dire, semble-t-il, alors même que jamais personne ne le voit importuner autrui.

En quête de nous-mêmes, hommes mûrs de quelque talent et de caractère, nous connaissons souvent le désespoir. Soit en raison d’un échec au concours d’entrée à l’université après avoir été major au baccalauréat. Soit, après avoir trouvé non sans peine un bon poste, à cause d’un licenciement pour avoir été les témoins involontaires d’une scène de « café du pauvre » entre notre supérieur et une collègue. Soit, après avoir écrit le manuscrit d’un roman ou peint une première série de laques avec toute notre passion, et les avoir apportés, tremblant, à une sommité qui les traite avec mépris. Ou encore, la situation la plus terrible, marié depuis moins d’un an, notre couple ayant « programmé » de ne pas avoir d’enfant afin d’épargner pour l’achat d’un petit appartement, nous découvrons soudain que notre répugnante épouse, rendue hystérique par la cupidité, se retrouve main dans la main avec le propriétaire d’un bien immobilier.

Toutes ces situations peuvent très facilement conduire les jeunes hommes sans issue que nous sommes sur le pont Thang Long où ils inclineront les yeux vers le flot tumultueux du fleuve Rouge, semblable à l’âme d’une personne ingrate.

Quelle chance ! En proie aux tourments sur cette route à l’issue fatale, nous faisons halte chez l’ami. Lequel prépare alors un repas d’exception avec du porc pilé, s’assoit et vous écoute avec calme. Gagné par les larmes, il compatit tout en se gardant de prodiguer le moindre conseil. Une bouteille de 65 centilitres d’alcool d’Uoc Lê à peine achevée, l’hôte entame une histoire drôle. Tragique mais triste, en voici les termes. L’absurdité de la vie n’est par essence qu’attente de la mort. L’existence, défi à la raison en apparence, a malgré tout un sens. Mener la vie à son terme pour connaitre ce non sens.

Avant de sombrer dans l’ivresse, désespéré, nous réfutons en radotant. Au milieu de la nuit, nous nous réveillons sous une simple une couverture disposée avec prévenance sur notre ventre avec en main une carafe d’eau fraiche. Boire provoque alors une vive sensation de brûlure abdominale. Avec violence, nous nous redressons pour vomir notre whisky dans un pot en plastique propre placé avec soin sous le lit. Il semble que s’écoule tout ce qui est gluant, visqueux et toute notre amertume. Ébahis, nous découvrons au réveil un soleil resplendissant. Puis, tout compte fait, cet échec à l’examen de l’université, nous nous en contrefichons. Tout comme de cette épouse dévergondée. Elle ne mérite pas qu’on se brise les membres mais un simple crachat.

Bien sûr, pour de nombreux hommes de talent mais dignes de pitié, l’apparition de l’ami n’est pas circonscrite aux moments où se jouent la vie et la mort, mais l’humanité d’un tel homme abrège la douleur muette d’un nombre infini d’incidents vulgaires de la vie quotidienne. Cet ami ressemble à un chef-d’œuvre, il ne fait que partager, les larmes aux yeux, l’expérience vécue, jamais il n’en remontre à autrui, jamais il ne propose de solution. Il est à vos côtés, indulgent, simple et altruiste. Il fait grand cas des erreurs dues à la naïveté. Nous lui présentons notre première conquête pour pouvoir évoquer, de temps à autre, ce souvenir, même si ce premier amour s’est depuis longtemps effacé. Il n’est pas du style chevaleresque, fanfaron ou grand frère. Il est encore moins du genre « paternaliste ». Avec un véritable ami, malgré ses cheveux blancs et la différence d’âge, embrasser une jolie femme ou un massage au karaoké sont encore possibles, choses qui d’ordinaire sont tabou pour l’aîné, le maître ou le supérieur.

