J’édite à nouveau ce texte issu d’une nouvelle épistolaire.
C’est la dernière lettre de cette nouvelle — mauvaise nouvelle ?
C’est bientôt le dernier texte de cet « édito_d’été ».
Cette lettre marque la fin d’une histoire.
C’est un coude plié qui tend la main vers le clavier.
Les doigts face au désordre des lettres du clavier
C’est le début d’une fin.
Parce la fin dure longtemps.
Amor Fati. Jamais ces mots n’auront eu, en silence, une telle résonance
Je t’écris d’eXiL mon frère, les yeux rivés sur la photographie de notre fuite.
Les souvenirs indigestes fuient mon corps, et par instants les mots me remontent en bouche. Je les couche sur ce pain pour les yeux. Je sais que tu ne seras pas dégoûté par l’odeur de mes mots, nous avons été nourris par le même corps.
Lundi 26 Février / 13 h 06 :
Afin d’être au plus près de l’instant de cette photographie, je te propose d’en finir avec la nostalgie. Je me suis levé ce midi, j’ai regardé les murs. L’image d’un rabbin en prière confiant des lamentations à la surdité des pierres me fit sourire. Je suis revenu dans la cuisine boire le café, cette clef de la porte de bois qui me couvrait la face après cette nuit éponge. A présent, je suis prêt à me reposer face au vide de ce mur, te remerciant intimement d’avoir tout quitté, la guerre la mort et moi compris.
Lundi 26 Février / 14 h 12 :
Scrupuleusement je note ce que je vois le long de cette paroi, non plus un humain enfermé dans sa foi, mais un mur dénudé, abandonné par l’objet du culte de la mémoire. Celui-ci aurait-il fui ? Un regard et sans rejoindre le mur, l’objet retrouve la place que nous lui avions attribuée.
Lundi 26 Février / 16 h 07 :
Le mur s’est incliné, l’objet a glissé d’entre mes mains de monte en l’air, avec lui le souvenir de sa présence, derrière, celui de nos corps à corps affichés sur ce mur. Lâche ! Il rompt ce à quoi il était attaché ! Quel danger fuit-il que je n’ai pas vu ? Qu’ai-je à craindre ? Je n’ai rien vu ; j’ai seulement tout perdu, certain de n’avoir jamais rien possédé. Comme deux amis dénudés, se séparent l’un sourd de l’autre aveugle : "sourd fuit, reste aveugle seul sur la plage de l’écran".
Lundi 26 Février / 16 h 54 :
Les fils, vois-tu, ne pendent que pour nous deux. Et les mains par-dessus, les vois-tu ? Non bien sûr. Dès à présent c’est tôt ! Et pourtant cela se voit, par exemple, à l’objet volé.
Un objet basculé par le vent, privé de la masse des secondes minutes heures journées années passées, levé comme une photographie, séché par une arrestation arbitraire, tout cela tenu par ce fil coupé ; et l’objet cesse d’appartenir.
Lundi 26 Février / 19 h 43 :
Non, vraiment pas de plage, les cerf-volants me conduiraient à cette absence, la mimant mal, s’appuyant sur le vent pour nous donner le change de nos suspensions éthérées. Pourtant, Dunkerque où l’absence réside dans les salles closes des musées, voyage sédentaire avec le rouleau des vagues ! Pourtant, la Somme, pleine des flux de mer, d’un fleuve se disputant une étendue de sable piétinée par le poids des conquêtes, du sang, des défaites, du sang. La plage porte les mêmes rides qu’un visage vieilli par des rires ! Je suis retourné abandonner le fruit des arbres à larcins. La mémoire se vidait.
Lundi 26 Février / 22 h 02 :
J’ai perdu les souvenirs ! Tout d’abord, je les ai prostitués sur le trottoir de l’écran faisant de la nostalgie une mère maquerelle. Commerce sans rapport, les humains ne payent pas pour ce genre de compagnies ; parfois certains, certaines me donnent à boire la nuit toute entière, d’un trait, une ligne d’amnésie.
Les lendemains de tes courriers. Je glisse. Je fuis sans cesse sans jamais plus bouger.