Du temps où à Hanoi les rapports humains étaient encore empreints de sincérité, – à l’époque de l’économie planifiée par exemple –, pour une raison inconnue, dans le milieu misérable et naïf des écrivains, ce type d’amitié était très fréquent. Cela signifie peut-être que Dieu savait que les jeunes écrivains, assoiffés de sacré par nature, mais fragiles et sensibles, s’effondraient face aux campagnes de dénigrement menées par les critiques officiels. Aussi a-t-il donné naissance à cette catégorie des amis âgés pour les soulager de la « pression ». Comme il avait lui aussi été redevable de l’aide des générations précédentes, cet ami âgé continue à voir la misère et le chagrin avec des yeux ingénus. Seuls les talents qui ont connu la souffrance peuvent sincèrement avoir pitié de ceux que le Créateur a engendrés après eux. La « culture de l’amitié orientale » désigne cela en termes poignants de lien entre les talents. Et ce sentiment simple et généreux a nourri la littérature, la musique et les arts de la capitale d’un grand nombre d’œuvres immortelles.

Aujourd’hui la vie comporte encore nombre d’impondérables. Un homme honnête et ouvert peut très facilement sombrer dans la misère et l’infortune. En pareil cas, l’épouse est infidèle, l’enfant est encore jeune, honneurs et richesses sont vains, ne sont d’aucun secours. Seules les relations d’amitié fraternelle, pourtant d’une grande rareté, méritent crédit, sont sources de réconfort et permettent de vivre dignement.

Jamais l’ami tavelé aux cheveux blancs ne fera défaut.

Le choix du mari

Jadis et même en certains cas de nos jours, le choix du mari était l’apanage de jeunes filles décentes et vertueuses que le Livre des odes désigne sous le nom de filles pures. « La fille pure fait retraite, compagne assortie du Seigneur ! » . Dans la hiérarchie, la fille « nubile » tout à la fois belle et de bonne condition sociale occupait la deuxième place. Une dot plantureuse n’assurait que la dernière position. De par les progrès de la civilisation matérielle, il semble que l’ordre précité ait connu quelques changements. Les jeunes filles fortunées trônent naturellement en majesté. Il est bien sûr inutile de s’étendre sur le cas d’une jeune fille qui satisfait aux trois critères. Belle, riche, honorable et de surcroît docile – un tel exemple fabuleux émerge des brumes de la légende.

Pour bien des hommes au Viêt Nam, le trésor des légendes vietnamiennes est séduisant car il recèle d’innombrables, extraordinaires et mythiques « missions » dont l’objet était le choix du mari. Ce pouvait être une demoiselle, fille d’un mandarin d’une fortune supérieure à mille taëls d’or SJC authentiques qui soudain avait séduit un homme sans le moindre sou. Ou encore la fille aimée d’un richard, lestée d’une dot de huit titres de propriété immobilière, qui s’évertuait à épouser un pêcheur miséreux. Le cas le plus caractéristique est toutefois celui du garçon de la famille Chu. Il était d’une telle pauvreté qu’il était nu en permanence. Mais son charme en fit soudain l’élu d’une princesse. La soif d’épouser une femme « propriétaire d’une maison ayant pignon sur rue et dont le père est haut perché » est toujours aussi brûlante pour nombre d’hommes modernes. Naturellement les jeunes filles parées de tels atours ne sont pas stupides. « Si d’aventure la jeune fille est idiote, les siens sont sagaces », un véritable état-major depuis les grands parents jusqu’aux oncles et tantes se constituera pour prendre avec chaleur les choses en main. À l’âge classique, la stratégie matrimoniale avait pour cible le groupe des lettrés. « Ni les rizières, ni les mares n’étaient convoitées. Seuls le pinceau et l’encrier étaient désirés ». L’homme de lettre était désargenté, mais, qui sait s’il ne « réussirait son coup », lauréat majestueux d’un concours régional ou métropolitain (sans parler du concours supérieur du Palais). Jadis, la licence suffisait pour devenir mandarin mais comme le dit l’aphorisme « si pour l’homme l’entrée dans la carrière des honneurs est tardive, une demi-journée suffit à la femme ». Mener à bien un projet matrimonial supposait un véritable investissement. Ainsi dans les villages, quand un étudiant encore célibataire s’apprêtait à passer le concours, les familles des jeunes filles fondaient sur lui pour une demande en mariage. Elles proposaient riz ou argent, comme pour se réserver avec égoïsme une place. Toutefois, réaliser un tel projet, de tout temps, comportait un risque élevé que traduit le proverbe « Ton destin est aussi fragile qu’une goutte de pluie ». Bien des familles, malchanceuses, héritaient en effet d’un gendre stupide qui allait d’échec en échec, la somme investie partait alors en fumée.

Afin d’être certaines de réussir, les familles riches ou influentes faisaient en sorte d’accaparer d’avance le lauréat. Elles guettaient avec ténacité les années Ty, Ngo, Mao, Dâu où l’empereur ouvrait des sessions de concours régional, puis plaçaient leur fille « en embuscade » aux alentours de l’entrée du camp des lettrés et attendaient avec impatience le jour de la proclamation des résultats pour faire les yeux doux aux nouveaux impétrants. Un diplôme brillant et une épouse resplendissante – tel est le « double bonheur » reconnu par la coutume dont bénéficiait alors le lauréat. Comment s’étonner qu’à l’âge classique, la vénération pour l’étude ait fait la réputation des hommes. L’histoire des concours en Chine mentionne le cas de Chen Shimei. Un vrai talent ! Premier docteur au concours supérieur du Palais, la chance lui valut d’être repéré par une princesse vieille fille. Il « épousa ainsi une dot ». À l’image de bien des intellectuels éminents, Shimei abandonna sur le champ sa femme dévouée restée à la campagne mais cette histoire parvint aux oreilles du juge Bao Zheng . Comme à l’époque à Kai Feng, la capitale, il n’existait pas encore de culture de « l’enveloppe » , ce salaud fut condamné à la décapitation par le vénérable magistrat et tomba raide mort devant le prétoire.

Le choix de l’époux par une fille pure a donné lieu à bien des scènes émouvantes, surtout quand il se solde par un échec. L’écrivain lettré Ngô Tât Tô en a décrit une en détail : « Lorsque passèrent les hamac et parasol d’un docteur et de son épouse … la bouche d’une jeune fille d’une vingtaine d’années, étendue de tout son long sur l’herbe au bord du chemin, les cheveux en désordre, les yeux fermés, laissa soudain échapper un filet de bave blanche ». (Tente et tablette de bambou, Éd. Van hoc, p.22). La jeune fille n’avait-elle pas absorbée de l’ecstasy à son insu, cher lecteur ? Non, Mademoiselle Jade était bien une reine de beauté de son village, d’une splendeur égale à celle de toutes nos miss réunies. Elle vit alors s’effondrer sa stratégie matrimoniale. Le partenaire qu’elle « convoitait » depuis longtemps, le jour de sa réussite au concours supérieur du Palais, fit subitement le choix d’une autre. Que de peine pour quêter un époux (« quêter » est plus tragique que sélectionner ou choisir) ! Aussi la jeune fille était-elle « stressée ». Quelques longues jambes ont semble-t-il perpétué avec délicatesse jusqu’à nos jours la tradition de « s’agiter en convulsions et à grand bruit » lorsqu’elles sont rejetées par un riche homme d’affaires. Que Nguyên Du, à plusieurs reprises, ait éprouvé de la compassion pour le « sort douloureux de la femme » n’a rien de fortuit.

Toutefois, seules les jeunes filles de bonne famille aiment choisir un mari lettré en vertu de l’adage « Sans diplôme supérieur, nul ne peut devenir mari », alors que le critère des jeunes filles de la classe moyenne est la force. L’histoire de l’homme de Lac est la plus typique. Elle est ironique mais trop « sexy » pour être racontée (Trésor des histoires drôles du Viêt Nam, Éd. Van hoc, 1991, p.18).

Somme toute, quelques coutumes archaïques mises à part, le choix du mari a toujours été la grande affaire. Pour nombre de jeunes filles vertueuses, il est à la fois un droit et un devoir, bien que le mouvement « single mom » soit de mode. Les chansons populaires fourmillent de ce qui forme la quintessence du vécu en ce domaine. Un seul exemple suffit : « Au marché, il ne faut pas acheter de fesse de porc. Pour le mariage, il convient d’épouser un vrai mec et non un gringalet ». Hélas, aujourd’hui, dans notre société prospère, comme les hommes aiment une alimentation riche en protéines, la majorité d’entre eux sont « mi maigres, mi gras ». Aussi les filles et les femmes hésitent-elles. Toutefois, pour une raison inconnue, les femmes, lorsqu’elles hésitent, sont toutes très séduisantes. Un écrivain de génie leur a offert ce vers tragique : « Parce que tu es longue à choisir ton époux, tes fesses s’allongent tristement ».

Ah, y a-t-il en cette vie chose aussi belle et romantique qu’une paire de demi-lunes tristes ?

Le petit déjeuner des hommes

Parmi les indispensables opérations nutritives, la plupart des hommes citadins accordent une attention particulière aux trois repas quotidiens. Le petit-déjeuner se déroule de 7 heures à 9 heures. Le déjeuner, qui débute à 11h, peut se terminer à 13h, mais pour les buveurs il prendra fin vers 16h30, heure de sortie de bureau des pères tranquilles. Le dîner a lieu entre 18h30 et 20h environ (hormis pour les buveurs, cela va sans dire). De ces trois moments de consommation de riz, d’alcool et de divers plats secs ou humides, le petit-déjeuner est le plus exquis pour la majorité des hommes. Collation traditionnelle et légitime dans les restaurants, auberges et gargotes, il n’implique pas la présence de la famille. Telle est son originalité. Aujourd’hui aucun homme moderne n’invite ses parents à prendre avec lui son petit-déjeuner. Et, convier sa femme est exceptionnel même si elle emprunte la même ligne de transport, et a fortiori si mari et femme sont collègues de bureau. Le petit-déjeuner suppose l’esprit libre et la possibilité de vagabonder avec quelques très bons amis, ou, à défaut, une jeune maîtresse pour faire de « l’effet ». L’appeler collation ne relève pas tout à fait du hasard. Y associer sa femme et ses enfants en ferait un véritable repas et non plus une simple consommation de soupe, de vermicelle de riz ou de soja.

En général, les fonctionnaires de la classe moyenne le prennent dans des cafés climatisés dont l’enseigne Breakfast est épicée par le terme Internet. Dans la plupart des cas, ils y consomment des plats secs (des plats liquides, également nombreux, sont difficile à avaler car bien moins subtils que dans les gargotes), ou des sandwichs au pâté - omelettes à l’occidentale, tourtes à la viande - raviolis - nouilles de riz ébouillantées au bœuf mariné et sauté à la chinoise, ou encore riz gluant blanc - porc au caramel - nem à la vietnamienne. La plupart de ces plats sont tout à fait à l’image des convives : sûrs, unis et bien soignés, pas trop mauvais mais jamais excellents. Quant aux vieux citadins experts, ils aiment les gargotes et les marchands ambulants dont la plupart sont disséminés dans le labyrinthe du vieux quartier. Des commerces si anciens que les vendeuses entre deux âges, lorsqu’elles pochent quelques oignons, laissent échapper à un client connu : « Lorsque ma mère était encore là, vous disiez que le dos de poulet était votre plat préféré ». Le convive au chapeau de feutre, cow-boy expérimenté, les larmes aux yeux, avale en silence la bave filant de son dentier. Tourmenté, il se remémore une scène vécue il y plus de 50 ans d’où émerge la pureté de son premier amour lors d’un repas dans ce même restaurant autour d’un plat de viande pilée et cuite dans l’eau bouillante.

En général, le petit déjeuner des hommes se déroule ainsi. Mais l’histoire de la gastronomie en a parfois connu de singuliers. Ainsi, le roman Royaumes en proie à la perdition, fondé sur les Mémoires historiques de Sima Qian, relate un épisode de la vie du prince héritier Dan qui vouait une haine tenace à l’empereur Qin Shihuang . Il s’évertua à trouver une personne susceptible d’assassiner le souverain cruel, enfant de la famille La. Quelle ne fut pas la jubilation du prince lorsqu’il rencontra Jing Ke. Il lui manifesta tous les signes de l’affection : « Demain matin, Dan vous honorera par un banquet au palais Huayang, je demanderai à ma plus belle concubine de vous offrir à boire et à une autre de vous divertir à la cithare. » Jing Ke observa que les mains de cette beauté étaient aussi diaphanes que le jade. Après le banquet, Dan fit apporter un présent à Ke sur un plateau de jade. L’homme découvrit les deux mains de la femme que le prince héritier avait fait trancher pour lui montrer qu’il était prêt à tout lui sacrifier (op. cit., chapitre 107). Si ce type de petit-déjeuner promotionnel relève du passé, de nos jours nombre de filles entretenues, maîtresses d’administrateurs concussionnaires, ont, semble-t-il, encore en mémoire cet épisode : lorsqu’elles servent à boire aux chefs, elles sont à dessein vêtues d’une chemise à manches longues et d’une grande tunique. En effet, les mandarins corrompus en cours de carrière, face à un obstacle, ne regrettent rien pour leur chef de service car ils tiennent à garder leur poste. Pour ceux, qui sont prêts à offrir leur femme et leur fille, les mains de leur maîtresse ne sont rien.

Si Jing Ke eut droit à un petit déjeuner fastueux, le sultan Shahryar dans Les Mille et Une Nuits fut vraiment terrifiant. Il avait été trompé par sa femme, une histoire somme toute banale. Mais, au faîte de la hiérarchie sociale, il ne pouvait tolérer les entraves de cette loi éternelle. Il réagit en préparant la veille un petit-déjeuner avec une jeune fille vierge au menu. Comme à son habitude, il se leva tôt, se brossa les dents, se lava la figure puis voulut prendre comme « dessert » la tête d’une demoiselle. Heureusement pour la victime, c’était sans compter sur une autre jeune fille du nom de Shéhérazade (d’après le traducteur Phan Quang, son nom signifie en arabe la fille de la Lune). Comme elle était du même pays que notre Cuôi , elle avait le don de bonimenter. Dès minuit, Shéhérazade ne cessa de raconter des histoires extravagantes. Lorsque le sultan prit son petit-déjeuner, elle dit qu’elle était fatiguée et demanda à se reposer. L’époque ignorait encore la télévision, les loisirs étaient des plus simples. Aussi Shahryar prit-il un petit-déjeuner sommaire puis attendit le crépuscule pour écouter la suite du récit. Cela dura à peu près six mois. Lorsque Shéhérazade acheva son histoire, elle avait donné naissance à une multitude d’enfants. Soucieux de ne pas laisser sa progéniture orpheline, le sultan fut contraint de s’attendrir en vivant avec une femme aussi bavarde. Depuis ce temps, les hommes ont pris l’habitude de manger tout en regardant des mélos aux nombreux épisodes. Dans bien des pays civilisés d’Amérique latine, Shéhérazade est célébrée comme l’ancêtre des metteurs en scène de films-fleuve.

Un fameux aphorisme relève de la science de la nutrition : « le petit-déjeuner est pour soi, le déjeuner pour l’ami, et le dîner pour l’ennemi ». Le narcissisme des hommes explique leur amour pour cette collation matinale. En outre, pour nombre de mâles en cours de divorce, ce proverbe désigne implicitement l’ennemi potentiel.

En vertu d’une raison simple que nul n’ignore, un mari comme il faut doit dîner avec sa moitié.

Le retour du printemps

Depuis une dizaine d’années, dans quelques grandes villes du Viêt Nam, surtout à Hanoi, sont apparus nombre de cafés tout à la fois discrets et impudents. La musique y est mi-élégante avec des morceaux classiques, mi-populaire comme celle du chanteur de variétés Dam Vinh Hung. Au milieu des volutes de fumée, discutent des jeunes femmes, isolées, à deux ou en groupes. Si elles sont seules, l’expression de la majorité d’entre elles trahit une forme de flou, d’impasse, entre tristesse et bonheur, qui rappelle ces poétesses fatiguées, soucieuses de libérer leur texte du carcan de la prosodie six-huit au profit d’une forme de feu d’artifice. Si elles sont plus nombreuses, elles bavardent à haute voix, sans sujet de conversation précis, tantôt riche, tantôt pauvre, mêlant propos sérieux et frivoles. De temps à autre, elles éclatent d’un rire à la fois gras et arrogant, qui évoque celui de cette chanteuse souvent invitée à la télévision pour participer à des jurys. Il est plus rare qu’elles soient en couple. L’homme dans ce cas est naturellement quelconque, et même sans apprêt, avilis par des cheveux qu’il s’évertue à teindre en un noir brillant, mais aussi vêtu d’une veste imprégnée de parfum. Il a surtout l’air hagard mais s’efforce d’apparaître digne et distingué. « Post-adolescence » pour l’opinion courante, « retour du printemps » pour la médecine en termes non-conventionnels. Tel est ainsi qualifié l’état de ces jeunes femmes entre deux âges, malheureuses en apparence.

D’après le Dictionnaire général de la langue vietnamienne de l’Institut de linguistique, « retour du printemps » est en vietnamien un verbe ou un groupe verbal, bref, une notion qui évoque l’instabilité. Il a deux sens : 1) Retour ou provoquer le retour de la verdeur, de la vivacité débordante, analogue au retour du printemps. 2) Période qui précède l’entrée dans la vieillesse (en général entre 40 et 50 ans) et au cours de laquelle se produisent plusieurs changements déterminés d’un point de vue physiologique (op. cit., p.405).

Le premier sens est limpide surtout dans le cas des jeunes femmes férues de « romans de cape et d’épée ». L’écrasante majorité de ces romans-fleuves mettent en scène une femme infidèle et un célèbre médecin. Ce personnage est un thérapeute de génie, doté au plus haut point d’ » une dextérité merveilleuse pour le retour du printemps », c’est-à-dire redonner la santé à un malade. Il a un nickname original, qui s’accorde avec son talent mais n’est jamais aussi grotesque que l’enseigne de « sauveur » d’un prétendu médecin traditionnel imbu de sa personne, un temps visible sur les bords du lac de l’Épée restituée. Bref, si son nom ne signifie pas « ennemi du Roi des Enfers », il veut au moins dire que ce médecin peut sauver les gens d’un seul doigt. Son existence est naturelle, car, hormis les guerrières impatientes qui infligent à leur visage de grands travaux de chirurgie esthétique à des fins matrimoniales, les blessés gisent en masse dans ce monde d’aventuriers en tous points identique à celui des écrivains, où tout est prétexte à la violence verbale ou physique. Si l’on tient à une comparaison avec notre époque qui voit les amants émasculés par le mari cocu ou les maîtresses défigurées à l’acide par l’épouse légitime, alors les blessures d’autrefois étaient bien plus cruelles. Aussi, dans les romans de cape et d’épée, les efforts en vue de « retrouver le printemps » sont les plus appréciés.

Quant au second sens, il est nébuleux. Quelle signification donner aujourd’hui à « la période qui précède l’entrée dans la vieillesse, entre 40 et 50 ans » alors que notre riante société nous submerge d’images de femmes de cette tranche d’âge, enjouées et « aussi spontanées qu’une fée dévêtue » ? Certes, elles ne sont pas ingénues au point de sucer leur pouce ou de faire sur le pot, mais il n’est pas rare d’observer des grands-mères qui se trémoussent encore avec « une vitalité digne du retour du printemps ». Grand séducteur de jeunes femmes, le poète Nguyên Trong Tao, plus d’une fois s’est demandé avec stupéfaction : « Tu avais dix-neuf ans il y a mille ans. Pourquoi en fais-tu encore vingt ? » (L’un de ses fans a même été jusqu’à proposer de remplacer cette dernière par « Pourquoi fais-tu encore sur le pot ? »). Avec un peu de chance, seul un directeur d’établissement spécialisé dans la chirurgie esthétique et la vente de produits de beauté serait assez vertueux pour se prêter à un commentaire d’un tel désastre poétique. Toutefois, en raison de « changements physiologiques déterminés », probable fruit du « caractère printanier », un grand nombre de jeunes femmes, lors du retour du printemps, tombent amoureuses. Cela dit, en cette période d’engouement pour l’adultère, il leur arrive d’être les victimes de goujats. Bien sûr, de temps à autres, elles rencontrent des hommes honorables, et il semble que pour une raison obscure les plus dignes d’estime utilisent en majorité des « médicaments du printemps » (Viagra).

Cette période de jouvence est sans conteste la plus belle dans la vie d’une femme. S’il lui arrive de se disputer avec son amant, de retour chez elle, elle restera douce avec mari et enfants. Parfois, elle sublime sa solitude dans la création poétique. Tristes et profonds, ses poèmes, qu’ils soient brefs ou longs, sont empreints d’un message « ne touchez pas à l’arbre qui perd ses feuilles ». Si l’amant ou l’époux sont membres d’une association d’artistes, ils pourront avoir l’illusion que ses vers leur sont destinés.

Toutefois, le « retour du printemps » n’implique pas forcément d’être volage. D’Occident en Orient, combien de femmes ont bravé les « changements physiologiques déterminés » pour rester d’éternels modèles de fidélité et de dévouement envers leur mari. Il n’est que de rappeler l’éloge que fit Homère de la personnalité de Pénélope. L’époux est parti. Est-il mort ou vivant ? À la porte se pressent pour l’enjôler des Apollons du calibre du top model Quach Ngoc Ngoan. Impassible, Pénélope élude leurs avances par la ruse et élève ses enfants. Au Viêt Nam, il en va de même de la jeune femme de Nam Xuong dont Nguyên Du a chanté les vertus dans son Vaste recueil de légendes merveilleuses. La jeune de la famille Tô de Lang Son dont parle avec émotion la légende est une figure analogue. Elles sont d’authentiques symboles du printemps.

Aujourd’hui, les jeunes femmes qui jouissent du retour du printemps dans une villégiature écoutent d’une oreille distraite ces histoires d’épouses restées fidèles à leur défunt mari. Le récit une fois terminé, elles éclatent de rire. Et quand elles sont lasses, elles se retournent pour parler à l’oreille de leur amant : « Ces femmes vertueuses n’ont vraiment aucun savoir-vivre. Rien d’étonnant à ce qu’elles meurent de noyade ou se transforment en pierre ».

Les aléas du végétarisme

La psychose de la pandémie de grippe aviaire H5N1 a ces derniers temps été à l’origine d’une rumeur selon laquelle de riches hommes d’affaires organiseraient un colloque sur le thème « Pour vivre, il faut manger végétarien ». Ces businessmen restés anonymes étaient du calibre de Mai Van Dâu, Nguyên Lâm Thai ou Nguyên Duc Chi.

Les plus petits, du style Luong Trung Viêt, l’« arbitre corrompu » ou Lê Quôc Hô, le « faux Vénérable », y étaient réduits à la figuration. Quelle nouvelle étrange et sensationnelle ! Depuis toujours, être végétarien ne signifie rien d’autre que manger des fruits et légumes, alors que cette nébuleuse de magnats aime la viande de quelque créature animée que ce soit. Qu’elle soit terrestre ou aquatique. Qu’elle ait ou non des pattes. Leur passion vise surtout celles qui sont dotées de longues jambes.

Depuis la nuit des temps, être végétarien est un acte moral qui est l’apanage des religieux. Préserver la sérénité implique le choix de plats qui n’excitent pas les sens. Consommer des mets sains permet de progresser rapidement sur la voie de la sagesse. Le moine pourra ainsi s’appliquer à faire le bien. Afin d’atténuer les vicissitudes d’un dialogue solitaire avec le silence, la plupart des religieux adoptent un régime végétarien. Les végétaux sont nourrissants mais ne stimulent pas le désir sexuel, en silence ils mènent vers les sommets, fleurs et fruits foisonneront.

Aussi, dans un grand nombre de préceptes des religions, le végétarisme est-il strictement préservé. À l’époque des Tang, dans La pérégrination vers l’Occident, le bonze Chen Xuanzang, connu également sous le nom de Sanzang, en est un exemple éminent. De sa naissance au terme de son cheminement spirituel, il s’abstint de tout met à l’odeur de poisson ou de la moindre graisse.

Sa physionomie était toujours scintillante, d’un vert tendre comme la nature. Fasciné, un être aussi grossier que le cochon anthropomorphe Zhu Bajie, alla jusqu’à se débarrasser du titre de propriété de sa villa et de sa voiture pour le suivre avec ferveur. Il se fit moine mais jamais ne le quitta l’envie des plats salés. En son for intérieur, il savait qu’être végétarien était terriblement difficile, incomparablement plus ardu que de garder pour soi le gain d’un autre ou d’avaler d’un trait une enveloppe lorsqu’on est haut fonctionnaire.

Notre époque de richesse profuse a vu l’apparition brutale de gens qui ignorent la recherche de soutras mais dont la cupidité est abyssale. Jamais en quête de perfectionnement spirituel (mais plus sûrement d’alcool), ils abandonnent le salé pour le végétal. C’est absolument sublime.

Quel est le type de végétarisme de nos tycoon au ventre adipeux et souffrant d’un excès de cholestérol ? Ces hommes devenus austères comprennent que ce régime suppose la sincérité, tout en le pimentant de quelques longues jambes.

Dans leur esprit, être végétarien signifie que les fruits et légumes doivent être métamorphosés en plats de qualité supérieure, d’une propreté irréprochable mais enrobés d’une saveur de poulet, de poisson ou de porc. En bref, ces mets doivent ressembler au domaine ou à la villa où ils résident. Ils doivent être à l’image de ces résidences situées dans des zones reculées, littorales ou montagneuses mais dont le mobilier est somptueux et confortable.

La satisfaction tirée du régime végétarien serait analogue à celle qu’éprouve l’habitant dans une maison munie de fenêtres d’où il contemplerait les paysans, le derrière dressé, cultivant avec peine la rizière, mais aussi dotée d’une télévision à écran plat où s’agitent des stars aux seins nus. Ces nababs mangent végétarien pour mieux faire la fête. Ils espèrent que la pratique de la méditation en position assise atténuera leurs douleurs dorsales, fruit de leurs continuels ébats. Ils ont habilement transformé les sublimes gestes des religions éthérées qui visent à sacrifier sa vie en conservant pur son cœur, en un ensemble de grossières règles d’hygiène pour préserver leur corps. Ils ont le sentiment que jouer au golf ne suffit pas, avaler un homard dans un hôtel cinq étoiles non plus, ils sont si avides qu’ils veulent aussi avaler la pureté.

Dans notre monde de plus en plus gâté par la pollution, être végétarien est une méthode optimale pour nourrir sa vie. Le soutra Za ahan jing ne dit-il pas « Une main saine plongée dans un bol de poison jamais ne sera intoxiquée ». Être végétarien depuis toujours vise à se perfectionner pour cultiver la bonté. Mais cela n’a jamais été un moyen trompeur de développer son corps pour mieux avaler des saletés.

P.-S.

Nguyễn Việt Hà :
Fort d’une grande liberté tirée de sa place entre fiction et journalisme, le tạp văn (essai), permet à Nguyễn Việt Hà de décrire des fragments de la vie sociale, vivants et paradoxaux. L’humour occupe une place centrale dans ses textes. Un humour qui prend la forme de la satire (trào phúng trong thơ), tradition ancienne au Viêt Nam, de Hồ Xuân Hương (Giễu quan hậu) au XVIIe siècle à Tú Xương (Giễu người thi đỗ). Il tourne en ridicule des personnages (écrivains classiques ou contemporains, vedettes de la télévision), types sociaux, institutions ou œuvres littéraires. Nguyễn Việt Hà innove en ce qu’il pratique l’art du détournement. De ce dernier, nombre d’exemples apparaissent dans les essais ici publiés. L’auteur multiplie les citations, références littérales et explicites, et au prix de quelques modifications, les détourne vers un autre objet et leur donne une autre signification, le plus souvent pour exprimer son regard sur la société actuelle afin de divertir le public. Mais, dans la plupart des cas, son objectif n’est pas le divertissement gratuit de son public. Il se veut moraliste.

Emmanuel Poisson :
Professeur en histoire du Viêt Nam à l’Université Paris Diderot, Emmanuel Poisson a écrit Mandarins et subalternes au nord du Viêt Nam (1820-1918) – une bureaucratie à l’épreuve (Maisonneuve et Larose, 2004) dont une version vietnamienne a été publiée à Da Nang en 2006 avant d’être rééditée à Hanoi en 2018. Un recueil de ses traductions en français de neuf nouvelles de Phong Điệp et huit essais de Nguyễn Việt Hà a paru en 2013 sous le titre Delete chez Riveneuve. Ces essais sont ici réédités dans une version légèrement modifiée. Du même auteur, il a publié une traduction de « Cave (L’entraîneuse) » dans la revue Moussons en 2017 (https://journals.openedition.org/moussons/3829). Par ailleurs, il a traduit avec Doan Cam Thi L’Embarcadère des femmes sans mari de Dương Hướng (Aube, 2002).

En logo : photographie de David Johnson.

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